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L'entrée dans la salle des sacrifices lui fit l'effet d'un seau d'eau froide. Le brouillard qui obscurcissait son esprit se dissipa, son regard s'éclaircit. Il était là pour prêter serment devant le dieu et les guerriers qui attendaient en cercle torches en main superbement vêtus pour la bataille.
La salle était de pierre brute, le sol dallé de grès rouge était en pente légère. Quatre colonnes dorées décorées de textes sacré soutenait le toit. Au centre, un menhir se dressait gravé de spirales et à côté un brasero rougeoyant qu'un soldat entretenait un tisonnier enfoui dans les braises.
Le taureau brun était couché sur le côté les pattes liées. Il meuglait en donnant des coups de tête. Il était retenu tant bien que mal par quatre hommes qui évitaient surtout de se faire empaler par les longues cornes.
-Détachez-le, ordonna Kian d'une voix claire en s'avançant près de l'animal.
Baelag souriant, hocha la tête en direction des guerriers en essuyant du dos de sa main le sang qui coulait au coin de sa bouche.
Les hommes tranchérent les liens qui maintenait les pattes puis enlevèrent le licol. Le taureau se releva brusquement en soufflant les guerriers s'éloignèrent prudemment à reculons. Le taureau tête baissée mugissait en grattant le sol du sabot.
Kian entendit Peadar marmonner. Il se tourna face à lui avec un sourire malicieux en lui adressant un clin d'œil. Peadar était assis sur un tabouret sa jambe tendue devant lui ses yeux vieux bois de chêne luisaient à la lueur de la torche qu'il tenait. Le vieux guerrier haussa les épaules en esquissant un sourire puis salua. À côté se tenait Owain qui secouait la tête d'un air désespéré. Kian éclata d'un rire insouciant sous le regard inquiet de Finn et du reste des guerriers.
Le taureau meugla. Kian chercha calmement son regard puis déposa un genou à terre devant lui en le saluant de deux doigts sur le front sans le quitter des yeux. L'animal souffla balançant sa lourde de tête de bas en haut puis marcha tranquillement vers lui. Un soupir collectif résonna dans la salle. Kian se releva lentement son esprit entièrement centré sur la bête puis frotta affectueusement la petite étoile blanche sur le front du taureau qui lui arrivait à l'épaule. Le poil était rêche sous sa main, chaud. Ça sentait le foin et l'étable, il sentit son âme se lier à la sienne. Un sentiment puissant.
Il se retourna face à Cynfarch, Finn et les trois autres officiers dans leur tenue noire une cape grise sur les épaules maintenue par la broche du taureau aligné à l'intérieur du cercle. Le taureau s'avança ses sabots claquant sur le sol de pierre pour se poster à côté de lui. Les yeux du commandant pétillaient, son ami esquissa un sourire. Les trois officiers semblaient amusé.
Kian posa un genou à terre puis les salua. Ils répondirent dans un ensemble parfait en touchant leur front du dos de la main puis en traçant un cercle devant leur visage suivant la course du soleil. Kian jeta un regard surpris à Finn qui avait les épaules secouée d'un petit rire.
-Kian, dit Cynfarch en s'avançant d'un pas sa voix grave résonnant dans toute la pièce. Tu es ici aujourd'hui pour prêter serment, devant le dieu et les hommes que tu conduira. Sache aussi que tes demandes ont été acceptées par tous. (Les officiers hochèrent la tête). Souhaites-tu toujours aller jusqu'au bout?
-Oui, répondit le guerrier blond à voix basse dans le silence qui s'était installé.
Cynfarch recula puis fit signe à Baelag.
Le ritualiste suivit de deux guerrières qui portaient une large cuvette en or ornementé de scènes sacrificielles se placèrent devant Kian et déposèrent le récipient qui tinta sur le sol. Aalana et Dilwen s'écartèrent les yeux étincelants puis se mirent de chaque côté du taureau. Le guerrier atlante mis un genou à terre pour recevoir le poignard rituel des mains de Baelag. Il se releva.
-Je jure par Camul de remplir au mieux la fonction que l'on m'a attribuée en ce jour et pour les temps à venir, commença Kian d'une voix claire. Je suivrais ses commandements et j'accomplirai sa volonté en tout temps et en tout lieux.
Il sentait ses paroles se graver dans son cœur à mesure qu'il les prononçait.
