RETOUR EN CAGE • PT. I

Icare avait eut son père au téléphone. Il avait appelé l'école et demandé à ce qu'on lui passe son fils. L'homme qui siégeait à la réception avait envoyé son assistante à la recherche du garçon, sur la demande expresse de son père. La vérité, c'était qu'Icare n'était pas rentré chez lui depuis déjà plusieurs jours, et s'il avait su que son père passerait par l'administration de la fac pour mettre la main sur lui, il aurait sans plus de réflexion prit la décision de ne pas rester sur le campus. De toute façon, ce matin, c'était samedi. Il n'avait que des options facultatives et aucunes d'elles n'impliquait de se retrouver dans les mêmes ateliers qu'Apollodore. De fait il s'ennuyait sec. S'il aimait l'art d'un amour sincère, il n'avait que faire de toute la théorie qui l'accompagnait. Le propre de l'art était justement de pouvoir être valué à l'appréciation de chacun. Ce qui résonnerait pour l'un pourrait se trouver être fort plat et banal pour un autre. Théoriser toute cela serait comme en codifier l'interprétation pour la rendre valable que d'une seule façon. Ce serait nier entièrement le côté personnel de l'art. Et ce n'était pourtant que de par ce côté personnel que l'art pouvait raisonner en chacun, d'abord individuellement, puis atteindre une envergure universelle. C'était cela qui lui conférait son importance. Que serait la vie sans art ? A peine plus qu'une pièce théâtrale absurde et sans intérêt, bien indigne des grands dramaturges. Ce serait un orchestre rendu cacophonie.

Toujours était-il que depuis cet appel, Icare était en colère. Les nerfs en pelote, il n'avait pu se forcer à retourner écouter ce cours abrutissant dispensé par un professeur qui, il en était certain, n'avait plus été ému par la moindre œuvre depuis bien longtemps, si ce n'était jamais. Une fois de plus, le blond avait eut droit au couplet sur la guerre de la part de son père. Une fois encore, il avait insisté sur le fait que si Icare avait connu cela lui aussi, il serait bien différent. Sur ce point, il n'y avait pas à douter. La guerre change les gens. Mais était-ce pour autant souhaitable ? Pourquoi les générations qui ont connu des drames se sentent toujours obligées de comparer leur vécu à celles des générations d'après, leur reprochant de ne pas assez avoir vécu, de ne rien connaître de la vraie vie, celle qui est dure, pour laquelle les hivers sont rudes et chaque jours peut se trouver être le dernier ? Comme si les générations privilégiés d'avoir toujours connu la paix, voir l'opulence, devraient avoir honte de ce privilège et se repentir de ne pas avoir tant souffert que leurs ancêtres. Le but de ces ancêtres n'était-il pas d'offrir un climat meilleur à leurs descendants, de leur éviter la rudesse de la vie qu'ils ont vécu ? Alors pourquoi quand c'était le cas on reprochait à la jeunesse de s'être construite sans n'avoir à supporter de tragédies ? La réponse était simple. Ce que les anciens appelait l'ingrate jeunesse n'était que le reflet de leur propre jalousie vis-à-vis de ladite jeunesse. Et ainsi, pour que la balance des douleurs soit respectée, ils cherchaient à faire culpabiliser les jeunes, les faire se sentir mal pour un privilège qu'ils leur ont eux-mêmes permis d'avoir. Pour Icare, c'était la seule explication.

Alors, impulsivement, parce que c'était le mot qui le caractérisait le mieux, Icare déboula dans le grand atelier où le cours complémentaire de sculpture était dispensé. S'il avait eut l'idée d'y entrer sans la moindre retenue, en faisant claquer les portes, une chose l'en en retînt. C'était le visage studieux d'Apollodore. Et ainsi, au lieu de débarquer et d'interrompre le cours de Monsieur Laurent, il se contenta de rester à l'écart, en silence, l'épaule appuyée presque nonchalamment contre l'une des colonnes de pierre blanche. La vérité était qu'il ne parvenait pas à détourner les yeux d'Apollodore. Si Icare avait bien du mal avec les cours théoriques, il était tout de même féru de savoir. Et pouvoir si discrètement observer Apollodore travailler, presque l'étudier, se rapprochait à s'y méprendre d'une démarche scientifique.

