16
La semaine poursuivit son cours, Seren étant la journée au temple de Belisama avec Blodwen et la dizaine d'autres novices, tandis que Kian était à la caserne accomplissant son devoir militaire. Le soir ils se retrouvaient, allaient se promener un moment et s'arrêtait prendre un verre de cidre et une pâtisserie, ou ils se rendaient la taverne du taureau rouge et y retrouvaient leurs amis. Ils rentraient dans la maison du port, faisaient l'amour et mangeaient quand ils y pensaient.
-Vas-y, essaie encore, l'encouragea Blodwen, laisses le pouvoir t'envahir et la déesse guider tes pas.
Dans le silence du temple, elle chassa Kian de son esprit et se concentra.
La coupole de braises grésilla. Sa supérieure ouvrit une petite boîte en bois d'acacia ornementée et prit une pincée d'encens de Kyphi, mélange de canelle, de miel, des baies de genièvres, de myrrhe et de bois de santal qu'elle répandit sur le charbon. Le bouquet d'arômes acheva de la détendre.
Elle voyait le cœur de Blodwen battre dans sa poitrine, elle s'introduit en douceur.
Des larmes; Blodwen était seule sur une grève, regardant le dernier bateau s'éloigner dans le couchant, transportant son peuple sur le chemin rouge sang qu'ouvrait l'océan, à travers les brumes.
Seren y projeta un peu de chaleur pour que le poids du souvenir s'allège.
Un éclat de rire, alors que Cynfarch se retrouvait sur les fesses dans l'eau peu profonde de la rivière, marmonnant, pendant que son cheval pie noir et blanc broutait les fleurs violettes de l'autre côté de la rive, sous le soleil radieux de l'après-midi.
La jeune femme souriante en voyant ces images, absorba pour elle-même un peu de cette joie, qui lui donna un regain d'énergie.
-Me pique pas tout! grogna Blodwen. Sinon ce souvenir n'aura plus aucune saveur. Tiens, cherche la colère, ingurgite-là et renvoie-là.
Le grondement d'un orage au loin. Un ciel gris acier, de la pluie, de la boue, une odeur de mort. Un champ de bataille; les corbeaux se gorgeaient des entrailles des cadavres et leurs crevaient les yeux. Les ennemis, massifs étaient couverts de peaux d'ours, et de masques mortuaires cauchemardesques. Ils étaient armés de fléaux, de masses et de lances souillées. Les vikings mutilaient les guerriers atlantes agonisants, prolongeant leurs souffrances. Ils violaient les femmes, égorgeaient les vieux, les enfants et brûlaient les maisons.
La jeune femme s'immergea complètement, elle laissa la colère s'infiltrer en elle. Blodwen vit les traits de Seren se contacter et se déformer sous l'effet de la rage. Des flammes à peine visibles l'encerclaient, la chaleur de la pièce auguementa brutalement faisant ondoyer les murs.
-Ne la laisses pas s'éparpiller! ordonna la servante de la déesse. Redirige-là! Va dans le cœur de la pierre, pas dans le mien, j'en ai encore besoin!
La température retomba brusquement. Un bourdonnement plaintif. Marmonnant, Blodwen fila à toutes jambes et referma la porte derrière elle, où elle trouva Owain qui la regarda d'un air intrigué.
Seren rappella la chaleur à elle, les yeux fermés, sentant son sang bouillir dans ses veines, elle tendit sa paume. Le bourdonnement se fit suraiguë et continu, tandis qu'un mince faisceau doré en fusa et s'inséra dans la pierre. Plus un bruit. Un craquement.
-Par les couilles du taureau sacré! Baissez-vous! hurla Blodwen en applatissant le guerrier beuglant pourtant plus grand et plus lourd qu'elle.
La roche se veina de rouge et explosa.
Des éclats de pierres se fichèrent dans les murs et la porte dans un crépitement assourdissant. Une fois le silence retombé, Owain, Blodwen toujours collée sur son dos, releva prudemment la tête. Un bout de tesson tranchant encore vibrant sailliait de la porte juste sous son nez. Il déglutit.
-Seren? appela Blodwen.
Une toux sèche, un raclement de meubles, un grommelement.
-Oui! répondit la jeune femme. Tu va bien?
-Ça ira, affirma la supérieure du temple se relevant en aidant Owain. Je crois que ton oncle va s'en sortir aussi, avec quelques bleus.
Owain qui épousstait sa tunique jaune lui jeta un regard mauvais.
-C'est toujours aussi dangereux ici? grogna-t-il.
Seren ouvrit la porte couverte de poussière, des débris parsemaient sa chevelure et sa robe de lin claire était déchirée, un coupure saignait sur son tibia. Owain la serra contre lui.
-Avec des objets oui, admit Blodwen, sur des humains il s'agirait plutôt d'une combustion contrôlée qui part du cœur et se repend à travers les vaisseaux sanguins.
-Il crame de l'intérieur et devient noir comme du charbon? simplifia le guerrier horrifié. (Il regarda sa nièce avec inquiétude).
-Tout juste, confessa la supérieure, c'est pourquoi nous avons gardé le secret. Pour les autres, elle restera seulement une personne capable de lire dans le cœur des hommes avec le pouvoir d'atténuer leurs peines ou de l'amplifier à l'aide de la chaleur. (Elle plissa ses yeux verts et agita un doigt menaçant sous son nez). Compris?
