Chapitre 5

Cela faisait des lustres qu'elle n'avait pas raté la sonnerie de son réveil. Elle se revoyait encore très bien le désactiver, dans les choux, et s'étendre dans le lit rien que cinq petites minutes supplémentaires. Mais s'il y avait bien une chose qu'elle n'avait pas imaginé, c'était de pouvoir se rendormir dans la minute qui suivait. Merde, ce n'était pas le moment de venir en retard, elle avait un rendez-vous avec sa supérieure ! Lyly jeta un dernier coup d'œil au miroir de la salle de bains et courut dans le salon où se trouvait Théo, accroupit devant une plante verte, en plein arrosage.

— Il faut que j'y aille, je suis en retard, s'empressa-t-elle de dire. Tu finis à quelle heure ce soir ? Toujours dix-huit heures ?

— Oui, ce doit être ça.

Elle s'approcha rapidement, se pencha sur lui pour déposer un baiser sur la joue et lui pressa l'épaule.

— C'est bientôt le week-end, on va pouvoir se reposer, courage !

— Ça se passe toujours bien au travail ?

Théo se redressa, son arrosoir en main, et se retourna pour la regarder. Même s'il prenait toujours le soin de se raser pour Lyly, il lui arrivait de plus en plus de se couper la peau du visage au rasoir, ce qui visiblement était de nouveau arrivé ce matin-ci. Deux fois.

Lyly avança, effleura du bout des doigts ces deux coupures et se pinça les lèvres. Elle se sentait si décontenancée. Si impuissante de ne pas parvenir à pouvoir faire davantage pour l'aider.

— Tu devrais mettre de la crème sur ces coupures... Tu as pris de quoi manger ce midi ?

— Je vais acheter un repas à la fac.

— Tu me le promets ?

Face au regard suppliant de sa petite amie, Théo finit par acquiescer la tête.

— Tu vas manger avec ton équipe ? demanda-t-il.

— On va dire ça, tenta-t-elle, évasive. Il faut vraiment que j'y aille, je suis à la bourre. A ce soir, fais attention à toi !

Elle s'approcha de nouveau pour lui déposer un vif baiser sur la joue et sprinta jusqu'à la porte d'entrée.




Heureusement pour Lyly, son retard ne s'était pas fait remarquer par sa supérieure, qui se trouvait en réunion lors de son arrivée dans l'entreprise. Elle s'était pressée de tout allumer sur son bureau, était passée saluer Suzanne plus loin, puis avait rédigé quelques posts en attendant le rendez-vous avec sa supérieure.

Lorsqu'elle en était ressortie une heure plus tard, peu avant onze heures trente, c'était assommée qu'elle avait rejoint sa chaise, les pensées en vrac et l'esprit embrumé. Certes, sa supérieure l'avait félicité pour son travail sérieux et l'explosion de leurs chiffres, mais elle souhaitait viser plus haut, toucher encore plus de personnes, ce que Lyly ne comprenait pas. Toucher encore plus de personne, d'accord, mais sa supérieure ne comprenait pas qu'elle ne pouvait pas toucher tous les segments de la population, pas avec leur activité. Elle voyait trop grand, trop loin, et d'après les données que Lyly possédait, ses ambitions nécessitaient une sorte de petit recadrage. Ce qu'elle n'était visiblement pas décidée à entendre.

Elle se leva de sa chaise, sa tasse en main, et s'approcha du hall principal où les machines à café, distributeurs et bouilloires étaient installés. Elle mit l'eau à bouillir, plongea son sachet de thé dans sa tasse et s'adossa au mur droit grisonnant de l'entrée.

Sa supérieure n'était pas assez claire et réfléchie. Lyly avait eu beau lui demander de reformuler sa demande, les actions qu'elle devrait mettre en place, mais elle n'avait pas su les lui expliquer. « Tu trouveras » avait-elle dit. Super...

Lyly se passa la main contre la nuque, perplexe, et observa les voitures en train de passer devant l'entreprise. Il y avait visiblement beaucoup de circulation à cette heure-ci.

