Chapitre 1


La taverne du cerf charnu accueillait tous les jours les soldats de la garnison ainsi que les habitants de la citadelle d'Hyrule. Le prix des boissons ne s'élevait jamais aussi haut que dans les autres auberges du royaume, tout était abordable et cela créait une ambiance toujours très conviviale, très chaleureuse. Zelda aimait s'y rendre avec sa compagne d'armes : Impa, une Sheikah rencontrée durant sa formation au château. Toutes les deux avaient vingt-et-un ans et servaient avec justesse la cause de la famille royale en tant que chevaleresses. Certes, peu de femmes intégraient l'armée mais elles n'étaient pas rares pour autant dans ses rangs.

Assises à leur table habituelle, les deux Hyruliennes discutaient des dernières nouvelles pendant qu'elles sirotaient leur boisson respective. À l'opposé de la salle, trois musiciens jouaient un air jovial et invitaient les clients à venir danser sur l'estrade réservée dans ce but. Derrière son bar, la gérante de la taverne interpelait les serveurs pour apporter les différentes chopes à travers la grande pièce. Une odeur d'alcool ainsi que de bougie régnait, pour autant il n'y avait que rarement des dérapages. Alors que son amie hylienne poursuivait leur discussion sans émotion particulière, l'attention d'Impa - qui avait déjà bu quelques verres - fut attirée par une personne en particulier. Elle donna un coup de pied discret à la blonde et feignit de lui parler normalement.

- Il est encore là ce soir, lui souffla-t-elle de manière naturelle malgré son début d'état d'ébriété.

Le rythme cardiaque de Zelda marqua une très légère accélération tandis que ses mains se cachaient sous la table. D'un bref coup d'œil, elle regarda vers la gérante et aperçut le jeune homme blond dont il était question, en bout de bar. Il se plaçait souvent ici quand il venait. À chaque fois, l'Hylien prenait une boisson à base de fruits rouges, mais jamais de l'alcool. Et souvent, leur regard se croisait.

- Je ne comprends vraiment pas ce qu'un garde royal vient faire ici, dit Impa sur un ton agacé. Ils ont bien assez de tavernes privées juste pour eux.

- Impa... S'il apprécie cet endroit, tu ne peux pas lui en vouloir d'y venir.

La Sheikah claqua de la langue puis but cul-sec le peu de liquide qui restait au fond de sa chope. D'un geste peu gracieux, elle s'essuya la bouche à l'aide du revers de sa main puis interpela un serveur avant de commander une nouvelle fois. Au château, il existait une rivalité sans précédent entre les chevaliers et les gardes royaux. En effet, ces derniers avaient conscience de leur rang social, généralement plus élevé que celui des chevaliers, et ils s'en servaient pour faire valoir leur supériorité dans toute la forteresse. De nombreuses querelles avaient éclaté suite à cela et depuis, plus rien ne semblait pouvoir réconcilier les deux partis malgré tous les efforts du roi. Malheureusement, il ne pouvait dissoudre l'un des deux ordres car ils apportaient chacun leur lot d'atouts pour l'armée. Ce fut pour cela qu'après une très mauvaise expérience, Impa en voulait dur comme fer à la garde royale. Zelda avait tenté de lui dire maintes fois qu'il valait mieux ne pas faire de généralités, que tous les gardes n'étaient pas si prétentieux et arrogants qu'on le disait. "Très bien, cite-moi quelqu'un qui ne le serait pas dans leur ordre" l'avait mise au défi la Sheikah. Zelda ne fut pas en mesure de répondre et s'avoua vaincue.

- Il nous nargue avec son béret, maugréa Impa de mauvaise humeur.

- Ce n'est qu'un morceau de tissu. Je pourrais très bien dire la même chose de ton plastron.

Toutes les deux portaient encore leur uniforme car elles étaient venues à la taverne directement après leur tour de garde.

- Il nous nargue, je te dis ! s'écria la Sheikah en frappant la table de la paume de sa main.

Les chopes sautèrent et manquèrent de se renverser. Visiblement, Impa était sous l'emprise de l'alcool et commençait à perdre sa lucidité ainsi que sa faculté à réfléchir correctement. Tous les regards se braquèrent sur elles, dont celui du garde royal. Zelda le croisa et détourna aussitôt la tête pour prendre la main de son amie et la calmer. Et bien entendu, Impa remarqua l'attention qu'il leur portait suite à cet incident.

- Qu'y a-t-il, petit garde ? l'apostropha-t-elle en levant son gobelet vide vers lui. Tu veux ma miniature ? Ce n'est pas en te mêlant à la plèbe que tu vas rentrer dans mon cœur !

