iv. Trois ans écoulés

   Une fois prêts, nous rejoignons Edmund et Lucy. Caspian va prévenir Drinian, et nous amène dans la cabine de poupe, à l'arrière du bateau, où se déroulent généralement les réunions. Plusieurs rouleaux de parchemins sont entassés sur une petite table ronde, à côté d'une corbeille de fruits. Un meuble orné du sceau d'Aslan est installé dans un coin. On peut y apercevoir la trompe de Susan, sur l'une des étagères. Les murs sont décorés de peintures, représentant le jour de la chasse au cerf blanc, il y a environ 1300 ans. Je suis émue de nous revoir avec ces visages. C'est drôle de me dire que j'ai été plus vieille que Caspian, à une époque.

   — Regardez ! nous interpelle Lucy. L'arc et les flèches de Susan.

   En me tournant vers l'objet concerné, une bouffée de nostalgie me submerge. Je ne la verrais plus le tenir entre ses mains, et s'en servir comme une guerrière. Ce temps-là est bel et bien révolu.

   — Lucy ? l'appelle Caspian en ouvrant la porte d'un placard.

   Il en sort une petite boîte ouverte en grand. Sur un coussin bleu reposent les objets fétiches de mon amie.

   — Ma fiole de cordial ! Et ma dague... Je peux ?

   — Bien sûr. C'est à vous.

   Lucy s'empresse de les prendre et attache la ceinture rouge autour de sa taille.

   — L'épée de Peter est là ! remarque Edmund.

   — Oui. J'en ai pris grand soin, comme promis, répond Caspian en saisissant l'arme au pommeau rouge. Tenez. Prenez la si vous voulez.

   — Oh, non, refuse poliment Edmund. Peter vous l'avait donné.

   Caspian hoche la tête, le remerciant silencieusement.

   — J'ai tout de même conservé ça pour vous ! s'exclame-t-il avec un sourire complice.

   Il ouvre la porte d'un placard et revient vers Edmund, lui tendant... sa lampe de poche. Je ne peux pas m'empêcher de ricaner.

   — Oh, merci ! fait Edmund en la prenant.

   — Et moi, tout est parti aux ordures ? plaisanté-je.

   — Oh, non, me répond Caspian. J'ai tout gardé avec moi. Tes affaires sont dans ma cabine, ou plutôt la tienne désormais.

   J'hoche la tête et lui souris d'un air entendu.

   Soudain, Drinian passe la porte. Il nous salue d'un bref signe de tête. Caspian se dirige alors vers la table au milieu de la pièce et déroule une des cartes posées dessus.

   — Depuis que vous êtes partis, les Géants du Nord ont capitulé sans condition. Nous avons battu les armées calormènes dans le grand désert, nous explique-t-il en désignant les lieux sur la carte. La paix règne partout à Narnia.

   — La paix ?

   — Il n'aura fallu que trois ans, assure-t-il.

   Que trois ans, c'est vite dit.

   — Et avez-vous également trouvé une reine, durant ces trois ans ? demande malicieusement Lucy.

   Je m'étouffe avec ma propre salive et me mets à tousser comme si j'avais contracté une maladie subite. Caspian garde la tête baissée, les joues rouges écrevisse. Je n'ai pas de miroir à disposition, mais je ne dois pas être mieux, vu le regard interloqué d'Edmund posé sur moi.

   — J'ai dit quelque chose ? s'inquiète Lucy.

   — Oh, non, je la rassure entre deux quintes de toux.

   — Simplement, je... pensais que c'était évident... murmure Caspian.

   Les yeux de Lucy font plusieurs allers-retours entre lui et moi. Ses yeux s'écarquillent soudain.

   — Oh, ça alors ! s'écrie-t-elle en plaquant une main sur sa bouche. Je suis désolée ! Je n'avais pas remarqué que... Quelle sotte ! peste-t-elle.

   Mes joues se mettent à chauffer.

   — Ce n'est pas la peine de te blâmer, Lucy...

   — Oh, si ! Ma question était indiscrète de toute manière... Je suis désolée, Caspian, Aby, pardonnez-moi.

   — Ce n'est rien, répond doucement Caspian.

   Drinian se racle la gorge. Je suppose qu'il n'a pas vraiment envie d'être ici. En tout cas, pas avec nous.

   — Mais, si aucun danger ne menace Narnia et qu'il n'y a pas de batailles à mener... pourquoi on est là ? demande alors Edmund.

   — C'est une bonne question, soupire Caspian, ses joues ayant reprit une teinte normale. J'avoue que ça m'intrigue également...

   — Quelle est notre destination ? questionne alors mon ami.

   — Avant que je ne reprenne le trône à mon oncle, il avait tenté de faire assassiner les alliés de mon père, ses plus loyaux compagnons. Les sept seigneurs de Telmar.

   Il nous désigne quelques portraits accrochés sur un mur. Je m'avance à ses côtés pour les contempler.

   — Ils s'enfuirent vers les Îles Solitaires, dit-il en désignant un nouveau point sur la carte. Nul n'entendit plus parler d'eux.

