PLUMES ET PAILETTES • PT. II

Apollodore se leva avec un hochement de tête et se dirigea droit vers le comptoir sombre et mouluré, en bois massif. Derrière celui-ci, une petite dame menue et d'un certain âge. Elle avait un grand front, des cheveux bouclés d'un châtain foncé et coupés assez courts. Elle tenait à la main gauche une cigarette allumée et son poignet était orné d'une petite montre au bracelet de cuir fin. Elle était vêtue d'une robe droite boutonnée aux motifs fleuris. Derrière elle un tourne-disque pour le moment éteint, cédant volontiers sa place aux musiciens présents, et une étagère pleine à craquer de vinyles. Il s'agissait de Marie-Thérèse Ricard, la gérante du club. Dans sa jeunesse, elle avait fait partie de la Résistance, glanant des informations contre les nazis. De par son physique fin et délicat, elle avait été surnommée le petit moineau, en référence à la célèbre Edith Piaf. C'était une femme chaleureuse qui avait fait de son club un lieu incontournable du Jazz à Paris. Elle avait réussi à se faire des contacts et pas seulement dans le monde de la musique, mais également du cinéma où même de la littérature. Les artistes qu'elle faisait venir à Paris et qu'elle surnommait affectueusement « mes enfants » logeaient dans le petit appartement juste au dessus et arrivaient de tous horizons. Certains d'Amérique, comme Al, d'autre de Suisse ou encore d'Italie ou d'Allemagne.

Revenu à table, il déposa un verre devant Icare, gardant le sien à la main. Icare se tourna vers lui et la discussion qu'il avait surprise entre Apollodore et monsieur Laurent lui revint à l'esprit. Alors il glissa seulement, sur un ton légèrement railleur :

« Le concours des beaux-arts, hein ? »

« Quoi ? » Demanda Apollodore qui ne voyait pas bien où était le problème avec sa toujours potentielle inscription à celui-ci.

« Non, rien. » Icare laissa couler un silence maîtrisé. « Quoi que. Dis moi quand même une chose. N'est-ce pas toi qui le premier jour m'a affirmé que je manquais d'esprit critique simplement parce que j'ai eut le malheur d'avouer que n'importe quel sujet me passionnait ? »

« C'était pour te taquiner. Et puis je vois vraiment pas le rapport. »

« C'est pourtant simple. Tu considères de participer au concours le plus artificieux jamais inventé. »

« Je comprends pas... »

« Ce concours, il sert juste à faire mousser les profs et surtout l'école. Ils vont se servir de tes œuvres pour se faire encenser. Ce n'est que pour t'utiliser. Profiter de ton talent. Et le brider. Surtout pas qu'il explose. Ce qu'il faut c'est sauver les apparences, faire comme si tu n'étais qu'un produit de cet établissement, leur création. A eux. Ils vont s'approprier tes œuvres et ne t'en laisseront pas même les miettes. Je comprends pas que tu ne l'ai pas déjà compris par toi-même. Ce Monsieur Laurent, il est exactement pareil. Il veut profiter de toi. Tu peux demander à Al, je suis sûr qu'il serait de mon avis. »

« Ah oui ? Voyez vous cela, tu ne connais Al que depuis quoi, trois minutes, et tu te t'argüe déjà de savoir ce qu'il penserait de la situation ? »

« Il a dit qu'il m'aimait bien. Et que l'académie était bidon. Le père Laurent ne fait pas exception. »

« Ne dits pas d'idioties, Alain veut simplement m'aider à faire mon chemin. Et puis ne l'appelle pas le père Laurent. C'est irrespectueux. »

« Alors que l'appeler par son prénom c'est tout à fait approprié. »

« Il m'y a autorisé. »

« Et donc tu y crois sincèrement, qu'il veut t'aider de manière toute désintéressé ? Il veut juste faire son propre chemin. A travers toi. »

« Tu ne le connais même pas. »

« J'en ai vu assez. Mais tu fais comme tu veux. Je te mets juste en garde pour pouvoir avoir bonne conscience au moment où je te dirai : je te l'avais dit. »

Apollodore rit en levant les yeux au ciel et Icare le suivit.

Très rapidement, dans cette ambiance lâche et détendue, pour Icare et Apollodore, les verres s'enchaînèrent, s'ajoutant aux joints qu'ils avaient fumé chez Amanda. C'est titubants et peut-être un peu trop heureux qu'ils ressortirent du club à l'heure de la fermeture. Ils n'avaient pas vu la nuit passer. Icare avait fini par apprendre que ce club de jazz était l'un de ceux souvent fréquentés par le père d'Apollodore et son cercle d'amis artistes. Al en faisait d'ailleurs parti. Comme le père d'Apollodore, il était expatrié américain, seulement il était en France depuis moins longtemps.

La lumière naturelle commençait à éclairer les rues quand Icare demanda la voix pâteuse :

« Dis, je peux dormir chez toi ? J'ai... j'suis saoûl. Arraché. Et j'ai pas envie de voir mon père. Pas l'énergie de me disputer ce... soir ? Matin ? »

« Pas de soucis. »

Pour ne pas mentir, Apollodore n'aurait pas imaginé la soirée finir différemment. Et curieusement, quand ils se glissèrent sous les mêmes draps, ils ne ressentirent aucune gêne. Peut-être était-ce du fait du fort taux d'alcool qui circulait dans leur sang. Dans la pénombre, Apollodore garda longtemps les yeux ouverts, posés fixement sur la silhouette endormie d'Icare. Ce dernier avait sombré à peine la tête posée sur l'oreiller. Oreiller qu'il s'était d'office accaparé sans même remarquer qu'il n'y en avait qu'un. Il avait l'air si calme endormi de la sorte, c'était tellement différent que de le voir éveillé. Éveillé, il était plein d'énergie, de facétie et d'arrogance. Mais une arrogance presque douce. Un étrange mélange. Il n'était pas ainsi par méchanceté, ni même par condescendance ou parce qu'il était imbus de sa personne, mais simplement parce qu'il était trop différent pour se fondre dans la masse. De sa posture altière à son langage élégant, tout chez lui criait l'aisance de sa supériorité.

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Un chapitre un peu plus court parce que découper ailleurs n'aurait pas tant fait sens.
Je sais que j'ai du retard dans les réponses à vos commentaires, pardooon (j'y réponds au plus vite des que j'ai un peu temps)
☀️

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