- Impa, arrête...

Derrière, plusieurs clients ricanèrent et se moquèrent de son état d'ébriété. Impa les envoya galamment paître puis laissa son front se cogner à la table pour s'y appuyer dessus. Tout à coup, elle n'avait plus envie de parler à cause de son changement d'humeur rapide. Elle se mit à pleurer en maudissant les déesses de ne pas avoir pu devenir prêtresse au Temple du Temps. Pendant qu'elle lui tapotait l'épaule, Zelda fit glisser son regard vers le garde royal qui quittait son tabouret. Sans doute importuné par l'intervention d'Impa, il paya la gérante puis quitta le bâtiment comme à l'accoutumée, sans rien dire. La blonde émit un faible soupir puis croisa les bras avant de les poser sur la table.

- Tu sais ce que je devrais promettre à Pru'ha ? lui demanda son amie, face toujours contre table. Que je lui ramènerai l'Alpha le jour de son mariage. Avec ça, pour sûr qu'elle viendra me voir plus souvent...

- Commence déjà par dessoûler puis nous en reparlerons.

Impa fit la moue mais ne répondit rien. Elles terminèrent leur soirée puis revinrent au château, là où on les logeait pour le restant de l'année.

oOo

Les autres jours durant lesquels les deux amies revinrent à la taverne, le garde royal n'y était plus, ce qu'Impa vit comme une victoire personnelle. Au moins, il ne représenterait plus un intru dans leur lieu favori. Zelda n'avait rien dit à cela. La rivalité entre chevaliers et gardes royaux commençaient doucement à la dépasser. Depuis son adoubement, elle n'avait cessé de recevoir des remarques désobligeantes alors qu'elle n'avait jamais porté préjudices à qui que ce soit.

Un soir, quand son moral fut au plus bas à cause d'une énième altercation et qu'Impa était de garde pour la nuit, Zelda se rendit tout de même à la taverne du cerf charnu pour se changer les idées. Il était vingt-et-une heures passées, les clients seraient nombreux mais peu lui importait ; Zelda voulait son hydromel. Une fois arrivée, elle prit place au bar - par chance, quelques tabourets restaient inoccupés - puis commanda ce qu'elle désirait. Assez rapidement, elle reçut sa chope et put commencer à siroter son contenu. C'était sans compter le regard insistant sur sa droite qui suscita chez elle un vif sentiment d'inconfort et de mal-être. Serait-ce encore l'un de ces ivrognes qui n'avaient rien d'autre à faire à part embêter les clients ? La jeune femme n'avait clairement pas envie d'entrer en conflit ce soir-là. Elle ferma fortement les yeux en priant pour que l'homme en question aille voir ailleurs.

Discrètement, ses yeux glissèrent sur le côté pour l'examiner et comprendre à qui elle avait affaire : un Hylien brun d'une trentaine d'années, qui devait sans doute boire pour oublier ses problèmes. Mais en faisant cela, il en devenait lui-même un pour les autres, dont Zelda. Ce soir-là, c'était tombé sur elle, comme cela aurait pu tomber sur quelqu'un d'autre. L'Hylien l'interpela une première fois mais en vain : la blonde demeurait sourde à ses appels. Mieux valait l'ignorer, cela lui passerait l'envie de l'aborder. Lorsqu'il constata qu'elle ne lui parlerait pas, l'ivrogne se contenta de l'observer en permanence, sans la moindre once de pudeur. Et après un certain temps, la chevaleresse ne put le supporter davantage.

- Cessez de me fixer, le ordonnda Zelda sur un ton ferme.

- Je le savais bien, tu n'es pas muette ! se réjouit l'homme en se tapant la cuisse.

Sa réaction la peina malgré tout car elle n'aimait pas voir ses contemporains se noyer dans l'alcool jusqu'à perdre toute logique. À vrai dire, Zelda avait dû parler pour commander son hydromel, il aurait pu le prendre en compte...

- Si on m'avait dit qu'il y avait de si telles chevaleresses au château, je me serais engagé... se lamenta l'Hylien. La dernière fois, ce sont des gros moustachus qui m'ont jeté dehors ! Moi, je... j'voulais juste serrer la pince au roi. En quoi est-ce mal ?

Il tapa sur le bar, ce qui fit sursauter Zelda. Elle jeta un regard implorant à la gérante qui ne fit que hausser les épaules. Autrement dit, elle lui disait en silence de ne pas faire attention à lui.

- Danse avec moi, demanda-t-il à la blonde sur un ton presque autoritaire.

- Non, sans façon, merci...

L'Hylien lui fit les yeux doux pour l'amadouer mais elle ne voulait rien entendre.

