— Sahiane !

Drake venait de me réveiller en sursaut, en m'appelant via les haut-parleurs du vaisseau. J'avais passé une bonne partie de la nuit à revoir avec Auroria, le discours que nous devions faire devant l'Alliance. À savoir un nouveau compte rendu sur la planète adéquate, choisie pour accueillir notre peuple après son départ de Terrae. Un rappel sur les études réalisées pour en vérifier : la viabilité, les cycles naturels auxquels elle était soumise, les cultures pouvant y être implantées et nos prévisions sur la gestion des ressources naturelles disponibles. Cette partie achevée, nous devions encore parler des plans des toutes nouvelles cités. Comme il n'était toujours pas déterminé s'il y aurait une unification des royaumes de Mu et d'Atlantys ou d'une cohabitation, nous devions évoquer les deux possibilités devant l'assemblée.

Bref totalement épuisée mentalement, je n'avais aucune envie de me lever. J'étais très bien au lit, peut-être que Drake m'oublierait si je jouais les sourdes.

— Sahiane ! Lève-toi, on va arriver. Tu dois te préparer, insista-t-il.

— Oui, je sais maman ! grognai-je à son encontre après avoir écrasé le bouton de mon propre interphone. Je me lève, tu as gagné. Dans combien de temps arrive-t-on ?

— Environ deux heures, on vient de sortir de l'hyperespace, on va bientôt avoir droit au contrôle de sécurité, et j'aimerais que tu sois visible, acheva-t-il.

— J'ai compris.

— Et cesse de m'appeler maman, c'est dérangeant.

— Ha ha, il t'en faut vraiment peu pour te perturber mon cher, me moquai-je.

Je sortis de mon lit, et me dirigeai vers la salle d'eau de ma cabine afin de me rafraîchir, avant de passer une tenue appropriée. Lors de nos discutions avec Deneva au sujet de nos futures vies, il nous était apparu évident que nous ne pourrions pas toujours compter sur les ressources de la famille d'Angal pour nous déplacer. Nous avions, alors, mis toutes nos connaissances et nos moyens en commun pour construire un vaisseau, à l'usage exclusif de notre confrérie. De ce fait, nous avions aménagé nos cabines de la manière qui nous convenait.

La mienne disposait d'un grand lit à baldaquin juste à gauche de la porte, face à lui se dressait une armoire magique dans laquelle je pouvais laisser bien plus de vêtements que je ne pouvais en porter en une vie. Et pour cause, elle contenait une bonne partie des tenues dont je m'étais vêtue au fil des siècles, et ce grâce à un sort très complexe qui rendait l'intérieur extensible. À droite de l'armoire, une fenêtre-écran, me permettait de voir aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du vaisseau, ou d'afficher les paysages qui me convenaient selon mon humeur.

Devant, se trouvait une table avec plusieurs fauteuils, elle était encore couverte des notes sur lesquelles nous avions travaillé cette nuit. Je passai l'arcade qui ouvrait sur la salle d'eau, à gauche il y avait un grand bassin, en face une glace sous laquelle se trouvaient deux vasques, à droite des commodités. Entre la porte de la cabine et celle de la salle d'eau se trouvaient plusieurs armoires et bibliothèques dans lesquelles je conservais de vieux documents et objets importants pour moi. Tout pour me sentir chez moi n'importe où dans la galaxie.

Je pris une douche rapide, puis m'installai devant la glace pour tresser mes longs cheveux noirs. Un trait de khôl pour rehausser le violet de mes yeux, et surtout camoufler un peu la fatigue. Je m'habillai et sortis dans le couloir afin de gagner la passerelle où se trouvait Drake. Dans le couloir, je croisai Alia. Encore bien endormie, son carré de cheveux noirs en bataille, ses yeux noisette tout juste ouverts. Elle déambulait en chemise de nuit légère ne lui arrivant même pas à mi cuisse.

— J'espère que tu vas t'habiller avant que l'on entre au sein de l'Alliance, lui lançai-je.

— J'ai travaillé presque toute la nuit avec Éloa et Styx, maugréa-t-elle. J'aurai aimé pouvoir faire la grasse matinée.

