Chapitre 3
A son retour dans les locaux le lundi matin, Lyly eut la surprise d'apprendre par Suzanne que leur fête n'avait pas eu lieu et avait dû être annulée afin d'être reportée à plus tard. A la fois rassurée de ne pas avoir loupé quelque chose et déçue de voir qu'elle allait probablement devoir trouver une seconde excuse pour louper la prochaine fête, Lyly s'installa à son bureau et se connecta à son ordinateur.
Après une intense réunion de trois heures avec quelques uns de ses collègues, elle monta à l'étage pour rejoindre Suzanne dans la salle de déjeuner, sa boîte de repas dans les mains, et la réchauffa dans le micro-ondes. Il avait plu toute la matinée et le vent faisait désormais des siennes. De grosses bourrasques venaient claquer les grandes baies vitrées, ce qui provoquait un certain vacarme dans la pièce.
Lyly s'était installée auprès de Suzanne et écoutait attentivement ses péripéties du week-end lorsqu'un certain Guillaume pénétra dans la pièce. Il jeta sa boîte de salade sur la table d'un geste désinvolte et s'assit devant Lyly en la regardant, un sourire moqueur sur le visage.
-T'as de la chance, t'as rien loupé vendredi soir. J'espère que ton mec te laissera sortir un jour.
Lyly lança un regard interrogateur à Suzanne, qui stoppa son histoire, et le reporta sur Guillaume, qui continuait de la fixer.
- Comment ?
- Bah c'est ton mec qui t'empêche de sortir, non ? Deux fois ça fait beaucoup.
Il planta sa fourchette dans sa salade sans pour autant quitter Lyly des yeux, et enfonça son couvert dans sa bouche d'un air provocateur.
- Ça n'a rien à voir avec lui, répondit-elle sur ses gardes. D'où est-ce que vous sortez ça ?
- Tout finit par se savoir ici.
- Vous devriez vérifier vos sources, dans ce cas.
Lyly baissa les yeux sur sa boîte, à la fois étonnée et agacée, mais Guillaume repartit à la charge, visiblement bien décidé à ne pas la laisser déjeuner en paix.
- Si ton mec t'empêche de sortir avec tes collègues, c'est peut-être qu'il manque de confiance en toi, non ? Ou que c'est une sorte de pervers narcissique. Fais attention à toi, bientôt il te promènera en laisse.
- Tu te rends compte que ce que tu dis est déplacé ? intervint Suzanne.
Guillaume leva les épaules et termina de mâcher sa bouchée.
- Tu as de la chance que personne d'autre ait entendu ce que tu viens de dire, reprit-elle. C'est pas des propos que tu as le droit de tenir.
- Qu'est-ce que j'en ai à faire ? Je dis tout haut ce que les autres pensent tout bas. C'est pas parce qu'elle fait du bon travail que sa vie l'est tout autant et qu'elle a sa place ici. Remarque, continua-t-il, c'est peut-être elle la perverse narcissique.
Lyly se releva d'un bond de sa chaise et le pointa brusquement du doigt.
- Fais attention à ce que tu dis !
Guillaume se leva à son tour, le visage désormais entièrement fermé. Suzanne suivit.
- Et qu'est-ce que tu vas faire ?
- Calmez-vous ! s'écria Suzanne. Ça va pas ou quoi ? On est où là ? Guillaume, si la DRH avait entendu ce que tu as dit... Tu peux pas avoir des propos comme ça, c'est trop déplacé ! Et Lyly, laisse tomber, mange et écoute pas ce qu'il dit, ce sont des conneries, je suis sûre que tu as un mec bien.
- Un mec bien ? reprit Guillaume. C'est vite dit.
- Manger devant lui ? Non merci, je préfère redescendre.
Lyly referma en deux temps trois mouvements sa boîte, attrapa ses couverts au passage et sortit furieusement de la salle de déjeuner.
Elle dévala les escaliers, rejoignit son bureau et jeta son déjeuner au fond de son sac. Mais pour qui se prenait-il ? D'où pouvait-il tenir des rumeurs pareilles ? Lyly sortit son téléphone de son tiroir coulissant et hésita à appeler John. Après tout, c'était lui qui lui avait trouvé ce travail, peut-être savait-il quelque chose qu'elle ignorait à propos de Guillaume ?
