iv. Dîner avec Mr Tumnus

   — Aby !

   Je me réveille en sursaut et regarde autour de moi, effrayée. Lucy est là, en robe de chambre, à côté de mon lit.

   — Lucy ! je chuchote. Qu'est-ce que tu fais là ?

   — Je venais te chercher pour aller à Narnia... Tu m'as dit que tu voulais voir.

   Je fronce les sourcils.

   — Lucy... Je... Je n'aurais pas pensé qu'on irait là-bas en pleine nuit...

   — Mais viens avec moi, j'aimerais te présenter Monsieur Tumnus !

   Ses yeux semblent m'implorer.

   Je n'hésite pas longtemps. Peu importe ce que je verrais ou ne verrais pas, je serais monstrueuse de ne pas l'accompagner.

   Je me redresse alors et enfile mes pantoufles, ainsi que ma propre robe de chambre.

   — Tu n'as pas quelque chose de plus... chaud ? me demande Lucy, l'air inquiet, les yeux rivés sur mes pieds.

   — Je ne sais pas... Pourquoi ?

   — C'est l'hiver en ce moment à Narnia et... Je ne voudrais pas que tu attrapes froid.

   Je reste interdite un moment.

   — Oh, je vois. Oui, je dois avoir quelque chose par là...

   J'ouvre mon armoire et cherche dans le fond. J'en extirpe une paire de bottines en cuir à lacets, que j'enfile par-dessus mes épaisses chaussettes en laine pour les nuits hivernales.

   Lucy me jette un regard interloqué.

   — J'ai toujours été un peu frileuse, je me justifie avec un semblant de sourire.

   Elle hoche la tête.

   — Viens, chuchote-t-elle. Il vaut mieux que l'on se dépêche.

   Elle m'attrape la main, une bougie allumée dans l'autre, et m'entraîne dans le couloir. Nous marchons sur la pointe des pieds jusqu'à la petite pièce qui contient la fameuse armoire magique.

   Lucy jette un dernier regard derrière son épaule et ouvre lentement l'un des battants. Un grincement retentit. Je grimace, priant silencieusement pour que personne ne se réveille.

   Lucy entre alors dans dans l'armoire. Je la suis sans tarder. Aussitôt, l'air se réchauffe. Je pose mes mains un peu aléatoirement autour de moi. J'ai l'impression de caresser un chat géant, tant la matière est douce.

   — Avance derrière moi, Aby ! me lance la jeune Pevensie.

   Je m'exécute maladroitement, me marchant moi-même sur les pieds. Je devine que ce qui obstrue le passage sont en réalité des manteaux de fourrure pendus sur des cintres.

   — Lucy ? j'appelle, ne la voyant plus devant moi.

   — Je suis là ! me répond sa voix fluette.

   Je tâte un peu devant moi. Je sens bientôt ses doigts dans les miens. Elle m'attire vers elle. Malheureusement, je mélange encore mes pieds et tombe en avant pour atterrir... le visage dans la neige. J'entends un éclat de rire de la part de Lucy.

   — C'est... de la neige ? De la vraie neige ?

   Je me relève précipitamment et rejoins Lucy. Quelques petits flocons tombent du ciel. Ici, il fait encore jour.

   — Mais quel est cet endroit... je murmure du bout des lèvres.

   — C'est Narnia. Tu vois, c'est ici que j'ai rencontré Mr Tumnus la première fois, m'explique Lucy en me désignant de son index un réverbère recouvert de givre planté au milieu du décor.

   Je m'avance vers celui-ci, fascinée.

   — C'est magique... Tu veux dire que nous sommes à l'intérieur de l'armoire ??

   — En réalité, je pense que nous sommes dans un monde parallèle. L'armoire est juste le portail qui nous y conduit.

   — Tu as lu trop d'histoires fantastiques, je lance sur le ton de la plaisanterie.

   — Et c'est toi qui me dit ça ? répond-t-elle avec un sourire en coin.

