Survivre
La respiration difficile se faisait de plus en plus entendre dans la chambre de Jimin qui tentait tant bien que mal de ne rien laisser paraitre. Assis au bord de son lit, les mains accrochées à son matelas, il tentait désespérément d'ignorer les voix dans sa tête. Elles l'assaillaient de mots horribles, prenaient l'intonation de ses proches, se déformaient, devenaient des cris.
Yoongi était accroupi devant lui, les bras posés sur les genoux du brun. Il lui demandait si ça allait, s'il avait mal et Jimin avait sérieusement envie de lui demander s'il était clairvoyant.
« J'ai l'air d'aller bien, à ton avis ? » Finit-il par demander en lançant un sourire douloureux à Yoongi qui ressenti un malaise.
Ce dernier hocha la tête et se leva rapidement.
Nous étions mardi et Jimin avait appelé Yoongi parce qu'il voyait des choses pas nettes, que les murs bougeaient, que le blond était partout avec ses yeux verts de connard. Son aîné avait alors quitté les cours de rhumato et s'était pointé. Il était toujours en plein trip, mais ça commençait à s'éclaircir dans son cerveau amoché.
Jimin grimaça en voyant son aîné revenir avec une bouteille d'eau, une boite de paracétamole et un serviette dans les bras. Il avait l'air d'avoir la grippe, là ? Non, c'était pas ce qu'il fallait faire ! C'était pas ce qu'il attendait de son aîné, à cet instant !
Le plus jeune soupira.
Il laissa son dos s'écraser contre le matelas et fit un geste pour signifier à Yoongi de soulever ses jambes aussi. L'autre s'exécuta sans attendre, paniqué et déconcerté. Jamais il n'avait vécu quelque chose de la sorte, il se sentait con de ne pas s'être assez informé.
« Tiens, bois. » Dit le blond en approchant la bouteille d'eau de son cadet.
Ce dernier hocha la tête et s'approcha du goulot. Mais quand Yoongi bascula trop violemment la bouteille à la verticale et renversa l'eau sur lui, il se promit de ne plus jamais l'appeler après un mauvais trip.
« Woua, désolé ! Attends, j'te ramène une serviette. » Il se détourna vers la porte mais s'arrêta. « Ah, je t'en avais ramené une déjà ! »
Et il commença à sécher Jimin et le matelas avec la serviette de bain.
Jimin le regarda faire puis se mit à rire silencieusement. Parce que Yoongi était un crétin, merde, il était pas doué !
« Pourquoi tu ris ? Fit le blond en retirant la serviette du cou du plus jeune.
_ T'es vraiment marrant, Hyung ! »
Yoongi soupira : il était vraiment défoncé, le Jimin. Les yeux vitreux, le front luisant de sueur et la bouche sèche, c'était vraiment un cas ce type.
« Vas te faire soigner, merde.
Jimin attrapa la serviette et se redressa pour essuyer son épaule trempée. En même temps, il répondit.
_ Et toi, tu m'fais chier tout court, Hyung. Mais continues de venir me voir, j'aime beaucoup voir ton visage. »
Le blond soupira une nouvelle fois. Il s'assit en tailleur au sol et leva le visage vers le ciel, il se sentait complètement vidé.
Quand Jimin recommença à parler, il grimaça.
« Tu veux pas me faire un câlin ? C'est plus réconfortant que ta stupide serviette.» Il jeta la serviette sur le torse de Yoongi et ouvrit ses bras, prêt à accueillir l'embrassade du blond. « Aller, viens dans mes bras.» Jimin fronça les sourcils puis ramena ses bras vers lui. « Oh, en fait non. Ils sont sacrément moche, aujourd'hui. Peut-être demain, alors. »
Yoongi porta son regard sur ses bras et frissonna : c'était pas beau. Purulent, bleuté, plein de croutes partout... Vraiment dégueulasse.
Il s'éloigna du jeune homme pour aller chercher de quoi le désinfecter dans la salle de bain. Il avait vu pire, à l'hosto. C'était pas son corps, le plus gros problème, mais sa tête.
Quand il revint, Jimin rigolait aux éclats.
« Qu'est-ce que t'as, encore ? Demanda Yoongi en versant de l'eau oxygénée sur une compresse.
_ J'repensais à - à la bouteille que t'as renverser ! T'es vraiment marrant, Hyung, j'suis pas défoncé là pourtant j'trouve ça vraiment drôle ! »
Yoongi ne trouvait ça absolument pas drôle. 'Il n'était pas défoncé', qu'il disait ? Biensûr que si.
Il ne répondit pas, laissant la compresse appuyée sur une des plaies parler pour lui. Il voulu sourire en voyant son cadet grimacer.
