Chapitre 2 Le siège de l'Alliance
Le Thémis enfin solidement encré sur le quai six, il ne restait plus qu'à ouvrir le sas pour entrer. J'avertis par haut-parleur tout le monde avant de retourner à ma cabine. Je devais récupérer mes notes et en profiter pour passer mon médaillon d'orichalque, conservé pendant cinq mille ans. Je me rendis donc au sas où tout le monde m'attendait.
— On a failli venir te chercher, me dit Styx.
Ses yeux vert pâle exprimaient de faux reproches, cela me fit sourire.
— Vous êtes si pressés que ça ?
— Plus vite c'est fait, plus vite on rentre, poursuivit Éloa tout en arrangeant la broche qui maintenait sa chevelure rousse.
— Et puis, c'est toi qui prononce ce discours, alors nous, on va surtout profiter de la tranquillité du siège et de ses marchés hétéroclites, renchérit Mnémésyne.
— J'apprécie énormément votre soutien.
— Ne t'en fait pas, je ne vais pas t'abandonner à ces ambassadeurs, je viens avec toi.
— Merci Angal, lui glissai-je avant de déposer un bisou sur sa joue.
— À ton service.
— Bon princesse, on peut l'ouvrir ce sas ? On doit encore remonter tout le quai avant de vraiment entrer, s'impatienta Drake.
— Oui Drake, ouvre.
Nous marchâmes jusqu'à la porte du hall de débarquement. À l'entrée, un homme d'une trentaine d'années attendait, l'air soucieux. Il avait la stature haute, une chevelure blonde très bien coiffée et des yeux verts plissés. Il attendit que la porte du quai se soit refermée derrière nous, avant de s'avancer vers moi qui marchais en tête.
— Je suis Seirinam, ambassadeur de Terrae. Je dois vérifier vos identités, déclara-t-il glacial.
— Je vous trouve particulièrement discourtois pour un ambassadeur, lui dis-je.
— Je ne peux pas laisser n'importe qui s'adresser à l'Alliance au nom de Terrae.
— Nous avons été convoqués, cela devrait vous suffire ambassadeur, s'impatienta Drake.
— Cela ne me permet pas de vérifier que vous êtes bien la Confrérie des étoiles en charge de Terrae, s'obstina ce dernier.
Je sentais mes compagnons perdre patience, et je dus lever ma main pour leur signifier de ne pas répliquer et me laisser faire.
— Vous vous sentez donc capable de déterminer par vous-même, si je suis bien Sahiane, chef de la Confrérie des étoiles de Terrae ?
Seuls mes amis comprirent la menace dans ma question. Ils avaient en tête, le sort du dernier diplomate à avoir émis, de façon un peu trop véhémente, des doutes du même genre. Visiblement, l'ambassadeur Seirinam réfléchissait à une réponse appropriée. Il n'était donc pas complètement borné et idiot.
— Eh bien, vous pourriez me montrer votre épée légendaire...
— Allons Seirinam, ne soyez pas stupide, le coupa une voix masculine. Jamais Sahiane ne ferait entrer une arme au sein de l'Alliance. Présentez vos excuses à nos compatriotes.
C'était un homme d'un certain âge qui venait d'apostropher Seirinam, il me disait quelque chose, mais je ne parvenais pas à me le remémorer. Il avait un peu d'embonpoint et des yeux gris, qui me rappelaient les lacs placides de Rixa. Une petite planète charmante, appartenant aux géants. Nous y avions passé quelques semaines. Il y régnait souvent un ciel de plomb, dont les couleurs se reflétaient à la surface des lacs, ondulant parfois sous la brise en reflets d'argent.
— Sahiane, je suis ravi de vous voir si en beauté, cette chevelure d'ébène vous sied à ravir, mais vous étiez tout aussi charmante en blonde.
— Canâan ! m'exclamai-je. Pardonnez-moi mon retard à vous reconnaitre, mais vous aviez l'air plus en forme la dernière fois que je vous ai vu.
