Chapitre 12 : Comité d'Accueil


C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent au Bureau des Couturières de la Reine, avec un ministre inconscient sous le bras, une Yvette à peine remise de ses émotions et la Tulipe en très grande forme.

-Maman !? s'exclama Louise en la voyant arriver avec son supérieur. Mais...

-Louise !? fit la Tulipe, stupéfait. Comme je suis content de vous revoir !

Il enlaça son agent avec un grand rire ravi, ce qui fit hausser un sourcil à la Marquise. Sa fille lui sourit avec une grimace.

-Vous puez le sexe, la Tulipe !

-Oui, j'enquêtais au Lion Rugissant quand j'ai croisé votre mère.

-Mais attendez... C'est le ministre de l'Intérieur, ça ! Pourquoi il a une pomme dans la bouche ?

Le cochon mis en cellule, avec la Tulipe pour le cuisiner, la Marquise découvrit que Louise ne savait toujours pas où chercher son époux. Ce qui la rendait un tantinet caractérielle. Tendue, elle avait bien besoin d'un verre d'alcool, qu'elle lui servit avec plaisir. Yvette, épuisée par le bordel, était allée se reposer dans l'unique salon de repos.

Le Bureau des Couturières n'était autre qu'un immense hangar, jadis désaffecté. Des dizaines de bureaux s'alignaient au milieu, tandis que les cellules se trouvaient au sous-sol, avec les salles d'interrogatoire. Certaines Couturières jouaient le rôle de femmes de ménage, mais cela convenait bien à celles qui ne voulaient pas prendre de risques. Il y avait aussi les administratives, les scientifiques, les ingénieurs, le médecin, et puis les agents de terrain. Rarement dans les Bureaux, ces dernières avaient pour unique cheffe la Reine, qui déléguait les ordres à la Tulipe.

-Nous avons ses hommes de main et Joseph, le père de leur chef, pour avoir des informations, récapitula la Marquise. C'est bien cela ?

-Oui. Mais Joseph ne sait rien.

-La Tulipe a déjà bien cuisiné les autres. S'ils avaient su quelque chose, ces sous-fifres auraient déjà tout dit. Bon, écoute, Louise, je pense qu'il n'y a qu'une seule option.

-Maman...

Se tournant vers sa mère, Louise avisa la vieille femme fulminante installée dans le fauteuil de son chef. Elle avait découvert l'appartenance de Rose de la Rose aux Couturières de la Reine uniquement à sa propre entrée dans ces forces spéciales. Stupéfaite que tout le monde connaisse la Marquise, elle avait écouté toutes les histoires la concernant, lut tous les dossiers de ses affaires. Sa mère était la meilleure Couturière qui ait jamais existé. Et elle avait dissimulé cela toute sa vie.

Elle se souvenait encore de la tête de la Tulipe quand il l'avait vu parmi les jeunes recrues.

« Oh bon sang, elle va me tuer », était tout ce qu'il avait dit. Mais respectant son souhait, il n'avait rien dit jusqu'à ce qu'elle en discute avec la Marquise. Cette dernière avait été on ne peut plus fière de voir sa fille lui succéder au sein de cette organisation multicentenaire.

Louise était déjà fière d'être sa fille, mais elle l'avait été plus encore à ce moment-là. Même si la Tulipe s'était fait un malin plaisir de lui raconter toutes les frasques sexuelles de ses parents. Ces récits ne touchaient qu'aux missions, toutefois, elle se doutait bien qu'ils n'y étaient pas allés de main morte dans le privé aussi, tous les deux.

D'ailleurs, au fil de ces discussions, elle avait compris que son supérieur était profondément amoureux de sa mère. Ce en dépit de leur grande différence d'âge.

-Je vais organiser l'échange prévu avec le chef des trafiquants de cadavres. Il doit bien se douter que tu es rentrée, donc nous allons tenter de récupérer ton mari.

-C'est trop dangereux ! Maman, tu n'imagines pas les risques que tu prendrais ! Je dois...

-Tu ne feras rien du tout ! rétorqua la Marquise, ses yeux d'aciers se plantant dans les siens. Tu es ma fille, et j'entends me faire obéir ! Tu t'es déjà fait prendre une fois, Louise, ça ne se reproduira plus !

-Maman, sois raisonnable !

-Ton père est mort, ton frère a disparu. Je suis tout à fait raisonnable en tentant de te protéger.

Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Comment lutter contre sa propre mère !? Agacée, Louise cherchait déjà à contourner ce problème lorsque la Tulipe entra dans la pièce avec un grand sourire.

-Ce ne sera pas nécessaire, Marquise.

Rose de la Rose le fusilla du regard. Néanmoins, le quinquagénaire s'agenouilla devant elle, tout en tirant un papier de son pourpoint.

-Marquise, ma belle Marquise... Voyez-vous, fricoter dans des bordels a du bon, surtout quand vous vous faites passer pour un des prostitués et que vous savez manier votre pénis avec art...

