Qu'à un fil
Le dimanche, les rues n'étaient pas animées, la ville était calme et le parc était hideux.
C'est pour cette raison que le dimanche était une journée de repos. Jimin aimait alors idéaliser sa vie : prendre son café en lisant un livre, mettre de la musique classique en dessinant, s'asseoir dans son jardin en fumant des clopes.
Il aimait penser que sa vie était un film dramatique. Un long et tumultueux film dramatique. Cela le faisait se sentir mieux, ça lui donnait l'impression que le bout du tunnel n'était pas loin. Impression qui s'évaporait le lundi matin.
Ce dimanche n'était en rien différent. La neige était tombée, cette nuit, comme un ange recouvrant la terre de son sable blanc. Il n'aimait pas tellement la neige. Trop froide, trop peu réconfortante. Pas un beau jour pour mourir.
Il était pourtant resté assis dedans pendant quelques temps. Peut-être une heure, peut-être cinq minutes, il n'en savait rien. Son jardin avait toujours été une source d'inspiration. Il racontait les histoires les plus belles : celle des arbres, du ciel, de sa famille, la sienne. Là, à droite, reposait l'arbre qui avait autrefois accueilli une balançoire. Elle s'était décrochée lors de la tempête du quinze Mars. Mars, qu'est-ce qu'il pouvait être violent. C'est là qu'il avait tout perdu. À cause de Mars. De sa faute à lui.
Plus loin, un banc en pierre était recouvert de poudreuse. D'ici, il semblait soyeux et consolant. Sa pierre était pourtant froide et dure. Il détestait ce banc. Son père s'y asseyait souvent pour lire, l'été. Camus avait écrit sur l'été, une histoire qui parlait de méditerranée, de minotaure et de Prométhée.
Son cerveau s'amusait dans le froid de la neige, il n'arrivait pourtant pas à fonctionner normalement. Ses pensées tournaient en rond pourtant il ne s'en lassait pas. Ses pieds nus lui faisaient mal à cause du froid et il trouvait ça agréable. Il se sentait vivant.
Quand il décida de rentrer, une chaleur étouffante le ramena sur terre, même un peu plus bas. Peut-être au tréfonds des abysses. Il revenait à la réalité, à la déprime, à la vie d'adulte quoi.
Il s'alluma une nouvelle cigarette et jeta un œil aux factures qui reposaient sur la table basse sans y prêter attention trop longtemps. Il n'y comprenait pas grand chose, à ces trucs là.
Puis la sonnette de la porte d'entrée retentit alors il sursauta. Il se sentait euphorique d'un coup, il commença donc à valser, sa clope à la main et ses cheveux en pagaille, avec la musique de la sonnette en fond. Il se sentait bien, quand il dansait seul dans son salon, il avait l'impression de jouer pour un public. Et puis la musique s'arrêta, alors il s'immobilisant aussi. Quand il retrouva un semblant de raison, il haussa ses sourcils et se tourna vers la porte d'entrée. Qui était-ce, en ce dimanche ?
Un soupire passa ses lèvres et il écrasa le bâtonnet de nicotine dans le cendrier trop rempli. Il tapota ses joues creusée, replaça correctement le t-shirt qui tombait lâchement sur ses épaules et s'avança vers la porte d'entrée. Il s'humidifia les lèvres tout en s'encourageant mentalement à affronter la personne qui venait l'embêter ; il se sentait vachement nerveux.
Puis, finalement, il ouvrit la porte, le regard plein de curiosité. Le mec blond du bar se tenait devant lui, l'air complètement déboussolé.
« Salut. » Fit l'autre avec un sourire de connard sur le visage.
Il ne sut pas trop quoi répondre, c'était vraiment bizarre de débarquer chez les gens à l'improviste. D'un côté, il voulait lui claquer la porte au nez et appeler la police. De l'autre, il était vraiment heureux de voir Yoongi. La confusion déforma son visage avant que l'autre ne reprenne :
« Euh, tu veux sortir quelque part ? J'avais prévu d'aller-
_Comment tu sais où j'habite ? »
Jimin avait foiré, il le savait : il avait parlé trop vite, trop fort, trop méchamment. Surpris par le ton qu'il avait employé, il recula puis baissa la tête vers ses pieds.
Yoongi, qui était resté silencieux déglutit. Il se sentait con de s'être pointé là, c'est vrai, Jimin avait raison ! Qu'est ce qu'il foutait là ? Fallait être sacrément barge pour parcourir boites aux lettres depuis le parc !
Il voulu s'excuser mais mentit à la place :
« Tu me l'as dit quand t'étais défoncé ! Désolé si je te dérange...
Jimin mit quelques secondes à réagir avant de répondre au blond.
_ Non ! Non, t'excuse pas... Tu veux rentrer ? »
Yoongi accepta, il avait sacrément froid.
