31

Kian se séchait nu au soleil, les bras sous la nuque dans l'herbe tendre. Peadar, Mabon et Fergal se giclaient, en riant et jurant dans l'eau fraîche de la rivière. Mara se baignait plus loin, dans une cuvette entre des gros rochers d'une couleur d'acier. Idriel, était allé voir les chevaux attachés aux arbres, à l'extérieur du campement de l'autre côté du feu.

Finn se leva de son tronc et s'accroupissant devant le tas de bois, ajouta une bûche dans le feu crépitant, faisant voler des étincelles. Il se redressa en buvant une gorgée de bière. Perdu dans ses souvenirs d'hier, il se passa une main lasse sur le visage, il essayait de trouver un sens à ce qu'ils avaient vu.

Après la nuit à suivre la chouette de Téa qui les avaient menés dans les territoires perdus, ils avaient campé durant la journée à deux heures environ du camp ennemi caché parmi l'épaisse frondaison. Le soir venu, ils s'étaient approchés à pas de loups pour observer ce qui s'y passait.

Les Fomorii avait établi un petit village, à proximité de la même rivière où ils étaient à présent, qui se jetait ensuite dans l'océan. Les maisons rondes fabriquées en bois au toit de chaume étaient au nombre de quinze, dont deux entrepôts où ils stockaient vraisemblablement la nourriture. Finn avait pris Mara, Idriel et Peadar avec lui puis avait envoyé Fergal, Kian et Mabon de l'autre côté du camp.

Cachés sous un buisson au sud du village, face au petit débarquadère à l'instigation de Mara, il lui avait demandé à voix basse ce que pouvait signifier la prophétie qu'elle leur avait énoncé. Elle avait répondu qu'elle n'en savait rien, mais qu'ils étaient à la bonne place et, avec une ombre de tristesse dans les yeux, qu'elle pensait qu'ils allaient bientôt le découvrir.

Ça n'avait pas manqué. Ils avaient été impuissant à l'empêcher.

Les Fomorii étaient une quarantaine. Mâles et femelles, bien que la différence entre les deux soit quasiment inexistante. Seule une touffe de cheveux noirs crasseux sur leur front bombé les distinguaient les uns des autres. Ils étaient vêtus d'armures noires, leur blason bien visible sur leur poitrine et l'embont de leurs boucliers; le squelette d'un corbeau couleur d'os, tenant entre ses serres un bouclier et une lance croisée.

Doté d'un caractère particulièrement violent, l'air hostile, d'une stature colossal, ils étaient étonnement vifs. La peau sombre, ils ne possédaient qu'un seul œil globuleux d'une couleur glauque, à droite ou à gauche qui luisait sinistrement sur leurs faces sournoises. Leurs groins qui sécrétaient en permanence une morve verte n'arrangeait rien, sans compter l'odeur de fumet rance qu'ils dégageaient. Mara avait froncé le nez d'un air dégoûté, faisant rire silencieusement les trois hommes postés à ses côtés.

Une véritable horreur, se dit Finn en frissonnant. Il secoua l'outre. Vide. Il la jeta plus loin.

Le ton avait monté entre deux Fomorii qui se trouvaient sur le ponton groin contre groin. Ils communiquaient avec des grognements âpres, incompréhensibles. Avec de grands gestes de leurs mains griffues aux ongles encrassés, ils désignaient tour à tour la rivière et l'entrepôt d'où s'échappait des gémissements et des pleurs étouffés.

Attitré par les hurlements, un troisième avait accouru au petit trot, tenant son épée à la lame ondulée dans son poing. Les deux autres se poussaient et n'allait pas tarder à en venir aux mains. Le Fomorii nouvellement arrivé avait émit un grognement bref, l'un lui avait répondu. Puis à eux deux, ils avaient battus à mort le Fomorii qui essayait de se défendre, en poussant des couinements atroces qui se répercutaient sur l'eau. Excités par les cris, tous les Fomorii avaient raboulés.

Mara avait fermé les yeux, les mains plaquées sur ses oreilles. Les guerriers s'étaient détournés en grimaçant. Un Fomorii avait ensuite donné un coup dans la porte de l'entrepôt pour faire taire les cris de terreur qui résonnaient à l'intérieur. Le corps torturé, avait été ensuite basculé dans l'eau à coup de pieds. Puis revenant dans leurs maisons rondes, les Fomorii avaient repris leur repas interrompu. Finn ses yeux ciel pleins d'excuses avait tendu une gourde de vin aux herbes à Mara, qui après en avoir bu quelques gorgées, l'avait fait passer à Idriel et Peadar.

Les guerriers étaient sortis de l'eau. Ils discutaient tranquillement en se rhabillant. Finn mit sur des broches deux faisans que Fergal avait chassés, puis que Mara avait ensuite préparés. Entre-temps, aidé de ses compagnons, ils avaient monté le camp, étaient allés chercher du bois et s'étaient occupés des montures.