Jimin eut un petit gémissement de douleur puis continua :
« On restera toujours ensemble, Yoongi Hyung ? J'ai besoin de toi, hein, tu peux pas partir !
_ Mh.
Le blond posa le morceau de coton sur une autre plaie, faisant un peu tressaillir Jimin.
_ T'sais, je crois que tout le monde m'a oublié. Pas toi, hein ?
Yoongi plongea son regard dans celui de son cadet. Doucement, il approcha sa main de la tête du brun puis lui donna un petit coup.
_ Fermes là, j'essayes de te soigner. »
Ça sonna comme un 'non' pour Jimin qui se sentait un peu soulagé. C'était sûrement la drogue qui exagérait ses émotions mais il aimait énormément son aîné à cet instant.
Son sourire disparu et il regarda longuement la tête baissée du blond qui soignait ses blessures. Ses cheveux semblaient plus doux que d'habitude, sa peau était elle aussi plus lisse. Il avait envie de le dévisager de ses doigts, de mémoriser ses traits. Il en était certain, ses phalanges étaient bien plus fiables que ses yeux. Donc il posa sa main droite près de l'œil gauche de Yoongi qui le laissa faire. Ses doigts glissèrent sur ses sourcils, son nez, sa bouche, son menton. Quand il sentit la respiration de son aîné s'abattre sur son index, il frissonna. Quelle sensation étrange !
Il sourît un peu puis engouffra sa main dans ses cheveux, appréciant leur douceur qui caressait sa peau abimée.
Yoongi se sentait gêné parce que le touché de l'autre lui était agréable : ses gestes étaient aussi doux que ceux d'une mère, pleins d'amour et de bienveillance.
Il sentait le regard de Jimin, la chaleur qu'il lui procurait. Il sentait la douceur des gestes du garçon. Mais aussi la douleur, les tremblements dans le bras qui se faisait soigner.
Il leva la tête vers le p'tit Jimin qui avait reposé son bras sur le matelas mais le brun sourit et Yoongi défaillit. Il pouvait pas regarder ailleurs, avec ses yeux pétillants et son sourire malicieux ? Ce même sourire si rarement placé sur ce visage autant abimé, il rendait Yoongi nostalgique d'un Jimin heureux qu'il n'avait jamais connu.
« Comment t'étais... avant ? » Demanda le blond en scotchant le bandage qu'il avait enroulé autour du bras gauche du plus jeune.
Jimin resta un peu silencieux, il devait réfléchir à sa réponse. N'était-il pas le même ? Il était juste lui.
Il fit abstraction de ses propres questionnements et répondit d'une voix douce.
« J'avais l'habitude de ne rien faire. J'faisais rien à part foutre mes dix-huit ans en l'air.
_ Ah ? Fit le blond en s'attaquant au bras droit du jeune homme.
_ J'ai refait deux fois ma dernière année. » Jimin lui sourit en disant ça. En y repensant, c'était drôle, il en avait fait des conneries ! Il reprit. « Me piquer, fumer, me faire percer les oreilles... J'crois que j'attendais que quelque chose se passe dans ma vie.
Yoongi releva le regard vers Jimin et répondit.
_ C'est déjà pas mal pour un gamin de dix-huit ans ! » Yoongi avait du mal à comprendre. Lui, à actuellement vingt-trois ans, il n'avait jamais touché aux drogues dures, ni à ses oreilles, ni quoi que ce soit qui le détachait de sa zone de confort, en fait.
Jimin lui sourit une nouvelle fois et continua :
_ J'avais que dix-huit ans mais je savais que ma vie était foutue. Je pensais ne rien avoir à perdre donc je faisais ce qui plaisait.» Jimin grimaça quand Yoongi passa la compresse sur une plaie particulièrement douloureuse.
Il grimaça aussi parce qu'il se souvenait du mec intouchable, sûr de lui et inaccessible qu'il était. Il se souvenait aussi de son manque d'ambition, de son vide intérieur. Las et perché, le gamin.
Il soupira et retourna la question à Yoongi. Qu'est-ce qu'il avait été, lui, avant de le rencontrer ?
« Rien qui engage des substances hallucinatoires » Rît le blond qui cherchait les pansements qu'il avait posé au sol. Le regard de Jimin l'embarrassait. Il se sentait comme mis à nu. Alors, il continua. « Mon père est... pêcheur. Et ma mère, elle vend son poisson. Ils sont à Daegu, j'y ai vécu dix-neuf ans de ma vie.
_ Mais c'est super, ça ! » La drogue rendait tout super. « Et tu faisais du sport ? Tu aimes danser ? Moi j'adore ça, tu veux voir ? »
Yoongi hocha la tête mais lui intima de rester immobile le temps qu'il colle les pansements sur les plaies.
