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Seren âgée de six ans qui tenait la main de sa maman, avait écarquillés les yeux en arrivant à l'entrée de la ville de Blackhell. Une arche gigantesque faite de roche volcanique noire "invitait" les gens à s'y rendre. Tremblante elle s'était agrippée à la robe de lin verte de sa mère qui l'avait prise dans ses bras puis l'avait embrassée sur le sommet de la tête. Elle s'était blottie contre elle.
Elle avait regardé d'un œil appeuré par-dessus l'épaule de sa mère. Les maisons de grès rouges offraient un contraste sinistre avec les ombres noires des montagnes. Elle se demandait qui pouvait bien habiter là, la Cour Unseelie? Sa maman avait ri quand elle lui avait posé la question. Elle lui avait assurée que les habitants n'étaient pas différents ici de ceux qui peuplaient le continent. Elle avait enfoui son nez dans sa longue chevelure brune respirant son odeur rassurante d'abricots, dont elle tirait sa meilleure liqueur.
Kian sourit en écoutant le récit. Installé au fond de sa chaise, il buvait son infusion, les chevilles croisées devant lui, sa main glissant sur la peau douce.
-Pas que ma mère m'aie menti, précisa la jeune femme, mais pour vivre là, il fallait quand même être sacrément bizarre.
Kian s'esclaffa.
-Elle m'a laissée jouer dans un petit parc public, continua-t-elle, ce devait être le seul endroit où il y avait quelques arbres. Une fillette qui s'y trouvait m'a prêtée sa poupée en laine. Ma mère n'était pas loin, elle discutait avec un homme tout en gardant un œil sur moi.
La fillette avait le teint pâle, de grands yeux noirs, une chevelure blanche. Les trois enfants qu'elle avait croisé en chemin, qui jouaient dans la rue pavée, avaient la même tête que la fillette. Seren lui avait demandé s'ils étaient de sa famille. Amaëlys avait fait non de la tête tout en secouant sa jupe bleue déchirée pour en faire tomber l'herbe qui s'y était accrochée.
Deux autres enfants d'une dizaine d'années étaient arrivés en les saluant de la main. Une fille et un garçon qui étaient tout aussi blêmes, qui portaient eux aussi des vêtements en mauvais état. Seren avait demandé si c'était son frère et sa sœur. Ils avaient ri en secouant la tête. Seren s'était senti mal à l'aise, elle avait eut l'impression de se retrouver encerclée par trois êtres malicieux aux intentions malveillantes.
Seren avait remerciée Amaëlys et lui avait rendue sa poupée. Elle voulait retrouver sa maman. Le garçon aux cheveux blancs l'avait retenu par le bras un sourire moqueur aux lèvres. Seren ravalant sa peur s'était rassise, puis lui avait demandé ce qu'il voulait.
-"Te raconter une histoire", dit Seren en imitant le sifflement affreux qui était sorti de la bouche du garçonnet ce jour-là.
Kian haussa les sourcils, en déboutonnant le haut de sa chemise. La jeune femme finit sa pâtisserie avant de reprendre son récit.
Sept enfants étaient assis en cercle dans l'herbe sur une petite colline, ils riaient en se lançant une balle en cuir d'où sortaient des brins de paille. La balle avait échappé à un garçon aux cheveux roux. Il avait courut derrière, sous les rires moqueur de ses amis.
Boudeur, il était revenu sans la balle qui flottait dans le cours d'eau. Il avait eut peur d'aller la chercher car on disait que dans la rivière se trouvait le Each uisge, un poney blanc qui patrouillait sur la rive. L'enfant qui montait dessus ne pouvait plus en descendre car la peau de la chose était collante. Le poney l'entraînait alors dans la rivière pour le noyer. Une fois la victime morte, le poney remontait à la surface et dévorait sa proie. Au matin il ne restait plus que le foie. Ses amis l'avait raillé.
Humilié, blessé, il avait décidé de se venger. Fanfaronnant, il s'était vanté d'être descendu au fond de la mine de cuivre où il avait trouvé la porte qui menait aux mondes des Sidhs. Il avait passé le gardien, un dréag à qui il avait tranché la tête, puis il avait jeter un coup d'œil derrière la porte de l'Autre Monde. Les enfants croyant à son histoire l'avait regardé avec des yeux ronds. Leurs parents les avaient pourtant mis en garde quant à la facilité qu'il y avait à se perdre dans les boyaux de mine ou de tomber sur une poche d'eau souterraine et de s'y noyer.
-Ensuite? demanda Kian les yeux pétillants penché vers elle.
Seren qui écoutait attentivement l'histoire, avait cependant regardé avec perplexité la tâche brune qui s'élargissait peu à peu sur la tunique jaune crasseuse du garçonnet.
