PLUMES ET PAILETTES • PT. III
Le lendemain, alors qu'Apollodore se leva pour aller en cours, Icare avait déjà déserté les lieux. Au fond, ça ne l'étonna pas plus que cela. Il se prépara minutieusement, boutonnant sa chemise qu'il surmonta d'un veston gris.
Icare depuis qu'il s'était réveillé, n'avait qu'une idée en tête, se rendre sur le campus de La Sorbonne pour assister aux manifestations. Bien que peu concerné par celles-ci, il aimait leur énergie contestataire. Et quand il avait fini par croiser Apollodore dans le couloir avant de s'y rendre Icare avait bien essayé une fois de plus d'embrigader Apollodore, mais ce dernier avait été catégorique : il ne louperait pas ses cours avec Alain C. Laurent -encore lui- surtout pas celui sur les techniques d'art sculptural.
« Très bien, continue à t'abrutir le crâne avec des règles stupides dans ton université-carcan ! » Avait répliqué Icare.
Plus que tout, il détestait essuyer le moindre refus. Sans rien ajouter de plus, il avait tourné les talons, faisant voler les pans de sa veste. Il avait renfoncé son béret sur sa tête -il ne faisait que quatorze degrés, ce qui était un peu jeune pour un début mai- et il avait quitté le couloir, faisant claquer ses semelles sur le sol de pierre.
Apollodore avait choisi de ne pas s'en soucier. Après tout, ils ne se connaissaient même pas si bien Icare et lui, alors il était hors de propos de céder à tous ces caprices. Quand il avait décroché son entrée à l'académie des beaux-arts au terme du concours, il avait fait la promesse à son père de travailler, du plus dur qu'il le pourrait et il ne comptait pas revenir sur ses engagements. D'autant plus qu'il n'avait jamais été élevé pour devenir un tire-au-flanc. Ses parents lui avaient enseigné les valeurs du dur labeur, même si cela devait être dans des disciplines nées de la passion comme pouvait l'être l'art.
Pourtant, même loin d'Icare, celui-ci continuait de le hanter. À tel point que quand il sorti de l'université le soir venu, il se retrouva malgré-lui dans l'agitation des manifestassions. Comme si faute d'avoir pu l'emmener avec lui, Icare avait finit par emporter l'agitation jusqu'à Apollodore. En effet, des étudiants regroupés en protestation à La Sorbonne, Icare avait été l'un des plus virulents. Flanqué de Martin, habillé de son col roulé rouge et de son éternelle veste à col Mao en cuir camel, il avait adoré crier des slogans antiautoritaires sur la liberté, le rejet de la politique gaulliste et des conflits armés, encore plus quand il avait aperçut les premiers CRS. Ces derniers n'avaient pas tardé à sortir les matraques pour faire évacuer le campus en début de soirée. Dès lors, l'agitation s'était propagée jusqu'au boulevard Saint-Michel. Apollodore longeait la rue de l'ancienne comédie quand il entendit les clameurs. Par curiosité, peut-être aussi un peu par appréhension, il descendit deux rues plus bas. Et c'est avec stupéfaction qu'il se retrouva en plein milieu d'une rixe. Des policiers armés chargeaient un groupe d'étudiants, c'était irréel. Apollodore eut tout juste le temps de s'écarter, se collant à la façade pour éviter de se retrouver prit dans la charge. Un peu plus loin, les premières arrestations avaient lieu. Apollodore vit des manifestants forcés à monter dans les paniers à salade de la police. Il comprit à cet instant, que s'il voulait rester sauf de tout ennui, il ferait mieux de déguerpir en plus vite. D'ailleurs certains jeunes devaient en être arrivés au même constat puisqu'ils s'éloignaient en courant du centre de la manifestation, souvent les CRS aux trousses. Pourtant Apollodore ne pouvait s'empêcher de s'en faire pour Icare. Il connaissait la propension du garçon à s'attirer des problèmes et à se trouver pile là où il ne devrait pas. Ça l'inquiétait, sans qu'il ne sache vraiment mettre le doigt sur la raison de cela.
