ii. Retour.

   — J'espère qu'elles ne t'ont pas trop épuisé, me lance Miss Griffiths en me rejoignant dans le salon après être allée vérifier que le couvre-feu avait bien été respecté.

   — Non, je souris en refermant mon livre. Ça m'a beaucoup ému.

   La directrice de l'orphelinat vient s'asseoir près de moi.

   — Tu sais, commence-t-elle, l'année prochaine tu pourras partir et t'envoler de tes propres ailes.

   — Je ne sais pas si je suis réellement prête à ça, je confie. Si ça ne tenait qu'à moi, je resterais ici le restant de ma vie !

   — Et je te garderais près de moi, renchérit Miss Griffiths en souriant malicieusement.

   Je ris doucement.

   — Mais je pense que d'autres personnes souhaitent t'avoir près d'elles.

   — De qui parlez-vous ? je demande, interloquée.

   — Ce garçon à qui tu envoies des lettres... Edmund, c'est ça ? Et ses frères et sœurs... Ils ont l'air de beaucoup tenir à toi.

   Mon cœur s'emballe à l'entente de leurs noms.

   — Oui, sûrement... On a vécu beaucoup de choses ensemble.

   — D'ailleurs, je souhaitais les garder comme dernière surprise, mais tu as reçu des lettres de leur part.

   — C'est vrai ? Où sont-elles ??

   — Je les ai gardé dans ma chambre. Attends-moi, je reviens.

   Miss Griffiths quitte la pièce. J'entends ses pas rapides traverser le couloir. Elle revient en moins de deux minutes, montre en main.

   — Tiens, me dit-elle en tendant un paquet de cinq lettres. La dernière est de ton oncle.

   Je saisis les lettres, hésitant à les ouvrir.

   — Je te laisse un peu d'intimité, me chuchote Miss Griffiths avec un clin d'œil, avant de sortir du salon.

   Je souris et pose les lettres sur une petite table devant moi. Je prends la première de la pile, celle de mon oncle.

   Ma chère Abigail,

   Je te souhaite un très bon anniversaire. Tu as également toute l'affection de Madame Macready, Ivy, Margaret et Betty. Je suis ému de voir à quel point tu grandis vite. Il me semble que c'était hier que tu soufflais tes bougies en face de moi !

   J'espère que tout se passe bien, à l'orphelinat comme à l'école. Je reçois régulièrement de tes nouvelles via les lettres de Georgia. Elle me dit que tu ramènes toujours d'excellentes notes. Je suis très fier de toi.

   Peut-être que cet été, tu pourrais revenir quelque jours au manoir ? Je te promets que j'aurais plus de temps à te consacrer.

   Je m'excuse si ma lettre n'est pas assez longue, je ne sais pas vraiment ce qu'il faut écrire en général.

   Prends soin de toi, ma grande Aby. J'espère te revoir bientôt. Je t'embrasse.

Ton grand-oncle, Digory Kirke.

   Lire ces mots me mettent du baume au cœur. Il est vrai que depuis le début de l'année, je n'ai que très peu communiqué avec lui. La plupart du temps, Miss Griffiths s'en charge. Savoir qu'elle prend le temps de le faire, en plus pour écrire des éloges... Ça me touche beaucoup.

   Je saisis la deuxième lettre.

   Chère Aby,

   J'espère que tout va bien pour toi. Ici, c'est compliqué de faire comme s'il ne s'était rien passé. La réadaptation au monde normal est très dure. J'espère que tu arrives à t'y faire, toi.

   Mais je ne vais pas m'étaler. Le but premier de cette lettre est de te souhaiter un très bon anniversaire, en espérant que tu la recevras à temps.

   J'aimerais que l'on puisse tous être réunis. J'y pense souvent, mais à chaque fois un problème de dernière minute vient contrecarrer mon plan et je dois reporter l'organisation du voyage.

   J'espère sincèrement que cela se fera bientôt.

   En attendant, donne nous de tes nouvelles le plus souvent possible.

   Avec toute mon affection,

Peter.

   Je replie la feuille avec un grand sourire. Nous n'échangeons généralement pas de lettres avec Peter, alors cette petite attention m'émeut. Cela prouve que notre amitié valait tout de même quelque chose.

   Je prends la troisième lettre de la pile et l'ouvre en déchirant le dessus de l'enveloppe.

   Ma chère Aby,

   Je te souhaite de passer la plus belle journée d'anniversaire de ta vie. Quinze ans, ce n'est pas rien ! Edmund devra encore attendre quelques mois pour profiter de ce statut-là. Cela le rend grognon — encore plus que d'habitude.

   J'espère que tes études se passent bien, que les cours ne t'ennuient pas trop, et que tu te débrouilles dans chaque matière. Mais je ne suis pas trop inquiète sur cette partie-là.

   J'espère surtout que tu es épanouie et heureuse au foyer. Dans tes lettres, tu nous dit que tout se passe à merveille et que les filles sont les créatures les plus adorables que tu connaisses. Cela me rend heureuse. Car tu mérites d'être entourée de bonnes personnes.

