27
Kian n'éprouvait que de la répulsion en portant la jeune femme qui frissonnait contre lui, il avait l'impression d'avoir un corps en putréfaction dans les bras. Il dut serrer les dents pour s'empêcher de vomir ou de hurler, ses cheveux dressés sur sa nuque.
Il se dépêcha de descendre les deux étages qui les séparaient des chambres où ils étaient logés et ouvrit celle de la jeune femme. Il ne comprenait pas sa réaction, hier ça ne lui avait pas posé problème de s'asseoir à côté d'elle. Ni avant Seren, de coucher avec elle.
Ce fut avec soulagement qu'il la déposa sur le lit.
Mara pâle et en sueur, ferma les yeux en mettant sa tête entre ses genoux pendant que Kian se lavait rapidement les mains puis prenait la cruche d'eau de source sur la table. Il s'assit face à elle sur une chaise. Il ne voulait plus jamais la toucher, même par accident.
Il l'observa discrètement. Son visage soigneusement maquillé ne partait pas en lambeaux. Sa peau crémeuse ne suintait pas d'immondes liquides, sa robe bleue tirant sur le violet n'était pas moisie ni gluante. Quant au délicat parfum de fleurs qu'il sentait, il n'avait plus cette odeur de miasmes écœurant. Pourtant, il ne doutait pas de ses sens, l'avertissement était clair.
-Merci, dit-elle en déposant la cruche, ça va mieux.
-Tu es sûre? demanda Kian.
Elle hocha la tête, elle regrettait la chaleur de ses bras et sa proximité corporel.
-C'était une prophétie? questionna-t-il à voix basse les coudes sur les genoux.
-Ça m'arrive de temps en temps, confia-t-elle sur le même ton, mais ça n'a jamais beaucoup de sens jusqu'au moment où elle se réalise.
-Et cette histoire de guide? demanda Kian en s'installant dans le fond de son siège.
-Je ne sais pas trop, répondit-elle en haussant les épaules. Il nous retrouvera au coucher du soleil à l'orée de la forêt, (elle se retourna montrant la masse d'arbres à une dizaine de kilomètres de la ville). Il nous conduira durant la nuit.
Il se leva et regarda par la fenêtre. Au loin, étincellant au soleil avec son toit d'argent, il voyait l'une des tours de garde qui délimitait la frontière avec les Territoires Perdus. La ville était animée, il distinguait une place avec un petit marché où un couple choisissait des légumes en se chamaillant. Un petit groupe d'hommes discutaient avec bonne humeur une bière à la main près d'un puits, une femme aux longs cheveux noirs vêtue d'une robe de lin beige qui lui rappelait tellement Seren que sa gorge se noua, tenait ses enfants par la main riant avec eux. Il se détourna, une vague de regret le submergeant, il revint à Mara.
-Nous allons pouvoir manger et nous reposer ici avant de partir si nous devons chevaucher de nuit. J'irai voir Finn, merci pour ton aide.
Il lui sourit. Elle dût faire un effort surhumain pour ne pas suivre son instinct et se jeter à son cou.
-De rien, souria-t-elle.
************
Rentré dans sa chambre, Kian enleva sa tunique bleue, ses chaussures en cuir souple et ses braies puis les jeta à l'autre bout de la pièce. Il les mettrait au feu à la première occasion. Il se glissa dans le bassin et se frotta frénétiquement avec du savon. Réaction totalement irrationnelle, mais qui lui fit du bien.
Il alla voir Finn, puis se rendit dans la grande salle vide et fraîche, où l'on pouvait se restaurer à tout heure du jour où de la nuit. Il se servit de fromage, de jambon fumé, prit un panier de petits pains qu'il déposa à une place, retourna chercher une cruche de vin rouge et entama son repas.
Un quart d'heure plus tard, la porte du fond s'ouvrait. Des pas hésitant résonnaient sur les murs de la salle. Kian redressa la tête de son assiette.
-Fergal? appela-t-il.
-Finn m'a informé que nous partirons en fin d'après-midi, expliqua-t-il en le rejoignant tandis que Kian finissait son verre de vin. Il m'a dit qu'il t'avait vu descendre.
-J'ai du mal à dormir durant la journée, répondit-il en haussant les épaules. Sers-toi et viens t'asseoir avec moi, j'ai du vin si tu en veux.
L'éclaireur hocha la tête avec un petit sourire et alla prendre un plat. Kian servit un verre qu'il poussa devant Fergal assis face à lui et remplit le sien. Il fut surpris en le voyant de près. Fergal avait les traits tirés, des cernes noirs sous ses yeux aux pupilles dilatées. Ils mangèrent tranquillement en discutant, puis rassasié, repoussèrent leur assiettes. Le guerrier blond servit à nouveau du vin.
-Tout va bien? se décida à lui demander Kian à voix basse en le voyant frissonner.
-Ne t'inquiète pas Kini, tenta de le rassurer son ami avec un sourire avant de boire une gorgée de vin. C'est juste un peu de fatigue.
