RETOUR EN CAGE • PT. II

« Apollodore, on peut parler ? »

Le noir se retourna pour faire face à Alain qui s'approchait de lui, posant une main presque revendicatrice sur son avant-bras. Apollodore s'en trouva un peu mal a l'aise. Son professeur avait souvent ce genre de gestes, et il n'était pas certain d'en saisir pleinement le sens, ni même si ce n'était qu'avec lui qu'il agissait ainsi, avec une sorte de familiarité.

« Je vous écoute. »

« Ne t'ai-je pas déjà dit de me tutoyer ? »

Ce genre de familiarité.

« Si. »

Ce n'est que vingt minutes plus tard, après une discussion peut être un peu à rallonge, comme si son professeur faisait tout pour la faire durer, Apollodore quitta enfin l'atelier.

Dans le couloir, il regarda à droite, puis à gauche, et encore à droite, dans l'espoir vain de voir Icare surgir, comme il le faisait toujours, derrière une arcade ou juste devant lui tel un charme. Mais pour une fois, le garçon n'était visible nulle part. Apollodore s'en sentit tout à coup très vide. Il se maudissait d'avoir mit tant de temps à prendre congé de son professeur. Il s'en voulait d'avoir laissé Icare lui filer entre les doigts. Il n'avait pourtant rien à lui dire, rien de prévu qui ne le concerne de près ou de loin. Il avait simplement envie d'être en sa présence. Parce que la vie aux côtés d'Icare avait quelque chose d'exaltant. Et qu'il ne voulait jamais plus avoir à s'en passer. Ça semblait stupide, presque maladif, même à ses propres yeux, de ressentir un tel attachement, non plus que ça un besoin viscéral d'être en sa compagnie, mais pourtant, en son cœur, c'était presque comme si chaque journée qu'il avait pu vivre avant de le connaître avait été une journée de perdue, une journée qui n'avait pas valu la peine d'être vécue. Et il ne voulait plus jamais vivre un seul jour sans ressentir pleinement l'énergie qui le traversait.

Apollodore sortit dans la rue et s'arrêta à un petit kiosque pour acheter le journal. Il attendit de trouver un petit café, d'être attablé en terrasse avec un expresso, pour déplier son périodique. Les événements de la veille à La Sorbonne et surtout l'émeute qui s'en étaient suivies, y étaient relatés. En effet, le matin même, les parisiens avaient découvert, certains avec horreur, d'autres avec indifférence, les graffitis qui ornaient depuis la veille les murs de La Sorbonne. Plusieurs d'entre eux deviendraient emblématiques, pour leurs traits d'esprit, pour leur humour mais aussi pour la vérité qu'ils renfermaient. On retiendrait par exemple le sulfureux : "L'alcool est mauvais pour la santé, baisez et fumez du LSD" utilisé par les journalistes pour décrédibiliser le mouvement, collant à la jeunesse une étiquette de puérilité qui refuse de grandir et d'accepter les responsabilités inhérentes à la société. Comme toujours, les aînés prenaient leurs cadets de haut et refusaient d'entendre ce qu'ils avaient à dire, faisant exprès de ne pas comprendre pour ne pas avoir à écouter. Et l'opinion publique se faisait sur cela, sur l'analyse de journalistes aigris et d'un doyen de fac totalement dépassé par les événements qui rejetait toute la faute sur les élèves. En définitive, le fait d'être considéré comme un jeune et non un adulte retirait tout droit à avoir des idées méritant d'être entendues.

Et pour la première fois, Apollodore sentit la révolte qui habitait ses camarades. Il la comprit et l'accueilli comme sienne. Si les adultes refusaient d'écouter quand on leur parlait, alors ils allaient leur montrer et les forcer à voir les problèmes de la jeunesse qu'ils tentaient de nier en les cachant sous le tapis. Il ne s'agissait plus seulement des étudiants de Nanterre, c'était plus profond. C'était toute une classe sociale qu'on tentait de faire taire, la preuve en était les arrestations de la veille. La liberté d'expression, comme celle de manifester étaient fondamentales, et les rixes de la veille en étaient une remise en cause plus que préoccupante. Sur ces points, Apollodore refusait de se laisser faire et de céder du terrain. Ce genre d'oppressions menaient à l'obscurantisme. Alors lui aussi allait se mettre à crier pour être entendu. Il savait ce que c'était de subir le manque de son sidération, et il ne souffrirait pas que l'entièreté de la jeunesse s'en trouve accablé.

Apollodore n'était pas le seul que ces arrestations avaient révolté, comme lui, des centaines d'étudiants se sentirent subitement concernés par ce mouvement qu'ils ne suivaient jusque là que de loin. C'est ainsi que le soir venu, plutôt que de n'être que six ou sept dans le petit appartement de la rue du chat-qui-pêche, ils se trouvèrent être plus d'une dizaine, rendant le lieu plus exigu encore. Pour tout avouer, Apollodore y était allé tant pour les idées qui y seraient échangées, parce qu'il était désormais convaincu que ce mouvement était à la fois légitime et nécessaire, que dans l'espoir de recroiser Icare. Malheureusement pour lui, ce dernier n'était visible nulle part.

