De ses yeux foncés et creusés par des cernes grisâtres, le jeune homme parcourut la petite échoppe qui se tenait devant lui. La nuit assombrissait la ruelle humide dans laquelle le silence commençait à peser. Quelques claquements de portes se faisaient entendre plus loin, tout comme des rires de joie provoqués par l'alcool de fin de soirée. L'atmosphère était plaisante pour le jeune homme : il aimait la joie, le pluie et l'obscurité.

Mais à cet instant, il n'avait d'yeux que pour le petit commerce. La clinique des rêves était joyeuse elle-aussi, il le savait.

Le rideau de fer qui emprisonnait le magasin se mit soudain à grincer dans un bruit que désapprouvaient les habitants de la petite ruelle, allée 253. Aux oreilles de Jimin, elle sonnait comme une douce mélodie, comme un présage de son entrée imminente au paradis.

Jimin se racla la gorge, enrouée par le changement de saison trop rapide, puis plongea ses mains dans les poches de son sweat. Les quelques lampadaires qui illuminaient faiblement la ruelle accentuaient les couleurs extravagantes que dégageait le magasin. Du rouge et du vert pomme habillaient les murs et coloraient de joie les joue du jeune garçon, comme toujours émerveillé. Ses yeux pétillaient d'excitation, il se sentait redevenir enfant.

Il passa la porte en bois, faisant tinter une clochette à l'entrée et soupira. Peut-être de soulagement ou alors de fatigue.

« Bonjour » entendit-il à sa gauche.

Se tenait-là un garçon aux cheveux blonds et aux yeux vert pomme. Sa voix était monotone, remplie d'ennui. Derrière ses lunettes rondes, son regard était posé vers un livre aux pages jaunies. Jimin le songea un instant : il aimait voir les couleurs des vêtements du garçon. Aujourd'hui, c'était du bleu. Du bleu partout. Jimin adorait le bleu, la théorie du bleu, le ciel et l'eau.

Jimin voyait bleu.

Le jeune homme déglutit puis se dirigea d'un pas rapide vers une des petites cabines violettes. Il sortit de sa poche des pièces argentées et en introduit deux dans la machine devant laquelle il était assis.

S'il levait le regard, il pouvait voir son visage filmé par la caméra qui lui faisait face. Il n'en avait pas très envie, cependant, ça l'effrayait de se faire face. 

La main tremblante, il appuya sur le bouton orange de l'engin.      

                                                                                                  « Souvenirs ».

Trépignant d'impatience, il se mit à triturer ses mains en attendant la boisson. Quand la voix du gérant retentit dans la cabine, il sursauta. Il était sacrément surprenant, ce type-là.

« Vous avez sélectionné la catégorie souvenirs ».

Jimin entendit un soupire ennuyé mais n'en tint pas rigueur. La voix du blond emplit de nouveau l'enceinte de la cabine mais le jeune homme ne fut pas surpris cette fois-ci.

« Veuillez prendre en considération les possibles risques liés à l'utilisation abusive de la boisson 'souvenirs', je cite : vertiges, atteintes du système nerveux, mydriase, vomissements, confusions puis la mort. Rappelez-vous de rêver en toute sécurité, nous ne serons tenus responsables d'aucun dégât psychique ou physique. »

Le silence s'abattit alors de nouveau quand le gérant apparu brusquement derrière le rideau de la cabine.

Le rideau s'ouvrit et Jimin se sentit gêné devant ce gars gringalet au regard dur. Il posa une boisson chaude sur la tablette devant le noiraud puis ferma brusquement le voilage, faisant sursauter Jimin une nouvelle fois.

Ce dernier resta quelques instants immobile, quelque peu abasourdie par le blondinet au mauvais caractère, puis baissa son regard vers la boisson. Il observa longuement la tasse d'où se dégageait une fumée sucrée, puis la saisit. Un sourire apparut  sur son faciès, prêt à affronter son passé de la plus douce manière qu'il soit.

Quand le liquide au gout noisette et chocolat toucha sa langue, il eut l'impression qu'on l'enlaçait longuement dans une étreinte réconfortante. Il ne partit pas tout de suite, voulant déguster un peu plus ce goût de famille et de joie.

Après environ cinq minutes, lorsque la tasse fut complètement vide, il se sentit partir dans un sommeil léger. Conscient de son état, il posa ses coudes sur la tablette qui lui faisait face et s'installa paresseusement, le visage tourné vers la porte de la cabine. L'Avant semblait calme, d'ici.

Quand il ouvrit les yeux, il découvrit sa chambre dans un état déplorable. Il détestait ranger.

Il s'étira longuement en gémissant de paresse, puis se frotta les yeux. Il avait l'impression d'avoir dormi pendant des jours tant ses muscles étaient courbaturés.

Ses pieds nus entrèrent en contact avec le parquet frais et ça la soulagea de la chaleur qui pesait sur la capitale depuis le mois de Mai. Son regard se porta sur la fenêtre sur laquelle tapait un soleil flamboyant et il grimaça. Il n'aimait pas l'été. 

Il allait sortir de sa chambre quand un poids s'abattit sur sa porte, l'empêchant de sortir.

« Faut pas qu'tu vois ça, Jimin. »

Jimin sourit puis força le passage. Il se retrouva alors dans le couloir face à un garçon aux cheveux trop longs. 

« Elle m'a fait la peau, regarde ! »

Quand Jisoo se retourna, Jimin ne put s'empêcher de rire. 

« Elle- Elle t'a fait ça ? Pff !