-Je sacrifirai pour lui et tuerai l'ennemi qu'il me désignera. Je ne me déroberai pas devant la tâche par peur ou par lâcheté.
Il sourit en voyant Iain repousser discrètement la tête de Pétoche au fond de sa poche. Kian le salua en premier. Le garçon rayonnant le salua à son tour sa poche s'agitant furieusement dans tout les sens. Le guerrier blond fit le tour des hommes et des femmes en s'adressant personnellement à eux. Les soldats répondaient fiers de se faire ainsi distinguer.
-Je prendrais soins des vies qui m'ont été confiées comme si c'était la mienne, promit le guerrier blond. Je me met de ce fait au service de chaque individu vivant sur le continent. Je protégerai l'innocent et apporterai mon aide aux plus faibles.
À quelques détails près, c'était le serment que chaque soldat prononçait quand il s'engageait. Les guerriers munis de torches posèrent un genou à terre dans un discret cliquetis d'armes.
Kian tendit une main tremblante face au taureau qui comprenant que le moment était venu se coucha. Le cœur du guerrier se serra. Les doux yeux noir de l'animal le regardait avec confiance. Sentant qu'il lui devait quelque chose en retour, Kian s'accroupissant devant le taureau, referma sa main gauche enflée sur la lame du poignard puis s'entailla profondément la paume. Le premier sang avait été versé.
Le taureau enroula sa langue gluante autour de la bessure son muffle barbouillé de sang. Le silence était total, si ce n'est le crépitement des torches. Il caressa la joue de l'animal puis passa son bras autour de son encolure. Le taureau frotta sa tête contre son torse. Kian murmura à son oreille, le remerciant du don qu'il faisait de sa vie.
La lame aiguisée glissa sur la jugulaire. Le sang écarlate jaillit et alla s'écraser dans la bassine en l'éclaboussant de gouttelettes fraîches. Il attendit avec lui qu'il rende son dernier souffle puis reposa doucement sa tête sur le sol.
Un doux chant s'éleva, une voix de femme envoûtante, Kian reconnut celle de Nesta qui aimait chanter autant que combattre. Mabon unit sa voix à la sienne puis d'autres s'y ajoutèrent rendant hommage à l'animal. Le ritualiste ouvrit le poitrail du taureau puis en retira le cœur chaud, tandis qu'Aalana et Dilwen transportaient la cuvette pleine à l'écart. Dix guerriers portèrent ensuite la carcasse dans la cour intérieure où le taureau serait préparé pour le festin qui suivrait.
Le chant s'interrompit quand Baelag leva haut l'organe dans un plat doré.
-Kian voici la vie qui t'a été offerte ce soir et à travers toi à Camul, proclama le ritualiste de sa voix chaude, prends-le et mange la part qui te revient.
Kian s'agenouilla devant Baelag puis prit le cœur charnu d'une couleur rouge-brun. Il en mangea une petite bouchée en en savourant la saveur sauvage puis le rendit.
-Bois maintenant la coupe, ordonna-t-il, source de toute vie.
Il lui donna un petit calice de cristal pleine du liquide écarlate. Kian but la coupe de sang frais se délectant de son goût salé et métallique. Une coupe similaire passait de guerriers en guerriers ainsi que le cœur pour que chacun puisse partager ce moment.
-Lève-toi à présent, ordonna le ritualiste, il est temps pour toi de sceller ton serment dans la chair et de rencontrer ton dieu.
Le guerrier blond obéit. C'était la dernière partie de la cérémonie. Finn les rejoignit le visage grave. Kian lui avait demandé cette faveur qu'il avait acceptée. Baelag lui lia les mains dans le dos avec une lanière de cuir de taureau. Les chants avaient repris accompagnant Kian pour le dernier rite.
-Tu te sens bien? s'inquiéta Finn à voix basse derrière lui en le conduisant au menhir.
-Ça tourne, avoua Kian en essuyant son visage luisant de sueur contre son épaule.
-Ce sera bientôt terminé, assura le ritualiste qui allait devant eux, ça ne prendra que quelques minutes.
Owain lança un nouveau chant de sa voix rauque.
-Pourquoi vous avez une queue? demanda Kian lentement qui regardait Baelag intrigué. (Il s'adressa à son ami qui se retenait de rire). Tu as vu? Il a la même que celle de Pétoche mais en moins jolie.