- Allez, juste toute la nuit ! Et je pourrai oublier ces moustachus.

Zelda inspira profondément par le nez pour garder sa patience. Il ne devait pas être méchant au fond, cependant son insistance approchait les limites de l'acceptable. Tout ne pouvait pas lui être excusé.

- J'ai dit non, répliqua-t-il froidement.

Sa réponse fut sans équivoque, pourtant l'ivrogne ne se montra pas dissuadé de continuer leur échange. Il s'apprêtait à retenter sa chance quand un nouveau client vint prendre place entre eux. Zelda se figea quand elle reconnut le garde royal de l'autre soir. Celui-ci affichait une expression impassible, il ne semblait pas être au courant des avances grossières du brun.

- Eh, toi, grogna l'ivrogne en se penchant vers le nouvel arrivant. Tu me gênes pour discuter avec mon amie.

Le garde tourna la tête vers lui avant de l'inspecter en quelques brefs coups d'œil.

- Excusez-moi, je vais changer de place dans ce cas, dit-il en quittant le tabouret.

Machinalement, Zelda attrapa la manche de son uniforme de garde tandis qu'elle rivait son regard vers le sol, prise d'une étrange détresse incontrôlable.

- Non, je... prononça-t-elle sans vraiment réussir à terminer sa phrase.

Le jeune homme la regarda avec considération, l'air toujours imperturbable, puis reporta son attention sur l'ivrogne qui osait le défier de rester plus longtemps.

- Veuillez cesser de l'importuner, le pria-t-il assez fort pour couvrir le bruit environnant.

- La déesse Hylia vient de nous bénir, mon garçon ! Tu ne l'entends pas chanter ?

Les trois tendirent l'oreille pour capter la moindre voix féminine, mais à part la mélodie des rebecs et les Hyliens qui chantaient faux, aucune déesse ne parlait. D'un coup, Zelda fit reculer son tabouret, plaqua sa main sur le comptoir pour payer son hydromel puis elle s'en alla aussitôt, agacée.

- J'ai assez entendu de sottises pour ce soir, marmonna-t-elle en prenant soin d'esquiver les autres clients sur son passage.

Peu importe si elle avait été indélicate pour payer. Cet incident achevait avec brio la maigre consolation qu'elle voyait dans cette taverne. Zelda n'y reviendrait pas avant un moment. Cette histoire l'en avait dégoutée pour un certain temps. Elle marchait d'un pas soutenu vers le château, son chemin était éclairé par les multiples lanternes des diverses rues.

- Attends ! s'écria une voix derrière son dos.

Zelda se crispa quand la colère la submergea d'un coup. Cet homme ne la lâcherait donc jamais ?! Elle se retourna et l'empoigna par le col pour le faire reculer :

- J'aimerais un peu de tranquillité ! s'exclama-t-elle avant de se taire, stupéfaite.

Ce n'était autre que le garde royal qu'elle tenait fermement et sur qui elle avait extériorisé sa mauvaise humeur. Elle n'avait même pas reconnu sa voix, pensant directement qu'il s'agissait de l'ivrogne. Enfin peu importait. Comment cet autre inconnu pouvait se permettre de la tutoyer de la sorte ?

- Si toi aussi tu comptes me faire des avances, tu peux retourner d'où tu viens ! l'avertit Zelda avec un empressement qui témoignait de sa colère.

Elle le lâcha en le repoussant vers l'arrière puis attendit qu'il s'en aille pour continuer son chemin. Mais celui-ci ne bougeait pas, il avait plutôt l'air dérouté par ce rejet qu'il n'avait pas anticipé.

- Je voulais seulement vérifier que tout allait bien. Je me dois de sanctionner quiconque ayant préjudicié.

En tant que garde royal, l'un de ses devoirs étaient de maintenir l'ordre, que ce soit au château ou à la citadelle. Pourtant, Zelda était loin d'y avoir pensé, trop préoccupée à se demander comment l'un des rivaux de son ordre avait pu vouloir lui apporter son aide.

- Cet homme était ivre, il ne réalisait pas ce qu'il disait, argua-t-elle sans vraiment savoir pourquoi. Et je me porte parfaitement bien.

L'Hylienne se mit de profil vis-à-vis de lui dans l'attente qu'il s'en aille après sa réponse. Alors pourquoi restait-il immobile au milieu du chemin ? Tous les deux gênaient les passants qui pestaient dans leur barbe contre eux.

- Qu'y a-t-il ? s'étonna Zelda qui ne savait même plus comment réagir. Le héros du jour aurait autre chose à dire ?