Elle pesa le pour et le contre et reposa finalement son téléphone sur son bureau avant de se prendre la tête entre les mains. Ça faisait déjà un peu plus de deux mois qu'elle travaillait ici. Certes, cela la changeait beaucoup des études et du métier de ses rêves, mais elle n'avait trouvé rien d'autre et elle allait devoir se contenter de cela pour l'instant. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas être community manager, bien au contraire, c'était même intéressant, mais cela contrastait grandement avec ses projets de vie. Elle n'avait jamais voulu être dans la communication. Elle préférait les chiffres, l'économie. Les statistiques...
- Tu vas aller voir la DRH ?
Lyly se tourna vers Suzanne qui venait de débouler sur sa droite.
- Il n'en vaut pas la peine.
- Il a pas à te parler comme ça, c'est un manque de respect.
Lyly acquiesça et soupira.
- Ça sera sa parole contre la mienne. Et je ne veux pas avoir besoin de quelqu'un pour me défendre. Si je dois lui foncer dedans, je le ferai. Me critiquer est une chose, mais oser sortir des conneries pareilles sur mon copain, ça ne passe pas. Si Théo avait été là, Guillaume serait reparti la queue entre les jambes.
- C'est un connard, il te traite comme ça juste parce que t'es la petite nouvelle.
- Bah la petite nouvelle elle n'a rien à perdre. Je ne veux pas être community manager toute ma vie, c'est juste un passage, alors que je garde cet emploi ou pas, je m'en fiche. C'est surtout cette entreprise qui a besoin de moi, vous ne trouviez personne.
- C'est clair que tu nous as bien aidé depuis ton arrivée. Tu te débrouilles d'ailleurs vachement bien pour quelqu'un de pas passionnée par la communication et tout ça. Les abonnés ont triplé depuis que tu es là !
Lyly approuva d'un signe de tête et suivit des yeux Suzanne qui alla chercher une chaise roulante pour l'arrêter à ses côtés.
- En tout cas, si tu veux aller parler à la DRH, je serai là pour te soutenir. Ça fait un moment que son comportement me prend la tête. La dernière fois il s'est foutu de la gueule de Jacob parce qu'il avait inversé des diapositives pendant sa réunion, le pauvre il était perdu et terriblement gêné.
- Et personne n'a rien dit ?
- Il y avait juste Jacob, ce crétin et moi, donc non. Il fait toujours ça en douce.
Lyly roula des yeux et se laissa tomber au fond de son siège.
- T'as beau être la petite nouvelle, tu te débrouilles super bien, alors continue. Lui même a avoué que tu faisais du bon travail !
- Son avis ne vaut plus rien pour moi, Suzanne. Plus maintenant.
- Tu vas en parler à ton mec ?
Lyly hocha la tête que non.
- Il a d'autres choses à penser... Et je peux me débrouiller seule.
Lyly sortit des toilettes, les mains encore légèrement humides, et avança vers son bureau. Il était déjà l'heure de partir. Le point positif était qu'elle n'avait pas vu l'après-midi passer avec toutes les veilles concurrentielles qu'elle avait dû mener en amont pour sa supérieure. Cela lui avait bien occupé l'esprit. Elle se pencha pour attraper son sac, vérifia que ses clés étaient bien dans sa poche ainsi que son téléphone et enfila sa veste. Elle jeta un coup d'œil derrière elle pour saluer Suzanne de loin, mais sa chaise était vide.
Lyly referma un de ses tiroirs et traversa le couloir en silence. Lorsqu'elle vit Guillaume au loin près de la porte de sortie, une tasse de café dans la main, elle prit une grande inspiration. Elle ne pouvait pas s'emporter une seconde fois, cela lui ferait bien trop plaisir. Il fallait ignorer.
Elle releva la tête afin de prouver qu'il ne parvenait pas à l'intimider, et continua sa marche. Il ne restait que quelques mètres. Plus que quelques pas et elle serait enfin dehors. Tout allait bien se passer. Peut-être allait-il même s'excuser de ses propos ? Après tout, il y avait été très fort.
- Tu vas rejoindre ton maître ?
Lyly ne prit pas la peine de le regarder et continua dans son élan. Visiblement, les excuses allaient être pour plus tard.
Plus que quelques petites mètres et elle serait enfin en paix. Elle accéléra.
- Lydie, l'interpella-t-il.
Elle se figea sur place, malgré elle, et fit volte-face. Lydie ? Comment savait-il qu'elle ne s'appelait pas Lyly mais Lydie ? Qu'est-ce que c'était que ce bordel ?
