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Il était tard quand Linaëlle finit de donner ses soins. Les guerriers qui le pouvaient étaient rentrés, les autres dormaient sur des lits de camp veillé par un guérisseur qui s'était proposé de rester durant la nuit accompagné de Blodwen.

La blonde était pourtant perplexe, elle avait vu de loin le corps de l'éclaireur qui avait été transporté dans le sanctuaire. Elle avait discuté avec les soldats qu'elle avait soigné et qui lui avait raconté la bataille. Quelque chose ne collait pas.

Elle se mit à la recherche de Finn. Elle le trouva entrain de discuter près de la statue de Poséidon qui scintillait doucement dans la pénombre avec la reine. Elle attendit patiemment derrière une colonne la fin de la conversation. Caelan au bout de quelques minutes referma derrière elle la porte du temple. Le guerrier atlante passa à côté d'elle sans la voir.

-Finn, appela-t-elle à voix basse.

Il se tourna dans sa direction surpris. Il la rejoignit derrière la colonne en boitillant, à l'abri des regards.

-Lena? Je croyais que tu étais rentrée, chuchota-t-il.

-Avant de partir je voulais vérifier quelque chose, j'ai besoin de ton aide.

-Bon, acquiesça-t-il intrigué, dis-moi.

-J'aimerais pouvoir examiner le cadavre, expliqua-t-elle calmement en le regardant dans les yeux, avant la venue de Niall qui le veillera cette nuit.

La demande était pour le moins surprenante, un mort était un mort. Il n'y avait aucune raison de vouloir y regarder de plus près, surtout quand le corps en question était celui d'un guerrier mort sur le champ de bataille. Mais Finn avait depuis longtemps dépassé les préjugés. Même si cela avait pu lui paraître saugrenu au début, il s'était plusieurs fois plié aux demandes parfois surprenantes de ses amis, compagnons d'armes ou simples citoyens. Il n'avait jamais regretté de l'avoir fait.

-Viens, dit-il en la conduisant discrètement vers le sanctuaire à l'autre bout du couloir.

Ils se faufilèrent derrière le voilage, puis s'avancèrent près de l'autel où Fergal reposait, éclairés par une torche qui brillait dans l'obscurité. Ils contournèrent le banc, Linaëlle regarda par-dessus son épaule avant de s'accroupir, pendant que Finn montait une garde discrète dans l'ombre d'un pilier.

Elle commença par dénouer le lin qui lui enserrait le visage. Un bouquet d'herbes qui préservait le corps d'une putréfaction trop rapide en tomba.

La nuque qui avait été brisée, fit basculer la tête sur le côté. Son visage aux yeux exorbités était couvert de traînées de sang séché et de boue. Linaëlle hoqueta à deux doigts de rendre son petit-déjeuner. L'arrière du crâne avait éclaté. Des débris de chairs, de cervelle, de sang, d'écorce, de feuilles et de terre collaient aux cheveux formant un magma répugnant. Personne n'avait eût le courage de préparer le corps avant la mise au tombeau.

-Lena! s'exclama Finn en se précipitant.

Il l'a prit par le bras la forçant à se lever puis l'entraîna loin de la vue du corps. Il tira une chaise de l'ombre la fit asseoir puis lui tendit son outre de vin. Serrant les dents avec une grimace de dégoût horrifié, il alla recouvrir la tête. Il revint vers la jeune femme en s'essuyant frénétiquement les mains sur sa tunique bleue, (prêtée par un habitant d'Ilyn), qui lui rendit l'outre à moitié vide qu'il siffla jusqu'au trois-quarts.

-Il s'est fracassé la tête contre un arbre, lui indiqua Linaëlle en s'essuyant le front. Pourquoi aucun des guerriers avec qui j'ai discuté ne m'en a rien dit?

-Fergal n'était pas avec nous pendant la bataille, expliqua-t-il d'une voix étouffée. Quand il est arrivé au village, il est parti explorer les environs, puis les ennemis ont surgit du bois et nous on attaqué. Nous avons oublié sont absence jusqu'à la fin des combats.

Il but une nouvelle gorgée de vin avant de la repasser à Linaëlle.

-C'est Kini qui m'a fait remarquer qu'il n'était toujours pas revenu. J'ai envoyé Idriel rejoindre Peadar et Mabon, après lui avoir demandé dans quel direction était parti Fergal.

-Où l'avez-vous trouvé?