Son ton se voulait ironique mais non blessant, ce que son interlocuteur comprit malgré tout. Il esquissa un premier sourire fort embarrassé qui troubla la jeune femme. Jusqu'à présent, elle n'avait même pas réalisé qu'elle parlait à cet inconnu qui avait si souvent croisé son regard dans la taverne, par le passé.

- M'appeler Link aurait été suffisant, indiqua l'Hylien en reprenant un air sérieux.

- Eh bien Link, je te remercie pour ton intervention, le gratifia-t-elle sans pour autant sourire. Sur ce, je vais m'en aller.

Zelda tourna les talons et commençait à s'éloigner quand Link l'interpella une dernière fois :

- Puis-je connaître ton prénom ?

Pourquoi percevait-il elle une forme d'espoir dans sa question ? Tout de même surprise qu'on puisse autant s'intéresser à elle, la jeune femme lui jeta un regard interrogateur tandis que son rythme cardiaque s'emballait de manière très légère.

- Zelda, répondit-elle sans même oser le regarder.

Puis elle s'en alla en courant vers le château. Cette soirée avait décidément pris une tournure drastiquement différente en dépit de ses débuts compliqués. Zelda était partagée entre le fait d'être agacée par l'ivrogne et d'avoir pu parler au garçon qui attirait son attention depuis quelques temps. Elle se demandait si c'était de la curiosité ou une forme d'attirance que pouvait connaître le commun des mortels durant leur existence. De toute manière, ce n'était qu'une histoire parmi tant d'autres. Il n'y avait aucune chance qu'ils puissent se reparler un jour. Car après tout, ils n'appartenaient pas au même ordre.

oOo

À cause de sa mauvaise expérience, Zelda ne souhaita pas revenir à la taverne du cerf charnu pour le moment. Elle laisserait Impa y aller seule si le cœur lui en disait. Pendant ce temps, le conflit avec le Royaume du Néant s'estompait en souvenir. Dorénavant, il s'appelait "le royaume gerudo" pour laissait derrière lui l'image d'un peuple violent et barbare. Les relations avec Hyrule s'amélioraient lentement mais demandaient encore beaucoup de temps pour instaurer une confiance complète. Plus personne ne souhaitait de guerre, cette dernière avait beaucoup coûté aux Hyliens. Il n'y avait que les récits pour la rendre épique et admirable. Mais la réalité demeurait toute autre... Tant de morts, tant de barbarie, tant de violence... N'importe quel guerrier pourrait en raconter les atrocités et les cauchemars qui le suivaient durant des mois, voire des années. Sans parler des chevaliers atteints du syndrome de stress post-traumatique dû à l'expérience d'une mort imminente.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis, le château était en perpétuel mouvement, les chevaliers et les gardes royaux s'entraînaient sans relâche. Zelda dédiait ses journées au maniement de l'épée ainsi qu'au maintien de sa forme physique. Dès qu'elle le pouvait, elle emmenait son équipement à l'armurier de la forteresse pour le faire réviser et réparer en cas de problème. Il lui était déjà arrivé que certaines mailles de sa cotte se casse à l'usure. Alors que la chevaleresse s'entraînait lors d'un duel contre Impa, un serviteur vint la trouver dans la cour d'entraînement au nord du château.

- Quelqu'un demande à vous voir, lui annonça-t-il d'un ton plat.

Elle se demanda si c'était son père de retour en ville, mais cette supposition ne lui sembla pas plausible étant donné que son voyage à Hébra devait se terminer d'ici une semaine. Zelda remercia l'homme puis le suivit à l'intérieur du château après avoir salué Impa. Ils croisèrent le chemin d'autres chevaliers qui semblaient parfaitement calmes en ce milieu d'après-midi. À l'intersection de deux couloirs, Zelda retrouva l'un de ses supérieurs : l'adjudant-chef Bédivère, un homme aux cheveux châtains coupés courts et aux yeux noirs. Sa grande taille impressionnait toujours les nouveaux chevaliers mais, très vite, sa gentillesse rassurait et dévoilait un sous-officier concerné par ses hommes.

- Vous m'avez demandée ? s'étonna Zelda qui posa une main au milieu de sa poitrine pour le saluer.

- Oui, merci de t'être déplacée.

Bédivère congédia le serviteur puis tendit un manuscrit assez lourd à la chevaleresse.

- J'aimerais que tu apportes ceci au bureau de la garde royale. Je m'en serais chargé si je n'avais pas de différend avec l'un de leurs sous-officiers... Je ne peux pas le voir en peinture. S'il me fait perdre patience une nouvelle fois, je ne garderais pas mon sang-froid.