- Je m'appelle Lyly, rectifia-t-elle sèchement.
- Pas d'après ce que j'ai appris.
Il la nargua du regard et avala lentement une gorgée de son café.
- C'est quoi le problème avec ton prénom ?
- Je préfère qu'on m'appelle Lyly.
- Et pour quelle raison ?
- Je n'ai pas à me justifier auprès de toi.
Lorsqu'elle vit un petit sourire narquois se loger au coin de ses lèvres, elle comprit qu'elle n'allait pas pouvoir se contenir longtemps. Il allait attaquer. Encore une fois.
- Ça te dérange si je t'appelle Lydie ? Ou c'est juste réservé à ton mec ?
- Tu débloques complètement.
Il leva les épaules, comme si de rien n'était.
- C'est peut-être ton appellation de soumise.
Lyly sentit la colère monter en elle, mais elle resta immobile, les bras crispés. Elle tenta de réguler sa respiration et ne le quitta pas des yeux, bien décidée à lui montrer qu'il n'aurait pas le dernier mot.
- Si tu t'ennuies tant que ça ici pour venir saouler tes collègues à tout bout de champ, trouve-toi un autre métier, je n'en sais rien, mais remet-toi en question.
- J'ai aucun souci avec mon job, je le fais même très bien. Mais merci de t'en inquiéter. C'est plus toi qui devrais te remettre en question.
- Si j'en trouve le temps un jour, ouais, peut-être, mais je suis généralement pas mal occupée. Mais toi, ça ne fait aucun doute, tu auras le temps pour y réfléchir.
Elle tourna les talons, accéléra vers la sortie afin de ne pas lui laisser le temps de répondre et s'engouffra à l'extérieur.
L'air frais apaisa ses joues rosies et au lieu de rentrer chez Théo, elle s'arrêta sous l'arrêt de bus afin de réfléchir. Elle sentait encore son cœur pulser sous sa poitrine. Merde, c'était quoi son problème à lui ? Tout ça parce qu'elle avait refusé de se rendre à deux fêtes ? Et d'où tenait-il toutes ces informations ?
Elle s'assit sur le petit banc et posa son sac en bandoulière sur ses cuisses. C'était un grand malade. Comment ça Lydie pouvait être son appellation de soumise ? Pourquoi ne pouvait-il pas se mêler de ses fesses, pour une fois ?
Elle aurait aimé pouvoir en parler à John ou bien à sa cousine. Elle aurait aimé leur demander des conseils, mais elle ne voulait pas passer pour une personne faible qui ne savait pas se défendre, surtout qu'elle savait très bien le faire. Tout ce qui s'était passé après l'accident l'avait drastiquement changé. Mais elle ne savait pas combien de temps elle allait pouvoir rester aussi calme s'il venait à continuer de la chercher. S'il continuait de la chercher, il allait la trouver. Et cela allait mal se finir...
Le bus s'arrêta à l'arrêt, mais Lyly resta immobile, plongée dans ses pensées. Si elle allait voir la DRH, allait-elle lui demander des preuves ? Allait-elle faire une sorte de confrontation pour régler le problème ? Lyly ricana nerveusement. Une confrontation. La DRH n'allait pas s'ennuyer. Lyly se proposait même d'apporter les pop-corn.
Si Théo se sentait mieux, elle aurait pu lui en parler. Ils auraient pu en discuter. Et il ne faisait aucun doute qu'il aurait probablement débarqué au travail de Lyly pour remettre Guillaume en place. Surtout qu'elle savait à quel point Théo exécrait apprendre qu'on lui faisait du mal. Il serait parti au quart de tours. S'il avait pu se battre avec Rudy, il aurait facilement pu maîtriser Guillaume. Certes, il était plutôt grand, mais son corps frêle n'avait aucune chance face à la force de Théo. Même si celui-ci avait perdu un peu de sa musculature ces derniers mois, il lui restait probablement de la force pour pouvoir en mettre une à Guillaume.
Les jours s'enchaînèrent et à la plus grande déception de Lyly, Guillaume ne se calma pas. Bien au contraire. Il continua tellement ses remarques désinvoltes que Lyly ne finit par se lever de son siège que pour se rendre à des réunions. Elle mangeait désormais son déjeuner depuis son bureau, accompagnée de Suzanne qui ne souhaitait pas la laisser seule, et faisait tout pour éviter Guillaume, qui ne manquait pas d'imagination pour la narguer.