-Oh, pitié, la Tulipe ! Abrégez !

-J'ai sodomisé le bras droit du chef des trafiquants de cadavres, qui en redemande à domicile.

Ça, c'était une bonne nouvelle !

En vérité, Louise avait parlé de cet homme à la Tulipe, des semaines plus tôt. Le sachant homosexuel et fermé à toute approche féminine, son chef avec décidé de se mettre dans la peau d'un prostitué au Lion Rugissant. Tous les jours de la semaine, à la même heure, jusqu'à rendre sa cible complètement dépendante de ses... Capacités. On pouvait dire ce que l'on voulait, la Tulipe mettait beaucoup de cœur à l'ouvrage, surtout quand ça impliquait des parties de jambes en l'air.

-En revanche, Marquise, je vous interdis d'y aller seule, gronda l'unique Couturier de la Reine.

Rose haussa un sourcil.

-Depuis quand m'interdisez-vous quoi que ce soit, la Tulipe ?

-Ceci rentre dans le cadre d'une affaire de la couronne. Vous voulez vraiment entraver l'action d'une institution que vous aimez tant ?

Touché. Voyant sa mère ronchonner, Louise sourit tristement. Si son père avait été là, il aurait appuyé la Tulipe. Mais elle avait assez épluché les dossiers de l'agent Rose de la Rose pour savoir qu'elle ne se laisserait pas mettre dans un coin.

-Très bien, la Tulipe. Mais que les choses soient claires : je participe à l'opération.

-Bonne idée. Cela me permettra d'avoir un œil sur vous, ma chère tête brulée.

-La Tulipe, vous commencez à prendre des libertés inappropriées.

-Si vous pensez déjà cela, nous allons nous amuser, ma douce Marquise. Car vous allez jouer le rôle de ma maquerelle.

-Quoi !?

-Mais avant toute chose, rentrez chez vous et reposez-vous. Le rendez-vous est pour cette nuit. Je dois organiser toute l'opération.

Mère et fille se regardèrent. Parfait. Cela leur laissait le temps pour autre chose.

-Vous permettez que l'on vous emprunte le ministre de l'Intérieur ? fit la Marquise avec un mauvais sourire.

-Bien sûr. Je vous le fais livrer chez vous. Je ne vous rajoute pas les accessoires qui vont avec, je sais que vous êtes bien équipée. A ce soir, mesdames.

Une fois devant le portail de son domicile, la Marquise avisa les policiers banalisés qui surveillaient leur porte. Policiers ou chasseurs de primes ? Songeuse, la vieille femme regarda autour d'elle, aux aguets. À cette heure de l'après-midi, l'activité battait encore son plein dans Paris. Il était difficile de dissocier les bruits de la rue avec ceux de l'intérieur de la maison. Yvette fit le tour pour passer par la cuisine, et Louise emprunta un des passages secrets de la façade ouest, qui donnait accès à un escalier menant directement à l'étage.

La Marquise tira son fusil à pompe de sous sa robe, avant d'atteindre la porte d'entrée. Bien lui en prit, car elle n'avait pas fait un pas à l'intérieur qu'une hache se planta dans le battant, le claquant derrière elle.

Bien.

Son exosquelette activé, la Marquise fit un bond de côté pour éviter une série de couteaux, qui se figèrent dans le mur tout autour d'elle. Au sol, de l'autre côté de la porte d'entrée, gisait l'automate de service.

À l'étage, une fusillade se fit entendre. Louise était occupée de son côté.

Se baissant, Rose évita le brasier projeté par un cracheur de flammes, ce qui confirma ses doutes. Une troupe de cirque avait vu l'annonce pour sa prime. Ils avaient décidé de se mettre ensemble pour l'éliminer, les chameaux !

Un lanceur de hache, une de couteaux, un cracheur de flammes. Pas de bestioles de type lion ou tigre, cela aurait été impossible de les emmener jusqu'ici sans se faire remarquer. Ils étaient donc trois contre une septuagénaire.

Visant la trachée, la Marquise n'eut pas le temps de voir le cracheur de flammes s'effondrer dans une gerbe de sang. Se jetant à plat ventre, elle évita un nouveau jet de hache. Pétard, il en avait combien en stock, celui-là !? Roulant, Rose se remit sur pied d'un bond grâce à son exosquelette, saisit la hache plantée dans le mur... Et la renvoya à l'expéditeur. Stupéfait de voir une petite vieille lui balancer sa propre arme à la figure, ce dernier n'eut pas le réflexe de l'éviter. La lame se planta dans son crâne, le faisant exploser comme une pastèque trop mure.

La lanceuse de couteaux ne s'en laissa pas conter. Arrachant du mur de l'entrée ses premières lames, elle les lança de nouveau sur une Marquise essoufflée. C'était lourd, une hache ! Par contre, aucune arme banche n'allait plus vite qu'une balle. Sautant de côté pour éviter les projectiles, elle tira, deux fois.