À côté de lui, il vit des groupes de jeunes démonter les grilles haussemanniennes en fonte qui se trouvaient au pied des arbres. C'était l'anarchie la plus totale, dans le sens le plus barbare du terme. Mais malgré cela, à y regarder de plus près, les manifestants étaient loin d'être désordonnés, en fait ils étaient solidaires et de cette solidarité naissait une cohésion de groupe. Ainsi, en à peine quelques poignées de minutes, Apollodore vit la première barricade être érigée. Chose à laquelle il n'aurait jamais cru assister un jour. Les grandes rues parisiennes commençaient à être envahies par le brouillard des grenades lacrymogènes. Et c'est là qu'il apparut. Icare. Les yeux rouges, les joues rosies et la respiration erratique. Il sortait de ce chaos le sourire aux lèvres. Apollodore ne réfléchit pas un instant, dès qu'il fut à sa portée, il l'attrapa par le bras pour l'attirer à sa suite. Derrière eux, deux CRS, munis de leur boucliers en forme de couvercle de poubelle et de leurs matraques qu'ils se complaisaient à appeler la gomme à effacer le sourire. Quoi de plus lugubre que de vouloir réduit un sourire à néant ? Pour Icare c'était une preuve de plus, s'il en fallait encore une, de leur sinistre mentalité.
Le blond fut surprit quand Apollodore lui saisit, peut être un peu trop rudement le bras. De toutes les personnes, son camarade faisait parti des dernières qu'il aurait cru croiser là. Mais il était nonobstant heureux de le voir.
Dans le ciel, les pavés commençaient à voler, descellés directement de la route. C'était d'une rare violence. Apollodore ne comprenait pas tellement comment une telle escalade avait pu avoir lieu. Regardant par dessus son épaule pour voir ces pavés s'écraser, il trébucha sur un trottoir permettant à un des CRS de le saisir par le bras. À ce moment, un groupe d'étudiants qu'il ne connaissait pas le moins du monde se précipita vers lui pour lui venir en aide. Les deux policiers furent donc forcés de battre en retraite, dépassés par le nombre. Étrangement, Apollodore apprécia cet élan. Lui qui à la base était contre la violence se retrouvait à la trouver ici presque justifiée. Et pour la première fois il avait l'impression que son cœur battait au même rythme que celui de toute la jeunesse de ce pays dans le quel il était né et avait grandi mais sans jamais réellement s'y sentir entièrement à sa place. Pour la première fois il sentait qu'il faisait parti d'un groupe. Et ça faisait un bien fou. Il reprit sa course toujours la main verrouillé sur celle d'Icare. Ils atteignirent bientôt une petite rue transversale, puis une autre, beaucoup plus calme, et alors qu'ils virent une porte cochère se refermer, ils se précipitèrent pour entrer dans la petite cour interne d'un petit hôtel particulier. Leurs cœurs tambourinaient à tout rompre. Ils entendirent des pas de l'autre côté de la porte, indices d'une course, et quand ces derniers se firent plus éloignés, ils s'autorisèrent seulement à reprendre leur souffle. L'adrénaline qui redescendait leur provoqua un fou-rire incontrôlé. Ainsi, ils eurent beaucoup de mal à calmer leur respirations haletantes. Jamais au grand jamais ils ne s'étaient sentis si vivants. C'était invraisemblable. À tout bien y penser, ils se connaissaient depuis à peine quelques jours, mais pourtant ça leur paraissait comme une éternité. Comme s'ils s'étaient côtoyés depuis toujours. Pour le sens que ça faisait.
Comme ils n'arrivaient toujours pas à endiguer leurs éclats de rires, ces derniers finirent par interpeller les propriétaires des lieux, qui en les voyant tous deux assis à même le sol dans leur petite cour intérieure eurent tôt fait de les jeter dehors. Mais grisés par la montée d'adrénaline qu'ils avaient subie, même de vieux bourgeois ronchons les menaçant d'appeler la police ne purent entamer leur euphorie. D'ailleurs ces menaces avaient bien peu de chance d'être exécutés, non pas qu'ils doutaient de la propension de ces bourgeois à appeler la police mais cette dernière institution semblait plus que débordée sur le moment pour donner suite à ce genre de plainte futile. Et puis ils venaient tout juste de leur échapper, alors la mena ce était assez mal venue, tant elle manquait de crédibilité.
Alors sous les vociférations des propriétaires, ils repassèrent par la grande porte cochère. Dans la rue devant, les choses étaient redevenues calmes. L'agitation s'était à nouveau déplacée, et Icare et Apollodore partirent en sens inverse. Le soleil se couchait au moment où ils revinrent sur le campus et c'est sans grande surprise qu'ils en trouvèrent les portes fermées. Apollodore aurait voulu passer à la bibliothèque de l'établissement pour emprunter un des ouvrage dont il avait été questions dans une de ses cours du matin. Tant pis, il n'était pas si sûr d'avoir envie de lire là, tout de suite.
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