Chapitre 2

Le soleil battait son plein sur la belle ville de Boston. Tous les habitants étaient déjà actifs, que ce soit les travailleurs ou bien les écoliers.

Une journée comme une autre commençait pour notre jolie brune aux yeux clairs.

Cette dernière s'était levé aux aurores comme à son habitude. Ses nuits n'étaient jamais bien pleine et elle préférait mille fois se dégourdir les jambes plutôt que de rester cloîtré dans son lit. C'est pourquoi elle partait toujours de chez elle au lever du soleil.

Le trajet en voiture aux côtés de son chauffeur se passait toujours dans un silence macabre, durant lequel elle se contentait de regarder les nuages et le ciel changer de couleur. Aucun mot, aucune parole et aucun son n'était prononcé, seule la musique se dégageant du lecteur audio animait cette douce matinée.

Il n'y avait jamais grand monde quand elle arrivait au lycée, on peut même dire qu'elle était l'une des premières à être là, ce qu'il ne la surprenait pas. Très peu de personnes aimaient s'aventurer aux abords de l'établissement à une heure aussi prématuré, mais elle, c'était ce qu'elle préférait.

S'asseoir au pied du grand et majestueux cerisier pour se détendre et laisser divaguer ses pensées. C'était sa routine chaque matin et elle ne pouvait s'en lasser. Aussi court étaient-ils, ces simples moments arrivaient à la combler d'un bonheur qu'elle ne trouvait nulle part ailleurs.

Ici, sous ce cerisier, elle pouvait enfin profiter de quelques instants de calme sans que quiconque ne vienne l'embêter. Elle pouvait laisser de l'air frais envahir ses poumons en examinant de loin les élèves qui passaient les porte du bahut.

Emy aimait la solitude et le bien-être qu'elle lui apportait.

C'est peut-être triste mais c'était les seuls moments où elle se sentait exister.

Elle pouvait être elle-même sans avoir à subir le regard et le jugement d'autrui.

Aller vers les autres l'effrayait. Avec tout ce qu'elle a connu durant son enfance elle avait développé de nombreuses craintes.

"Et si ils ne m'aimaient pas ? Et si j'étais de trop ? Et si je n'étais pas assez cool ? assez drôle ? Et si je n'étais pas à la hauteur ?"

Elle n'a jamais eu le courage de se faire des amis. Après tout, qui voudrait être accompagné de quelqu'un comme elle. Une fille faible et timide qui n'arrive pas à se défendre face à ces harceleurs.

On l'a toujours jugé et critiqué alors comment pouvait-elle être appréciée ? Il est vrai qu'elle aurait aimé avoir des amis, même un suffirait à lui rendre le sourire...

Mais elle ne voulait pas entraîner quelqu'un dans le monde au sein duquel elle vivait. Ce serait égoïste de sa part.

Et puis la solitude n'a jamais tué personne, non ?

Un liquide chaud se glissant dans son chemisier lui fit brusquement lever les yeux de son livre. En relevant la tête elle ne fut pas surprise de voir ce très cher Kyle Foster debout en face d'elle, lui dissimulant ainsi la vue du soleil. Il était adossée au tronc de l'arbre avec un café à moitié vide au creux de la main. Elle était tellement plongée dans ses pensées qu'elle n'avait pas remarqué sa présence.

Lorsqu'elle réalisa ce qu'il avait fait, elle se retourna promptement et remarqua alors une énorme tâche marron qui colorait toute la longueur de son dos.

Elle pouvait sentir de fort picotement au niveau de ses omoplates, signalant qu'elle s'était brûlée au premier degré. La douleur était visible sur son visage même si elle tentait vainement de le cacher.

Il ne prit pas la peine de lui lancer une réplique sanglante et se contenta d'afficher un sourire satisfait. Suite à ça, il tourna les talons et se dirigea vers les portes principales de l'établissement.

Un long soupir s'échappa de la bouche de la noiraude, avant qu'elle ne se décide à ranger son livre dans son sac pour aller se nettoyer dans les toilettes du lycée.

Le plaisir aura été de courte durée...

"Et voilà une nouvelle journée qui commence..." marmmona-t-elle en franchissant à son tour les grandes portes du lycée.

~~~~~

Tic tac, tic tac...

Ce bruit incessant tournait en boucle dans sa tête, lui donnant une forte envie de se planter un crayon dans l'œil.

Tic tac, tic tac...

Cela faisait à peine quelques heures que les cours avaient commencé et elle n'en pouvait déjà plus. Elle faisait de son mieux pour suivre les notions dictées par le professeur mais son cerveau était complètement HS. C'était l'une des conséquences de ses brèves heures de sommeil.

Tic tac, tic tac...

C'était une élève très sérieuse et assidue, mais même les meilleurs ont leurs difficultés. Et la fatigue était l'une des siennes. Avec tout ce qu'elle avait à gérer, son organisme avait du mal à tenir le coup. Elle serait prête à tuer quelqu'un pour pouvoir bénéficier ne serait-ce que d'une nuit complète sans aucun mauvais rêve.

Tic tac, tic tac...

Elle n'arrivait plus à écrire correctement et sa tête se balançait répétitivement de chaque côté. Si le cours s'éternisait elle allait littéralement tomber de fatigue, elle en était certaine.

Tic tac, tic-

Au plus grand bonheur d'Emy, son calvaire se termina lorsque la sonnerie retentissa. Ce son qu'elle trouvait de nature si agaçant, l'avait sauvé d'une mort certaine.

Elle rangea ses affaires au plus vite et se fraya un chemin entre les élèves pour sortir de la salle.

Cette ambiance était vraiment trop étouffante pour la brunette.

Quand elle fut près de son casier, elle jeta un coup d'œil à sa montre et remarqua qu'il était bientôt l'heure de son rendez-vous.

"Si je suis en retard, Madame Lewis va me passer un savon" déclara-t-elle en déposant les livres dont elle n'avait plus besoin dans leur compartiment respectif.

Un rapide regard vers sa chemise lui fit froissé son visage d'appréhension. Elle n'avait pas réussi à enlever entièrement la tâche de café et elle savait pertinemment que ce détail n'échapperait pas aux yeux de la jeune femme qui l'attendait.

Enfin bon, elle n'avait plus le temps de penser à ça. Au pire elle trouverait une excuse sur place.

Après avoir refermé son casier, elle se dirigea d'un pas décidé vers le bureau de Madame Lewis.

Sa psychologue scolaire...