   Nous nous toisons du regard avant d'éclater de rire.

   — Alors, je dis tout à coup, tu me conduis à la maison de ton ami ? je demande en tendant mon bras, un grand sourire aux lèvres.

   — Avec grand plaisir, ma chère ! acquiesce Lucy en passant son bras sous le mien.

   Elle m'entraîne dans un chemin descendant, sur la gauche de la sortie de l'armoire. Nous marchons à peine quelques minutes avant de nous retrouver devant une porte en bois taillée dans la roche d'une caverne. Lucy s'avance vers celle-ci et toque trois coups.

   — Qui est-ce ? répond une voix de l'intérieur.

   — Lucy Pevensie ! claironne la fillette. Je suis revenue vous voir, Mr Tumnus !

   Nous entendons quelques pas derrière la porte avant que celle-ci ne s'ouvre. La tête du fameux Mr Tumnus n'apparaît que de moitié. Méfiant, il préfère vérifier avant de nous ouvrir. Lorsqu'il voit Lucy, il ouvre la porte assez grand pour nous faire rentrer. Une fois à l'intérieur, il referme rapidement la porte.

   — Quelle joie de vous revoir, Lucy Pevensie ! dit-il, ému.

   Je profite de leur retrouvailles pour détailler le faune. Il est exactement comme décrit dans les romans fantastiques que je dévore. Il possède des pattes de bouc au lieu de jambes, deux grandes oreilles de chaque côté de sa tête ainsi que deux petites cornes sur le dessus de son crâne. Ses cheveux sont bouclés et une petite barbe taillée en pointe couvre son menton. Son visage est doux, avenant. Lorsque ses yeux se posent sur moi, Lucy s'empresse de me présenter :

   — Voici mon amie, Aby Berkeley.

   — Enchantée, Mr Tumnus, dis-je avec une petite révérence.

   — De même, Aby Berkeley, me sourit-il. Je suis ravi de vous avoir chez moi ! D'autant plus que la Sorcière Blanche n'a pas eu vent de votre précédente visite, ma chère amie.

   — C'est vrai ? Elle ne vous a pas puni ? demande Lucy.

   — Non ! répond le faune avec un grand sourire.

   — Tant mieux ! Je ne supporterais pas qu'il vous arrive quelque chose de mal...

   — Vous n'avez pas à vous inquiéter. J'allais passer à table. Puisque vous êtes là, voudriez-vous vous joindre à moi ?

   — Avec grand plaisir ! fit Lucy. Qu'en penses-tu, Aby ?

   — Ce serait volontiers, Monsieur Tumnus, je réponds.

   — Qu'il en soit ainsi ! Installez-vous donc autour de la table, mes amies, j'apporte le dîner dans un instant !

    Nous nous exécutons et prenons place à sa table ronde placée au centre de la pièce. Un feu brûle dans la cheminée, réchauffant l'atmosphère sombre. De nombreux portraits sont accrochés au mur. Une petite bibliothèque retient mon attention. Des dizaines de livres y sont entreposés.

   Mr Tumnus revient de la cuisine avec un plat en céramique rempli d'un écrasé de pommes de terre fumant, accompagné de ce qui semble être du poisson grillé.

   — Ce n'est pas grand chose... s'excuse-t-il.

   — Ça a l'air délicieux ! le rassure Lucy.

   — Dites-moi, Mr Tumnus... je commence soudain alors qu'il remplit nos assiettes. Les livres de cette bibliothèque, les avez-vous tous lu ?

   — Oui ! affirme-t-il en prenant place avec nous. J'en suis très fier ! Ils appartenaient à mon père, qui lui même les a reçu de son père. Peut-être souhaiteriez-vous les voir ?

   — J'en serais ravie.

   — Je me ferais un plaisir de vous les montrer. Faisons cela après manger, voulez-vous ?

   — Merci beaucoup, Mr Tumnus.