Alberta s'assit à même le sol à côté de lui et lui tendit le joint. Apollodore le prit sans hésiter et tira dessus la tête penchée en arrière pendant que la jeune fille laissait courir sur lui un regard qui ne masquait à peine l'intérêt qu'elle lui portait. Il s'en sentit flatté et lui répondit par un sourire. Au centre de la pièce, le futur de leur petit groupe était discuté. Si certains avaient pris peur à la première apparition de la police et les premières arrestations, plus encore avaient ressenti colère, injustice et indignation face à cela. Si tout cela avait débuté avec une critique du non-sens total qu'était le conflit armé qui faisait rage au Vietnam, ce n'était certainement pas pour ployer devant les armes d'une milice identique dans leur propre pays.

« Il faut organiser plus de manifestations. » Dit a un moment Alberta.

« Mais continuer ainsi, c'est se battre contre des moulins, et on ne peut pas se contenter de ça éternellement. » Soupira Amanda qui avait récupéré le joint. Assise en tailleurs malgré sa jupe courte, elle fit tomber les cendres dans le petit cendrier au milieu du groupe, en un geste presque trop élégant pour la nonchalance qu'elle dégageait à cet instant.

« Ce n'est pas ce que je propose. Je dis simplement qu'on gagnerait en crédibilité à se montrer les plus matures possibles. En étant méthodiques, organisés. On attaquerait sur un terrain où ils ne nous attendraient pas et on les prendrait à leur propre jeu. »

« Tu parles, on ne ferait que se plier à leurs standards. On les ferait gagner avant même de commencer. » Argua Martin, appuyé contre un meuble, bras croisés.

« Gagner, perdre, tu parles de ça comme d'une guerre. Il s'agit de faire évoluer les mentalités et de promouvoir des idées, pas de se battre comme les derniers des rustres. Les guerres inutiles et la violence sans fondement, c'est justement ce qu'on dénonce. »

« Sauf que ça n'a rien d'inutile et que c'est loin d'être sans fondement ce coup-ci. C'est la toute la différence. »

Même s'il n'était pas là, Apollodore entendit Icare s'offusquer : mais c'est une guerre, aurait-il dit, une guerre que la société a elle même lancé en étouffant la jeunesse, nous on ne fait que répondre à leurs brimades. En son fort intérieur, Apollodore était plutôt d'accord avec cela, même si parler de guerre renvoyait aux atrocités commises au Vietnam justement, il s'agissait là d'un contexte tout différent. Où l'un des conflit cherchait à priver des peuples de leur liberté, l'autre ne serait qu'une revendication de ladite liberté. Et c'était ce qu'Alberta refusait de voir. Pour elle toute forme de violence était à proscrire et les choses pouvaient changer simplement par voix diplomatique. Seulement dans les faits, rares étaient les changements qui avaient été actés sur de simples pourparlers. La diplomatie venait toujours après que la voie ait été ouverte dans le sang, les larmes et la violence. C'était ce que l'histoire nous apprenait.

« Mais tes belles idées, Alberta, justement, ils refusent même de considérer de les écouter. »

« Ah oui et qu'est-ce que tu proposes ? Foutre le feu aux universités ? » Interrogea la jeune italienne, pleine de bonne volonté à débattre mais se refusant de laisser passer des idées extrémistes.

« Si un feu de joie peut les forcer à nous prendre au sérieux, pourquoi pas. » Glissa Apollodore, parce qu'une fois de plus, il était certain que ç'aurait été quelque chose qu'Icare aurait pu dire.

« Soit un peu réaliste... » Soupira Alberta en lui jetant une œillade concernée.

« Je pense que le fond du problème ne réside pas dans le fait d'être écouté ou non mais dans le fait de se faire entendre. On ne peut décemment par crier au vent et attendre que l'opposition daigne nous accorder l'attention qu'on requiert, qu'on mérite. Si en face de nous la société se mets les mêmes œillères depuis des siècles, il ne tient qu'à nous de les lui arracher pour la forcer à nous regarder dans les yeux. Et croyez moi, on ne sera pas, à ce moment là les premiers à baisser les yeux. » Trancha Martin en récupérant la cibiche.

-

J'ai un peu de mal dans la régularité des publications, le temps que je mette en place les publications simultanées sur Wattpad, tapas et neovel. D'ailleurs concernant cette dernière plateforme, c'est sur celle-ci que vos lectures comptent le plus étant donné la rémunération mise en place pour tous les auteurs (rien de mirobolant pour le moment ma cagnotte s'élève à un seul et unique centime, mais ça reste hyper gratifiant d'avoir son travail récompensé et non exploité haha), c'est d'ailleurs pour cela que les chapitres sont publiés sur neovel avec un peu d'avance (actuellement disponibles jusqu'au chapitre 5)

Aussi si vous avez suivit mes stories insta, vous avec sûrement vu celle où je vous disais que les chapitres sur Neovel ne seraient pas scindés en trois comme ici sur Wattpad, mais pour des soucis de praticité, je suis revenue sur cette décision (également parce que j'ai eut le retour d'une personne en particulier qui trouvait ces chapitres un peu longs et je me suis dit qu'ils n'étaient peut-être pas tellement adaptés au format numérique) bref j'ai fait les modifications nécessaires sur neovel (désolée pour l'avalanche de notifs d'ailleurs haha)



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top