— Très chère, j'avoue qu'avec vingt-cinq ans de moins j'étais plus fringuant. En revanche vous, vous resplendissez de jeunesse.
— Merci, même si c'est sans doute trop jeune pour votre confrère.
— Ambassadeur Canâan, comment...
— Mon cher Seirinam, vous auriez été avisé de vous renseigner, le Thémis n'admet le pilotage que de la Confrérie des Étoiles.
— Je l'ignorais, rougit ce dernier.
— Vous pourriez rajouter des excuses, après tout, elle a eu la bonté de ne pas vous donner votre preuve d'identité, de façon cuisante.
— Mais !
— Seirinam, on peut tous vous garantir que vous n'auriez pas aimé, lui affirma Styx.
Seirinam sembla vouloir répliquer, mais se ravisa à la vue de l'expression de tout le monde.
— Je vous prie de me suivre dans nos quartiers pour que nous puissions discuter de ce rapport, avant que l'Alliance ne se réunisse.
— Avec plaisir, Canâan.
Nous suivîmes les deux ambassadeurs jusqu'au quartier réservé à Terrae. Circuler au sein de l'Alliance donnait toujours une sensation étrange, tant la clarté à l'intérieur était importante. La lumière semblait provenir des murs eux-mêmes, le décor était semblable aux plus beaux palais que nous avions vu au cours de nos vies. Chaque quartier était décoré avec les goûts et l'architecture de la nation qu'il hébergeait.
Nous pouvions voir autant de pierres précieuses composant de grandes mosaïques, que de boiseries stylisées entremêlées de plantes fleuries ou des lieux très épurés et métalliques. Nous traversâmes plusieurs couloirs où circulaient diplomates, personnel du siège, ou commerçants venus chercher des contrats. Tout le monde nous saluait poliment d'un signe de tête que nous leur rendions avec le sourire. Nous arrivâmes dans un luxuriant et parfumé jardin intérieur où coulait une fontaine rendant l'atmosphère légère. Plusieurs fauteuils se disposaient de façon à ce que les occupants puissent discuter au calme. Canâan nous invita à nous asseoir avant de commander à Seirinam d'aller nous chercher des rafraîchissements.
— Alors quelles sont les nouvelles d'Aterrae ?
— Excellentes, le renseignai-je, les équipes qui ont été envoyées pour bâtir les principales structures urbaines et mettre en place les installations agricoles ont terminé. Les habitants de Mu qui avaient dû être installés dans des cités provisoires ont commencé à être embarqués pour entamer le voyage.
— Quand arriveront-ils ?
— Nous devons les contacter pour qu'ils partent dès que Sahiane aura fait le rapport. Une fois en route, il leur faudra bien de trois semaines à un mois pour arriver, lui indiqua Auroria.
— Bien, je suppose que les autorités de Mu seront les premières en poste.
— Absolument, ils vont s'assurer de la bonne mise en place de la vie des premiers habitants embarqués, et préparer l'arrivée de tous les autres, ce qui va s'étaler sur plusieurs décennies de manière à régler toutes les affaires courantes sur Terrae.
— Nous ferons en sorte que la transition se passe au mieux de manière à améliorer l'embarquement pour le reste des citoyens.
— Donc, tout est au point ? continua Seirinam en apportant un plateau plutôt chargé.
— En effet, lui confirma Drake.
— Maintenant, parlons de choses qui fâchent, reprit Canâan, l'air bien plus sérieux. Qu'en est-il de l'évolution des rapports entre les nôtres, les mutants et les hybrides ?
— Les choses ne cessent de s'envenimer depuis la dernière cérémonie des lois. Les restrictions à leur encontre se sont encore un peu accrues. On leur reproche l'augmentation des crimes et on limite les hybrides dans les affectations des tâches.
— Il n'y a pas eu d'incident grave à déplorer ? s'inquiéta Seirinam sur un ton que je n'aimais pas.