La queue en panache avait une couleur orange crasseux où il manquait des touffes de poils. Elle frémit d'indignation en frétillant sous son nez. Pour échapper à la puanteur sèche qu'elle dégageait Kian détourna la tête.
Il ouvrit des yeux ronds.
-Depuis quand tu as une paire de sein plus gros que ceux de Seren? Tu les cachais où?
Ce fut au tour du ritualiste de rire. Finn lui était écarlate. Kian regarda plus attentivement. La tunique verte du cavalier se déchirait sous la pression des seins qui grossissaient. Kian du se baisser vivement pour éviter les boutons de la chemise blanche qui sautérent. Les seins enfin libres tressaillirent de plaisir et se mirent à gigoter gaiement.
Il se redressa prudemment en les regardant d'un air méfiant.
-Pourquoi ils sont couverts d'écailles? demanda-t-il soupçonneux en les voyant passer du rouge au violet.
-Il va rester longtemps dans cet état? demanda Finn à Baelag en faisant avancer devant lui Kian qui marmonnait.
-Il risque d'y avoir encore des hauts et des bas, avoua le ritualiste en riant, mais ça ne devrait pas durer plus de quelques heures.
Kian reprit conscience du lieu où il se trouvait lorsqu'il sentit la pierre fraîche contre laquelle il était adossé. Le sol sous ses pieds était d'une couleur plus sombre que dans le reste de la salle. Les cinq officiers se tenaient devant lui. L'odeur du métal chauffé au rouge dominait toute les autres. Il eu un pincement au cœur, cela lui rappelait son père dans sa forge.
-Kian es-tu prêt à prendre les responsabilités qui te sont demandées? questionna Cynfarch.
-Oui, répondit tranquillement le guerrier blond.
Les officiers le saluèrent puis s'écartèrent laissant la place au ritualiste.
-Tu reviendra différent de ton voyage qui sera pour toi comme une seconde naissance, expliqua le ritualiste ses yeux bleu brillants d'émotion. Ainsi tu prendra ta place parmis les officiers pour conduire, (il désigna d'un geste de la main les guerriers qui le regardait avec confiance), ces hommes et ces femmes qui ont choisi de te suivre.
-Tout retour en arrière sera impossible, tu sera lié à ces guerriers et à travers eux à Camul jusqu'à ce que le dieu en décide autrement. Es-tu sur de vouloir continuer? insista Baelag avec douceur.
-Oui, répondit le guerrier atlante la gorge sèche soucieux de ne pas décevoir ceux qui comptaient sur lui.
Le ritualiste fit signe aux guerriers de prendre place. Finn se tenait près du brasero. Owain confiant sa torche à Peadar vint les rejoindre. Il donna une claque sur l'épaule de Kian.
-Que fais-tu ici? chuchota le guerrier blond qui se faisait bander les yeux par Baelag.
-Je ne voulais pas manquer ça, répondit Owain de sa voix rauque, nous avons des choses à voir tout les deux, mais nous en parlerons plus tard. Quand tu te trouveras devant Camul, demande-lui de se bouger les fesses pour nous filer un coup de main.
-Je transmettrai le message, souria Kian.
Les chants s'élevèrent. Finn muni de gants sorti le tisonnier rougit du feu. L'emblème était celui du taureau tenant le soleil entre ses cornes. Finn portait le même sur sa clavicule gauche souvenir grisant de sa propre nomination au poste d'officier. Il regrettait le départ de Kian de sa troupe mais savait que son ami mettrait un bon coup de pied dans les fesses de la caserne et qu'ils n'allaient pas s'ennuyer. Ils avaient besoin de sang neuf. Fort de cette certitude, il appliqua le fer au-dessus du cœur de Kian.
Kian se retint de hurler quand il sentit le métal brûlant sur sa peau. Owain le maintenait fermement contre la pierre pour l'empêcher de bouger. La peau grésillait, se cloquait, l'odeur de chair brûlée empuantissait l'air déjà étouffant du temple. La souffrance était intense mais elle possédait également quelque chose de jouissif. Il serra les dents, les veines de son cou sailliaient, des larmes se mêlaient à sa sueur, il avait l'impression que le fer n'en finirait jamais de le marquer. C'est alors que son âme prit son essor.