   J'attends ta prochaine lettre avec impatience.

   Je t'embrasse,

Susan.

   Voir Susan être aussi sincère avec moi n'arrive que dans ses lettres. Elle est un peu comme moi, elle a du mal à exprimer ses sentiments. Elle réussit mieux sur le papier. C'est pour ça que nous nous écrivons beaucoup. Dans les lettres, je n'ai jamais hésité à confier quoi que ce soit. Susan a toujours été de bon conseil. Elle se préoccupe toujours de mon état moral comme une grande sœur le ferait. Cette relation m'aide à avancer.

   La troisième lettre est de Lucy. Je reconnais son écriture ronde et maladroite.

   Ma très chère Aby,

   Pour commencer, joyeux anniversaire ! J'espère que tu vas bien. Pour ma part, ça va, même si j'ai hâte que ce soit les grandes vacances. Peut-être serait-ce l'occasion pour se revoir ? J'aimerais beaucoup que l'on soit tous les cinq réunis, comme avant. Ça nous redonnerait peut-être le goût de l'aventure.

   Mais malheureusement, nous sommes coincés derrière nos pupitres en bois. Ça me déprime...

    J'espère que les filles de l'orphelinat sont bien diverties par tes contes de Narnia. Je suis sûre qu'elles t'aiment autant que moi. Après tout, qui sur cette planète pourrait ne pas t'aimer, Aby ? Je me le demande.

   En attendant que l'on puisse à nouveau s'enlacer, je t'envoie plein de baisers qui t'aideront, je l'espère, à tenir jusqu'aux vacances.

   Affectueusement,

Lucy.

   Je souris. Cette jeune fille me manque énormément. Elle doit avoir énormément grandi...

   En reposant la lettre de mon amie, je regarde la dernière en biais. Je reconnais la petite écriture en pattes de mouche d'Edmund. Je la saisis et l'ouvre, lentement.

   Aby,

   Je ne sais pas vraiment comment commencer cette lettre. Dois-je te demander de tes nouvelles, ou bien te souhaiter un bon anniversaire ?

   J'imagine que cela n'a pas d'importance. Alors je vais d'abord te souhaiter un très bon anniversaire. Quinze ans, enfin ! C'est très heureux pour toi, mais personnellement cela m'embête. Maintenant que tu es plus vieille que moi, je ne vais plus pouvoir me moquer de toi. (J'imagine que cela t'arrange)

   Sinon, comment vas-tu ? J'espère que Miss Aby la Fidèle se porte comme un charme. J'ai hâte de savoir ça dans ta réponse. En passant, je tenais à te dire que j'attends chacune de tes lettres avec impatience. Je ne sais pas comment tu peux interpréter ça, je... tenais juste à te le dire.

   J'espère sincèrement te revoir bientôt. Tu nous manques beaucoup, à tous les quatre. Surtout à Lucy. Elle nous parle sans arrêt de toi. Je dois avouer que je ne suis pas mieux qu'elle, de ce côté là.

   En attendant, je pense à toi. Souvent.

   Encore joyeux anniversaire.

Edmund.

   Un sourire éclaire mon visage. Je me mords la lèvre inférieure. Ils me manquent tous énormément, mais il est vrai qu'Edmund et moi échangeons beaucoup de lettres. Nous nous sommes considérablement rapprochés, ces onze derniers mois. Et le besoin de le revoir se fait de plus en plus pressant.

   Pour ne pas réveiller les filles en allant me coucher, je m'éclaire à la bougie jusqu'à ma chambre. Je me vêts de ma chemise de nuit bleue ciel à manches longues, la nuit est fraîche. Je relis la lettre d'Edmund encore et encore, pour m'apaiser avant de dormir.

   Je plonge dans le sommeil avec un léger sourire sur les lèvres.

   Mais mon repos n'est pas si paisible. Je fais un drôle de rêve, au milieu de la nuit. Un homme, chevauchant un grand cheval noir et poursuivi par une dizaine de soldats. La course-poursuite fait monter l'adrénaline en moi et je me réveille en sursaut alors que le cavalier tombe de cheval. Que lui est-il arrivé ?? Je tente de me calmer, reprenant ma respiration.

   Soudain un courant d'air traverse ma chambre. Je frissonne et me lève pour aller fermer la fenêtre. C'est alors que j'aperçois une ombre familière marcher dans le jardin. Je plisse les yeux et lâche un hoquet de surprise.

   Il n'y a plus de doute possible, c'est bien lui. Mais que fait-il à Londres... ?

   Intriguée et profondément choquée, j'attrape un châle épais qui me tient chaud les nuits d'hiver, et mes bottines par-dessus de hautes chaussettes en laine. Je parcoure les couloirs et me retrouve devant la porte qui donne sur le jardin. Je tourne doucement la poignée qui grince un peu. Arrivée dans le jardin, je regarde tout autour de moi. Il n'est tout de même pas parti ?...

   — Je suis là, Aby, m'interpelle sa voix feutrée sous un arbre, dans l'obscurité.

