Chapitre 6


Nous refîmes donc le chemin en sens inverse, appréhendant la rencontre avec Deinillana. Que pouvait bien nous vouloir une grande prêtresse morte ? Ce qui me dépassait le plus dans cette situation restait « le pourquoi choisir de mourir plutôt que de vivre auprès de son enfant » ?

Au cours des derniers millénaires, nous avions eu l'occasion de croiser quantité de défunts, ou égrégore. Quelques esprits, qui étaient rarement plus qu'un assemblage d'émotions et sentiments forts s'attachant à un lieu, un objet ou un être chéri de leur vivant. Mais aussi fantômes ou âmes errantes, divaguant à la surface de la terre, subissant le châtiment d'une malédiction, ou refusant de rejoindre l'autre monde et de poursuivre leur cycle.

Ce dont j'étais certaine c'était qu'aucune de ces formes, bien que capables d'interagir avec les vivants n'avait les capacités de s'occuper d'un enfant. La question me tarauda jusqu'à ce que nous rejoignîmes les appartements de Deinillana à l'étage.

Ys ouvrit une porte sur une pièce très lumineuse en comparaison avec la majestueuse caverne que nous venions de quitter. Un lit à baldaquin avec de longs voilages parme qui ondulaient sous une légère brise, nous bouchait la vue sur la grande fenêtre. Devant elle, semblait se trouver un couffin qui se devinait à peine à travers les voiles. J'avançai pour contourner le lit, suivie par ma petite troupe.

Un berceau à balancier baigné dans la lumière entrant par la fenêtre, une silhouette évanescente à peine visible se tenait juste au-dessus. Derrière, dans l'angle de la pièce, se dissimulait une novice visiblement assoupie dans un fauteuil. À coté sur une petite table était posé ce qui ressemblait à une lanterne en fer forgé, dans laquelle flottait un petit cristal pareil à ceux qui sommeillaient en bas, dans la torpeur bleue de la caverne.

La silhouette était celle d'une femme de haute stature dans une robe longue. Elle arborait un visage d'albâtre, pourtant le fin sourire qui s'y dessinait dégageait énormément d'amour et de chaleur.

Lorsque nous eûmes tous contournés le lit, avec la discrétion d'un petit troupeau d'éléphant arrivant sous son nez, elle leva vers nous un regard lunaire qui de son vivant avait dû séduire plus d'une personne. Elle laissa entendre une voix probablement un ton plus léger que ce qu'il avait été.

— Bonjour jeunes gens, je suis heureuse de vous rencontrer, même si j'aurais préféré pouvoir vous serrer la main.

Je devais avouer trouver la situation plus qu'étrange, tout comme parler à un fantôme sans la chute de température et sans avoir besoin de recourir à nos pouvoirs. C'était plutôt une bonne chose, parler avec un spectre se révélait un acte assez compliqué. Très rares étaient ceux cohérents et qui discutaient comme de leur vivant.

Ça demandait une petite gymnastique intellectuelle, une grande concentration pour éprouver, interpréter correctement émotions et images transmises. Ys réveilla la novice qui s'inclina brièvement devant nous, avant de quitter la pièce, écarlate de confusion de s'être ainsi endormie.

— Bonjour également, c'est vrai que cela aurait été plus agréable. Tout du moins, plus conventionnel et moins insolite que la situation actuelle, admit Drake.

— Est-ce qu'on doit vous appeler Grande prêtresse ? Non parce que comme Ys est la nouvelle Grande prêtresse, mais que bien que morte vous êtes toujours là... enfin c'est confus.

— Styx ! l'interpella Drake

— Oui ?

— Arrête, tu deviens effrayant, le rabroua Drake choqué.

Styx tout penaud s'excusa aussitôt, ses yeux verts fixés au sol.

— Appelez-moi Deinillana, ça me convient parfaitement, lui répondit-elle pas le moins du monde vexée.

— Bien, merci de protéger la santé mentale de Styx. Le Cercle nous a dit que vous souhaitiez nous confier une tâche. De quoi s'agit-il ? m'enquis-je.

— Eh bien Sahiane. J'ai effectivement quelque chose à vous demander. Je voudrais que vous m'ameniez avec ma fille Illana sur ma planète d'origine, afin de la présenter à mes parents. J'aimerais pouvoir leur dire au revoir et leur remettre ma dépouille.

— Excusez-moi Deinillana, mais je pense que vous pouvez confier ça à beaucoup de monde. Pourquoi nous ? lui demanda Angal, passant nerveusement sa main dans ses cheveux châtain.

— Pas pour là où je souhaite aller. Et il se trouve aussi que vous aurez à discuter avec mon père avant de revenir ici.

— Pour quelles raisons ? s'étonna Auroria.

— Cela concerne entre autre votre mission principale et l'avenir de notre peuple, lâcha-t-elle sibylline.

Auroria me lança un regard plus qu'éloquent, elle ne voyait pas le rapport entre tout ça, et moi non plus. J'allais voir s'il était possible d'en apprendre davantage.

— Où devons-nous vous conduire toutes les deux ?

— Auprès de mon père Aurénor Ant Oceina, haut roi de Tercera.

— Tercera, murmura Drake aussi stupéfait que les autres qui restèrent tout comme moi muets quelques instants.

— Très peu de gens sont admis sur Tercera. En cinq mille ans nous n'y avons même pas ne serait-ce qu'été invités, regretta Mnémésyne en jouant avec une de ses mèches blondes.

— Je ne savais même pas que les citoyens de Tercera nous avaient donné une Grande prêtresse, avoua Auroria.

— Tercera n'a aucune restriction en ce qui concerne les voyages de ses citoyens. C'est moi qui ai souhaité gagner Terrae, ça n'a pas posé de problèmes. Le Sanctuaire n'a pas de frontières.

— Seront nous admis? demanda Alia encore incrédule.

— Sans la moindre difficulté, je reste tout de même l'une des princesses, même dans ma condition actuelle.

Je pouvais aussi bien voir la stupeur sur les visages de mes amis que l'excitation monter en eux. L'idée de pouvoir se rendre sur Tercera avait germé et leur plaisait. Je le savais puisque moi aussi j'avais comme eux rêvé de pouvoir un jour poser le pied sur cette planète. Tout ce qui est mystérieux est une source de fantasme et d'envie.

— Nous devions nous rendre sur Aterrae, rappela Éloa ennuyée.

— Ne vous en faites par pour ça, la première équipe va partir juste après nous, ça nous laissera un peu de temps, et surtout croyez-moi, tout se passera bien, que vous soyez là-bas ou pas.

— On s'en doutait un peu, mais ce n'est pas très agréable d'en avoir la confirmation, souffla Angal.

— Désolée d'être celle qui vous le confirme.

— Ça n'a aucune importance, quand voulez-vous partir ? m'enquis-je.

— Dès maintenant.

— Évidemment, soupira Styx.

— Cela pose t'il problème ? demanda Ys.

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