_ Cette nuit ! Cette connasse... »

Il porta une main à la zone rasée des cheveux de son frère puis se remit à rire.

« Incroyable ! » Reprit-il.

Alors que Jisoo tentait de cacher le désastre capillaire, un bruit sourd se fit entendre à l'autre bout du couloir.

Jaehee songeait ses deux frères d'un œil désapprobateur. Ses cheveux bruns virevoltèrent quand elle se tourna pour descendre les escaliers.

« C'est quoi cette fois, Jaehee ? Demanda Jimin en rejoignant sa cadette.

Il passa un bras par-dessus ses épaules et ils rejoignirent tous deux la salle à manger.

_ Tu diras à ton frère qu'il ferait mieux de respecter les femmes avant que je fasse la même chose à ses sourcils. Monsieur était énervé parce que je n'ai pas voulu faire deux portions hier midi. »

Sa soeur s'était lancée dans des discours féministes depuis qu'elle était entrée au lycée. Ces histoires dépassaient un peu Jimin, il n'y comprenait pas grand chose. 

« Mh, d'accord, oui, t'as sûrement raison... » mentit-il en se détachant de sa sœur.

Le garçon rejoignit la cuisine, rapidement suivi de Jisoo qui allait se préparer un bol de céréales. Jimin sourit une nouvelle fois lorsque le garçon se tourna, dévoilant sa coupe asymétrique. 

« Tu sais... J'voulais te le dire depuis pas mal de temps... T'as pas l'air bien ces temps-ci, dit le plus vieux en versant du lait dans un bol.

Et son sourire disparu. 

_ Mh, ah oui ? » Répondit Jimin.

Jisoo était un con mais il était sympa. Un bon grand frère qui prenait soin de ses cadets. 

« Non t'inquiètes, Jisoo. » Reprit le plus jeune, un verre d'eau à la main. « Oh, papa m'a laissé un message. Il rentre vers seize heures pour faire les courses. Après il doit aller à la banque aussi. Faudra que tu l'accompagne, tu sais, il est pas très doué avec la paperasse, tout ça... »

L'aîné acquiesça et intima son cadet de manger un bout avant de partir.

C'est vrai qu'il ne mangeait pas beaucoup ces jours-ci. 

Junyoung était un gars bruyant avec qui il avait l'habitude de trainer après les cours. Délégué de la classe, c'était un mec sympa et charismatique. Des potes à n'en plus finir, c'était pourtant avec Jimin qu'il passait la majorité de son temps. 

« Ma sœur veut sortir avec toi. Accepte ou j'te fais la peau, rît Jimin alors que les deux amis se dirigeaient vers la bibliothèque du lycée.

_ Pff, arrête, j'étais amoureux d'elle en primaire. C'est du passé ces conneries. »

Junyoung soupira puis continua. 

« Elle va bien, en fait ? 'fin ça fait un petit moment que je l'ai pas vu.»

Jimin hocha la tête en sortant son téléphone. Il grimaça en voyant le nom de Jisoo s'afficher dans les messages. 

« Je vais chez Yura ce soir pour travailler. Accompagne papa à ma place.» Disait le message. 

Jimin soupira puis répondit. 

« 'S'il-te-plait', tu connais ? Et je sais très bien que tu vas pas travailler, abruti. »

Il n'attendit que quelques secondes avant de sentir son téléphone vibrer de nouveau : 

« Bisous ! ».

Les sourcils de Jimin se froncèrent et il jura devant le visage étonné de son ami. Il le salua brièvement puis sortit de l'établissement. Perdu dans ses pensées, il ne se rendit compte que trop tard que ses pas le menaient vers cet endroit qu'il haïssait tant. 

Il leva son regard inquiet et découvrit malgré lui la petite échoppe aux couleurs rouge et vert pomme. 

Il se mit alors à résister mais ses pas continuaient d'avancer contre son gré. 

« Il est trop tôt ! Laisse-moi encore un peu de temps, s'il-te-plait ! »

Ses jambes cessèrent de bouger tandis que de ses mains tremblantes, il attrapait son téléphone. Il dirigea l'appareil à son oreille, sa respiration rapide entrecoupée par des gémissements paniqués.

« Jaehee ! Jaehee ! » Il n'arrivait pas à prononcer d'autre mot, il fallait qu'elle réponde, il fallait qu'elle le sauve. Mais comme d'habitude, seule la voix du répondeur coupa le silence de la ruelle.

Non, non, stop...

La peur l'envahit, il ne voulait pas y retourner. Il s'agenouilla au sol, résigné et remarqua la pluie. La pluie d'octobre. Son cœur tambourinait dans une musique effroyable, il suffoquait.

Des chaussures jaunes apparurent dans son champ de vision et il remonta le visage vers le petit blond qui lui tendait la main. Il sut que la réalité allait l'emporter de nouveau. 

Il détestait ce regard que lui lançait le blond. Il le détestait. 

L'autre s'agenouilla à ses côtés et lui sourit d'un de ses sourires effroyablement cruel. Il adorait le voir souffrir. 

Puis les yeux sombres de Jimin dévièrent vers l'échoppe. Le rideau de fer était rouillé, le mur noirci par la pollution. L'écriteau en bois placardé au mur riait de lui. Il lui prononçait les mots qu'il ne voulait pas entendre, les mots qui le ramèneraient définitivement à la surface. Dans le monde réel.

« En cas d'absence, réveillez-vous. »                 

♥♥♥

Coucou ! J'ai décidé de réécrire cette histoire qui me tient énormément à coeur. Bisous ;)