Voyant que ça ne prenait pas devant l'air perplexe de son compagnon, il soupira en écartant une mèche noire de son front haut.
-J'ai l'impression d'être vidé de toute énergie, avoua-t-il, et je dors mal.
-Il s'est passé quelque chose? insista-t-il en baissant encore la voix.
Il vit une lueur de peur traverser les yeux vert mousse de l'éclaireur. Kian pensait savoir ce qui se passait. Il avait vu la même fatigue chez deux autres guerriers à la caserne quand il avait mené sa petite enquête au détriment du temps qu'il aurait pu passer avec Seren avant de partir.
-Tu as couché avec Mara? demanda Kian en se penchant vers lui.
-Je...déglutit l'éclaireur paniqué.
Kian le retint par l'avant-bras avant qu'il ne puisse filer.
-Tu n'as rien à craindre de moi, souffla-t-il. J'essaie seulement de comprendre ce qui se passe, j'ai aussi été son amant pendant un temps, d'où ma méfiance envers elle.
Fergal ferma un instant les yeux. C'était bien ce qu'il avait soupçonné. Il s'en sentait soulagé, il pouvait en parler et peut-être que les cauchemars de ses dernières nuits ne viendraient plus le hanter pendant la journée. Il ne se sentirait plus oppressé, il pourrait reprendre normalement le cours de sa vie en se tenant le plus loin possible de Mara. Kian le relâcha.
-Deux hommes avec qui j'ai discuté à la garnison, continua Kian à voix basse, m'ont rapporté qu'en échange d'une seconde nuit, elle demandait qu'ils lui donnent quelque chose leur appartenant.
-Qu'a-t-elle exigé? s'enquit l'éclaireur en essuyant son front luisant de sueur.
Le guerrier atlante pencha légèrement la tête.
-De la semence pour l'un, répondit-il calmement. Pour l'autre, un petit flacon de son sang.
Fergal déglutit, plus rien sur son visage ne transparaissait de la finesse de ses traits nobles et fiers. Seul restait la peur, l'éffarement.
-Et toi? questionna Fergal hésitant.
-Elle a très bien pu me prendre quelque chose sans que je m'en aperçoive, admit Kian. Mais elle ne m'a rien demandé et ne s'est pas directement attaquée à moi comme elle semble l'avoir fait pour vous.
Kian sirota tranquillement son verre, il ne voulait pas presser son camarade, la conversation n'avait rien d'agréable. Il avait besoin d'une réponse, bien qu'il ne sache pas ce qu'il pourrait faire de toutes ses informations sans queues ni têtes, ni si cela était important. Il se fiait seulement à son instinct. Mais si Fergal tardait trop, il finirait probablement ivre. Il dut tendre le l'oreille pour ne rien manquer tellement la voix de son ami était basse.
-Elle m'a confié un petit flacon noir au fond épais où elle avait glissé des brindilles. Il était décoré de créatures bizarre modelé avec des fils d'or et le bouchon était taillé en forme de femme nue. Elle m'a recommandé de le couvrir d'un morceau d'étoffe en attendant de l'utiliser pour éviter de me "...laisser happé..." , par les motifs qui le décor.
Le guerrier blond fronça les sourcils. Fergal but une gorgée de vin les yeux dans le vide.
-Elle m'a indiqué un petit temple où je devais me rendre derrière le palais. J'y suis entré, il n'y avait personne. J'ai déposé quelques grains d'encens dans la coupole que tient Belisama, (il fronça le nez de dégoût). Ça puait la chair brûlée. J'ai pris une brindille du flacon et je l'ai allumé à la flamme qui était devenue bleutée. Je l'ai touchée (il montra son index sur lequel une marque rouge était visible), elle était si froide qu'elle m'a brûlée.
-Je peux? demanda Kian en tendant la main.
L'éclaireur tendit sa main. Kian la prit dans la sienne elle était tiède, il observa le doigt. Il n'y avait rien en dehors de la brûlure, il passa son pouce dessus et écarquilla les yeux. Elle était glaciale. C'est alors qu'il remarqua la légère coloration bleutée de ses lèvres.
-Tu as froid?
L'éclaireur hocha la tête en frottant distraitement les mains l'une contre l'autre.
-J'ai le sang glacé, je n'arrive pas à me réchauffer.
-Je t'emmènerai voir quelqu'un quand nous serons rentrés, elle pourra peut-être t'aider.
-Seren? questionna Fergal. (Après un instant de réflexion il hocha la tête). Elle a le don de réchauffer les cœurs. Je l'ai senti quand elle m'a embrassé sur la joue. Elle est belle, déterminée.
Kian le regarda bouche-bée. Fergal éclata de rire, le premier vrai rire depuis qu'il avait rejoint la couche de Mara. Le froid s'éloigna de lui, ses cernes s'estompèrent et ses joues reprirent des couleurs. Il sentait la vie revenir en lui. Il siffla son verre avec bonne humeur, les yeux pétillants.
-Je crois que je vais pouvoir dormir un moment, dit Fergal en se levant, à tout à l'heure.
Il serra l'épaule de Kian et sorti de la salle.
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