- Pourquoi m'avoir choisie ? Je ne suis jamais allée dans l'aile ouest du château, je ne connais personne.

Elle prit le manuscrit malgré tout en attendant la réponse de son supérieur. Celui-ci ne montra aucune once d'hésitation pour lui donner une explication :

- Ces crétins de gardes s'en prennent plus facilement aux hommes qu'aux femmes quand il s'agit des chevaliers. Tu auras moins de mal à te rendre au bureau en question par rapport à l'un de tes camarades. Si tu refuses, je peux l'entendre. J'irai trouver quelqu'un d'autre.

- Vous êtes venu vers moi en premier, j'apprécie votre confiance, lui assura Zelda en esquissant un sourire. Je vais mener cette courte tâche au mieux. Et si l'un d'eux entache mon honneur, je n'hésiterais pas à croiser le fer pour en laver l'affront.

L'Hylienne le salua puis s'éloigna afin de rejoindre l'aile de la forteresse habituellement réservée aux gardes royaux. Bédivère émit un soupir pendant qu'il croisait les bras tout en la suivant du regard. Pourquoi pressentait-il déjà l'issue de cette histoire de manuscrit ? Le chevalier espérait qu'un jour, cette querelle injustifiée entre les deux ordres prendrait fin. Il n'y avait rien de pire pour une armée qu'être divisée avant une guerre qui se profilait.

oOo

Comme à l'accoutumée, Link effectuait son tour de l'aile ouest afin de vérifier que ses semblables respectaient bien leur rôle respectif. Alors qu'il traversait les arcades externes, le blond entendit de vives exclamations provenant de l'un des kiosques à proximité. Ce détail attira son attention car les gardes royaux n'avaient pas tendance à se réunir, à part lors d'événements spéciaux. Poussé par sa curiosité, Link quitta le chemin des arcades et se dirigea vers l'origine des voix. Assez rapidement, il put apercevoir un attroupement d'une dizaine d'hommes autour d'un de leur camarade et d'un chevalier. Ou plutôt d'une chevaleresse au vu des rares exclamations qu'elle poussait durant ses échanges corsés avec son adversaire. Voir un combat entre chevalier et garde royal n'était pas si rare quand il s'agissait de deux hommes. Link fut encore plus surpris quand il reconnut la jeune femme de la taverne. Comment s'appelait-elle déjà ?

Le blond vint prendre appui contre un arbre à une vingtaine de mètres du groupe afin de rester à l'écart et le plus discret possible. Il croisa les bras tandis que ses yeux fixaient avec attention les deux combattants. La jeune femme se débrouillait bien avec son épée de bois, arme que possédait aussi son adversaire, un homme roux, pour ne pas émousser leur véritable épée. Link remarqua que son but n'était pas de faire une démonstration de force, contrairement au garde qui l'affrontait, mais plutôt de le déstabiliser et de trouver le point faible qui lui permettrait de mettre un point final à leur confrontation.

La patience de la chevaleresse finit par payer : volontairement, elle laissa l'arme de son adversaire heurter le bas de son plastron puis elle usa de l'incompréhension de l'homme avant de le frapper au niveau du buste. Son coup, loin de le blesser, le fit tout de même perdre l'équilibre puis tomber lourdement au sol, sous les moqueries de ses compagnons. La blonde ne lui laissa aucun répit et vint pointer le bout de son épée devant le nez de son adversaire. L'air assuré qu'elle arborait arracha un petit sourire à Link qui se plaisait étrangement à voir l'un des siens à terre.

- Alors ? Toujours convaincu que je ne mérite pas ma place au sein de la Chevalerie ? demanda Zelda au garde royal, désabusé.

Il claqua de la langue en détournant le regard ; rester mutique semblait son dernier choix pour garder ses positions et sa dignité. Zelda n'attendait même pas des regrets de sa part. On ne changeait pas l'opinion d'un borné en un claquement de doigts.

- Je prends cette absence de réponse pour une deuxième victoire personnelle, déclara-t-elle après avoir reculé de quelques pas pour le laisser se relever.

Sans même se préoccuper des autres spectateurs de la scène, la jeune femme tourna les talons afin de s'en aller tandis que Link décroisait les bras, l'expression plus sombre. Il se mit à marcher vers ses semblables, accélérant le pas à chaque foulée jusqu'à se mettre à courir en dégainant son épée de couleur noire, comme le reste de l'équipement de son ordre. Il se précipita vers l'adversaire de Zelda qui s'était relevé pour lui asséner un coup à l'aide de son arme en bois. D'un geste vif, Link fendit l'air pour contrer l'attaque, ce qui arracha l'épée du garde royale et la fit voler plus loin.