Lors de la réunion de jeudi, agacée par le regard railleur de Guillaume et ne souhaitant pas s'emporter devant ses autres collègues, elle avait capitulé et avait fini par rester les yeux figés sur son écran d'ordinateur.
Lyly se laissa tomber sur son siège, épuisée, et regarda l'heure affichée sur le coin droit de son ordinateur. Quinze heures. Encore deux heures. Elle ouvrit une page Internet et sentit son téléphone vibrer près de son bras. Elle jeta un rapide coup d'œil et vit un nouveau message d'Ashley.
- Je peux passer à ton travail à dix-sept heures ? Je serai pas loin, et ça me ferait plaisir de te voir ! On pourrait aller boire un truc, si ça te dit.
Le message de sa cousine lui mit un peu de baume au cœur et lui fit retrouver le sourire. Elle lui répondit que c'était d'accord et verrouilla son téléphone afin de se focaliser sur son travail.
Comme prévu, à dix-sept heures cinq, Lyly éteignit son ordinateur, rassembla ses affaires et passa rapidement sa veste sur ses épaules. Ne voyant pas Suzanne à son bureau, elle ferma son tiroir et se pressa vers la sortie. Elle aperçut Ashley à quelques mètres de la porte, alors elle accéléra et la rejoignit à l'extérieur.
- Ashley !
La concernée pivota et laissa un grand sourire s'étendre sur son visage à la vue de sa cousine.
- Lyly ! Je suis trop contente de te voir ! s'exclama-t-elle en enlaçant Lyly. Ça a été ta journée ?
- Oui, au top, mentit-elle. Et toi?
- Ouais, j'ai passé ma journée à la bibliothèque, je suis crevée !
- Heureusement que c'est bientôt le week-end, plaisanta Lyly.
- M'en parle pas ! Je suis contente de te voir. D'ailleurs, je voulais savoir comment ça se passait avec Théo... Elle hésita. Depuis que vous avez annulé la fête, on a pas trop eu de nouvelles...
Lyly acquiesça lentement la tête. Comment ça se passait ? Théo avait beau enchaîner les heures de sommeil, il ne parvenait pas à récupérer. Fatigue, perte de poids, il partait parfois pendant des heures en voiture sans qu'elle ne sache où il allait et le manque de communication ne lui permettait pas de le suivre. Elle ne savait ni comment il se sentait, ni ce qu'elle pouvait faire pour l'aider.
- Lyly ?
Elle sortit de ses pensées en ébullition et rencontra le regard inquiet de sa cousine.
- C'est un petit peu compliqué de le suivre, avoua-t-elle. Mais ça va aller.
- Lyly !
Suzanne apparut brusquement sur leur gauche. Elles se tournèrent alors vers elle.
- Ashley, je te présente Suzanne, on travaille dans la même entreprise. Suzanne, je te présente Ashley, ma cousine.
- Enchantée ! s'enthousiasma Ashley.
- Enchantée, je te vois enfin ! Lyly m'a parlé de toi. Une vraie fan de mode, c'est ça ?
- Et encore, je trouve ça même dévalorisant qu'elle dise de moi que je sois une vraie fan de mode. Je suis totalement accro ! Si t'as besoin de bonnes adresses, je suis LA référence.
- C'est bon à savoir, rigola Suzanne. Tu risques d'entendre parler de moi.
Suzanne sourit à Ashley et se tourna vers Lyly en retrouvant rapidement son sérieux.
- Putain, Lyly, j'ai vu comment s'était passée la réunion cet après-midi. J'avais tellement envie d'intervenir pour t'aider. Il cherche quoi à la fin ? Pourquoi il te cherche comme ça ?
Ashley fronça les sourcils.
- Laisse tomber, l'intima Lyly en la présence d'Ashley. On en reparlera plus tard.
- Non mais tu peux pas laisser les choses comme ça, reprit Suzanne. Bientôt tu éviteras toutes les réunions où il sera présent. C'est pas un bon environnement de travail, il faut faire quelque chose. Demain on ira voir la DRH et on ira dire qu'il arrête pas de te provoquer.
- Je ne veux pas aller voir la DRH, insista Lyly. Je suis là depuis un peu plus de deux mois, je ne vais pas déjà aller me plaindre.
- Mais de quoi vous parlez ? s'empressa de demander Ashley.
