viii. Plan d'attaque
Le lendemain, nous sommes réveillés tôt. La brume matinale recouvre encore l'étendue d'herbe qui entoure notre abri. Apparemment, l'une des sentinelles qui surveillait les alentours aurait aperçu un soldat Telmarin à l'orée de la forêt. Glenstorm avait alors réuni toutes nos troupes dans la salle de la Table de Pierre. S'était lancé un débat sans fin, ou chacun parlait par-dessus la voix de l'autre, ou toutes les idées s'entremêlaient et perdaient leur sens.
Je suis assise depuis plusieurs longues minutes, à réfléchir sur comment calmer tout le monde. Je commence à avoir mal à la tête... C'est alors que Lucy trouve la solution. Elle grimpe sur la Table de Pierre et s'adresse à toute l'assemblée d'une voix forte :
— S'IL VOUS PLAÎT ! Tout ce que l'on fait ne rime à rien ! On ne tire rien du tout de ce bazar sans nom. Et pendant que l'on s'acharne à essayer de trouver une solution dans le vacarme, les soldats se rapprochent de plus en plus !
— Lucy a raison, ce n'est plus qu'une question de temps, renchérit Peter. Les troupes de Miraz ne sont plus très loin. Et pendant que ses hommes sont là, ils ne protègent pas son château !
— Que proposez-vous, votre Majesté ? demande Ripitchip.
— Nous devons... commencent Caspian et Peter en même temps.
Ils s'arrêtent net. Peter lance un regard noir à Caspian, qui finit par baisser les yeux. Je retiens un profond soupir.
— Notre seul espoir est de les attaquer avant qu'ils ne nous attaquent, continue Peter.
— Mais c'est de la folie ! je réplique, les sourcils froncés. Nous n'avons pas les moyens de faire ça ! Nous sommes en infériorité numérique, nous n'avons pas assez d'armes pour attaquer !
— Que suggères-tu donc ? me questionne Peter avec un air supérieur sur le visage.
— Je suggère que l'on attende ici, que l'on renforce notre défense. C'est notre seul chance de victoire.
— Tu ne réfléchis pas ? Si nous attendons, Miraz aura tout le temps de préparer ses armées. Il est hors de question d'attendre comme des bêtes prises au piège, il faut l'attaquer et le prendre par surprise, ainsi il ne saura pas répliquer.
— Mais c'est insensé, ce château n'a jamais été pris d'assaut ! s'exclame Caspian.
— Il y a un début à tout, répond Peter.
— On les aura par surprise, renchérit Trompillon. Ça nous laisse une grande chance de les vaincre.
— Aby a raison, soutient Caspian. Nous aurons plus de chance ici ! Notre défense est beaucoup plus solide que notre attaque, nous risquerions d'y laisser des hommes !
— Si on s'organise bien, on pourra résister pendant pas mal de temps, vient ajouter Susan en s'approchant.
— Personnellement, je n'ai rien contre le fait de me terrer, ajoute Chasseur-de-Truffes.
Peter semble réfléchir un instant.
— Aby, fait-il en levant les yeux vers moi. Ton idée n'est pas mauvaise. Mais cet endroit n'est pas une forteresse. C'est un tombeau.
— Oui, et si les Telmarins sont suffisamment intelligents ils nous laisseront mourir de faim, renchérit Edmund.
— On peut récolter des noisettes !! intervient Saute-Brindilles, tout émoustillé.
— C'est ça, des noisettes pour bombarder les Telmarins ! se moque Ripitchip. Tais-toi donc !
Puis, en se tournant vers Peter :
— Vous savez de quel côté je me range, Sire.
Je roule des yeux.
Peter hoche la tête et se tourne vers Glenstorm.
— Si vos troupes m'accompagnent, pourrez-vous combattre les gardes ? demande-t-il.
— Jusqu'à la mort, Monseigneur, répond le centaure de sa voix grave.
— Voilà ce qui m'inquiète... intervient Lucy.
— Quoi donc ?
— Vous agissez comme s'il n'y avait que deux possibilités : mourir ici, ou mourir là-bas.
— Tu n'écoutes pas, Lucy, soupire Peter.
— Non, c'est toi qui n'écoute pas ! Aurais-tu oublié qui a réussi à vaincre la Sorcière Blanche ?
Peter la jauge du regard et, les traits durcis, répond :
— J'estime que nous avons attendu Aslan suffisamment longtemps.
Il tourne ensuite les talons et quitte la salle, laissant un silence de mort. Pour une fois, je ne retiens pas mon sentiment et soupire profondément. Encore une fois où Peter aura eu le dernier mot sans consulter les autres. Je me lève et sors à mon tour, sans un mot. J'entends Caspian me suivre de près.
— Aby...
— Pourquoi faudrait-il qu'il aie toujours le dernier mot ? Pourquoi n'avons-nous pas le droit d'intervenir, de proposer des idées qui pourraient être meilleures ?...
— Peut-être qu'il a raison, Aby... La surprise peut aider dans une bataille comme celle-ci...
Je me retourne vers lui, agacée.
— Ah, non ! Tu ne vas te mettre à le défendre alors qu'il est exécrable avec tout le monde, et en particulier avec toi ! Il... Il est... Il me met hors de moi ! Il ne peut pas s'empêcher de se montrer supérieur aux autres, il...