Quand il sculptait, Apollodore était d'un calme olympien et d'une concentration à toute épreuve. Le genre de concentration que nul ne saurait troubler, pas même Icare. Quoique.

Apollodore était perfectionniste dans son travail artistique, plus que cela, en fait il changeait totalement quand il peignait ou sculptait. Comme s'il enfilait une seconde peau, faite de savoir, de sagesse et de talent. Il en devenait muet, et ça le rendrait presque froid s'il n'était pas si beau. Pour Icare, c'était comme découvrir la face caché de la lune là où il n'avait connu que le soleil, incandescent. Et ça le subjuguait. Si bien qu'il en oublia l'appel de son père, ses griefs contre le monde et même peut-être, au moins pendant un tout petit instant, de respirer.

Mais soudain, l'impensable se passa. Apollodore détourna les yeux, rupture dans sa carapace, il quitta des yeux son travail pour les déposer sur Icare. Le blond, pour la première fois n'osait pas esquisser le moindre geste. Il était cloué sur place. Et si d'apparence il paraissait calme, c'était bien un feu divin qui le dévorait tout entier à l'intérieur. Un feu qui ne s'éveillait que sous le regard, l'attention d'Apollodore. Et c'était une sensation presque douloureuse, mais le genre de douleur particulière que l'on aimerait conserver pour toujours au fond de soi. Pourtant, Apollodore ne le regardait pas vraiment. Du moins plus vraiment. Il posait les yeux sur lui avec le regard de l'artiste seulement. Icare, sous ses yeux là, n'était plus un humain. Il était objet. Objet d'art, objet de désir, qu'importe, sa splendeur demeurait intacte. Et le charme ne se rompit que quand Monsieur C.Laurent frappa dans ses mains, demandant l'attention de ses élèves. Si Apollodore mit du temps à détacher ses yeux d'Icare, cela n'échappa à son professeur qui jeta un regard réprobateur au blond. Il n'aimait pas que son cours fusse dérangé par un opportun comme Icare. Aussi, le blond prit cela comme une invitation à rester rien que pour l'amour de la confrontation. Un sourire narquois aux lèvres, il eut même le culot de faire quelques pas de plus dans l'atelier. Au centre de celui-ci, se trouvait une estrade couverte d'un tissus de velours pourpre. Sur celle-ci, une jeune femme, entièrement nue. Icare eut la surprise, au moment où il daigna lui accorder un regard, de reconnaître Alberta. Rieuse, elle lui accorda un petit signe discret avant de se  concentrer à nouveau sur sa tâche, tournant par la même occasion son regard vers Apollodore. Icare sentit la jalousie poindre en lui. Et comme il n'aimait pas tout particulièrement ce sentiment, il tourna les talons et sortit en laissant claquer la porte.

Peu de temps après, la cloche sonna, et pour la première fois, Alain vit Apollodore se précipiter pour ranger ses affaires. La vérité c'était qu'il s'était retenu de le faire à la seconde même où Icare  avait quitté la pièce. Comme une envie irrépressible de le suivre. Seule sa bonne éducation l'avait retenu de laisser libre cours à son envie. Son envie de suivre Icare, comme s'il se devait de l'accompagner au bout du monde, si ça avait le moindre sens.

Apollodore n'avait jamais eut beaucoup d'amis, préférant se perdre en contemplation plutôt que de se donner la peine de parler aux gens. Et là en quelques temps, il se retrouvait presque irrémédiablement accroché à ce blondinet, qui, pour tout dire n'était même pas réellement un ami. A peine plus qu'une connaissance. Une connaissance pour qui il aurait pu accepter à peu près n'importe quoi, même si ça n'avait aucune logique.

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