- Urwan ! s'exclama l'un de ses amis qui accourut vers lui.

Link lui jeta un regard noir pour le dissuader de s'approcher plus tandis que le dénommé Urwan hurlait de douleur en se tenant le poignet. Quant à Zelda, elle s'était retournée et prenait connaissance des faits. Revoir le jeune homme de la taverne la laissa pantoise un bon instant puisqu'elle ne s'attendait pas à le retrouver ici, dans de telles conditions.

- Frapper un adversaire de dos, c'est digne du plus vil des scélérats, prononça Link avec amertume. Sois reconnaissant de ne pas avoir été humilié davantage et ne t'avise plus de commettre un acte aussi lâche. Est-ce clair ?

- Très clair, grogna Urwan qui réajustait maladroitement son béret.

- Bien. Maintenant, déguerpis.

Le roux serra les dents puis interpela ses amis d'un ton empli d'animosité ; le groupe s'en alla bredouille sans demander son reste. Link rengaina son épée dans un bruit métallique puis se tourna vers la chevaleresse qui le regardait avec appréhension.

- J'aurais préféré ne pas intervenir, commença-t-il d'un ton neutre. Mais l'honneur de notre ordre ne pouvait être bafoué par un comportement aussi bas que celui de mon semblable.

Les lèvres de Zelda se pincèrent une fraction de seconde avant qu'elle ne détourne la tête. Elle aurait aussi aimé qu'il n'ait pas à intervenir. Cela voulait dire qu'il avait assisté à son combat, et cette simple idée déplaisait à la chevaleresse.

- Merci de m'avoir aidée une fois de plus, lui accorda-t-elle finalement. Je ne pensais pas qu'il irait aussi loin en voulant me frapper de dos. Rink, c'est cela ?

Les yeux de l'Hylien s'agrandirent légèrement puis il afficha un sourire à la fois amusé et embarrassé.

- Link, à la rigueur, la corrigea-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Zelda fut aussitôt mal à l'aise. À une lettre près, elle prononçait son prénom correctement... Peu importait, le temps pressait, elle ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps ici sous peine de rater l'heure de son tour de garde quotidien. Derrière son interlocuteur, Zelda aperçut deux gardes royaux qui l'observaient d'un mauvais œil. Après tout, sa présence était perçue comme intrusive dans cette partie de la forteresse.

- Tu ne devrais pas me parler, le prévint Zelda en reportant son attention sur Link. Tu pourrais avoir des problèmes.

- Oui, sans doute.

Zelda plissa les yeux puis inclina légèrement la tête sur le côté pendant qu'elle tâchait d'analyser son regard. Elle ne comprenait pas pourquoi il ne partait pas. Peut-être attendait-il que ce soit elle qui quitte les lieux en premier.

- Tu viens de faire vœu d'immobilité ? se risqua-t-elle à demander.

Zelda ne savait pas d'où lui venait cette assurance tout à coup. Elle ne devait pas prendre ses aises trop facilement avec un inconnu, garde royal qui plus est. Link regarda un instant ses pieds puis s'étira pour chasser la nervosité qui le gagnait trop vite à son goût.

- J'hésitais simplement à te proposer d'aller partager une bouteille d'hydromel ce soir.

- Une bouteille d'hydro... Il est fou, ma parole !

- Deux bouteilles ?

L'Hylienne s'y attendait si peu qu'elle éclata d'un rire vif et maladroit qui la força à se mettre de trois quarts. Alors là, personne n'avait encore osé lui faire pareille demande ! C'en était presque grotesque. Mais face à l'air imperturbable du jeune garde, Zelda se calma bien vite et se tint les bras.

- Je ne pensais pas que tu étais sérieux... Je trouve cette proposition très inappropriée après ce que je viens de vivre.

- Voilà la raison pour laquelle j'hésitais, confia Link avec moins d'assurance. Si tu acceptes, retrouve-moi dans le grand hall en début de soirée.

Zelda n'eut pas le temps de donner sa réponse car il s'était soustrait à sa présence sans même crier gare. La chevaleresse en resta sans voix sur le moment. Deux semaines auparavant, il n'y avait que des regards entre eux et maintenant, en l'espace d'une discussion, il lui proposait un rendez-vous ? Et pas des plus romanesques puisqu'ils n'iraient que boire ensemble. Enfin tout de même... Comprenant la situation, son cœur accéléra dans sa poitrine. Passer une heure ou deux avec un garde royal... Impa la tuerait pour ça... Sans plus tarder, Zelda quitta les lieux pour rejoindre le secteur des chevaliers. Étrangement, il ne lui tardait pas que le soir arrive.