- De Guillaume.
- Guillaume ? demanda Ashley en regardant Suzanne. C'est qui ?
- Ce n'est pas important, expliqua Lyly. Ne te prend pas la tête avec ça.
- Bien sûr que si c'est important ! Comment ça un mec te provoque ? Il est encore dans l'entreprise là ?
Suzanne écarquilla les yeux, légèrement prise de panique.
- N-non, il est parti ! mentit-elle. Il part tôt en général.
Ashley se renfrogna et fixa l'entreprise de travers.
- Il faut que je vous quitte, j'ai un rendez-vous dans dix minutes chez le kiné, je peux pas être en retard. On se voit demain, Lyly ! Ashley, je suis ravie de t'avoir vu !
- Pareillement.
- Salut, Suzanne !
Elles regardèrent la collègue de Lyly s'éloigner en silence. Lorsqu'elle fut enfin montée dans sa voiture, Ashley se tourna furtivement vers sa cousine.
- Tu as quelque chose à me dire à propos de ce Guillaume ?
-Ce n'est pas si important que ça.
Ashley lui fit signe de la suivre et elles longèrent le trottoir en direction d'un petit café plus loin.
- Comment ça il te provoque ?
- C'est une longue histoire, répondit Lyly, vraiment. Ne te prend pas la tête.
- Je partirai pas tant que tu m'en auras pas parlé. Tu as déjà beaucoup à gérer avec Théo et son état de santé, je te laisserai pas t'en prendre plein la gueule à ton travail.
- Ça dure seulement depuis lundi. Ça va peut-être se calmer, dit Lyly sans trop de conviction.
- Depuis lundi ! Il te provoque depuis trois jours ?
Lyly confirma d'un hochement de tête et passa la porte du café après Ashley. Elles s'installèrent à une petite table au fond de la pièce et ôtèrent leur veste simultanément.
- Je ne sais pas pourquoi il fait ça.
- Il te dit quoi exactement ?
Lyly soupira longuement. Tout tournait toujours autour de Théo avec ce Guillaume. Il ne le connaissait pas et il avait pourtant tant de reproches à lui faire.
- Je pensais que Théo et moi on serait allés à votre fête, alors je ne suis pas allée à celle qu'organisait l'entreprise. Et ce Guillaume justement a appris que je ne pouvais pas venir, et comme ce n'est pas la première fois que je refuse il a commencé à me dire que c'était à cause de Théo que je ne venais jamais aux repas, qu'il me contrôlait, ce genre de choses.
- Quoi ?
- Il fait toujours des allusions bizarres, il dit que Théo me tient en laisse, que je suis sa soumise, qu'il me dicte ce que j'ai le droit de faire. Il fait toujours ce genre de remarques. Ce matin il a fait allusion à ma robe, il a dit qu'il était surpris de me voir venir dans cette tenue, que Théo allait probablement me corriger.
- Mais je vais l'encastrer ce mec ! s'énerva-t-elle. Tu en as parlé à Théo ?
Lyly hocha la tête que non.
- Pourquoi ?
- Il a d'autres choses à penser, je veux me débrouiller seule.
- Mais il a aussi son mot à dire, ce mec crache sur son dos !
- Ashley, répondit-elle patiemment. Tu ne sais pas comment Théo se comporte, crois-moi, il n'a pas besoin de savoir ça, pas maintenant.
Ashley fit une petite moue dubitative et se pencha sur la carte en voyant Lyly faire. Lorsque la serveuse termina de prendre leurs commandes quelques instants plus tard, elle ôta les cartes de la table et s'éclipsa.
- Je comprends que tu veuilles pas mêler Théo à ça. Mais fais attention, Lyly. Si ce mec commence comme ça, j'ai peur de ce qu'il pourrait oser dire par la suite.
- Il ne fait pas jamais référence à mon physique à proprement parler, c'est toujours vis-à-vis de Théo. Je ne sais pas pourquoi. Suzanne m'a dit que c'était sûrement parce que j'étais l'une des petites dernières. Jacob, qui est arrivé quelques jours avant moi, s'est fait pas mal incendier par Guillaume aussi. Il se moque de lui et le dévalorise.
- Mais ce Guillaume il fait quoi au juste ? C'est quoi son poste ?
- Il est chef de projet. Ce n'est pas mon supérieur, mais j'ai quand même des liens avec son équipe.
- Et ton supérieur, tu lui as parlé ?