— Si c'était moi, tu serais déjà virée depuis longtemps.

Lyly ignora la soudaine présence de Guillaume à ses côtés et tenta de se concentrer sur le bruit de l'eau qui commençait à bouillir.

— C'est un manque de respect de venir avec autant de retard, si tu veux fricoter avec ton mec avant le travail, ça regarde que toi, mais tâche d'être plus rapide la prochaine fois.

— Tu ne peux pas la fermer ? lâcha-t-elle, déjà à bout.

Lorsqu'elle se rendit compte de ses propos, elle écarquilla les yeux et se tourna vers lui.

— C'est toi qui devrais la fermer ta bouche, cracha-t-il, il t'en reste encore au coin des lèvres.

Lyly le fixa, scandalisée, et n'entendit pas la bouilloire s'éteindre d'elle-même.

— C'est quoi ton problème, au juste ? demanda-t-elle sèchement. Et sois clair.

— C'est toi, le problème.

— Moi, le problème ? Mais ça ne tourne pas rond dans ta tête, je ne travaille même pas avec toi, comment je pourrais être un problème ? Tu ne peux pas blairer ma tête, c'est ça ?

— S'il y avait que ça... ricana-t-il.

— T'es vraiment une ordure.

— C'est ça, va pleurer chez ta mère, ça te fera du bien.

Lyly ne le lâcha pas des yeux, les membres bouillonnant de colère, et tenta de contenir sa furie en elle. Quelle enflure ! Comment faisait-il pour s'en prendre à elle et pour ne jamais se faire prendre sur le fait ?

— Si tu étais si honnête que tu prétends l'être, tu devrais me faire toutes ces réflexions devant les autres, on verrait ce qu'ils en penseraient.

— Ils en pensent pas moins. T'es une petite traînée, tout le monde le sait. C'est facile d'obtenir un travail en passant sous le bureau, il y a pas de quoi en être fière. Heureusement que la DRH est une femme, qui sait ce que tu lui aurais fait autrement...

Elle sentit son monde s'écrouler sous ses pieds. Morceau par morceau.

— Connard.

Lyly tourna furieusement les talons, récupéra sa tasse, frôla Guillaume et se précipita vers sa place, les membres tremblants de rage.

C'était un foutu cauchemar. Disait-on réellement de Lyly qu'elle était une traînée ? Pensait-on vraiment qu'elle avait obtenu ce travail en passant sous le bureau ? Depuis quand ces rumeurs couraient-elles ? Lyly posa sa tasse, se laissa tomber sur sa chaise et se cacha le visage dans ses bras, les yeux larmoyant. Elle avait envie de fuir. De prendre ses affaires, de crier sur tous les toits à quel point Guillaume était un connard fini, et de claquer la porte d'entrée de cette foutue entreprise.

Elle n'avait jamais fait ce dont avait fait référence Guillaume, mais elle avait désormais honte. Honte de la façon dont on pouvait la voir ici, si c'était bel et bien ce que l'on disait d'elle. Une traînée ! Elle ! Elle se pencha pour fouiller dans son sac, la vision brouillée par les larmes, et chercha un paquet de mouchoirs entre ses affaires. Lorsque sa main tomba sur son paquet déjà vide qu'elle avait oublié de remplacer, elle jura et s'essuya les yeux d'un revers de manche.

Les bureaux autour d'elle étaient vides, où étaient-ils donc tous passés ? Elle se leva d'un bond de sa chaise en pensant au distributeur d'essuie-mains dans les toilettes et s'élança vers la salle. Elle tourna furieusement à droite en reniflant, le souffle court et s'arrêta brusquement devant le directeur financier, monsieur Malrok, avec qui elle avait été sur le point de rentrer en collision.

— P-pardon, bégaya-t-elle, confuse.

Elle évita aussitôt ses prunelles bleues, mal à l'aise, et le contourna le plus vite possible pour se rendre aux toilettes. Merde, c'était la première fois qu'elle se retrouvait face à lui, et il avait fallu que ce soit au moment où elle avait les yeux rougis, humides et le nez près à faire des siennes. Pour qui allait-il la prendre ? La traînée fataliste de l'entreprise ?