Je pousse un profond soupir.
— Il a peut-être gagné cette fois, mais je ne me laisserais plus faire. Le grand roi Peter le Magnifique apprendra bien vite à s'abaisser au niveau des autres, marmonné-je.
Caspian esquisse un sourire amusé.
— Ils auraient dû te surnommer Abigail la Colérique...
J'ouvre la bouche, faussement vexée.
— Ne commence pas ! je le réprimande en lui administrant un coup sur l'épaule. Je te rappelle que je fais ça pour toi !
— Justement... Ne vas pas risquer une dispute avec ton ami pour me protéger. Nous finirons bien par nous entendre.
— J'espère que tu as raison...
///
Comme prévu, l'après-midi est consacrée à la préparation de notre plan d'attaque. Je reste légèrement en retrait, le visage fermé. Je préfère éviter toute confrontation avec Peter. Je ne fais donc qu'écouter leurs échanges sans intervenir.
Il est décidé qu'Edmund et moi-même partirons en éclaireurs avec les griffons. Je rencontre alors celle qui sera mon compagnon de route durant ce voyage. Elle s'appelle Niagha, et serait apparemment la descendante directe de Griffon, mon ami qui m'est plusieurs fois venu en aide lors de la Grande Bataille contre la sorcière. Elle remarque bien mon émotion lorsque j'entends ça.
— Votre bravoure héroïque a été contée de générations en générations. J'ai directement su vous reconnaître en vous voyant, me confie-t-elle.
— ... C'était lui, le véritable héros, ce jour-là. Sans lui, je serais morte dès la première minute...
Inconsciemment, mes pensées dévient vers Renard, de qui j'étais très proche pendant mes anciennes années à Narnia. Je me demande comment a été sa fin de vie... s'il est mort doucement, dans son sommeil. Ça me soulagerait beaucoup de le savoir. Mais je suppose que personne ne pourrait me renseigner... à part peut-être Aslan. J'aimerais qu'il soit là, qu'il puisse nous aider et nous guider sur le droit chemin. Je pense que c'est son absence qui met tout le monde sur les nerfs.
En attendant le soir, la pyramide se transforme en véritable fourmilière. Je rassemble mes armes et me met à la recherche d'un pantalon pour remplacer ma robe beaucoup trop encombrante pour la mission qui m'est confiée. Edmund accepte de m'en prêter un, ainsi qu'une chemise que j'enfile sous la cape que Caspian m'a donné. Lorsque vient l'heure du départ, je rejoins Edmund à l'entrée de la pyramide. Nous sortons dans l'air frais de la nuit et nous nous approchons des deux griffons qui nous accompagneront.
— Comment vas-tu, Niagha ? je demande à ma nouvelle amie.
— Je suis un peu nerveuse, avoue-t-elle en piétinant le sol avec ses serres. Mais je suis heureuse de voler avec vous.
— Moi aussi, je réponds avec un sourire.
Edmund me fait un signe de la tête. Je comprends qu'il est l'heure de partir. Les autres sont déjà en chemin depuis une dizaine de minutes, mais nous serons plus rapides par la voie des airs.
Je parviens à me caler entre les ailes de Niagha et, après m'être assurée que mon poids n'est pas désagréable pour elle, nous décollons. Une fois sur le chemin, Edmund et moi nous échangeons quelques regards sans pouvoir nous adresser la parole. En effet, le vent qui siffle dans nos oreilles nous empêche d'entendre ce que l'autre dit. Je comprends cependant quand il me communique que nous sommes bientôt arrivés au château. En réalité, il me suffit de regarder droit devant moi pour l'apercevoir. Ensuite, Edmund me fait quelques gestes avec ses mains. Je fronce les sourcils, n'en comprenant pas le sens.
— Tu as compris ce qu'il dit, Niagha ? je demande à mon amie.
— Il y a une vigie dans la tour. Le Roi Edmund va aller se poser sur le toit et nous en débarrasser. Ils nous a demandé d'attendre en-dessous.
— Ah, euh... D'accord. Merci !
— À votre service, votre Majesté !
Sur ce, Niagha perd un peu d'altitude et va se cacher derrière la tour, attendant qu'Edmund n'agisse. Ce dernier est déposé en douceur sur le toit de la tour par sa monture, Sorion, le cousin de Niagha. Sorion attend son heure et, lorsqu'il juge le moment opportun, attrape le garde par les épaules. Edmund le remplace en sautant du toit. Il se penche par-dessus les remparts pour me faire signe de le rejoindre. Aussitôt, Niagha remonte et se positionne en-dessous d'un mâchicoulis. Je tends les bras vers Edmund qui m'aide à me hisser dans le balcon de la tour de garde. Je remercie Niagha à voix basse avant qu'elle ne s'éloigne dans la nuit embrumée. Edmund dégaine alors sa lampe torche et se place au niveau d'une cavité pour donner le signal aux autres.
— Tu crois qu'ils le verront ? je lui demande, légèrement inquiète.
— J'en suis sûr. J'ai changé les piles y'a pas très longtemps.
J'hoche la tête, rassurée. En effet, le second escadron de griffons portant Susan, Peter et Caspian arrive dans les secondes qui suivent. Au loin, à l'orée de la forêt, j'aperçois le reste de notre armée s'avancer vers le château. L'assaut a commencé.
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