-Au sud-est du village à une centaine de mètres de là au pied d'un arbre, les membres brisés dans une clairière plutôt lugubre. Son cheval était attaché plus loin, terrifié, je ne sais pas ce qui l'a poussé à revenir sans lui. Kian a insisté pour s'occuper lui-même de Fergal, pendant que j'allais calmer le cheval et le récupérer. Inutile de te préciser je pense, que tout ceux qui l'ont vu ont été malades. Il a dû tomber sur un Fomorii. Tu te sens mieux? Tu veux que je te ramène à la maison?

-Non, refusa-t-elle, je n'ai pas fini. Je veux m'assurer que c'est bien un Fomorii qui l'a tué et non pas autre chose qui serait sorti de cette espèce de nécropole quand Idriel et Arianelle m'ont raconté l'histoire d'Avaest.

-Je n'avais pas pensé à ça, avoua le guerrier atlante. Attends avant de commencer, je vais vérifier que la voie est toujours libre.

Il alla jeter un coup d'œil derrière le voilage, mais tout était calme.

-Tu peux y aller, lança-t-il depuis son coin.

-Viens m'aider à le déshabiller, ronchonna-t-elle.

Finn fit taire le gémissement qui lui montait aux lèvres. Il avait toujours apprécié Fergal, mais il avait peur de ne s'en souvenir plus que comme d'un cadavre à la cervelle écrabouillée, aux membres tordus et non plus comme de la personne qu'il avait connue.

Il détourna les yeux quand elle retira le drap mortuaire. Il le souleva par les cuisses avec répugnance, alors que Linaëlle s'impatientait. Le contact de ce corps chaud et mou lui hérissait les poils des bras et lui donnait envie de vomir. La guérisseuse sans plus de cérémonie, retira les braies, puis chassa un Finn au teint verdâtre hors de son chemin. Elle trancha le cuir des bottes sur toute la longueur à l'aide du petit couteau à dépecer qu'elle avait toujours sur elle et les lui retira.

Les jambes déformées étaient couvertes d'hématomes. L'os du tibia gauche perçait la peau en plusieurs endroits. La jambe droite était désarticulée, complètement tournée dans l'autre sens.

-J'espère pour lui qu'il était déjà mort quand sa jambe s'est retournée comme celle d'un pantin de bois, grommela Linaëlle qui avait reprit la maîtrise d'elle-même en observant le corps d'un œil professionnel.

Finn se serait bien passé de cette remarque, il ruisselait de sueur et si elle continuait, il n'allait pas tarder à tourner de l'œil.

Elle en vint enfin à la partie qui avait titillé son intérêt; le thorax arqué de l'éclaireur.

-Finn peux-tu m'aider à le retourner sur le ventre?

Le guerrier dû se faire violence pour s'approcher et toucher à nouveau le cadavre. Ils le poussèrent. Le corps se balança de droite à gauche avant de se stabiliser. Finn laissa échapper un couinement puis tourna rapidement les talons. Linaëlle rit nerveusement.

Elle découpa le dos de la tunique puis en écarta les pans. Quatre côtes ressortait du dos qui avait transpercé le cœur et les poumons. Cela lui faisait penser à deux atroces paires d'ailes déchiquetée avec les débris d'organes qui y étaient accroché comme celles de certains êtres de la Cour Unseelie. La force nécessaire pour infligé une blessure pareil avait été phénoménale. À genoux, marmonnant, elle prit appui avec ses pieds contre l'autel puis le retourna. Une côte se brisa dans un horrible craquement, le corps mou penchais à présent sur la droite.

Elle ôta la chemise et fronça les sourcils.

-Finn, appela-t-elle, avez-vous remarqué une quelconque trace des elfes noirs? Ils laissent toujours au moins derrière eux une trace de puanteur de viande faisandée longtemps après leur départ.

-Non, répondit-il d'une voix tremblante en revenant vers elle.

Il vit le bleu net qui traversait les côtes, sur le thorax défoncé. Linaëlle déposa son avant-bras sur l'hématome qui avait exactement la même forme, sauf qu'il débordait de la contusion.

-C'est le coup qui l'a projeté contre l'arbre, expliqua-t-elle simplement.

Finn sentit un frisson de terreur ramper le long de sa colonne vertébrale, il se précipita à l'entrée de la salle. S'appuyant contre un pilier, il vomit tripes et boyaux en se souvenant de l'avertissement de Seren. Cela avait coûté une vie.

Il s'en alla en titubant comme un ivrogne, sans voir ni entendre Niall sur le seuil du temple qui le saluait. Le conteur inquiet regarda son ami, tanguer dans la ruelle à peine éclairée, se cogner contre la fontaine puis disparaître à l'angle d'une maison.

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