Elle pénétra dans la salle les yeux rougis et sauta sur le distributeur d'essuie-mains.

— Non ! Non, non, non !

Elle tenta de faire tourner à toute vitesse la petite manette pour faire descendre les feuilles, mais rien n'en sortit. La machine était vide.

— Non ! paniqua-t-elle. Pas ça !

— C'est de ça dont vous avez besoin ?

Lyly tourna aussitôt les talons et vit monsieur Malrok devant l'entrée des toilettes, une feuille blanche de papier à la main.

— J-je, non, ça va, merci, marmonna-t-elle.

Un sourire bienveillant s'étendit sur son visage et il lui tendit la feuille un peu plus.

— Allez, prenez-la, je suis allé la chercher pour vous. Elle vous est destinée.

Lyly avança timidement vers le directeur financier sans quitter son regard lumineux, le cœur palpitant dans sa poitrine, et prit lentement la feuille de papier avant de se tamponner les yeux.

— Vous êtes Lyly Rowsy, c'est bien ça ?

Lyly acquiesça la tête, étonnée qu'il connaisse son prénom et observa sa feuille blanche désormais humide et pleine de mascara entre ses mains. Elle ne savait pas vraiment si cela était bon signe. La connaissait-il grâce à son travail ou bien à cause des rumeurs dont avait parlé Guillaume ?

— Quelque chose ne va pas ?

— Si, ça va, mentit-elle. Je suis juste un peu fatiguée.

— Vous avez fait de très bons chiffres ces dernières semaines, paraît-il. Je tenais à vous féliciter en personne.

— En m'offrant ce mouchoir ? plaisanta-t-elle avant de secouer la tête.

Pour qui se prenait-elle de plaisanter avec lui ? Elle ne le connaissait même pas... Lyly était en train de s'insurger contre elle-même lorsqu'elle vit un sourire s'étendre sur le visage de monsieur Malrok avant de lâcher un petit rire joyeux.

— Il est vrai que vous méritiez mieux que ce mouchoir, mais je n'avais pas réellement prévu de vous aborder aux toilettes ! En réalité, j'avais planifié de venir vous voir à votre bureau, un peu plus tard.

— Vraiment ?

Monsieur Malrok retrouva si rapidement son sérieux que le corps de Lyly se recouvrit de frissons. Il s'approcha d'un pas et enfonça ses mains dans les poches de son pantalon noir.

— J'ai entendu quelques rumeurs ces derniers temps. Rumeurs qui ne me plaisent pas vraiment, pour être honnête...

Lyly crut défaillir. Elle fut prise d'un haut-le-cœur et se maintint aussitôt contre l'encadrement de la porte afin de ne pas s'écrouler. Une claque de plus. Elle se prenait littéralement une claque de plus en plus visage. Et monsieur Malrok était au courant.

— Tout va bien ? s'empressa-t-il de demander. Vous ne vous sentez pas bien ?

— J...

Elle fit un pas en arrière et se laissa glisser contre le mur des toilettes afin de contrôler ses spasmes. Elle tenta de respirer calmement, les jambes tendues, et vit le directeur financier s'approcher d'elle. Il déboutonna le bouton central de son blazer noir et s'accroupit en face de Lyly.

— Vous avez besoin de quelque chose ? De l'eau ? De sucre ? s'inquiéta-t-il.

Lyly hocha la tête que non et baissa les yeux vers le sol qui semblait se balancer. Ça pour être intimidant, il l'était. Mais jamais, ô grand jamais elle aurait pensé faire connaissance avec lui de cette manière... Ce n'était pas le moment de refaire une crise de panique.

— C'est parce que j'ai parlé de rumeurs que vous ne vous sentez pas bien ? insista-t-il, inquiet.

— Je ne suis pas une traînée, marmonna-t-elle d'une voix tremblante.

— Pardon ? demanda-t-il, visiblement étonné.