oOo

Pour l'occasion, Zelda avait préféré s'habiller en civile afin d'être plus à l'aise et moins gênée par son uniforme habituel. Au fond, une partie d'elle ne voulait pas se rendre à ce rendez-vous, d'une part car ce Link demeurait un inconnu à ses yeux, d'autre part car il n'appartenait pas au même ordre. Lorsqu'elle passa près d'une fenêtre dans l'un des couloirs menant au grand hall, la jeune femme s'arrêta devant pour replacer correctement ses cheveux puis elle reprit sa route. Ils ne feraient que prendre un verre. Ce garde royal n'avait rien à attendre d'autre d'elle. Lorsque l'Hylienne passa les portes à double battants, le grand hall s'offrit à elle et dévoila son immensité, comme toujours. À cette heure-ci, seulement quelques personnes l'occupaient, l'effervescence de la journée avait laissé place au calme de la soirée. Zelda prit une profonde inspiration par le nez puis alla se placer près d'une des immenses colonnes. D'ici, elle pouvait voir quiconque passer.

Un très long quart d'heure plus tard, Link parut enfin à la sortie d'un large couloir, le souffle court et quelques mèches mal coiffées. Manifestement, il avait dû courir pour rattraper son retard. Il aperçut Zelda près d'une des hautes colonnes puis accourut dans sa directement, l'air grandement embarrassé. L'Hylien avait échangé son uniforme de garde royal contre une tenue plus traditionnelle. D'ailleurs, maintenant que Zelda y pensait, il n'était pas arrivé par la partie ouest réservée aux gardes royaux, mais par l'opposé. Elle se demandait si Link craignait qu'on le voie dans cette tenue.

- Je constate que la ponctualité n'est pas ton fort, souligna-t-elle en arborant un sourire narquois.

- Excuse-moi, j'ai eu une affaire de dernière minute, lui expliqua Link en réajustant ses cheveux.

Un silence pesant s'installa entre eux, ils ne savaient pas réellement comment aborder la situation ni quoi dire. Les quelques Hyliens qui traversaient le grand hall dévisageaient sans grande pudeur cet étrange duo immobile et silencieux. Finalement, Link brisa le silence et proposa de se rendre à l'ancienne auberge où il avait l'habitude d'aller avant. Elle se trouvait en plein centre de la citadelle, dans la partie où se logeaient sans doute les plus riches habitants. Ce détail n'échappa pas à l'attention de Zelda qui se sentit mal à l'aise de fréquenter le quartier où les gardes royaux avaient tendance à venir. Non pas qu'elle éprouvait une quelconque crainte envers eux. La chevaleresse redoutait de recroiser cet Urwan ainsi que ses amis. Dehors, la couleur du ciel orangé se mêlait au bleu de la nuit qui le recouvrait peu à peu. Comme tous les soirs, la même ambiance paisible envahissait les rues et rassérénait Zelda.

- C'est ici, lui annonça Link qui s'arrêtait devant une large fenêtre en arc surbaissé.

La jeune femme leva la tête pour lire une pancarte où était inscrit Chez Loïs. Les clients à l'intérieur avaient le même comportement qu'à la taverne du cerf charnu bien qu'ils soient visiblement un peu plus aisés dans ce nouvel endroit. Ils prirent place dans un coin et commandèrent leur fameuse bouteille d'hydromel.

- Pourquoi avoir choisi la voie de chevalier ? lui demanda Link pour lancer la discussion.

- Par pure conviction. Ma mère me racontait souvent des histoires sur leurs combats quand j'étais enfant. J'ai voulu embrasser leurs valeurs et leurs devoirs. Lorsque j'ai été adoubée, la joie et la fierté l'ont emporté sur ma raison... Mais je ne pense pas que tu puisses comprendre cela.

Link esquissa un sourire, posa son coude sur la table puis laissa reposer sa tête sur le dos de sa main.

- Bien au contraire, affirma-t-il. Je fais partie des gardes royaux qui ont été adoubés. En vérité, j'appartenais à l'ordre des chevaliers, avant. Je servais à Akkala.

- Je ne pensais pas qu'un chevalier pouvait devenir garde royal par la suite... Nos deux ordres ne peuvent pas se supporter.

