BEC ET ONGLES • PT II
Seul dans la pièce, Apollodore se dirigea d’un pas lent vers le tour. Il y apporta le seau de terre et un baquet d’eau avant de s’assoir sur le tabouret devant le tour. La poterie l’avait toujours détendu, et dieu savait qu’il en avait besoin en ce moment. Il voulait se sortir Icare de la tête. Sculpter dans de l’argile molle était moins agréable que dans le marbre, du moins de son point de vue, mais ça lui servait à travailler sur ses compositions, leur équilibrage et le coût était bien moindre. Avec l’argile, il pouvait travailler à l’infini, se tromper, recommencer, recycler, ce n’était pas aussi figé que le marbre. C’était presque une matière vivante. Vibrante. Presque chaude entre ses doigts. La nuit commençait à tomber à l’extérieur quand il trempa un linge dans le baquet d’eau clair pour l’essorer au dessus du tour. Puis il laissa tomber un pain d’argile dessus, avec la force nécessaire pour qu’il s’y accroche par effet de succion. Il trempa ses mains dans l’eau et fit monter et redescendre sa terre dans le but de l’assouplir. Pour la première fois, monter l’argile en cône lui paraissait presque érotique. Tout le temps passé avec Icare n’était pas étranger à cette sensation. Douce et chaude, l’argile semblait presque être de la peau humaine, touchée en une caresse intime. Et la forme qu’il lui donnait, le geste qu’il faisait, n’arrangeaient pas les choses. La couche supérieure, plus liquide, imbibée d’eau, glissait entre ses doigts, s’immisçant autour de ses phalanges. La texture était à la fois collante, visqueuse, mais agréable. Quand il fit redescendre sa terre, glissant deux doigts en son sein, les écartant doucement pour voir un trou se former, régulier et de plus en plus large. Humide et accueillant. Il se sentit rougir alors qu’il tentait de se persuader qu’il ne pensait à rien de déplacé. Il donna à son argile une forme générale et brouillonne pour lui servir de base, en nettoya sommairement les courbes avec une estéque puis avec un fil la décolla du tour pour la poser sur la table à côté. Il humidifia à nouveau ses mains, puis la terre, et commença réellement à sculpter. La terre était douce et la lisser était agréable. Se concentrer sur une tâche manuelle lui fit du bien. Ce n’est qu’à ce moment là qu’Apollodore se rendit compte que ça faisait une éternité qu’il n’avait rien créé. Et ça faisait du bien de s’y remettre. L’atmosphère était calme et délicate, son esprit s’apaisait enfin. Icare n’était pas là pour foutre le bordel, ni dans la pièce, ni dans sa tête, ni dans son cœur. C’était un calme dont il avait le plus grand besoin. Pourtant, il était certain que s’il voyait le blond apparaître, là, à l’entrée de la pièce, il ne pourrait faire autre chose que de lui sourire et le prendre dans ses bras. Parce que c’était Icare, il avait ce pouvoir là. Il saisit une mirette courbe et commença à dégrossir. Peu à peu, l’image qu’il avait en tête se précisa et commença à apparaître entre ses doigts. Il s’agissait d’un oiseau. Un phœnix pour être exact. L’oiseau du soleil. Ces dernier temps, il en dessinait partout. Comme un genre de fascination étrange. Peut-être pour ne pas se concentrer sur sa fascination sur Icare. À la place de cela, son esprit vagabonda jusqu’aux événements qui secouaient le tout Paris. Il se rappela du sentiment d’accomplissement, d’être à sa juste place qui l’avait saisit quand il s’était retrouvé pris dans une escarmouche entre manifestants et CRS. Presque de la fierté quand il avait vu un pavé voler au dessus de lui dans le ciel brumeux de gaz lacrymogène. Un pavé qui l’avait protégé. Un pavé lancé pour lui permettre de se faire la belle. Et pourtant un pavé lancé par un parfait inconnu.
Pour la première fois, les murs de l’atelier lui parurent trop étroits, presque étouffant. Comme s’il étant enfermé dans une boîte hermétique alors que la vie se passait juste sous ses yeux, au dehors. C’était là-bas que l’avenir se faisait. Pas enfermé, les mains dans la boue. C’était la première fois qu’Apollodore se sentait tant en rupture avec son art. Tout le sentiment de complétude qui l’avait envahit un peu plus tôt avait déserté son esprit. Comme désespéré, tel un marin perdu en mer et sans boussole, il se rua sur la fenêtre pour l’ouvrir et prendre une grande inspiration. Mais ce n’était pas assez. Son regard tomba sur la cour intérieure de l’académie, où les étudiants divaguaient paisiblement. Mais c’était à la rue qu’il voulait se confronter. Alors même sans rien ranger, sans prendre le temps de mettre ses restes de terre dans le bac prévaut à cet effet, la délaissant à son triste sort d’œuvre inachevée à sécher sur le tour, il quitta la pièce. Il ne prit ni son sac ni ne ferma la porte, et il se mit à courir. Courir comme un petit garçon qui vient de découvrir la liberté des courses à travers champs. Il ignora les responsabilités qui pesaient sur lui pour ne garder en tête que son objectif, l’objectif superbe et cruel de la liberté que jamais l’on atteint vraiment.