— En tant qu'ambassadeur vous devriez être au courant, souligna Angal.
Apparemment lui non plus n'appréciait pas Seirinam, ses prunelles ambrées d'ordinaire si douces, s'étaient durcies.
— Excusez le ton de Seirinam, il manque encore de diplomatie. En fait, nous souhaitons nous assurer que l'on n'édulcore pas les informations qui nous parviennent.
— Pour le moment, nous n'avons rien de grave, juste quelques familles anciennes qui demandent à ce qu'ils soient renvoyés du royaume, pour les plus modérés et renvoyés à leurs premières fonctions pour les plus radicaux, déclara Alia.
— En ce qui concerne Aterrae, ils ont pour l'instant obtenu que seuls anciens et hybrides y aient accès, ajoutai-je.
— Je vois ça va nous donner quelques difficultés.
— En quel sens ? s'enquit Mnémésyne.
— Notre peuple a emmené ces gens sur beaucoup de nos planètes en tant qu'aide. Ils ont été laissés à leurs propres choix. Et même si, un certain nombre, c'est indéniable, ont rejoint les rangs de mercenaires ou pillards en tout genre, la majorité se comporte de façon saine et sage en suivant les préceptes de notre civilisation.
— En quoi cela a-t-il une incidence sur votre travail ? le questionna Styx.
— Si notre peuple lui-même déclare que les hanumans sont une menace, j'ai peur que ces gens ne soient exclus au sein de l'Alliance.
— Vous craignez une persécution générale.
— En effet, et ce n'est pas une bonne chose, Sahiane.
— On doit éviter d'en arriver là.
— Je ne comprends pas trop ce qui leur est reproché exactement, dit Alia.
— Leur jeune âge par rapport au nôtre. Cela les rends moins sages, impatients et d'un tempérament plus envieux. Aux yeux de certains, ils sont responsables de notre propre déclin.
— Ça n'a pas de sens pour moi, poursuivit-elle.
— Je ne suis pas le mieux placé pour vous expliquer ça, vous devriez voir avec l'une des prêtresses du Sanctuaire.
— Nous y passerons à notre retour.
— Quand devons-nous faire notre rapport ? m'enquis-je.
— La séance est prévue pour demain, tôt dans la matinée, mais il est possible qu'on vous demande d'assister aux débats.
— Ça va être long en clair, soupira Styx.
— Pas obligatoirement. Mais d'ici là, je vous invite à vous promener afin de vous délasser de votre voyage.
— Merci Canâan, on se retrouve demain pour le rapport, l'informai-je.
Je me levai joignant les mains en m'inclinant, signe universel pour saluer.
— Ce fut un plaisir de vous revoir Sahiane. Je vous souhaite un bon séjour et vous dit à demain.
Nous prîmes congé des deux ambassadeurs pour aller faire un tour dans le siège et en profiter pour discuter entre nous.
— Que devons-nous faire d'après toi ? me questionna Angal.
— J'aimerais savoir quels sont les bruits qui courent parmi les autres nations au sujet des dissensions chez nous.
— Oh formidable, on va chasser les rumeurs, siffla Drake.
— Ça signifie que l'on va devoir traîner dans les lieux où circulent le plus de ragots ? reprit Éloa avec un petit sourire.
— Pourquoi cela te réjouit-il ?
— Drake, tu devrais savoir depuis le temps que les femmes adorent les bruits de couloir, le renseigna Mnémé dépitée.
— On va pouvoir courir dans toute la station, flâner, bavarder à notre guise, et ce avec la bénédiction de Sahiane. Ce qui est plaisant à savoir, lui décrypta Alia, car il n'avait toujours pas compris, le tout en échangeant un sourire complice avec Éloa.
— Tu comprends Drake, on a quartier libre, pas d'obligation de rester avec des diplomates ennuyeux, poursuivit Angal.
— Oh....