— Et moi donc. Désolée ce sera pour plus tard, je ne t'accorde qu'une heure, après réveille tout le monde s'il te plaît.

— Ils vont être ravis, marmonna-t-elle sarcastique.

— Je n'en doute pas.

La double porte s'ouvrit dès que j'arrivai devant. La passerelle était une vaste pièce. À gauche de la porte s'aménageait un petit salon de repos, comprenant une table et plusieurs canapés. Au centre de la pièce se trouvait un ordinateur à projection holographique qui nous avait bien servi. En face, une immense baie vitrée s'ouvrait sur l'espace et devant elle se situait une grande console semi-circulaire. Elle permettait le pilotage et la gestion de l'ensemble du vaisseau depuis plusieurs fauteuils. Cependant je n'y voyais pas Drake.

— Bonjour Sahiane, tu viens déjeuner avec nous ?

— Avec plaisir Drake.

Il était attablé avec Mnémésyne devant un bon chocolat chaud et des biscuits. Drake avait coupé court ses cheveux d'ébène avant notre départ. Selon lui, il était temps du haut de ses quatorze ans, d'en finir avec les longues boucles de son enfance. Je le trouvais effectivement très séduisant ainsi. Une fois assise en face de lui, je constatai que ses yeux gris étaient cernés, le manque de sommeil nous touchait tous. Mnémésyne, elle, était parfaitement réveillée, ses prunelles azur pétillaient, ses jolies boucles d'or tombaient sur ses épaules, impeccables. J'étais impressionnée, bien qu'elle vînt de sortir du lit, pas une mèche ne dépassait de sa coiffure. Je la soupçonnais d'utiliser un sort pour maintenir un tel résultat jour après jour.

— Mnémésyne a eu la gentillesse de se lever pour m'apporter de quoi manger, m'informa Drake.

— C'est normal, tu ne t'es pas couché pour surveiller notre arrivée, lui dit-elle en me tendant un bol.

— Est-ce qu'on a déjà eu le contrôle de sécurité ? demandai-je en me servant un bon chocolat fumant.

— Non mais j'ai réduit notre vitesse, je ne voudrais pas froisser le personnel de surveillance en arrivant trop vite.

— Bonne idée Drake, et puis je ne suis pas pressée de débarquer pour faire ce rapport au beau milieu de la salle Yama.

— Il est bien au point au moins ? m'interrogea Mnémésyne une pointe d'anxiété dans la voix.

— Oui, on l'a finalisé avec Auroria cette nuit.

— Alors où est le problème, tu n'as pas à t'en faire, poursuivit Drake.

— Excuse-moi de persister à croire, que l'on a des ambassadeurs bien mieux indiqués pour prononcer cette allocution et dont c'est le rôle.

— Certes, mais ça nous priverait de l'animation que tu génères chaque fois que tu manques de déclencher un incident diplomatique, persifla Drake.

— Je te remercie de me rappeler ma hantise, je ne parviens pas à assimiler tous les protocoles différents, me désolai-je ce qui déclencha leur hilarité. Vous pourriez me soutenir.

— Sahiane, soit un peu honnête, tu es simplement pathologiquement incapable de faire preuve de diplomatie et de délicatesse au-delà d'une certaine période, affirma Drake.

— J'ajouterais que tu aimes ça, renchérit Mnémésyne.

— Vous exagérez.

— Oh vraiment ? Si je me souviens bien la dernière fois, tu as très gentiment indiqué à un Draquite de quitter ses fonctions car il semblait évident que les nombreux coups reçu à la tête affectaient gravement ses capacités cognitives.

— D'accord Drake, j'admets que devoir me répéter plus de trois fois m'est totalement insupportable. Ça ne fait que conforter mon opinion. Pourquoi nous obliger à revenir ?

— L'Alliance nous aime bien, me répondit Mnémésyne presque naïvement.

— Je crois plutôt à un moyen de vérifier notre état mental, histoire d'être certain que l'on ne va pas sombrer dans une recherche aveugle de pouvoir, lui rétorqua Drake.

Elle prit quelques secondes de réflexion avant de lui répondre.

— Je préfère penser qu'ils nous aiment bien.

