30
Téa ouvrit les yeux, la lumière d'une torche fixée sur le mur à sa droite l'ébloui. Elle les referma aussitôt. Une douleur vive lui transperça la nuque, la migraine lui martelait le crâne. Ajouté à ça, l'odeur prenante de l'océan qui flottait dans la pièce lui donnait la nausée. Elle serra les dents en grimaçant.
Son malaise s'estompant, elle distinguait à présent des voix lointaines de gens qui déplaçaient des meubles en raclant le plancher de bois. Elle ouvrit prudemment les yeux.
La pièce était petite, sombre, le plancher abîmé par le sel de l'océan. Quelques poteries décorées de zigzags s'alignaient contre le mur et près de la porte, une pile de linge s'entassait. En dehors de ça, il y avait l'étagère contre laquelle elle était appuyée, les bras ligoté dans le dos, des échardes lui piquant les fesses. Ces salopes allaient payer cher pour ses miches meurtries. Quant au bruit infernal, il venait d'un lourd coffre tiré par deux amazones dont une qui pestait à l'autre bout de la salle.
Trois paires de jambes apparurent soudain devant elle. Téa releva la tête en esquissant un sourire narquois.
Elle reconnut Myrina au centre. Sa longue chevelure couleur corbeau bouclée sur laquelle était posé un fin diadème doré aux motifs entrelacés. Son visage était fier, racé, ses yeux noirs dénotaient une vive intelligence. Elle était vêtue d'une mini-jupe fendue sur les cuisses décorée de plaques de bronze gravées de scènes de batailles des lanière de cuir s'entrelaçant habilement autour de son buste. Elle portait la ceinture d'Hippolyte, première reine des amazones donnée par son père le dieu Arès, mais sa hache dorée dont habituellement elle ne se séparait jamais n'y était plus attachée. Une simple épée était passée dans son dos.
Orithie et Phoebé l'accompagnaient. Toutes deux étaient blondes, élancées, plus grandes que Myrina. Elles portaient un arc, (inutilisable dans si peu d'espace), leur sein unique décoré de bijoux et de perles de nacre entremêlés de chaînes argentées. Téa ricana en secouant la tête.
-Je ne te demanderai pas ce que tu fais ici, commença Myrina d'une voix chantante dans sa langue d'origine, en ignorant le mépris cuisant de la chasseresse. Tu as appris tout ce dont tu avais besoin?
-Pas tout à fait, répondit malicieusement Téa dans la même langue. Mais ça peut attendre, ce ne sont que des détails. Tes filles sont bavardes, tu devrais leur apprendre à la fermer, sinon tu te ramassera ici comme à la bataille de Phaïstos en Crète il y a cinq ans. Phoebé avait aussi trop parlé, ça lui a coûté sa langue.
Phoebé lui lança un regard assassin, elle s'avança menaçante, mais Orithie la retint. Myrina plissa les yeux. Un sifflement de colère parvint aux oreilles de Téa, elle vit du coin de l'œil cinq petites têtes rousses sortirent d'un peu partout devant elle. Pétoche avait rameuté ses amis.
-Quant à toi, continua Téa avec un sourire mauvais en désignant Orithie du menton. Tu prenais trop de plaisir avec les hommes, ça t'a privé de tes organes sexuels.
-Espèce de... s'étrangla la concernée.
-En attendant, intervint Myrina d'une voix autoritaire en repoussant sa guerrière qui heurta le mur dans un bruit sourd, tout en s'adressant à Téa, tu n'aura pas l'occasion de rentrer chez toi et de nous trahir une seconde fois.
-Tu parles d'une trahison! ricana-t-elle.
Téa sentait quelque chose de poilu lui chatouiller les mains.
-Tu as préféré suivre un homme de ton peuple au lieu de nous rejoindre! siffla Myrina hargneuse.
-Tu as rompue ta promesse! cracha Téa. Tu m'as pris ma petite sœur! (Elle esquissa un sourire sournois). Je peux te garantir que tu le paieras de ta vie.
L'Amazone ne répondit pas, mais Téa vit passer dans ses yeux une lueur haineuse. Orithie et Phoebé se tenaient en retrait, préférant sans doute ne pas se mêler de leurs affaires.
-Pour le reste, continua la chasseresse nonchalamment en frottant discrètement ses poignets enfin libérés, une aventure c'est sympa, mais ça n'a jamais été rien d'autre.
Elle détailla sans se gêner le corps souple et bronzé de son ancienne amante, en fouillant discrètement dans son dos. Elle n'avait plus de dague.
-Tu ne manques pas d'attraits, admit-elle une lueur admirative dans son regard. Mais tu ne m'as jamais comblée comme seul Finn sait le faire. Je ne parle pas seulement de sexe, mais aussi de tendresse et d'amour, deux choses qui te sont totalement inconnues.
Humiliée, Myrina lui donna une claque retentissante, sa bague déchirant le coin de sa lèvre. Sa tête alla cogner contre le meuble derrière elle dans un bruit sourd, des points noirs dansèrent devant ses yeux. Elle sentait du sang couler de sa tempe et du coin de sa bouche. L'Amazone la pris à la gorge. Un avertissement strida.
-Nous ne repartirons pas! gronda l'Amazone. Vous êtes trop faibles pour nous résister! Nous userons de vos guerriers puis nous les tuerons! Nous prendrons vos filles! Ta race sera exterminée et nous ferons de cette terre notre nouvelle patrie!