   Edmund, les yeux rivés sur les sept portraits, se retourne brièvement vers nous.

   — Vous pensez qu'il leur est arrivé quelque chose ?

   — Si c'est le cas... Il est de mon devoir de le découvrir.

   C'est donc ça le but de son voyage, retrouver les sept seigneurs disparus... J'ai bien peur qu'on ne revienne les mains vides, cette histoire semble dater. Ces pauvres hommes ont eu le temps de mourir mille fois.

   — Qu'y-a-t-il a l'est des Îles Solitaires ? demande Lucy, curieuse.

   — Des eaux inexplorées, lui répond Drinian. Des créatures à peine imaginables. Qui sait, des serpents de mer ? Ou pire...

   J'échange un regard peu rassuré avec Lucy.

   — Des serpents de mer... ? pouffe Edmund.

   Drinian ne bouge pas d'un cil, les yeux fixés sur mon ami.

   — C'est bon, Capitaine... fait Caspian. Assez d'histoires à dormir debout.

   Il attrape une pomme dans la corbeille et croque dedans. Un éclair me traverse l'esprit.

   — Le blondinet ! Il doit mourir de faim !

   — Tiens, je l'avais presque oublié celui-là... grogne Edmund.

   — C'est qui, au juste ? je demande.

   — Eustache Clarence Scrubb, soupire-t-il. Notre très cher cousin.

   J'ouvre de grands yeux.

   — Cette furie, c'est Eustache ?!

   Lucy me le confirme d'une grimace.

   — Quand vous m'aviez dit qu'il était insupportable, je ne m'attendais pas à ça !

   — Et pourtant, c'est bien lui. Mais qu'est-ce que tu voulais faire, dis ?

   — J'ai demandé à Tavros de le porter jusque dans une chambre. Il doit être réveillé maintenant, alors je vais aller m'occuper de lui...

   Edmund et Lucy échangent un regard.

   — Fais comme tu veux... mais je te souhaite bon courage, me lance Edmund.

   Je saisis une pomme dans le panier à fruits.

   — Il va se tenir à carreaux. De toute façon, je ne vais pas lui laisser le choix.

   — À plus tard ! s'exclame Caspian tandis que je quitte la cabine.

   Je lui envoie un baiser avant de refermer la porte.

   Procédons par élimination. Lors de sa visite guidée, Caspian ne m'a montré qu'une autre chambre en plus de la sienne — évitant celle de Drinian. Il doit forcément être là. Je m'y dirige donc d'un pas tranquille, faisant rebondir la pomme dans ma main.

   — Toc toc toc ? Il y a quelqu'un ?

   J'ouvre la porte en grand, et aperçois  le fameux Eustache penché vers la fenêtre. Il sursaute en m'entendant entrer.

   — Bonjour. Je vois que tu es réveillé. Je me suis dit que tu aurais un petit creux.

   Je lui balance le fruit, qu'il attrape maladroitement entre ses mains.

   — Merci, grogne-t-il.

   Je vais m'asseoir sur le lit. Il préfère rester à l'opposé, les yeux rivés sur la fenêtre.

   — Tu sais que tu ne vas pas pouvoir rester ici éternellement ?

   — Et pourquoi pas ? marmonne-t-il.

   — Parce que tu vas finir par avoir le mal de mer, et crois-moi, c'est pas très bien vu.

   Il semble y réfléchir. Je me lève et me dirige vers lui, tendant une main.

   — Je m'appelle Aby.

   Il considère ma main sans la serrer.

   — C'est toi l'amie tarée de mes cousins tarés ?

   — Je vois que tu as entendu parler de moi, c'est bien. Oui, en effet. Si tu as trop peur de t'approcher des autres membres de l'équipage, tu pourras venir t'adresser à moi.

   Il renifle dédaigneusement.

   — Écoute, soupiré-je. Je sais que tu as envie d'être partout, sauf ici. Mais je ne suis pas là pour te pourrir la vie ! Au contraire. Je ne suis là que pour rendre ton voyage plus... agréable. Alors je suis sérieuse quand je te dis que tu peux venir me voir si jamais tu as un souci. De toute façon, ce n'est pas comme si tu avais le choix.

   Il ne répond rien, le regard baissé vers ses pieds.

   — Je vais remonter, maintenant. Si tu veux que t'es vêtements sèchent plus vite, tu as tout intérêt à venir avec moi.

   — Je n'ai pas besoin de vous, fait-il entre ses dents.

   — Alors déjà, tu peux me tutoyer, je ne suis que... l'amie tarée de tes cousins. Ensuite, tu as plutôt intérêt à mettre de côté ton entêtement, si tu ne veux pas mourir de faim.

   Je tourne les talons et me dirige vers la porte.

   — Je suis très sérieuse, Eustache. Tu n'es pas tout seul, ici.

blblbl j'adore ce chapitre 💙

j'espère qu'il vous a plu aussi :)

merci beaucoup de votre soutien, je vous embrasse 💙

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