-Oui oui, répondit-il en hochant la tête passablement secoué, vous pouvez compter sur moi.
Seren sourit.
-Emmène-le boire une bière pendant que je vais me changer, suggéra la jeune femme, je ne peux pas retrouver Kian dans cet état.
-Allez, dit Blodwen en prenant Owain par la taille, vous l'avez bien méritée. Bière blanche, ça vous va?
-Même de la pisse de chien m'irait après ça! souria-t-il en la prenant par les épaules.
Elle jeta un regard suspicieux au guerrier qui haussa les épaules. Elle se tourna vers sa petite flamme, qui était secouée d'un petit rire.
-Je m'occuperai de ranger après, l'informa-t-elle, tu as besoin d'aide?
-Ça ira, assura-t-elle, je n'en aurais pas pour longtemps.
************
Kian était allé faire un tour dans les bois après les exercices, il aimait le calme de la forêt, avec sa lumière particulière de fin d'après-midi et sa fraîcheur avec, en fond sonore, le bourdonnement des insectes et les piallements des oiseaux.
Il rentrait tranquillement au pas à l'écurie, les rênes lâches, Taram secouant les oreilles. Il eût la bonne surprise de voir Seren et Owain qui discutaient, assis sur un banc à l'ombre d'un arbre, une cruche à leurs pieds. L'étalon hennit et se mit de lui-même au petit trot, en direction des visiteurs qui se levèrent à son approche.
Il descendit de selle, caressa son cheval et embrassa brièvement la jeune femme avant de saluer Owain en touchant son front de deux doigts.
-Mouais, fit le soldat avant de lui serrer l'avant-bras, tu ne vas pas t'en tirer comme ça.
Seren un petit sourire aux lèvres, caressa l'encolure sous la crinière bicolore de l'étalon. Elle lui tendit une pomme qu'il prit délicatement entre ses grandes dents et la croqua, du jus dégoulinant sur son menton.
-C'est bien ce qui me semblait, soupira Kian en hochant la tête et acceptant la cruche d'eau que Seren lui tendait.
Il but et la remercia d'un baiser que la jeune femme le regard pétillant, lui rendit. Owain grogna en plissant les yeux. Puis, surgissant brusquement, un sourire inquiétant s'étala sur son visage.
-Alors comme ça tu couches avec ma nièce? s'enquit Owain d'une voix sirupeuse. Le dernier qui l'a touchée a eût les couilles tranchées et clouées au mur au-dessus de mon bureau.
-Ce n'est pas vrai! affirma la jeune femme en voyant son amant pâlir sous son bronzage.
Owain tourna autour de Kian qui était légèrement inquiet, en le regardant de bas en haut avec un sourire affable. Seren jeta un regard noir à son oncle, qui, s'en apercevant, arrêta son manège. Il ne voulait pas finir cramé.
-Tu aurais pu tomber sur pire, au moins c'est un bon guerrier, concéda-t-il en serrant l'épaule de Kian, et pas une chiffe molle comme le blaireau que tu m'as fait subir précédemment.
-Fais subir! ricana-t-elle. Ce n'était qu'une soirée, et encore, tu ne lui a parlé que cinq minutes avant de partir rejoindre tes amis et de le traiter de... c'était quoi déjà? Ah oui! "...Fouine puante à la petite bite, infoutu de se servir d'une lame plus grosse qu'un couteau à tartiner!".
Kian étouffa un rire, Seren lâcha un grognement de mauvais augure. Taram, indifférent, fouillait dans les replis de sa robe dans l'espoir de dénicher une friandise supplémentaire. Elle lui caressa une oreille.
-Je t'ai ramenée à la maison après! protesta Owain outré. Tu as boudée toute la soirée et en plus, tu m'as engueulée comme une poissonnière!
-C'est vrai que c'est agréable de se faire planter devant tout le monde! répliqua-t-elle d'un ton narquois.
-Mais ce n'était qu'un peigne-c..
Le guerrier blond s'interposa en voyant l'air dangereusement aimable de la jeune femme et repoussa la tête de son étalon qui avait les naseaux plongés sous sa robe. Taram s'ébroua et se mit à brouter.
-Bon, bon, je m'excuse! céda Owain.
Seren les bras croisés, fit un léger non de la tête avec un sourire en coin.
-Tu ne vas pas me demander ça? s'exclama-t-il horrifié. Je fais partie de ta famille tout de même!
-À toi de voir, souria-t-elle perfidement.
Owain se tourna vers Kian. Il pût voir à quel point ils se ressemblaient; les mêmes yeux saphir, le même sourire et si la jeune femme était fine et gracieuse, le maintien noble et fier était identique.
-Un bon conseil: soupira-t-il en se passant une main dans ses cheveux bruns. Ne te la mets jamais à dos!
Le guerrier blond esquissa un petit sourire en regardant Seren.
-Je n'ai pas envie d'essayer, affirma-t-il en enlaçant la jeune femme. Je ne sais pas ce qu'elle te réserve, mais je n'aimerais pas être à ta place.
-Tu l'as dit mon gars, acquiesça-t-il en tapotant la croupe de l'étalon qui fouetta l'air de sa queue en continuant à brouter bruyamment. (Il agita un doigt en direction de sa nièce). Mais ce ne sera pas pour ce soir, je voulais vous invitez à manger à la taverne. Ça vous dit?
-Volontiers, accepta Seren après avoir consulté Kian du regard qui hocha la tête un sourire en coin.
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