Il s'immobilisa après avoir refermé la porte derrière lui, complètement abasourdie par la beauté de la maison de Jimin. Elle n'était pourtant pas si incroyable mais pour lui qui s'était habitué à vivre dans un vingt mètres carré, elle lui paraissait énorme.
« Ta maison est super grande ! Tu vis seul ?
_Mh, ouais. »
Le brun paraissait gêné par cette question et Yoongi se maudit pour ses paroles stupides : il ferait mieux de se la fermer, parfois. D'un regard, il visita le rez-de-chaussée complètement retourné par l'énorme bordel qui y régnait. Que faisait cette serviette de bain sur la gazinière ? Et cette serpillère sur le porte manteau ?
Il se ressaisit lorsque Jimin l'invita à s'asseoir sur le canapé. Celui-ci était en velours noir côtelé et était assortit à un fauteuil du même type, près de la bibliothèque. Cette dernière était remplie de livre et le blond ne put s'empêcher d'aller jeter un coup d'oeil aux titres qui la composait.
« Tu lis beaucoup, Jimin ? Demanda-t-il en prenant entre ses mains un livre à la couverture bleue.
Ce dernier était parti dans la cuisine pour faire un café soluble à Yoongi et un thé pour lui. Quand il revint, il répondit :
_ Mh, ça m'arrive.
_ J'aime beaucoup lire. Surtout la littérature classique. »
Jimin ne dit rien. Il déposa le café sur la table basse et s'assit au sol, sa tasse à la main. Yoongi s'installa sur le canapé et déposa le livre azur à côté de lui.
« J'aime la SF. Et l'horreur, aussi. Le classique m'ennuie mais papa adorait ça. »
De nouveau, un silence s'installa. Gêné, Yoongi avala une gorgée de café tout en promenant son regard sur le jardin qui s'étendait derrière la baie vitrée.
Jimin se mit à se mordiller la lèvre, il ne parvenait pas à réfléchir correctement. Il se leva donc puis disparu quelques instants dans la cuisine avant de revenir, un joint entre les mains. Yoongi l'observa faire, à la fois curieux et inquiet.
« Tu... Tu veux ? Enfin, je t'incites pas ! C'est juste que je- Demanda Jimin.
_N-non J'ai... des cigarettes. »
Le plus jeune acquiesça lentement avant de tirer. À côté de lui, Yoongi se sentait comme un gamin de douze ans. Le brun était abimé, triste, un enfant trop vieux.
« Oh, Hyung, je ne t'ai pas montré mes photos ! » Fit Jimin qui se sentait un peu mieux. Il attrapa l'album photo qui était mélangé aux nombreuses lettres puis le tendit à Yoongi. « J'vais te raconter une histoire, pour qu'on fasse connaissance. Enlève ton manteau. »
Yoongi s'exécuta malgré lui. Il jeta un œil aux bras abimés de son cadet : piqués, tailladés... Y'avait pas que son esprit qui était déglingué.
Jimin tira une nouvelle fois puis ouvrit l'album.
« Là, c'est le Jimin à trois ans. Ou quatre. Je suis né... en mille neuf cent quatre-vingt-treize. Ou quinze. » Jimin se gratta la tête, ses souvenirs lui jouaient de sacrés tours ! « Regarde là. » Il pointa une photo d'un p'tit gars au grand sourire, habillé d'un t-shirt rouge et d'un short noir.
Yoongi ne savait pas trop où se mettre, il avait l'impression que le brun faisait tout pour le mettre mal à l'aise. Pourtant, de son côté, Jimin se sentait vraiment content de partager son histoire avec son aîné.
« J'existais. » Il tourna la page. « J'étais un gosse vraiment heureux, à l'époque. » Un soupire passa la barrière de ses lèvres, c'est comme s'il allait pleurer mais sans larmes en réserve. « Là c'est Jisoo et là Jaehee. Ma mère... Ah, elle était jeune, là. »
Jimin posa ses yeux dans ceux du blond. Ils étaient emplis de malice, comme ceux d'un gamin.
« Elle a vieillit d'un coup à cause d'une maladie. Elle a disparue à mes sept ans. Mais ça m'a pas tellement attristé. Elle est mieux là où elle est. »
Il tourna la page encore une fois. Yoongi remarqua son visage apaisé, ses muscles détendu. Il n'était pas sûr de savoir si c'était à cause du joint ou de l'album photo.
« Papa... Papa travaillait dur après le décès de ma mère. Il était pas doué pour jouer deux parents à la fois. Jisoo l'aidait de son mieux mais il faisait toujours le con, à sortir en soirée et à boire comme un trou.»
Jimin sortit une photo de l'album et la tendit à Yoongi. Une photo de l'anniversaire des sept ans de Jaehee, les trois frères se tenaient la main.