Une fois pour la lame qui lui arrivait dessus, la deuxième pour l'œil mauvais de cette garce. Problème réglé. Il n'y avait plus personne au rez-de-chaussée.

Dans la cuisine, Yvette nettoyait déjà son hachoir de cuisine utilisé sur quelques individus. À l'étage, sa fille avait réglé quatre problèmes, dont un à coup de de balai enfoncé dans l'orbite d'un malotru.

Le ministre leur fut livré un peu plus tard, par des Couturières particulièrement impressionnées de se retrouver devant l'agent Rose de la Rose. Elle n'avait plus effectué de mission officielle depuis de nombreuses années, presque dix ans, aussi avait-elle pensé son nom à moitié tombé dans l'oubli pour la jeune génération. Mais à priori, ce n'était pas le cas. Grâce à la Tulipe ou grâce à sa fille ? Elle n'était pas certaine de la réponse.

Quoi qu'il en soit, elles avaient du temps avant l'arrivée du cinquantenaire décadent. Louise n'avait pas non plus envie de se reposer, aussi laissèrent-elles Yvette à une sieste bien méritée pendant qu'elles cuisinaient Ferdinand Lacave. D'une part, il apprit bien vite que les femmes pouvaient être très dangereuses. D'autre part, il comprit que s'en prendre aux Rose était une très, très mauvaise idée.

Il ne fallut pas trente minutes pour qu'il commence à lâcher ce qu'il savait, sur tout et n'importe quoi. C'était avec lui que madame Red aurait dû coucher ! Cet imbécile n'avait aucune résistance ! Quoique, vu qu'elle l'avait trouvé à quatre pattes en train de se faire fouetter par un homme, la pauvrette aurait bien eu du mal à obtenir une confession sur l'oreiller.

-Sur quoi enquêtait Henry !? rugit Louise en saisissant un de ses ongles avec la pince à arracher les dents.

-Je ne sais pas ! hurla Ferdinand.

-Le mot que vous m'avez donné, c'était un vrai ? grinça la Marquise, son regard implacable planté dans celui du ministre.

-Le... Le quoi !?

Elle saisit son visage à pleine main, plantant ses ongles dans ses joues voilées de barbe. Furieuse, elle s'aperçut à peine qu'elle le serra à l'en faire saigner, tout en lui disant :

-Le mot avec le canard et la pintade. C'était un vrai ? Réponds !

-Non ! C'était... Un faux... Je...

Putain de merde ! Ivre de rage, Rose lui donna un vilain coup au ventre avec son poing américain. Louise avait préféré se retirer, observant sa mère en plein interrogatoire. Elle l'aimait de tout son cœur. Mais pour l'instant, elle faisait peur.

-On me l'a demandé ! gémit Ferdinand lorsqu'elle reprit son visage entre ses ongles. Je suis désolé... Tellement désolé... Je... ne sais pas pourquoi...

-QUI !?

-Je... Les services secrets...

Cet imbécile n'ayant pas connaissance de l'existence des Couturières, il ne pouvait s'agir que d'un seul type d'organisation. Son violent coup de poing à la mâchoire assomma définitivement le ministre, qui s'affaissa sur sa chaise.

-M... Maman ? s'enquit Louise.

Tremblante de rage, les poings serrés, la Marquise réfléchissait. À toute vitesse.

-Je veux que tu restes en dehors de ça.

-C'est trop tard, maman. Il a déjà vu mon visage et...

-Un corps, ça disparait, cingla Rose.

-Mais enfin, c'est le ministre ! On ne peut pas...

-Parce que tu crois sérieusement que c'est le premier ministre que j'assassine ?

Rien dans les dossiers ne mentionnait de telles actions ! Stupéfaite, Louise considéra sa mère, le pli implacable de sa bouche. Elle avait soixante-quatorze ans, mais là tout de suite, personne ne pouvait se mettre en travers de son chemin. Alors, elle sut que oui, elle avait déjà tué des hauts placés. Et oui, cela n'était retranscrit dans aucun dossier.

Car quand vous étiez la meilleure, on vous appelait aussi pour les plus sales boulots.

-Très bien, fit Louise en hochant la tête. De toute façon, c'est un crétin doublé d'un gros misogyne. Franchement, qui signe des papiers d'une telle importance sans se renseigner avant ? Mais maman, laisse-moi t'aider.

-Pas besoin. Maintenant, si tu permets, j'ai un prostitué à amener au travail.

En haut des escaliers de la cave, la Tulipe hocha la tête. À n'en pas douter, le ministre de l'Intérieur disparaitrait définitivement en leur absence. Qu'il accepte de se salir les mains sans rechigner, malgré le fait que la Reine n'ait pas donné d'ordre direct, étonnait Louise. Néanmoins, elle n'en montra rien.

Car au stade où ils en étaient, ce serait un miracle si tout le monde survivait.

Surtout quand votre chef allait combattre des trafiquants de cadavres avec un simple slip de cuir sur les fesses.

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