Le jeune homme lui donna raison : ce changement l'avait surpris après avoir fait plus que ses preuves lors d'une mission à Firone. Mais rapidement, il avait su se faire une place parmi la garde royale bien qu'il en cacha la raison à Zelda. En même temps, un serveur vint prendre leur commande, c'est-à-dire un plat onéreux à base de sanglier et des légumes divers. Pendant qu'ils patientaient avant l'arrivée des assiettes, l'Hylienne apprit que Link était fils unique, orphelin depuis l'âge de quinze ans alors qu'il allait bientôt être adoubé. Cet événement avait grandement impacté sa vie bien qu'il n'en dit guère plus à ce sujet. La perte de ses parents restait une blessure douloureuse qui peinait à se refermer malgré l'écoulement des années. L'ambiance entre eux s'allégea un fois que leur repas fut servi et leur discussion reprit une teinte plus joyeuse. Tous les deux eurent l'occasion de parler de leurs goûts et de leur vie en dehors du service.

Alors que Link lui racontait à quel point il aimait voyager et visiter de nouvelles régions, Zelda se rendit pleinement compte qu'elle parlait au jeune homme qui lui plaisait depuis quelques temps. Ce même inconnu avec qui elle échangeait des regards discrets, emplis de curiosité et d'intérêt. N'ayant pas une grande confiance en elle, jamais l'Hylienne n'avait imaginé une seule seconde que son attirance puisse être réciproque. Ce soir-là, elle le constatait au travers des yeux de Link. Il la dévisageait comme personne ne l'avait fait auparavant, il ne se forçait jamais à sourire ou à rire, comme si le naturel avait pris immédiatement l'ascendant sur eux dès l'instant où le stress de la rencontre s'était dissipé.

- Ce repas était délicieux. Je n'avais pas mangé de sanglier aussi bien cuisiné depuis des années, se réjouit Link qui se remémorait une belle époque, une fois qu'ils eurent fini de manger.

- J'admets que l'on dîne bien dans cette partie de la citadelle.

Le blond haussa les sourcils puis ses lèvres s'étirèrent de nouveau sous l'effet de l'embarras.

- Je ne pensais pas que tu serais si difficile à convaincre... Beaucoup de nobles apprécient cet endroit.

- Beaucoup de gardes royaux aussi, souligna-t-elle en regardant derrière lui un groupe de cet ordre.

Link soupira discrètement en perdant son sourire puis il ancra profondément son regard dans le sien, ce qui la fit frémir un court instant. Zelda pensa l'avoir incommodé avec cette remarque déplacée, en particulier après un repas aussi agréable. Cependant, ce ne fut pas le cas. L'air sérieux, que le garde royal avait adopté, fut pour une tout autre raison.

- J'aimerais continuer de te voir, déclara-t-il soudainement. Notre différence de titre constitue un frein, j'en suis conscient, mais je veux passer outre.

- Nous pourrions avoir des problèmes... J'aimerais aussi te revoir mais les semaines qui arrivent ne nous accorderont pas beaucoup de temps.

Et cela à cause d'un tournoi organisé par le roi en personne. Seuls les gardes royaux pourront y participer, excluant les chevaliers à cause des querelles entre les deux ordres. Toutefois, pour cette occasion, le monarque invitait des souverains et des princes pour participer aux festivités et présenter leurs meilleurs guerriers. Contrairement aux gardes royaux, les chevaliers étaient appelés à défiler et à montrer l'étendue de leur puissance. C'était là un moyen de dissuasion efficace en cas de volonté de trahison de la part des alliés. Durant le mois qui arrivait, Zelda devrait notamment s'entraîner à défiler et préparer les différents étendards représentant la Chevalerie. Sans oublier les missions hors du château et les patrouilles dans la citadelle.

- Je crois qu'il est temps pour moi d'y aller, annonça Link en quittant sa chaise. J'espère que tu m'en excuseras... Il y a quelque chose d'important que je dois finir ce soir.

- Je comprends, le rassura-t-elle en souriant avec bienveillance. Et au sujet de la note...

- Pour cette fois, je la mets à ma charge.

Il afficha un sourire amusé qui en dit long pour la jeune femme qui prit appui sur la table et le détailla malicieusement.

- Serais-tu en train de me suggérer que je paierai ma dette lors d'un prochain repas ?

Il haussa les épaules comme s'il feignait l'innocence.

- Qui sait ? J'admets que l'idée ne me déplaît pas.

Sur ce, ils échangèrent un dernier regard qu'ils soutinrent le plus longtemps possible avant que Link ne doive définitivement partir après avoir payé. Toujours assise à sa place, Zelda ne put réprimer un soupir léger qui n'avait aucun lien avec de l'exaspération. Elle se trouva presque stupide de sourire dans le vide en fixant la table de bois sur laquelle elle avait dîné. Elle se remémorait les moments les plus agréables de ce repas, certains regards intenses, les sensations éprouvées. Le martèlement de son coeur ne la trompait pas non plus. Il lui tardait déjà de recroiser le chemin de ce garde royal.



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