Il se retrouva face au dieu dans un lieu hors du temps, dans un ciel noir piqueté d'étoiles qui s'étendait à l'infini. Pas un son, ni un souffle d'air ou une odeur n'était perceptible. Il posa un genou à terre puis le salua du signe solaire.
Camul revêtu pour la bataille, portait une cape jaune et tenait sa lance de guerre à la pointe argentée décorée de spirales. Son bouclier en or décoré du taureau était accroché à son bras gauche son épée au manche gravé reposait dans son fourreau noir surpiqué de motifs argenté. Il avait un visage fier, ses cheveux dorés étaient en bataille, ses yeux aciers luisaient d'une intensité particulière à la fois moqueur et chaleureux. Tout chez lui donnait une impression de puissance, sa prestance était écrasante. Kian sentit son cœur s'arrêter de battre.
-J'accepte ton serment, Kian, guerrier du taureau, s'amusa Camul sa voix riche et profonde roulant comme le tonnerre. Bien que tu m'appartienne déjà, tout comme ton amante.
Le guerrier atlante frissonna au souvenir de cette nuit particulière.
-Vous m'aviez promis...commença Kian d'une voix rauque en lui adressant un regard implorant.
-T'ai-je déjà déçu? demanda le dieu d'un ton narquois en haussant un sourcil moqueur.
-Non, répondit-il dans un souffle en baissant la tête honteux d'avoir osé douter.
-Vous allez devoir vous bouger les fesses, (il esquissa un sourire mauvais en se penchant vers son guerrier qui déglutit). Toi, tes compagnons et tes amis si vous voulez avoir une chance contre vos ennemis car au moment où je te parle ils se rassemblent et crées des alliances alors que vous vous divisez.
-Nous ne pouvons pas prendre ouvertement position contre les décisions de Serbet, tenta de se justifier Kian d'une voix tremblante. Les guerriers refuseront de nous suivre.
-Alors vous mourrez seuls! Loin de vos dieux! gronda Camul d'une voix terrifiante. Vous condamnez le continent et tout ce qui y vit en contrevenant aux lois de Poséidon en obéissant à ce singe!
Le cœur de Kian se brisa ses yeux se brouillèrent de larmes. Un bruit de sabots se répercuta dans l'espace infini. Une vie entière sembla s'écouler.
-Relève-toi Kian, l'invita Camul d'une voix chaleureuse en s'avançant vers lui.
Le guerrier blond tremblant obéit en se passant une main sur le visage.
-Si je t'ai choisi c'est que je te crois capable de renverser le cours de l'histoire. Je ne te demande pas d'accomplir cela tout seul, précisa le dieu. Déjà tu rassembles les guerriers derrière toi. Ils sont compétent et sont à même de t'aider à redresser la situation. De potentiels alliés se trouvent parmis vos ennemis et un grand nombre de personnes parmi les citoyens, soit attentif.
-Je le serai, promit Kian d'une voix enrouée en essuyant de nouvelles larmes sur la manche de sa tunique noire. Mais si nous échouons?
-Alors sauvez ce qui peut l'être, déclara Camul en accueillant son taureau. Préparez-vous pour la bataille, nous serons à vos côtés.
Le cœur du guerrier se gonfla d'espoir et d'un amour infini pour Camul. Les dieux les soutiendraient dans leur lutte.
-Merci, dit Kian en s'inclinant.
Camul caressait le cou du taureau qu'il avait sacrifié pour lui. Kian le reconnut à la petite étoile blanche sur le front. L'animal tendit la tête vers lui puis lui lécha à nouveau la main, rouvrant sa blessure qui gouttait dans le vide. Il caressa son museau. Il était à la fois tangible et immatériel, la sensation était incroyable.
-Nous nous retrouverons Kian, promit le dieu de sa voix grave qui s'effaçait entraînant le taureau avec lui.
Kian sentit la marque du taureau s'enflammer brusquement sur sa clavicule suivit d'une extraordinaire sensation de puissance qui le traversa de part en part. Illuminé par la présence de Camul, il rouvrit les yeux en ayant l'impression de renaître.
Kian s'avança de quelques pas aidé d'Owain qui avait passé un bras autour de ses épaules puis salua les cavaliers qui désormais serviraient sous ses ordres. Les féroces guerriers poussèrent un rugissement triomphant leurs visages illuminé par la fièvre de la bataille.
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