Nous en rigolâmes beaucoup en terminant un rapide déjeuner, poursuivant notre route vers l'Alliance. Pour l'instant, l'on ne distinguait qu'un point lumineux flottant dans le vide du système d'une étoile rouge. Nous regardions le siège se rapprocher lorsque l'écran translucide s'activa au-dessus des consoles, un petit hokaï apparut. J'avais fini par m'habituer à ces grands yeux noirs, dans lesquels il était impossible de déchiffrer la moindre émotion. Nous nous levâmes aussitôt pour aller lui faire face.

— Bonjour, je suis Lothar, responsable de la sécurité du siège. Pouvez-vous vous identifier ?

— Bonjour Lothar, je suis Sahiane de Terrae, sur le vaisseau Thémis, nous avons un rapport à faire à l'Alliance. Nous sommes attendus.

— Vous êtes en effet sur ma liste, et l'identifiant de votre vaisseau est correct. Présentez-vous au quai six, il est prêt pour arrimage.

— Je vous remercie Lothar, passez une bonne journée.

— Vous de même.

Il mit fin immédiatement à la transmission.

— Ils sont toujours trop formels à mon goût.

— Ce n'est que le point de sécurité Drake, invite-le à dîner et je suis sûre que tu le trouveras moins formel, le taquinai-je.

— Je préfère aller diner avec Mnémésyne.

— Je te remercie pour cette invitation, ce sera avec plaisir, déclara-t-elle sautant sur l'occasion.

— Je t'en prie.

— Va te reposer un peu Drake, je ferai la manœuvre, je veux que tout le monde soit au mieux de sa forme.

— Ne t'en fais pas Sahiane on a l'habitude, me dit Drake en souriant.

— Je sais, je suis toujours nerveuse à chaque nouvelle vie quand on revient ici.

— Ils sont tous au courant qu'on change d'apparences. Ça fait cinq mille ans que c'est comme ça, détends-toi, m'ordonna Mnémésyne.

— Oui et on a droit à chaque fois à vérifications sur vérifications, soupira Drake.

— On sera prêt, il faut juste le dire aux autres.

— Alia a dû les réveiller, je veux tout le monde sur le pont dès que nous serons arrimés.

— Je m'en occupe, me dit Mnémésyne en ramassant le plateau et sortant de la salle suivie de Drake qui allait sûrement s'allonger un peu.

Je pris place, dans le fauteuil principal, au centre des consoles, m'installant confortablement pour regarder grandir notre destination. Le siège de l'Alliance était une gigantesque station spatiale, organisée autour d'un axe. Vue par son sommet, elle était un disque presque parfait, vue par la tranche son centre était un assemblage de tours plus hautes les unes que les autres. Les différents quais et ports accueillant les vaisseaux de passage, rayonnaient en partant du cœur de la cité.

Un bouclier maintenait une atmosphère respirable pour ses résidents. Il permettait à plusieurs jardins suspendus de prospérer entre les tours, surplombant de petits havres dissimulés dans des cours intérieures. Ces grandes flèches d'or ou d'argent agrémentées çà et là d'une végétation délicatement aérienne rendaient l'ensemble féerique. La grande majorité des constructions extérieures étaient métalliques. Cependant les différents styles architecturaux des civilisations qui se côtoyaient ici, donnaient une ambiance chaleureuse aux couleurs chamarrées. Le tout flottait au cœur d'un petit système, avec en fond une magnifique nébuleuse, étendant ses voiles diaphanes.

Le Thémis se rapprochait sereinement du siège et je devais le diriger vers le long quai six. Après tout, le Thémis était deux fois plus massif que ne l'était l'Orichalque d'Angal à l'époque. Aux dires de Deneva, notre vaisseau était sa plus belle création. À juste titre, si je comptais les années qu'il avait passé à travailler sur les plans et son montage. Je devais pourtant admettre que nous étions tous particulièrement d'accord avec lui, depuis que le Thémis était en service nous n'avions jamais eu à lui reprocher quoi que ce soit. Le vaisseau était maintenant suffisamment proche pour que je puisse mettre l'ordinateur de bord en phase avec le système de guidage automatique. Au bout de quinze minutes, la manœuvre était finie et le vaisseau arrimé.