- Pas de ça, non. Elle est toujours débordée donc je fais le travail qu'elle me demande, mais c'est tout. En fait, je n'ai pas plus de conversation que ça avec elle... Je parle surtout avec Suzanne que tu viens de voir.
Ashley croisa les bras sur sa poitrine en réfléchissant.
- Tu veux que j'en parle à John ?
- J'ai hésité à lui en parler. Mais je crois que ce serait mieux de ne rien lui dire. Je vais voir si je peux apaiser la situation. Peut-être qu'il finira par se calmer...
A son retour chez Théo dans les alentours de dix-neuf heures, Lyly ne perçut par la voiture garée à sa place de parking habituelle. Elle passa la porte, ne vit pas la veste de Théo sur le portemanteau et posa ses clés à l'entrée. Cela faisait des mois qu'il quittait le domicile pendant plusieurs heures, cela ne l'étonnait plus. Mais ce qui l'inquiétait était de ne pas savoir où il se trouvait. Certes, il avait le droit de se rendre où il le souhaitait, mais s'il arrivait quelque chose, elle serait bien incapable d'indiquer aux forces de l'ordre sa position exacte.
Lyly passa à la douche, enroula ses cheveux dans une serviette après avoir enfilé son peignoir et marcha jusque dans la cuisine où elle se mit au travail. Il restait quelques aliments dans le réfrigérateur, elle allait bien trouver quelque chose à faire avec ça. Elle rassembla la fin du paquet de pâtes, le pot de crème fraîche, les lardons et la moitié de son oignon.
Lorsque l'eau atteignit enfin l'ébullition, elle vida les pâtes dans la casserole, fit glisser les lardons dans la poêle et fixa l'horloge. Vingt heures. Elle hésita à l'appeler, inquiète, mais elle se contenta de rester devant la gazinière. De toute manière, Théo n'allait probablement pas répondre à son appel, il avait tendance à le laisser sonner, il prenait rarement le temps de voir qui l'appelait ces temps-ci. Lyly ouvrit la fenêtre pour aérer la cuisine, répondit au message de Chris et le reposa sur la table rectangulaire derrière elle.
Le repas était presque prêt. Elle ajouta les pâtes dans la poêle, les recouvrit de la crème fraîche et s'attela à mélanger le tout ensemble. La cuisine étant trop imprégnée de l'odeur, elle se dépêcha d'aller ouvrir un peu plus grand la fenêtre et reprit sa spatule.
- Je suis rentré.
Lyly sursauta et se retourna. Théo avait ôté sa veste et portait un polo bleu qui faisait désormais une taille de plus que lui.
- Je ne t'ai pas entendu rentrer, tu m'as fait peur... Le repas est prêt, tu préfères manger dans le salon ou dans la cuisine ?
- Je n'ai pas trop faim...
- Je suis sûre que tu n'as pas mangé ce midi non plus. S'il te plaît, mange au moins un peu avec moi. Ne reste pas l'estomac vide comme ça...
Théo haussa les épaules et s'approcha lentement du meuble dans lequel étaient rangées les assiettes.
Il en attrapa une, la posa délicatement sur le meuble devant lui et voulu en prendre une seconde, mais lorsqu'il souhaita la poser sur la première, elle lui lâcha des mains et se brisa sur le carrelage.
- Fais chier, marmonna-t-il.
Lyly éteignit précipitamment le feu et rejoignit Théo déjà accroupi, pour rassembler les bouts de l'assiette brisée.
- Ce n'est pas grave, ça arrive, le rassura-t-elle. Va te changer si tu veux, je m'occupe du reste.
Théo hocha la tête de déception, baissa le visage de fatigue, et se laissa tomber sur les fesses, épuisé. Il ramena ses genoux près de son torse et regarda ses mains prises de tremblements. Il perdait beaucoup trop le contrôle. Il détestait ressentir ce sentiment d'impuissance, ce sentiment de perte de contrôle total qui ne lui amenait que des ennuis. Cela ne lui ressemblait pas.
Lyly jeta rapidement les bouts dans la poubelle et s'agenouilla face à lui. Elle lui prit gentiment les mains et les pressa dans les siennes.
- Tu es fatigué, ce n'est pas grave, ce n'était qu'une assiette, Théo.
- J'ai lâché l'ordinateur de la fac aussi... ce matin, avoua-t-il à demi-voix. Dans les escaliers.