D'une prise, Téa se dégagea puis roula sur le côté alors qu'une cruche d'hydromel explosait en répandant son contenu là où elle s'était trouvée une seconde auparavant.
Myrina hurla alors que les éclats déchiraient la peau de son visage. Téa lui faucha les jambes. Une quinzaine d'écureuils furieux chargèrent les Amazones. Ils étaient mené par son ami, qui sauta de l'étagère avec deux des siens qui en moulinant des pattes l'avaient aidé à pousser la poterie. Téa se releva d'un bond. À cheval sur Myrina, elle la frappa au visage, enfonçant les éclats dans la chair tendre, puis l'assoma d'un coup sur le menton.
Phoebé et Orithie cherchaient à se débarrasser des écureuils qui les mordaient jusqu'au sang. Téa prit Phoebé par les cheveux et lui fracassa la tête sur son genou. Les écureuils s'écartèrent en bondissant pour ne pas se faire écraser tandis que l'Amazone tombait sur le sol le visage défoncé, en émettant un ignoble gargouillis.
La chasseresse de la plante du pied, donna un coup dans l'aine d'Orithie qui se plia en deux, secouée de sanglots déchirants, du sang coulant entre ses cuisses. Téa, un débris de tesson tranchant dans la main, le lui planta profondément dans la nuque. Elle le retira brusquement, sa main coupée dégoulinante de sang. L'Amazone s'abatti sur le sol.
Téa ouvrit la porte. Les écureuils filèrent, mais le vacarme avait attiré les guerrières. Elle décrocha la torche du mur et la jeta sur la pile de lin qui prit feu. D'un coup de pied, en se protégeant le visage, elle éparpilla le linge enflammé en direction des trois femmes. Ça les occuperait. Elle courut à la sortie.
Elle se baissa pour passer sous le bras de Mélousa. Téa fit brusquement volte-face puis la frappa à la hanche avec le bout de tesson qui y resta profondément planté. L'amazone s'effondra en hurlant, incapable de se relever. Mais d'autres arrivaient sautant de toits en toits ou courant dans les rues, elle devait foutre le camp!
Pétoche surexcité sautillait devant elle avec ce qui semblait être sur sa frimousse une expression triomphante. Elle le suivit à travers une rue qui s'éloignait de l'océan. La poursuite fut lancée quand Myrina à quatre pattes couverte de sang, la peau cloquée, sorti de la maison en flamme, en ordonnant à ses filles de ne pas laisser Téa s'échapper.
Les écureuils suivaient la chasseresse, courant sur les toits, les poutres, griffant les pavés. Téa se faufila dans une ruelle étroite, se baissa, puis tourna à droite d'où on ne pouvait la voir. Kallié devant une habitation lui faisait signe de se dépêcher de rentrer à l'intérieur. Les écureuils la dépassèrent et plongèrent dans un trou que recouvrait une trappe. Elle les suivit, atterrissant en souplesse trois mètres plus bas. Kallié referma derrière elle, puis reparti en sifflant à bout de souffle, pour indiquer aux Amazones l'endroit opposé où Téa était partie.
La jeune femme courait dans ce qui semblait être une grotte sous-marine humide et boueuse qui devait être qui navigable à marée haute avec une barque à fond plat.
Les écureuils piallaient, raides de crasse, mais d'après ce que comprenait Téa, ils ne s'étaient jamais autant amusés. Elle fut prise d'un fou rire. Ils coururent encore sur une cinquantaine de mètres, avant de tomber sur un petit quai qui lui arrivait à hauteur de poitrine. Elle s'y hissa d'un coup de rein. Une échelle en corde pendait du plafond. Elle tira dessus pour en tester la solidité puis grimpa. Les écureuils s'accrochant avec leurs petites griffes montèrent en s'enroulant autour de la corde.
Elle souleva doucement une nouvelle trappe en regardant attentivement autour d'elle; des caisses pleines de poussière étaient empilées. Une cave. Elle monta l'escalier sur la pointe des pieds et poussa la porte qui grinça sur ses gonds. Personne. Elle sorti de la maison qui donnait sur le côté gauche du village, avant le camp des Amazones.
L'orée d'un bois se trouvait à une dizaine de mètres, si elle pouvait l'atteindre elle serait en sécurité. Mais les Amazones couraient en s'appellant, se dirigeant là où l'incendie faisait rage. Les écureuils invisibles dans la foule des jambes, rejoignirent le bois. Il fallait tenter le coup, elle se fondit dans la masse en se déportant sur la gauche près du bois. Téa siffla. Sans plus se cacher, elle se mit à courir, des flèches sifflant autour d'elle aussi nombreuses que les insultes.
Des Amazones se détachèrent du groupe et se lancèrent à sa poursuite. Mais son fidèle ami était déjà là. Il henissait portant les écureuils dont quatre s'accrochaient à la queue. Les autres étaient planqués dans la poche de la gibecière ou s'agrippaient à la crinière. Pétoche, couvert de vase, se dressait fièrement entre les deux oreilles de l'étalon.
L'épaule du cheval au galop la frôla. Elle se cramponna à sa crinière, l'accompagna sur quelques pas et prenant son élan, sauta sur son dos. Accélérant, il l'emmena au cœur de la forêt, en sécurité loin du camp des Amazones, en direction du nord.
Elle éclata de rire.
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