   Nous commençons alors à manger, racontant parfois quelques anecdotes sur nos vies respectives. Nous apprenons alors qu'autrefois, Narnia était un pays heureux et en paix. D'après ce que raconte Mr Tumnus, cela fait près de cent ans que Narnia est injustement gouverné par la Sorcière Blanche, qui a jeté un sort et plongé le pays dans un hiver éternel, sans jamais de fêtes de Noël, sans rires, sans bonheur. Cette histoire m'a fait frissonner. Dire qu'il avait failli livrer Lucy à cette horrible sorcière me fait froid dans le dos.

   Heureusement pour nous, le repas s'est déroulé sans accroc. Après, comme promis, Mr Tumnus m'a montré plusieurs ouvrages de sa bibliothèque.

   — Ici vous avez Hommes, moines et garde-chasse, La Vie et les Lettres de Silène...

   — Qui est-il ?

   — Il est le père adoptif et précepteur de Bacchus. C'est un faune, comme moi.

   J'hoche la tête.

   — Ici, vous avez aussi Les Nymphes et leur manières, continue Mr Tumnus, et L'homme est-il un mythe ? qui est sans doute mon livre préféré de tous.

   — Eh bien, vous avez une belle bibliothèque, Mr Tumnus ! Chacun de ces livres a l'air très intéressant.

   Remarquant sûrement mon grand intérêt pour ses livres, Mr Tumnus en saisit un dont le titre indique L'Histoire des Narniens et me le tend.

   — Tenez. Je vous le donne, si vous le souhaitez.

   — Oh, je ne peux accepter ! je m'empresse de m'exclamer.

   — Prenez, je vous le dis ! Cela me fait plaisir.

   — ... Merci beaucoup, je dis finalement du bout des lèvres. C'est très gentil de votre part.

   — C'est tout à fait naturel. Je crois que c'est ce que l'on fait, entre amis.

   — Oui. Oui, c'est exact.

   Je suis véritablement touchée par son geste. Je garde le livre précieusement contre ma poitrine pendant tout le chemin du retour.

   — Alors, n'avais-je pas raison en disant que Mr Tumnus était très gentil ? me demande Lucy.

   — Si, tu avais parfaitement raison. C'est un très gentil faune.

   Nous arrivons au réverbère. Soudain, Lucy se met à courir.

   — Edmund ! appelle-t-elle.

   Interloquée, j'accélère le pas. Je vois alors avec grande surprise qu'Edmund se tient près du réverbère, Lucy entourant sa taille de ses bras fins. Je les rejoins.

   — Oh, Edmund, tu es entré aussi, c'est merveilleux ! s'extasie Lucy.

   — Où étiez-vous passées ? grogne-t-il en s'essuyant discrètement le coin de la bouche. Je vous ai cherché partout !

   — Nous étions chez Mr Tumnus, le faune. Je lui ai présenté Aby ! Elle l'apprécie beaucoup, elle aussi. Il va très bien, la Sorcière Blanche ne l'a pas encore puni de m'avoir laissé partir. Cela signifie qu'elle n'est sûrement pas au courant ! Peut-être que tout s'arrangera bientôt.

   — Qui est la Sorcière Blanche ? demande Edmund, l'air curieux.

   — C'est vraiment une horrible personne ! explique Lucy. Elle se proclame Reine de Narnia, mais en fait elle est très loin de l'être. Absolument tous les faunes, dryades, nymphes, naïades, nains et animaux — du moins ceux qui sont gentils — la haïssent ! Elle peut changer les gens en pierre et faire toutes sortes d'autres choses horribles. Elle a jeté un sort, et maintenant c'est toujours l'hiver à Narnia. Toujours l'hiver, mais jamais Noël !

   Edmund considère Lucy du regard un instant, pâlissant à vue d'œil.

   — Est-ce que ça va ? je demande.

   — Oui, ça va, c'est juste... qu'il fait froid ici ! Comment est-ce que l'on rentre ?

   — Viens, suis-nous, dit Lucy en le prenant par la main.

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