   Je sursaute légèrement.

   — Que faites-vous ici, Aslan ?

   — Je suis venue te chercher. Narnia a de nouveau besoin de ses Rois et Reines.

   Sa phrase a l'effet d'un électrochoc. C'est comme si mon cœur s'était arrêté. J'hoche la tête.

   — Je vais t'y emmener moi-même, continue Aslan. Es-tu prête ?

   — Oui, mais... Et Lucy ? Et Peter, et Susan ? Et... Edmund ?

   — Ils n'auront pas besoin de moi pour revenir.

   — Et... Pourquoi cette fois-ci, vous vous chargez vous-même de m'emmener ? Pourquoi je n'ai pas à... rentrer dans une armoire, ou je ne sais quoi ?

   — Les choses ne se déroulent jamais deux fois de la même façon, Aby, me répond Aslan avec un sourire en coin. Il se trouve que j'ai besoin que tu me rendes un service...

   J'acquiesce.

   — Ferme les yeux.

   Je m'exécute. Soudain, je suis prise de vertiges violents qui s'arrêtent aussitôt. Je me sens planer au-dessus du sol. Mes paupières sont tellement lourdes que je ne parviens pas à rouvrir les yeux.

   — Tu vois cette hutte, là-bas ? me demande le Grand Lion, dont la voix me parvient de partout autour de moi.

   Sans ouvrir les yeux, je cherche autour de moi. Je la vois alors, à quelques mètres. J'hoche la tête.

   — C'est ici que se cachent les nains Trompillon et Nikabrik, ainsi que le blaireau Chasseur-de-Truffes, m'explique Aslan. Tu vas aller les voir et les prévenir du changement imminent de la situation. Dis-leur que je suis celui qui t'envoie. Ils te reconnaîtront immédiatement avec ce sceau. Bonne chance, Aby.

   Je porte la main à sa poitrine et sent mon épaisse chaîne autour de mon cou. Je n'ai jamais quitté le collier que m'avait offert le Père Noël, l'année dernière. Je rouvre les yeux pour le regarder. Aussitôt, mes pieds chaussés rencontrent le sol. Aslan a disparu. Je regarde autour de moi. Je ne suis plus dans le jardin du foyer, mais dans une forêt sombre. J'ai l'étrange impression que personne n'a foulé ce sol depuis des siècles. Mais une petite voix dans un coin de ma tête m'affirme le contraire. Pour preuve, j'aperçois une petite hutte, semblable à celle qu'Aslan m'a montré. Je me dirige vers celle-ci mais je suis interrompue par une cavalcade de sabots. Un grand cheval noir arrive et se cabre devant moi. Je recule et vais me protéger derrière un arbre. Le cavalier, dont je n'ai pas vu le visage, tombe au sol en poussant un gémissement de douleur. Le cheval repart aussitôt. Alors que je m'apprête à sortir de ma cachette pour aller m'assurer que le cavalier va bien, deux nains sortent de la cabane et s'approchent dangereusement. L'un porte une épée et l'autre un gourdin. Je me stoppe en plein mouvement.

   Soudain, d'autres bruits de cavalcade nous parviennent. D'autres soldats s'apprêtent à arriver près de nous. L'un des nains, celui avec l'épée, glisse quelque chose à son camarade et s'élance vers les soldats, arme en avant. L'autre s'approche de l'homme à terre en levant son gourdin. Le cavalier dégaine une trompe et souffle dedans. L'écho, qui m'est familier, résonne pendant plusieurs secondes. Soudain, le nain assomme le cavalier.

   — Non ! je m'écrie en accourant.

    Le nain se tourne vers moi, les yeux plissés. Il me menace de son gourdin.

   — Ah comme ça, il y en a d'autres !?

   — Qu'est-ce qui vous prend ? Je n'ai rien à voir avec cet homme, je suis-

   — Tais-toi, si tu ne veux pas subir le même sort ! grogne le nain.

   J'écarquille les yeux, effrayée.

   — Nikabrik ! appelle quelqu'un de l'entrée de la hutte. Laisse-la.

   Le blaireau, car c'en est un, s'approche de nous.

   — Qui êtes vous ? me demande-t-il d'un air méfiant.

   — Je suis Abigail. Aslan m'a ramenée pour porter secours à Narnia, dis-je en retirant son collier de mon cou et en le tendant devant moi.

   Le blaireau semble pâlir. Il se baisse pour effectuer une révérence.

   — Votre Altesse, pardonnez-moi, dit-il immédiatement. Je vous ai prise pour une de ses complices.

   Le nain, le dénommé Nikabrik, me regarde sans comprendre.

   — Relève-toi, mon ami, je souris au blaireau. Qui est-il ?

   — C'est un Telmarin, m'explique-t-il. Ils cherchent notre perte. Nous devrions le tuer sur le champ...

   Je pose mes yeux sur le soldat à terre. Mon regard dévie sur la trompe dans sa main.

   — Non... Ne le tuez pas, dis-je.

   — Mais...

   — Faites-moi confiance.

n'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre 💛

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