— Guillaume m'a dit ce que les employés pensaient de moi ici, mais je ne suis pas une traînée, et je suis encore moins passée sous le bureau pour avoir ce travail ! paniqua-t-elle. Je ne sais pas qui a bien pu dire des choses pareilles, mais je vous assure que ce n'est pas vrai, ce n'est pas mon genre, débita-t-elle furtivement. Je ne comprends pas pourquoi on a lancé de telles rumeurs ! J'ai toujours travaillé comme une dingue, comme une acharnée. Je veux juste...

— Lyly, la coupa-t-il sérieusement, Lyly, du calme. Respirez, d'accord ?

Il posa un genou sur le sol.

— Je n'ai jamais entendu de telles rumeurs sur vous au sein de l'entreprise. A vrai dire, vous faites même plutôt bonne impression, c'est d'ailleurs pour cela que j'ai entendu parler de vos chiffres et de votre travail de titan.

Lyly fut prise de tremblements et ferma les paupières du plus fort qu'elle le put. Cette journée était une horreur. Elle ne devait pas craquer.

— Je venais également pour vous parler de Guillaume, reprit-il. J'ai entendu parler de son agissement envers vous et j'aimerais m'entretenir avec vous. Lorsque vous vous sentirez mieux, nous monterons tous les deux dans mon bureau, d'accord ? Et pas d'inquiétude, personne ne passera sous le bureau de personne, lui sourit-il. Ce n'est pas non plus mon genre.



Monsieur Malrok ferma la porte de son bureau et invita Lyly à s'asseoir. Elle le suivit des yeux, mal à l'aise de son propre comportement quelques minutes plus tôt, et baissa les yeux vers ses mains cachées sous le bureau. Qu'allaient-ils bien pouvoir se dire ? Elle n'avait pas envie de dénoncer Guillaume, ni même de le critiquer, alors comment allait-elle faire pour se sortir de ce pétrin ? Elle n'était pas une balance, et elle ne souhaitait pas que Thomas Malrok puisse le penser.

— Vous vous sentez mieux ?

Lyly acquiesça la tête sans trop de conviction et releva les yeux vers les petits objets posés sous l'écran de l'ordinateur. Un petit dinosaure en plastique se trouvait aux côtés d'une petite statuette grecque visiblement très ancienne.

— Ma nièce a cette rigolote habitude de m'offrir un dinosaure lors de mes anniversaires, expliqua-t-il en souriant. Mais ce parasaurolophus reste de loin mon préféré.

— C'est une habitude originale.

— Du haut de ses sept ans, elle ne manque pas d'imagination, je vous l'accorde, répondit-il en calant son dos contre le dossier de sa chaise.

Lyly hocha lentement la tête et jeta un coup d'œil vers la porte du bureau. Si Guillaume la voyait ici, peut-être allait-il se douter de quelque chose, et là, ce serait le drame. Elle n'avait pas la force de lui rentrer dedans.

— De quoi avez-vous peur ? Que quelqu'un puisse nous rejoindre ?

— Je ne veux surtout pas que Guillaume me voie ici.

— Il est censé se rendre à une réunion dans une dizaine de minutes, cela m'étonnerait qu'il ait le temps de passer la porte de ce bureau.

— Écoutez... Lyly prit une grande inspiration. Je vous remercie vraiment pour votre hospitalité et pour votre écoute, mais je ne pense pas que ce soit raisonnable que l'on parle de ce qui se passe entre Guillaume et moi. Je ne veux pas avoir de problèmes. Ça fait quelques mois que je suis ici et je ne veux surtout pas qu'on dise de moi que je ne sais pas me défendre seule.

— Ce n'est pas le cas, dit-il en fronçant légèrement les sourcils. Aujourd'hui ce n'est plus une question de rapporter ou de ne pas savoir se défendre seule. Je suis pour la cohésion dans l'entreprise et entre les équipes. Je suis pour la bienveillance, et surtout pour le respect, et je ne crois pas que Guillaume ait fait preuve de respect envers vous ces dernières semaines.

— Mais ça personne n'est censé le savoir, il le fait toujours en douce ! S'il apprend que ça s'est su, il saura que j'ai parlé.

— Et ? demande-t-il sérieusement.