Ils avaient attendu la nuit pour se faufiler dans la mine de cuivre à l'insu de leurs parents. Eux aussi voulaient voir les merveilles que dissimulaient l'Annwyn dont il avaient tant entendu parlé dans les contes. Ils s'étaient équipés de javelots de chasse pris en cachette, d'une torche, mais le garçon au cheveux roux portait une épée chipée à son père. Ils savaient que pour mettre hors d'état de nuire un dréag, il fallait soit l'empaler soit lui trancher la tête, ensuite, ils auraient une heure environ pour explorer l'endroit. Passé ce délais, le gardien revenait d'entre les morts pour reprendre son poste plus puissant qu'auparavant. Mais armés comme ils l'étaient, ils ne feraient qu'une bouchée du gardien. Pleins de confiance, les sept enfants s'étaient engouffré dans la gueule inquiétante de la mine.
-Tu ne vas pas t'interrompre maintenant! gémit Kian en la voyant se lever.
-J'ai soif et j'ai besoin d'aller au petit coin, s'esclaffa-t-elle.
-Bon bon, ronchonna-t-il en se rendant dans la cuisine sombre derrière elle. Je m'occupe de ton thé, mais après tu reprends là où tu t'es arrêtée.
-N'oublie pas la mandarine, lança-t-elle en riant sa robe de lin beige glissant derrière elle.
Kian grommela dans sa barbe. Il remis de l'eau à chauffer sur le feu puis farfouilla sur les étagères à la recherche du bocal contenant les fleurs séchées de camomille. Il sorti une grande cruche de la réserve, au moins elle ne devrait plus s'interompre pour aller chercher à boire. Il hésitait aussi à lui mettre un pot à disposition sous la table, mais elle risquait de mal le prendre. Tant pis pour le petit coin.
Il amena le plat débordant de fruits dehors puis retourna à l'intérieur chercher de la bière brune pour lui et la cruche de camomille pour sa belle conteuse. D'un bon il sauta par-dessus la balustrade une main appuyée sur la barrière et fila derrière le noisetier. On était jamais trop prudent!
-On en a pour toute la nuit avec ce que tu nous a rapporté là, souria Seren en revenant.
-J'ai tout mon temps, confirma Kian avec un sourire en coin avant de l'attirer dans ses bras.
Seren observait avec une angoisse croissante le visage d'Amaëlys qui noircissait et se craquelait. De plus, une étrange odeur de chaire brûlée remplaçait imperceptiblement celle, déjà désagréable, de souffre qui planait sur la ville. Elle n'osait pas crier pour appeler sa maman, ni se lever, sinon elle était sûre qu'ils la retrouveraient. Elle avait déglutit. Une fillette lui avait adressé un clin d’œil complice, avant que le blanc de son œil ne fonde et dégouline le long de sa joue. Un squelette de main lui agrippa le bras. Elle avait fermé les yeux en priant Ogma pour que ce cauchemar s'arrête.
-Qui étaient-ils? questionna Kian à voix basse.
-Des âmes perdues, chuchota-t-elle. Abandonnés des dieux pour avoir violé la loi. Ils flottent entre deux mondes, n'appartenant ni à l'un ni à l'autre. Seuls les enfants peuvent les voir, excepté quelques adultes qu'ils craignent, ceux qui possèdent le don de voir ce qui est invisible.
Le guerrier blond fronça les sourcils.
-C'est ce qui m'est arrivé avec Mara? Je l'ai vue telle qu'elle était réellement?
Il eut une grimace horrifiée. Si Mara ressemblait véritablement à ce qu'il avait vu, d'où pouvait provenir cette chose? Il repoussa une fois de plus le souvenir monstrueux.
-Je ne sais pas, avoua Seren inquiète en se blotissant contre lui. Tu connais la nature de ton don?
Il sourit malicieusement.
-Celui d'avoir toutes les femmes à mes pieds!
Il éclata de rire, tandis que la jeune femme secouait la tête un sourire aux lèvres. Il l'embrassa sur la tempe et expliqua.
-Je voulais devenir guerrier et entrer dans la cavalierie. Je me suis donné les moyens de le faire. (Il haussa les épaules en buvant une gorgée de bière). Le reste n'avait aucune importance. Chacun reçoit un don des dieux qui se déclare au moment opportun, mais tous n'en font pas usage. Les dieux guident mais n'imposent pas, chacun est libre de ses choix.
Elle acquiesça en épluchant sa mandarine, il avait raison.
-Que recherchaient ces enfants?
-Des nouveaux compagnons de jeux, (elle frissonna). Ils les entraînent dans la mort par différents moyens, avant que leurs victimes ne découvrent, comme moi je l'ai fait ce jour-là, qu'ils ne sont pas ce qu'ils semblent être. J'ai appris plus tard que chaque femme qui se trouvait être enceinte dans la ville de Blackhell, s'en allait. C'est pour ça qu'il n'y avait aucun enfant vivant là haut.
-Comment s'est fini cette histoire? s'enquit-il en lui donnant son verre de bière.
-Je l'ai écouté jusqu'au bout, c'était ce qu'il désirait.
Elle en bu une gorgée, embrassa brièvement son amant puis reprit son récit en dégustant les quartiers doré légèrement acidulés.