— Allez, filez tous, puisque ça vous plaît tant, maugréai-je.
— Merci !
— N'oubliez pas de rentrer pour tout me raconter !
— Promis, me lança Mnémésyne avec précipitation.
— Pfff, ils sont déjà tous partis.
— Ne me fais pas croire que ça t'étonne après autant d'années, se moqua Angal.
— Non Angal, ce qui m'étonne c'est qu'après cinq mille ans, une fois lâchés dans la nature en dehors de ma surveillance ils redeviennent de suite des gamins turbulents.
— Tu sais bien que l'on est tous comme ça.
— C'est la seule chose qui nous fait rester sains d'esprit.
— Alors, que veux-tu faire pendant que les enfants travaillent ?
— On en profite pour se promener tranquillement dans les jardins, histoire d'oublier quelques heures tout ça ? lui souris-je.
— Excellente idée.
Le reste de la journée fut donc pour Angal et moi très agréable. Hormis les discutions politiques et commerciales, le siège était un lieu particulièrement calme. Éloigné des grands marchés bondés et bruyants où tout le monde se bousculait, nonobstant l'on y trouvait presque toutes les productions des différentes nations de l'Alliance.
On y croisait tous les courtisans de la galaxie qui venaient s'y montrer régulièrement. Ils prenaient connaissance de la dernière mode et des technologies qu'ils s'empressaient de rapporter chez eux pour faire sensation. Cela me donnait beaucoup à rire quelques fois au cours de dîners festifs.
En fait, s'il n'y avait pas à faire ces discours politiques, je pourrais davantage apprécier le siège de l'Alliance, mais devoir entrer dans cette salle m'angoissait toujours. Peu importe le nombre de personnes qui prenaient place dans la salle Yama, elle n'était jamais encombrée. Il y avait toujours des sièges libres pour de nouveaux arrivants. Devoir parler devant autant de monde était pour moi une épreuve, malgré tout ce que nous avions pu vivre, il m'était plus dur d'affronter une armée de diplomates qu'une légion d'orcs.
Une fois tout le monde rentré au vaisseau, ce qui pour certain fut tard, nous fîmes le point sur ce que chacun avait pu apprendre. Il semblait que, pour l'instant, ça ne préoccupait pas beaucoup les autres nations qui considéraient que les populations hanumans ne présentaient pas de réel danger pour l'Alliance de par leur faible développement technologique et intellectuel. Il est vrai qu'hormis ceux envoyés dans nos colonies sur des planètes lointaines ou résidant d'Atlantys, les hanumans de Terrae n'avaient, en très grande majorité, aucun contact avec nous, et ne bénéficiaient pas d'aide au développement de leurs sociétés, laissé libres de toutes entraves et conduites extérieures. Il était normal que l'Alliance ne se préoccupe pas trop de cette affaire. Au final, les bruits que tout le monde avait pu recueillir étaient rassurants et calmeraient sans doute un peu les inquiétudes de Canâan.
Nous mangeâmes dans notre auberge habituelle. La même famille s'en occupait depuis plus de trois siècles, nous nous y sentions chez nous. Rien de tel qu'un bon repas pour donner un peu de courage avant le rapport.
Le lendemain, le stress était tout de même revenu. Je devais entrer dans la salle Yama, aux dimensions adaptables qui n'avaient cessé de s'étendre dans le même espace confiné, un véritable paradoxe. La séance fut assez rapide, notre rapport était clair et concis, les questions liées à la logistique rares et les dispositions prises par notre peuple convenaient. Nous pouvions donc faire partir le premier vaisseau pour Aterrae. Les débats sur les autres sujets eux furent longs, très longs. Il aurait été impoli de partir avant la levée de séance. La soirée était largement entamée à ce moment-là.
Nous décidâmes de ne partir pour Terrae que le lendemain, une fois reposés. Il n'était pas utile de s'attarder. Lothar se fit un plaisir de nous guider lui-même pour la manœuvre.
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