_Regarde-moi, d'accord ? Oh, attends. Je vais mettre de la musique... voilà. »
Et le brun commença à bouger doucement. Il progressait gracieusement dans la chambre soigneusement rangée. Yoongi ne savait pas trop quoi en penser, il ne s'était jamais intéressé à la danse. Tout ce qu'il savait, c'est que Jimin était extrêmement colérique, dans sa manière de bouger. Ses gestes étaient rapides, précis, le blond se demandait comment son corps si déglingué parvenait à suivre la cadence.
Soudain, les yeux du brun se posèrent dans ceux de Yoongi, une chaleur se propagea dans sa poitrine et il se sentit tomber. Son cerveau avait déconné pendant un instant, il n'était plus synchronisé avec ses muscles.
Jimin se mit à rire doucement en rampant aux côtés de son aîné. Il laissa son dos s'appuyer sur son lit et soupira.
« En fait, me regarde pas la prochaine fois, rît Jimin en tournant son regard vers Yoongi.»
Ce dernier ne répondit pas, il s'était perdu dans le regard de l'autre.
Jimin sourit et Yoongi le lui rendit. Deux cons aux yeux remplis d'étoiles.
D'ici, la vie était paisible, les cœurs lourds de remords s'alignaient apprenaient à se connaître. Comme disant « viens, ma dépression veut faire ami-ami avec la tienne ! », ils se comprenaient par le langage des regards, par l'expression des mots. Il était difficile de faire battre deux cœurs à l'unisson mais le résultat était d'une splendeur incontestée.
Leurs genoux se touchaient et les mots se baladaient dans l'air frais de la chambre. Yoongi caressait le parquet et écoutait Jimin lui raconter son histoire. Il y avait là de la joie, puis de la peine. Un peu de colère, sur la fin, mais toujours beaucoup d'humanité.
Jimin lui disait qu'il se sentait mal parfois, vide souvent. Il lui disait qu'il avait vécu beaucoup de merdes et Yoongi avalait ses paroles et mettait des pansements dessus. Il s'alluma une cigarette et en proposa une à Jimin qui refusa : il avait trop la nausée.
Le temps défilait autour d'eux pourtant il était toujours midi à la montre du blond. La mécanique des cœurs s'était rouillée aussi, ça faisait tic mais pas tac. Leurs cerveaux entremêlés apprenaient l'un de l'autre et s'imbriquaient dans une parfaite symétrie.
« J'aimerais survivre et en parler. Mais c'est dur, et le monde est froid et personne ne veut de moi, fit Jimin en levant son regard au plafond. Il y avait accroché des étoiles phosphorescentes, quand il était petit.
_ Tu vas y arriver.
_ Je ne sais pas, Hyung... On verra.»
Toujours le visage levé, Jimin attrapa la main de son aîné. Il entremêla ses doigts dans ceux du blond et dirigea son regard dans le sien.
« Je ne sais pas si je vais y arriver mais ne m'oublies pas. » Ses doigts se resserrent un peu plus fermement et il continua. « N'oublie pas, n'oublies pas. J'ai pas envie que t'arrives un jour à penser que j'ai rien fait pour y arriver, que de toute manière c'était trop tard. J'veux qu'tu saches que j'en ai chié et que j'me bats tous les jours. Et que maintenant que t'es là, tout ira bien. »
Le plus vieux déglutit, il avait envie d'y croire aussi. Alors il hocha la tête et posa son regard sur leur deux mains.
« Comment j'pourrais oublier un mec aussi taré que toi ? T'es un cas !» Il se détacha du brun et étira ses bras aux ciel. « Puis je m'en fous, que tu te sois enlisé dans la drogue depuis trois mois ou que tu ne dormes que trois heures par nuit à cause de tes cauchemars. On s'en fous complètement, que tu te déteste au point de t'affamer ou que tu fumes tellement que t'as chopé un pneumothorax. »
Jimin baissa la tête vers sa main désormais libre. Il avait l'impression de se faire sermonner.
Cependant, quand Yoongi reprit, il ne put s'empêcher de remonter le menton vers son aîné qui lui adressait ce sourire qui réchauffait son coeur.
« T'es pas une mauvaise personne, mec. T'essayes juste de tuer ta tristesse. T'es juste humain et être humain signifie que tu dois survivre. Et si c'est comme ça que t'y arrive, alors on emmerde tout le reste, hein. »
Et peut-être que le coeur de Jimin avait vraiment un soucis car il faisait trop de bruit, battait trop rapidement, une vraie cacophonie. C'était comme un feu d'artifice dans son estomac, il sentait des papillons voler dans sa gorge.
Peut-être bien que Yoongi racontait beaucoup de conneries, mais il avait envie de croire en ses paroles. Il avait envie de vivre.
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Hey ! Prenez soin de vous, soyez prudent ! Je vous aime fort, les gars.
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