- Il ne fonctionne plus ?
- Si. Il était dans sa housse...
Théo se sentait honteux. Honteux d'être autant faible. Honteux d'être autant vulnérable face à une simple assiette qui lui avait lâché des mains.
- Ça arrive à tout le monde, tu n'es pas le premier et tu ne seras pas le dernier, Théo. Peut-être que ça m'arrivera demain, tu sais. Et peut-être après-demain aussi.
Lyly avait conscience que les bourdes de Théo s'accumulaient. Depuis quelques semaines, il avait fait tomber et casser deux de ses parfums, quatre verres, deux assiettes, un vase, une tasse, et son rasoir avait chuté dans l'eau de la cuvette des toilettes. Alors certes, il accumulait les casses, mais elle ne pouvait ni le blâmer, ni le lui rappeler. Elle devait le soutenir.
- On peut même manger par terre ,si tu veux, plaisanta-t-elle gentiment. Si ça te rassure.
Théo hocha la tête que non et releva ses yeux attristés vers Lyly.
- Je crois que c'est mieux que j'aille dormir, insista-t-il. Je suis inutile ici.
- Ne dis pas que tu es inutile, ce n'est pas vrai. Tu vaux bien plus que ça.
- J'aimerais bien voir ça, ironisa-t-il.
- Tu peux casser toutes les assiettes que tu veux, jamais ça ne fera de toi quelqu'un d'inutile.
Théo baissa les yeux vers les mains de Lyly. Sentir son toucher lui faisait du bien. Même s'il n'était plus trop tactile ces derniers temps, ressentir la chaleur de Lyly le rassurait. Il n'était pas seul. Elle était là. Et même s'il la repoussait régulièrement malgré lui, elle persistait et ne partait pas.
- Allez, lève tes belles fesses de ce carrelage et va dans le salon, j'apporte le repas. D'accord ?
Théo resta immobile. Ses belles fesses ? Ça faisait un moment qu'il ne s'entretenait plus, et il le ressentait. Même si certaines parties de son corps étaient encore un peu musclées, certaines autres devenaient moins tonifiées, ce qu'il n'aimait pas. Mais il n'avait pas le courage de s'entraîner. De reprendre son footing. Ses pompes. Il se sentait à plat. Tout le temps.
- Si je pouvais te porter, je te jure que je le ferais, reprit Lyly. Mais je ne fais pas le poids face à un gabarit d'un mètre quatre-vingt-six. Tu ne pouvais pas être un petit peu plus petit ?
Théo lâcha un petit rire inaudible et retrouva le regard vert de Lyly. Elle était littéralement la seule lumière présente dans la noirceur de ses pensées. Le seul éclat de soleil qui lui permettait de ne pas flancher totalement. De se lever tous les jours malgré son envie de tout laisser tomber.
- Au fait... Elle hésita. J'ai été voir monsieur Kurmin après le travail, il m'a demandé de tes nouvelles. Il a dit qu'il aimerait bien te rencontrer.
- Je t'ai déjà dit qu'il en était hors de question...
- Ce n'est pas grave si je l'ai déjà en psychologue, assura-t-elle. Il saura faire la part des choses.
- Je ne vais pas aller voir le même psychologue que ma copine, répéta-t-il.
- Il ne sait plus qui te recommander, il m'a dit qu'il a de nouveau cherché dans ses contacts, mais il est à court d'idée...
- Qu'il ne cherche plus, alors.
- Mais je veux que tu parles à quelqu'un, Théo. Si tu ne veux pas en parler à moi, je veux au moins que tu essayes de parler à quelqu'un d'autre..
- Laisse tomber.
Il ôta ses mains de celles de Lyly et se releva avec difficulté, le visage à la fois blasé et fatigué d'avoir eu le droit à cette conversation, pour la énième fois.
Théo ne souhaitait ni en parler, ni retourner voir un psychologue, et encore moins tous ceux qu'il avait rencontré sous les recommandations de monsieur Kurmin. Retourner voir des spécialistes signifiait faire un gigantesque pas en arrière, et il ne le souhaitait pas. Laure avait su l'aider, et il était hors de question qu'il retourne à la case départ. Pas avec tous ces nouveaux psychologues qui ne connaissaient rien de lui. Il ne voulait pas se replonger dans ses souvenirs, pas dans tous ceux qui l'avaient littéralement fait perdre pied une première fois.
- Je vais me coucher.
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