Comme la dernière fois, il se laissa guider par les détonations des bombes lacrymogènes et les cris des manifestants pour se rendre au centre de l’action, place de l’étoile. Les étudiants c’étaient lancés à l’assaut de Paris, ils ne restaient plus simplement cantonnés à leurs lieux d’étude dans le quartier latin. Et ça n’avait pas l’air de plaire aux forces de l’ordre. Encore une fois, Apollodore fut heurté par la sauvagerie des affrontements. Et plus encore par le manque d’empathie des CRS qui frappaient sur des gosses qui ne demandaient qu’à pouvoir étudier de façon décente. Peut-être que son point de vue était biaisé, mais pour lui les CRS faisaient preuve d’une cruauté certaine. C’était flagrant que certains tapaient de leurs matraques avec plaisir. Comme s’ils étaient fiers de donner une bonne correction à ces indigents qui voudraient l’égalité des richesses grâce au communisme, soit sans avoir à lever le petit doigt. Ces jeunes là voulaient voler les richesses de leurs aînés, c’était évident. Du moins c’était la pensée simpliste que beaucoup choisissaient d’adopter. Apollodore ne supportait plus ce genre de discours, lui qui avait eut à le subir toute sa vie à cause de sa couleur de peau.
Évidement, il ne pu pas avoir autant de chance de la fois dernière et tomber sur Icare à peine la manifestation rejointe et au milieu de tout ce chaos ambiant, la probabilité même de le retrouver était plus que faible. Aussi, il fit de son mieux pour ne pas se faire embarquer, priant au fond de lui pour qu’Icare ne fasse rien d’inconsidéré. Pour sûr, la prochaine fois il irait avec lui dès le départ. Il ne supportait pas l’idée qu’il lui arrive quoi que ce soit en son absence et qu’il ne puisse rien faire pour l’aider. Icare était si prompt à se causer des ennuis.
Quand les affrontements redoublèrent d’intensité alors que la nuit était déjà tombée depuis un moment, Apollodore se dit qu’il était temps de quitter les lieux pour s’assurer que ses camarades ne soient pas rentrés chez Amanda, là où ils avaient l’habitude de tous se retrouver depuis ce début de mois de Mai. C’est en déambulant dans les rues éclairées de Paris, bien plus calmes à mesure qu’il s’éloignait de l’agitation et se rapprochait du petit appartement, qu’Apollodore l’entendît.
Icare qui criait. Au timbre de sa voix, il était évident qu’il était saoul. Et qu’est-ce qu’il était beau. Avec sa chemise débraillé et ses cheveux blonds décoiffés qui retombaient devant son regard sauvage. Apollodore ne pu empêcher son cœur de faire une embardée dès qu’il l’aperçut. En quelques grandes enjambées, il le rejoignit. Il comprit rapidement qu’Icare venait de se faire mettre dehors d’un petit bar et que ça ne lui plaisait pas. Sans doute avaient-ils voulu prendre un verre après avoir quitté la manifestation et qu’ils s’étaient un peu laissés dépasser par la boisson.
« Vous n’êtes qu’un sale vendu. Un gaulliste de mes couilles. Et tu sais quoi, reste bien éveillé cette nuit parce que je vais revenir. Crois moi j’vais r’venir. Et je vais te la bousiller ta vitrine. Elle mérite de prendre les mêmes pavés que les CRS. » Éructa le blond, oscillant entre le vouvoiement et le tutoiement.
L’homme qui lui faisait face était rouge de colère et lui cria de faire gaffe à pas trop l’énerver de sa grosse voix de taulier.
Sur le côté, il y avait Amanda qui riait de la situation, manifestement elle aussi pompette. Martin était hors de vu et Alberta tentait de désamorcer la situation entière. Apollodore ne posa pas de questions sur la façon dont ils s’étaient retrouvés dans cette situation. La réponse était sous ses yeux. Icare. Il savait à quel point il pouvait se montrer parfaitement invivable.
Il échangea un regard entendu avec Alberta qui avait l’air soulagée de le voir apparaître et emmena Icare plus loin. Il la laissait gérer, il savait qu’elle en serait capable. Personne ne résistait à son joli sourire si communicatif. Et puis elle était une diplomate hors pair. Tout ce qu’il lui fallait, c’était qu’Icare s’éloigne pour arrêter de jeter de l’huile sur le feu.
« Putain je vais le terminer ! »
Un bras en travers de son torse, Apollodore attendit que le blond cesse de se débattre. Dans son autre main, il avait le sac d’Icare qu’il avait ramassé au sol.
« C’est bon, tu ne vas pas t’enfuir si je te lâche ? » Demanda-t-il calmement, dans l’espoir que son ton aide Icare à faire redescendre la pression.
Il était toujours un peu ébranlé par la discussion qu’ils avaient eut le matin même, et ces propres mots l’y ramenaient peut-être un peu trop brutalement.
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Je suis ultra désolé.e j'ai grave oublié de poster ici, le chapitre aurait dû arriver le 20, mais comme sur les autres plate-formes (tapas et Neovel) je peux programmer les chapitres je suis plus trop au jour haha
Bref, plein d'amour ♡
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