« On dirait pas mais mon frère venait de se faire poser ses bagues et elles lui faisaient tellement mal qu'il en pleurait quand il était seul. Moi j'ai jamais eu de bagues. Et toi, Hyung ? Je sais pas si ça fait si mal que ça, tu crois que c'est plus douloureux qu'un mauvais trip ? »
D'un coup, le blond se mit à penser à Hoseok. Jimin continuait de parler mais ses pensées s'étaient dirigées vers son ami pour une raison qu'il ignorait. La culpabilité recommençait à l'envahir.
Puis il sursauta quand Jimin referma brusquement l'album.
« Le chagrin est le prix à payer pour avoir aimé. C'est ce que m'a raconté un livre qui s'appelle L'écume des jours. Un classique comme tu les aime, Yoongi. »
Le blond ne savait comment son cadet en était venu à cette conclusion mais il hocha la tête. Jimin chercha son regard, il voulait deviner ses pensées. Était-il gêné ? Perdu ? Effrayé ? Le brun ne put lire aucune de ces émotions sur le visage de son aîné. Seule la honte était présente pour une raison qui lui échappait.
Yoongi, qui se sentait gêné par le regard bien trop insistant de Jimin, reprit.
« Tu habites ici depuis longtemps ?
_Depuis que je suis né. »
Yoongi trouva cela étrange. Parce que cela faisait cinq ans qu'il habitait dans son studio et qu'il passait souvent devant la maison de Jimin quand il allait faire des courses. Pourtant, jamais il n'avait croisé le garçon avant. Il ne se rappelait même pas avoir vu cette maison pourtant imposante.
Son regard se déplaça vers la fauteuil puis sur le livre couleur Azur et il se souvint de la raison de sa venue.
« Ah, en fait je suis venu te voir pour qu'on aille à l'aquarium du Coex. Un ami me l'a conseillé et je ne sais pas avec qui y aller. »
Une chaleur étrange émana dans la poitrine de Jimin : il n'avait déjà pas l'habitude de recevoir du monde chez lui, mais alors qu'on l'invite à sortir, c'était une aubaine ! Heureux, il se leva et alla se changer sans attendre une minute. Aussi désarticulé qu'il fût, il voulait tenter le mélange cannabis plus aquarium, avec son aîné et ses crayons.
Yoongi qui s'attendait à voir son cadet se désister fut pris légèrement pris au dépourvu : il ne savait jamais sur quel pied danser, avec ce mec déglingué.
« J'suis prêt. » Fît-il à l'attention de Yoongi qui bataillait avec ses baskets.
Ce dernier tourna son regard vers le brun et acquiesça d'un geste de la tête.
Pour Yoongi, le chemin n'avait jamais paru si long. Pour une raison qu'il ignorait encore, la présence de Jimin l'écrasait. Il avait l'impression de se faire voler tout son air par ce gars.
Ils arrivèrent en début d'après-midi devant les grandes portes du centre commercial. Rapidement, Yoongi paya les deux billets d'entrée et ils commencèrent à explorer le tunnel sombre de l'aquarium géant.
Ils ne parlèrent pas, se contentant de laisser leur cœur le faire pour eux. Jimin sentait le cannabis faire effet doucement, son coeur s'accélérait au même rythme que sa respiration : il se sentait de plus en plus léger.
Et puis ils arrivèrent devant le grand bassin, le plus impressionnant de tout le spectacle. Là, Jimin partagea à Yoongi son envie de dessiner cet endroit majestueux et le blond accepta. Ils s'assirent à même le sol, comme deux gosses qui attendaient que le monde tourne autour d'eux. Le trip était agréable, les couleurs étaient vibrantes. Yoongi voyait cela comme une peinture. La nuit étoilée, peut-être. Du Van Gogh en tout cas.
Des passants les observaient parfois : ils étaient spéciaux, ces deux gamins-là ! Mais ils s'en foutaient royalement. Leurs cœur battaient à l'unisson car cet endroit leur faisait du bien. Yoongi se sentait gêné d'apprécier sa compagnie, coupable d'une lâcheté sans pareille. Jimin était défoncé, triste et heureux à la fois. Il parvenait à canaliser son flot de pensées en les concentrant sur son dessin, oubliant la présence de son aîné à ses côtés. Seuls des effleurements de coudes, de genoux, des soupirs et des murmures lui rappelaient qu'il n'était pas venu seul. Et sa le réconfortait un peu.
Et puis le chaos retrouva sa place entre les deux : ses pensées s'étaient désorganisées, Jimin se sentait impuissant face à ses gestes trop brusques et ces couleurs trop vives. Démuni, il déposa son fusain au sol et soupira : il n'y arrivait pas. Il ne parvenait pas à reproduire les couleurs de l'aquarium avec son fusain noir. Désemparé, Yoongi chercha à capter son regard, il ne comprenait pas ce qui n'allait pas. Il ne comprenait pas que le chaos, c'était Jimin lui-même.
