VI - La Revanche
La reine Valendra était revenue des Cavernes de Cristal en ramenant avec elle de nouveaux alliés : elle avait su gagner la confiance des habitants du Royaume souterrain qui lui témoignaient à présent une loyauté sans faille. Avec cette aide inespérée, il semblait évident qu'Eurdyth ne pouvait désormais qu'être victorieuse sur le cruel empire de Sabbaon. Elle se tenait sur le promontoire, le cœur battant, observant la dernière bataille : il était clair, en voyant la masse des bataillons en bleu, que les soldats rouges de Sabbaon n'avaient aucune chance...
Mais les choses ne tournèrent pas comme prévu : l'Empire avait dissimulé une partie de ses troupes et ce renfort inattendu s'abattit brusquement sur les forces conjointes d'Eurdyth et des Cavernes de Cristal. Les conséquences de ce guet-apens furent dévastatrices : bientôt, la retraite apparut comme la seule solution possible...
* * *
Décomposée, la reine Valendra se tourna vers sa servante et conseillère :
« Assari... Qu'est-ce que ça signifie ? »
Sa voix choquée montait vers les aigus, avec une légère pointe de panique particulièrement douce aux oreilles de Sarah. Elle se fit un plaisir de ne pas sortir du jeu :
« Votre Majesté... On ne sait jamais ce que le destin peut réserver, déclara-t-elle d'un ton serein. C'est dans l'adversité qu'apparaissent les plus grands souverains. »
La reine secoua la tête :
« Mais... ça ne devait pas se passer comme ça, glapit-elle. Vous le savez... »
Mais elle ne put aller plus loin. Evense et Ossana, ses deux généraux principaux, venaient de se présenter, la mine défaite.
Evense, un homme mince et distingué aux cheveux gris, s'inclina avant de déclarer :
« Votre Majesté... L'Empereur souhaite vous parler.
— L'Empereur de Sabbaon ?
— Je n'en connais pas d'autres, déclara Ossana, une forte femme à l'expression pragmatique.
— Je... je suppose que je n'ai pas le choix, balbutia Valendra, cherchant comme à l'accoutumée l'approbation d'Assari.
— C'est une sage solution, en effet... »
Peu de temps après, entouré de ses gardes, l'Empereur se présenta devant la tente de la reine d'Eurdyth : c'était un homme puissant et charismatique, dont la chevelure se répandait dans son dos telle une crinière fauve. Son armure de cuir renforcé de plaques de bronze était d'un rouge sanglant, qui répondait aux reflets rubis dans son regard. Il s'avança vers la souveraine et plaça les deux mains sur ses épaules :
« Voilà qui est bien joué, ma sœur ! Nous pouvons à présent arrêter cette mascarade !
— De quoi voulez-vous parler ? couina Valendra en se dégageant brusquement.
— Du fait que tu as toi-même trahi tes troupes. Tu les as envoyées dans ce piège... »
Valendra pâlit et regarda tour à tour Assari, Lohan, Evense et Ossana :
« Mais c'est totalement faux ! C'est une calomnie ! Pourquoi aurais-je fait cela ?
— Parce que tu es ma sœur. Tu as usurpé ta position grâce à un sort qui a altéré la mémoire de tous et qui t'a permis de prendre la place de la véritable héritière. »
La testeuse se tordit les mains avec détresse :
« C'est un mensonge. Je m'en souviendrais, si c'était le cas...
— Non, bien sûr ! Tu as fait lancer un sort sur toi-même pour ne pas t'en souvenir et n'éveiller aucun soupçon.
— Il y a sans doute moyen de le vérifier », déclara Lohan.
Il leva son bâton, activant un champ holographique à courte portée qui donna l'impression qu'en jaillissait une luminescente nuée verte. Aussitôt, l'émetteur dissimulé dans son oreille informa l'interprète du rôle que son sort avait fonctionné et qu'il avait constaté qu'une illusion couvait les consciences. Elle commençait à lentement se dissiper ; bientôt chacun saurait qui était réellement celle qu'ils avaient si longtemps appelée « Valendra ».
« Cela importe peu maintenant, déclara l'Empereur avec un large sourire. Tu ne sers plus à rien, puisque tu m'as livré Eurdyth. Tu pourras enfin regagner la cour de Sabbaon et te consacrer à la broderie. Si tu restes ici, je ne donne pas cher de ta peau... »
Valendra recula, secouant la tête avec incrédulité. Assari sourit : si Ami Adam sortait de son rôle, ne serait-ce qu'une minute, elle risquait de perdre sa fonction de testeuse. Détruisant ses aspirations... et les projets d'Illusyom.
« Je vais envoyer un de mes généraux pour s'occuper d'Eurdyth en attendant que l'annexion soit totale », reprit l'Empereur.
Il se tourna vers les gardes :
« Emmenez ma sœur... »
Les hommes en rouge s'approchèrent de la reine et la saisirent par les épaules :
« Venez, vous allez rentrer chez vous... »
— Non, ça suffit ! »
Elle recula brusquement et toisa Assari :
« C'est de votre faute ! Je suis sûre que c'est votre œuvre ! Vous êtes la responsable de tout !
— Bien sûr ! Je me souviens à présent que je suis la légitime souveraine d'Eurdyth, révéla Sarah d'un ton hautain. Vous ne vous en souvenez plus ? »
Ami serra les poings :
« Vous avez employé votre position de scénariste pour fomenter tout cela ! Vous avez profité de l'absence de monsieur Martin ! Avouez-le !
— Vous déraisonnez. De quoi parlez-vous ? Je pense que votre frère devrait vous enfermer.
— Non, je ne déraisonne pas ! »
La testeuse la menaça du doigt :
« Vous êtes jalouse ! Parce que ce n'est pas vous qui allez écrire la saga d'Eurdyth ! Vous ne serez jamais qu'une petite écrivaillonne minable, qui n'obtiendra jamais une once de célébrité ! Votre livre n'est qu'un ramassis de clichés...
— Oh... Et comment le savez-vous ? répliqua froidement Sarah. Parce que vous l'avez lu, sans doute ? »
Emi pâlit brutalement :
« Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
— De rien... ex-reine Valendra.
— Elle a raison, Choukana, il faut que tu me suives à présent.
— Choukana ?! »
L'Empereur entraîna la testeuse avec lui ; elle hurlait, protestait, se débattait, mais rien n'y fit. Sarah esquissa un doux sourire en réalisant que les autres joueurs s'amusaient follement.
« Votre Majesté, intervint Vincense en s'inclinant devant elle, vous êtes notre reine désormais. Je vous propose de trouver refuge chez nos alliés des Cavernes de Cristal. De là, nous organiserons la résistance pour des lendemains meilleurs. »
La scénariste leur sourit avec félicité. Elle savait que les lendemains seraient loin d'être faciles : son poste à Destinées Secondes était perdu ; elle aurait de la chance si elle s'en tirait sans sanction majeure. Mais pour le moment, elle savourait cet instant de triomphe passager qui la voyait sacrée reine et de nouveau maîtresse du destin qu'elle avait écrit.
Une chose était certaine, elle réécrirait les Mille Périls, mais l'histoire changerait de façon radicale. Il était hors de question que la reine guerrière ait désormais toute la gloire.
Il était temps pour la discrète conseillère se révèler aux yeux de tous.
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