Le boyau s'étranglait la température baissait à mesure qu'ils descendaient. Il y faisait sombre malgré la lueur de la torche qui éclairait le gouffre de pierre argentée où s'étalaient des éclaboussures dorées étayées par des poutres. Ils marchaient groupé au milieu du chemin, tremblant de tout leurs membres quand ils entendaient les échos effroyables d'un râle rauque semblable à un cri humain ou un souffle d'air fétide qui leur brûlaient les poumons. Ils savaient qu'il s'agissait du lynx d'eau qui vivait dans le lac souterrain depuis très très très longtemps.
L'animal avait une tête de lynx. Il possédait une paire de corne de bisons sur le front, il avait des pattes palmées, son corps sa queue reptilienne étaient couvertes d'écailles de cuivre. Il était à l'origine des vagues, des rapides et des tourbillons pour faire sombrer les embarcations dans les territoires lacustres qu'il occupait. Il pouvait de même se métamorphoser en brume rougeâtre pour dissimuler des dépressions profondes et des gouffres. Ils n'avaient pas envie de lui tomber dessus. Il existait bien sûr d'autres créatures dans les mines, plus sympathiques, mais pas ici.
Le garçon roux regrettait d'avoir emmené ses amis ici. Il était terrifié par ces cris, ces odeurs de chair avariée et le boyau qui se resserait sur eux comme un tombeau. Mais s'il renonçait maintenant sa trouillardise lui collerait à la peau. Il allait devant, son épée tremblant dans sa main en s'efforçant de ne pas regarder les ombres monstrueuses que projetait la torche sur les paroies. Ils avaient débouché dans un cul-de-sac. Un mur de flamme les avaient encerclé dans un grondement.
Kian jeta un regard méfiant à Seren qui se mit à rire.
Ils avaient tourné en tout sens paniqué, en appelant leurs parents. Contrairement à ce qu'ils avaient espéré, le dréag ne dormait pas dans sa cape blanche déchirée qui lui servait de suair mais les attendaient, prêt à défendre l'entrée de l'Autre Monde.
Le squelette aux os noirs de plus de deux mètres avait des yeux jaunes brûlants. Une fillette qui avait repris courage tenta sa chance. Son javelot ripa sur le corselet de cuir craquelé. Le dréag ouvrit sa gigantesque bouche aux crocs effilées comme des stylets en poussant un terrifiant hurlement rauque qui fit trembler les murs. Les enfants s'étaient plaqué les mains sur les oreilles, hurlant à leur tour tandis qu'une bourrasque fétide leur balayait le visage.
La tête de la fillette avait roulé sur le sol. Du sang giclant du cou, le corps avait titubé les bras battant le vide avant de s'effondrer. Sanglotants, trois enfants avaient brûlé vifs en essayant de traverser le mur de flamme. L'abominable odeur de graisse fondue et leurs hurlements atroces avaient imprégné la salle. Le dréag d'un geste vif, avait planté ses longs ongles crochus dans la cavité orbitale d'une fille allant jusqu'à lui transpercer le cerveau et avait arraché l'œil avec un rugissement aiguë triomphant.
Le garçonnet roux avait cependant pris la fuite de l'autre côté en laissant tomber son épée. Son ami l'avait appelé en pleurs, le suppliant de ne pas s'approcher de la porte qui donnait sur l'Autre Monde. Mais le garçon roux paniqué ne l'avait pas entendu et avait couru droit devant lui. Alors que le dréag l'avait plaqué au sol en lui bondissant souplement sur la poitrine en poussant à nouveau son ignoble cri, il avait vu son ami roux franchir la porte entre les deux menhirs décoré de symboles étranges. Épouvanté, il s'était mis à hurler. C'était une vallée à la terre desséchée, luisant sous un soleil sanglant. Un immense château noir se dressait sur une colline désolée où des bêtes rampantes glissaient en sifflant sur le sol. Il avait vu la masse sanglante de son ami se faire dévorer vivant. Ce n'était pas le Sidh merveilleux, mais les bas-fonds de l'Annwyn. La porte s'était refermée dans un courant d'air glacial.
Le gardien s'était alors chargé du dernier enfant. Il avait plongé sur le visage de sa victime la bouche ouverte, arrachant peau muscles et tendons. Il ne lui restait plus que la moitié du visage. Il avait crié à s'en déchirer la gorge tant la souffrance était immense. Il ne pensait plus qu'un adulte viendrait à son secours. Il était trop tard. Le dréag avait plongé cette fois ses immondes crocs dans sa poitrine déchirant sa tunique jaune et lui avait arraché le cœur.
-Voilà l'histoire qu'il m'a racontée, conclut doucement Seren, leur histoire. Ils se sont retiré quand ma mère a entendue mes pleurs et est venue me chercher.
Kian laissa échapper un long soupir en se redressant sur sa chaise. Il déposa un baiser sur ses lèvres en l'enlaçant tendrement.
Ils montèrent se coucher deux heures avant l'aube, préférant rester sur la terrasse à discuter, à boire, rire et à se raconter des histoires.
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