« Eh, Jimin, tu-»
Jimin se leva avant qu'il n'ait terminé sa phrase. Son regard se perdit quelques instants sur son dessin, puis sur l'aquarium. Là Yoongi put remarqué que le petit brun n'était rempli que de haine et de tristesse. Il haïssait son dessin parce qu'il n'avait pas réussi à lui donner vie.
Cet instant ne dura que quelques secondes et le sourire que lui jeta Jimin lui procura des frissons de terreur.
« On y va ? J'en ai marre d'être assis.» Fit Jimin avant de se détourner du grand bassin et de son dessin.
Oui. Yoongi voyait en lui un lac quand l'autre était l'océan. Complexe, imprévisible, désabusé.
Yoongi attrapa rapidement les fusains et les feuilles de son cadet et le rattrapa en trottinant. Il voulait lui demander de ralentir le pas, de profiter du reste du spectacle. Mais Jimin n'avait que faire des paroles de son aîné. Il se sentait simplement frustré.
Puis ils sortirent de l'aquarium, retrouvant la lumière artificielle du centre commercial. Jimin se tourna lentement vers Yoongi et voulut s'excuser parce qu'il avait bien aimé allé à cet aquarium mais sa tête lui jouait des tours et le rendait barjot. Pourtant, il se contenta de le regarder, il souhaitait mémoriser les traits de la personne qui l'avait embêté un dimanche.
Yoongi, qui se sentait gêné et confus, rompit le silence étrange régnait :
« Je... enfin... j'ai passé une bonne après-midi. Et toi ? »
Le brun ne sut quoi répondre. Il n'avait pas été réellement là, la défonce avait pris sa place. Il se mit à hocher doucement la tête de haut en bas puis de gauche à droite. Non, il n'en savait trop rien.
Yoongi retourna le dessin de Jimin et marqua son numéro de téléphone à l'aide du fusain qu'il tenait entre les doigts.
« Tiens, j'te donne mon numéro, si tu veux réitérer.» Fit-il en tendant les quelques feuilles ainsi que les ustensiles de dessin du brun.
De nouveau, Jimin se sentit envahi par une chaleur réconfortante. Sa poitrine lui brulait et il n'était plus sûr de savoir si c'était dû aux clopes qu'il fumait ou à Yoongi.
«Pourquoi tu fais tout ça, Hyung ? T'es pas si sympa, d'habitude...»
C'est vrai ça, pourquoi il faisait tout ça ? Le sourire de Yoongi disparut peu à peu et il baissa la tête. Ne devrait-il pas s'occuper de Hoseok au lieu de se préoccuper d'un parfait inconnu ?
Peut-être que son inconscient connaissait la réponse, ou bien même une partie. Parce que sa voix prononçait des mots qu'il n'avait pas réfléchi, tout était trop sincère. Il parlait avec le coeur, son esprit s'était mis sur pause :
« Tu... Tu m'as raconté une partie de ton passé et j'ai bien vu dans tes yeux à quel point tu souffrais. De l'absence de ta famille, de ta vie en général. » Il renifla et détourna son regard vers la route. Les voitures avaient rejeté leur pollution sur la neige, elle était désormais noire. « T'sais, t'es quelque chose de vraiment réel dans un monde terriblement faux. Et j'pense que c'est la raison pour laquelle tu souffres autant. »
Jimin grimaça parce que ça sonnait bateau, ses paroles à la con. Ça l'énervait.
« Viens... Viens on-
_ Viens, tu fermes ta gueule, le coupa Jimin en avançant vers lui, l'air provocateur.
_ Non, viens on comble nos vides. »
Et toute trace d'agacement disparu du visage du plus jeune. Ses épaules autrefois tendues s'étaient abaissées, ses sourcils s'étaient relevés, son expression s'était adoucie. Yoongi avait calmé la tempête.
Il le détestait mais ne put réprimer le sourire qui vint s'installer sur ses lèvres gercées.
« T'en raconte toujours autant, des conneries ? Pour un futur médecin, ça rend bien... »
Et voilà, le con était content. Content d'avoir devant lui le vrai Jimin, celui qui était bavard, insolent, joueur. Celui qui disait beaucoup de gros mots pour rien, qui exagérait ses émotions. Il avait l'impression de connaître ce Jimin-là, comme si leurs âmes étaient liées depuis longtemps, qu'elles se connaissaient par coeur.
Et peut-être bien, en y réfléchissant, que c'était le cas.
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Hey ! Ce chapitre vous a plus ? J'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire ! ^^
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