Lyly resta silencieuse, le regard figé dans celui de Thomas. Il leva un sourcil de surprise, attendant qu'elle lui réponde, mais il n'en fut rien. Elle ne savait pas quoi répondre, ni même quoi lui dire de plus.

— Le fait est que Guillaume est censé montrer l'exemple et se montrer courtois envers ses collègues, reprit-il d'un ton ferme. Notre entreprise a beau travailler à l'international et avoir de nombreuses filiales dans les quatre coins du monde, nous attachons une grande importance à l'entente au sein de cette entreprise, j'attache une grande importance à l'entente et au respect. Je ne tolère aucun bizutage, aucun manque de respect et aucune moquerie. Et encore moins envers une jeune professionnelle qui n'est là que depuis quelques semaines et qui fait un travail remarquable.

Lyly baissa les yeux et expira lentement de lassitude. Savoir qu'elle pourrait avoir un soutien supplémentaire dans cette entreprise lui faisait chaud au cœur et la rassurait, mais elle n'en pouvait plus de parler de ce Guillaume. Ni même de ce qu'il lui faisait subir jour après jour.

— Comment vous l'avez appris ? demanda-t-elle soudainement. Quelqu'un vous en a parlé ?

Il lui adressa un petit sourire et déboutonna le bouton de son blazer.

— A vrai dire, vous avez l'air d'être sacrément bien entourée. Deux personnes sont venues m'informer de ce qui se passait. Deux personnes que vous connaissez bien.

— Suzanne ?

Thomas acquiesça.

— Et qui d'autre ? insista-t-elle, intriguée. Jacob ?

— Jacob ? Non, absolument pas. Il lui sourit et croisa sa jambe gauche sur celle de droite. En réalité, la probabilité que je l'apprenne durant un dîner entre amis était faible, voire même très faible, mais c'est arrivé.

Lyly l'interrogea du regard. Elle ne comprenait plus rien. Avec qui avait-il bien pu dîner qu'elle connaissait ? Personne n'était au courant de ce qui se passait ici, hormis Suzanne, Jacob et Ashley. Même Théo n'était pas au courant ! Et il y avait très peu de chances pour qu'Ashley connaisse Thomas Malrok...

— Je ne comprends plus rien, avoua-t-elle.

— John, que vous connaissez apparemment bien, connaît un certain Xavier, qui travaille dans l'une de nos filiales en Espagne. C'est ce même Xavier qui vous a recommandé ici, qui a transmis votre profil à notre DRH qui vous a ensuite contacté pour un entretien. Le reste, vous le connaissez bien mieux que moi, lui sourit-il. Les détails ne sont pas importants, mais j'ai dîné avec Xavier et d'autres amis il y a peu et il m'a fait part de ce qu'il avait appris par l'intermédiaire de John quelques jours plus tôt.

— Oh mon dieu, marmonna-t-elle.

Une fois de plus, Ashley n'avait pas su tenir sa langue. Non seulement elle en avait parlé à John, mais en plus de cela, celui-ci en avait parlé à ce fameux Xavier, qui en avait touché deux mots à Thomas Malrok. Ce que les nouvelles allaient vite...

— Je suis désolée, dit-elle, affreusement gênée. Je ne voulais pas que tant de personnes soient mises au courant. Je ne voulais pas que vous l'appreniez, ni même Xavier. Je réglerai le problème par moi-même, je trouverai une solution.

— Comment ? demanda-t-il, intrigué.

— Je... Elle réfléchit. Je ne sais pas encore, mais je vais trouver.

— Il est important que les choses soient prises en main le plus rapidement possible pour que l'on mette un terme au harcèlement que vous subissez. Si je peux vous conseiller ou bien vous aider ici, au sein de l'entreprise, je le ferai, avoua-t-il sérieusement. Mais ça, c'est seulement si vous acceptez d'en parler et de me dire quels sont les propos que Guillaume a tenu à votre égard. Si vous choisissez de maintenir le silence, je respecterai votre décision, mais sachez que Guillaume persistera. Cette histoire n'est pas à prendre à la légère, cela peut aller très loin. Je vous demande de bien y réfléchir.