Il ne s'était plus rien passé pendant un moment dans le camp des Fomorii. Peadar s'était levé puis avait discrètement fait le tour des habitations pour se rendre auprès de Kian, Mabon et Fergal. Idriel était allé voir du côté des entrepôts. Mara qui était restée avec lui, s'était mise à lui poser des questions, ils avaient discuté à voix basse. À la mi-nuit alors que Peadar revenait avec Idriel troublé en rampant sans un bruit dans l'herbe, un coassement retentit, une fois, deux fois. Fergal.

Ils s'étaient tapi sur le sol. Les Fomorii étaient sortis de leurs habitations munis de torches et s'étaient rendu au bord de l'eau. Un bateau glissait sur la rivière, les pagaies plongeaient dans l'eau et en ressortaient dans un léger bruit d'éclaboussures. La quille avait raclé le fond sableux, la coque était venue cogner contre le ponton qui avait émit un craquement sinistre. Un Fomorii s'était avancé en attrapant la corde qu'on lui lançait depuis le pont qu'il avait nouée autour d'un poteau.

Un passerelle s'était abaissée dans un grincement, frappant dans un bruit sourd le débarquadère qui avait tremblé sous le choc. Les Fomorii s'étaient reculé. Une dizaine d'hommes armés d'épées étaient descendu du navire, vêtus de capes sombres, le nez et le bas du visage recouvert d'un morceau d'étoffe, une capuche baissée sur les yeux. Il avait sentit Idriel se tendre à côté de lui, lui qui d'habitude était si calme. Il lui avait posé une main sur l'épaule. Le guerrier laissant transparaître sa frustration lui avait jeté un regard assassin puis ravalant sa colère, il s'était éloigné en rampant à l'arrière, avant de disparaître derrière les arbres.

Les Fomorii et les hommes avaient échangé quelques paroles indistinctes, avant d'inviter ces derniers à les suivre dans l'un des deux entrepôt. Des bruits de chaînes, des supplications, des sanglots, un coup sourd sur de la chair puis des ordres aboyés. Il avait vu Mara devenir blême, il lui avait fait signe de retourner en arrière dans la direction qu'Idriel avait prise. Elle avait refusé les larmes aux yeux. La porte de l'entrepôt s'était brusquement rouverte.

Cinq adolescents, nu, des traces de larmes sur leur visages barbouillé dont un qui avait une coupure ensanglantée sous l'œil, éclairé par les torches de leurs geôliers qui les encadraient, étaient bâillonnés. Leur dos lacérés, présentaient un large camaïeu d'hématomes. Ils étaient couverts de traînées de sang séché sur leur torse maigrelet et les membres inférieurs, enchaînés les uns aux autres par les mains et les pieds.

Finn avait senti une bouffée de rage l'envahir, mais avait du retenir Peadar qui s'apprêtait à foncer dans le tas, aveuglé par la fureur. Il comprenait maintenant la réaction d'Idriel qui s'en voulait. Car enchaînés comme l'étaient les prisonniers, il n'avait rien pu faire pour les aider et le sachant, ne s'était pas montré.

Les prisonniers avaient été traînés sur le bateau sous la menace des épées, puis poussés sans ménagement dans la cale trébuchants dans leurs chaînes qui tintaient sinistrement. La trappe de la cale avait claqué, le bateau était reparti. Les Fomorii s'étaient dispersés dans le village vacants à leurs occupations.

Finn avait fait signe à Mara qui s'essuyait les yeux et à Peadar de le suivre. Ils avaient retrouvés les autres à un kilomètre du camp, au point de rendez-vous. Ils étaient rentrés tendus, la colère à fleur de peau, quelques heures avant l'aube.

Au matin les tensions étant un peu retombées, Finn avait proposé de repartir et de s'arrêter à la mi-journée dans un lieu où ils pourraient se reposer jusqu'au lendemain. Ainsi, ils s'étaient installé là, à proximité de la rivière, à mi-chemin de la frontière sud.

-Tiens, dit Kian en donnant un coup de coude à Finn en lui tendant une outre de bière. Avant que Peadar ne décide que c'est le bon moment pour se soûler et qu'il n'en reste plus.

-Merci, répondit Finn avec un sourire avant d'en boire une gorgée. Tant qu'il peut tenir sur sa selle demain, ça me suffit.

-Peadar! cria le guerrier blond en se retournant. Amène la bière!

Peadar lui adressa un pouce levé et se rendit à la rivière où rafraîchissait les cruches. Kian retourna les faisans à la peau dorée qui grésillaient en dégageant une délicieuse odeur, pendant que Finn était parti chercher des provisions. Il revint quelques minutes plus tard les bras chargés avec le reste de la troupe.

Kian accroupit devant le feu, découpa les oiseaux. Finn distribua les assiettes agrémentées de noix et de fromage, tandis que Mara partageait le pain plus ou moins sec entre eux et le reste des galettes d'avoine au miel. Ils s'installèrent sur les troncs pour manger, se passant la bière tout en plaisantant.

Kian était légèrement ivre quand il rentra dans sa tente, mais ce qu'il vit le dessoûla instantanément.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top