Son échange avec Thomas Malrok lui avait occupé l'esprit tout le reste de la journée, et c'était encore plongée dans ses pensées qu'elle avait déposé sa veste à l'entrée et qu'elle était passée à la douche. Elle n'avait pas encore pris de décision et avait demandé au directeur financier de lui laisser un temps de réflexion, ce qu'il avait accepté. Il était clair qu'elle avait envie de tirer un trait sur toute cette histoire et de passer à autre chose grâce à l'aide de Thomas, mais elle ne parvenait pas à se décider. Elle ne pouvait pas tout lui déballer comme cela. Elle n'avait jamais eu l'habitude de demander de l'aide, alors pourquoi le ferait-elle maintenant, sur son lieu de travail ? N'était-ce pas humiliant ?

Il avait entièrement raison de dire que toute cette histoire ne devait pas être pris à la légère et qu'il était important de dire les choses, mais elle ne se voyait pas se confier autant à lui. Sa prestance l'intimidait toujours autant, il n'y avait aucun doute là-dessus, et il semblait réellement sincère avec elle, mais elle ne pouvait pas se confier à un autre homme que Théo... Théo avait toujours été son pilier depuis leur rencontre. Il avait su franchir les obstacles, un par un, et elle savait qu'en temps normal il se serait fait une joie de l'aider et de rentrer dans ce fameux Guillaume.

— Lyly...

Théo s'approcha rapidement de la gazinière, éteignit le feu et prit le manche de la poêle fumante dans sa main pour la poser sur le côté. Leur repas venait tout bonnement de rendre l'âme et la cuisine sentait le brûlé à plein nez.

— Je suis désolée, je ne sais pas ce qui s'est passé...

— Tu étais dans tes pensées, répondit-il en allant ouvrir la fenêtre.

— Tu veux manger quelque chose d'autre ?

Lyly tourna le regard vers la poêle et découvrit leur volaille roussie collée anormalement au fond de la poêle et leurs féculents désormais noircis fumaient. L'odeur était irrespirable.

— Je n'ai plus trop faim, avoua-t-il d'un ton lasse, mais tu peux prendre le reste de mon repas de ce midi si tu veux...

— Tu n'as pas tout mangé ?

— Non, il y en avait trop.

Théo tourna les talons et disparut dans le salon alors Lyly en profita pour aller jeter un œil dans le réfrigérateur. Lorsqu'elle découvrit la moitié du reste du repas de Théo dans une boîte en verre, elle ouvrit de grands yeux de surprise et referma la porte.

Bien avant que le comportement de Théo ne change, celui-ci avait toujours eu tendance à manger pour deux, voire trois. Entre les séances de sport qu'il faisait, ses déplacements et la taille gigantesque de son estomac, jamais ô grand jamais il n'aurait pu laisser une telle part en clamant qu'il y en avait eu trop.

Lyly le rejoignit dans le salon et le vit assis sur le canapé, les jambes tendues droit devant lui et les pieds posés sur la table basse en bois. Visiblement, il attendait que son ordinateur déposé sur ses cuisses s'allume.

— Ça fait huit mois qu'on est ensemble.

Théo tourna la tête d'un air surpris et rencontra le regard de Lyly.

— Je sais, Lyly.

— Tu n'aurais pas voulu faire quelque chose de spécial ? Rien que toi et moi.

Théo se pinça les lèvres. Il aurait aimé accepter et organiser un repas digne des plus beaux films romantiques que Lyly adorait tant. Mais il n'avait ni le courage, ni l'énergie nécessaires pour pouvoir assurer. Il se sentait vide. Et il gâcherait tout.

— Je ne p...

— Je peux te poser une question ? le coupa-t-elle gentiment.

Théo acquiesça la tête.

— Est-ce que tu ressens encore quelque chose pour moi ?

— Quoi ? demanda-t-il, incrédule.

Il fronça les sourcils.

— Bien sûr que je ressens encore quelque chose pour toi, qu'est-ce que tu vas t'imaginer...

Lyly voulut lui répondre qu'elle avait parfois l'impression de l'ennuyer ou bien de ne plus lui plaire. Elle voulut lui répondre qu'elle avait envie de le sentir contre elle, de l'enlacer fortement et de sentir son ancien parfum se faufiler dans ses narines, comme avant, mais elle n'en trouva pas le courage. Théo avait d'autres choses à penser, il n'avait pas besoin de ses remarques. Mais pourtant, qu'est-ce qu'elle aurait aimé pouvoir le prendre dans ses bras... Qu'est-ce qu'elle aurait aimé pouvoir se confier à lui, entendre ses conseils et sentir ses doigts effleurer la peau de son épaule...

— Je voulais juste te demander ça comme ça.

Théo l'interrogea du regard.

— Lyly, qu'est-ce qui se passe ?

— C'était juste une question que je me posais.

— Je sais que je suis à la ramasse ces derniers mois et que je suis littéralement une merde niveau relations sociales, mais je ne veux pas que tu doutes de nous.

— Ne dis pas ça...

— Alors pourquoi tu poses une question pareille ?

La sonnerie de la porte d'entrée retentit soudainement dans le salon. Lyly coupa l'échange visuel avec Théo, pivota et avança vers l'entrée. Pourquoi avait-elle posé une question pareille ? Parce qu'elle avait besoin de l'entendre dire qu'elle le rendait toujours aussi dingue ? Elle avait besoin de ressentir que leurs sentiments étaient restés intacts malgré la noirceur de leur quotidien. Elle avait besoin d'être rassurée, surtout depuis que Guillaume s'en prenait autant à elle. Elle avait définitivement besoin de son pilier. De son soutien.

Lyly tourna lentement la clé dans la serrure et la porte s'ouvrit quelques instants plus tard sur Laure, impeccablement apprêtée, comme à son habitude. Pourtant, cette fois-ci, elle ne portait ni de décolleté, ni de jupe courte, mais un pantalon blanc et une chemise noire en soie. Elle était élégante, voire chic, et Lyly appréciait l'effort qu'elle avait fait pour l'occasion.

— Bonsoir, commença Laure.

La concernée semblait mal à l'aise et se balançait nerveusement sur ses jambes.

— Bonsoir Laure, merci d'être venue.

Elle hocha la tête.

— Ça m'était complètement sorti de la tête que c'était aujourd'hui... Mais entrez.

Lyly laissa Laure pénétrer dans la maison et referma la porte derrière elles. Était-elle vraiment prête à les voir se côtoyer une énième fois ? Elle tenta de ne pas y penser et passa devant l'invitée. Lyly l'intima de la suivre et arriva rapidement dans le salon, le cœur lourd et le pouls en furie. Théo n'avait pas bougé et semblait commencer à naviguer sur un moteur de recherche.

— Théo. Il y a quelqu'un pour toi.

Lorsque son petit ami tourna le visage et rencontra le regard de Laure, son visage parut se décomposer. Il chercha aussitôt les yeux de Lyly en quête de réponse, mais celle-ci tourna le dos, se sentant incapable de lui donner des explications, à la limite de la lâcheté, et s'éclipsa.

Laure attendit quelques secondes avant de se racler la gorge. Elle se sentait à la fois mal à l'aise d'être aussi bien accueillie par la petite amie de Théo, mais également mal à l'aise de voir autant d'étonnement et de distance dans les yeux de son ancien ami. Il ne semblait pas vouloir d'elle dans sa vie. Mais ce qui lui faisait le plus froid dans le dos était l'état de Théo. Comme Lyly avait pu le lui expliquer, il devenait peu à peu l'ombre de lui-même. La liaison continue entre son esprit et son corps n'était plus. Il n'y avait plus qu'un corps. Un corps amaigri. Des yeux éteints. De petits cernes creusés sous les yeux. Et une froideur. Une froideur qui lui donnait envie de prendre ses jambes à son cou et de le laisser là, sur le canapé. Mais elle ne pouvait pas. C'était Théo.

— Bonsoir, Théo, hésita-t-elle. On peut discuter ?

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