~~~~~

Emy rentra dans la pièce après avoir toqué trois fois sur la porte comme à l'accoutumée.

En face d'elle se trouvait la psychologue scolaire qui avait le regard plongé dans l'un de ses dossiers.

Elle venait voir Madame Hillary Lewis tous les jours quand elle avait une heure creuse. C'était sa psychologue depuis le début de sa première année de lycée. Quand son harcèlement scolaire a commencé...

À l'époque, Emy venait tout juste de rentrer au lycée et son esprit de jeune adolescente fragile s'est retrouvée ébranler par tout cet acharnement de haine. Elle se retrouvait souvent engloutie par de fortes émotions qui la poussait à se faire du mal pour la punir de son odieuse faiblesse.

Chaque marque sur son corps représentait une souffrance du passé. Soit elles avaient été créé par d'autres, soit c'était elle qui les avait inscrites sur sa peau. À ses yeux elle méritait d'être blâmer, châtier, raison pour laquelle elle martyrisait de la sorte son enveloppe corporelle.

Mais et si un beau jour il n'y avait plus de place ? Si il n'y avait plus d'endroit disponible sur cette toile pour y déposer une timide cicatrice. En général lorsqu'un tableau est terminé, on le change. Mais que faire lorsque le tableau n'est nul autre que soi-même ?

Elle ne savait pas.

Au fil du temps les marques ont commencé à être visible aux yeux de tous, mais Emy arrivait à les cacher tant bien que mal. Personne ne se doutait de rien et personne ne les voyait...

Sauf elle.

Ce jour là, lorsque cette étrange femme à la chevelure ambrée l'a attendu à la fin des cours pour pouvoir discuter avec elle dans son bureau.

C'est comme ça que Madame Lewis est devenu sa psychologue scolaire. Elle était venu la chercher. Tandis que tout le monde la fuyait, elle, elle n'a pas hésité à lui tendre la main pour lui enlever la tête de l'eau.

Parfois elles pouvaient simplement rester là à se regarder sans parler, mais contrairement à ce qu'on pourrait penser ce silence était lourd de sens. Peut-être que Emy ne racontait pas tout à sa psychologue, mais elle aimait beaucoup les séances qu'elle passait avec elle.

Elles étaient réconfortantes.

Encore aujourd'hui, Emy se sent entièrement reconnaissante envers elle, car c'est elle qui l'a a sauvé quand elle avait envie de tout laisser tomber.

Madame Hillary Lewis.

Une fois sorti de sa rêverie, Emy alla lentement s'asseoir sur le fauteuil destiné aux élèves et elle commença à se triturer les doigts.

Même si elle était une « habituée des lieux » elle était toujours stressée quand elle venait. Elle ne savait jamais quoi dire ou quoi faire. Elle avait l'impression d'être jugé sur tout ce qu'elle faisait. Chaque petit geste et chaque petit détail était noté dans le dossier qui lui était assigné.

Elle savait que c'était juste pour un peu mieux la connaître et se souvenir des choses importantes la concernant. Mais elle stressait par rapport à l'opinion que sa psy pouvait avoir d'elle.

Le regard qu'elle portait sur elle était toujours neutre, ne laissant transparaître aucune émotion. Et honnêtement cela la perturbait beaucoup. Madame Lewis est une personne très gentille et très attentionnée, mais elle sait poser des limites entre le professionnel et le privé. Même si notre brunette voyait bien que sa psychologue s'inquiétait pour elle au-delà de la limite du professionnel...

"Et c'est bien la seule." pensa-t-elle avec une pointe d'amertume.

Soudainement, la jeune femme leva les yeux de son cahier et souria faiblement, ce à quoi Emy répondit de la même manière.

Lorsque Madame Lewis fut totalement concentrée, elle scruta la jeune fille en face d'elle de son regard écarlate, comme elle le faisait à chaque séance. Elle l'examinait sous toutes les coutures pour se faire une idée du sujet qu'elle allait aborder. C'était sa façon de faire.

"- Tu t'es sali ? Demanda-t-elle en réajustant ses lunettes."

Emy eu un léger haut le cœur en entendant sa question.

Elle ne savait même pas pourquoi elle était surprise. Elle aurait dû s'en douter. C'était évident que l'énorme éclaboussure sur son chemisier n'allait pas passé inaperçu aux yeux perçant de Madame Lewis.

"- Euh..je oui, m..mon café s'est renversé. Bredouilla la plus jeune en baissant timidement les yeux.

- Tu n'as pu te faire ça toute seule quand même. La tâche est dans ton dos, c'est physiquement impossible. Répliqua la psychologue d'un air sceptique.

- Hum, v..vous savez comme je suis maladroite."

La trentenaire rehaussa une nouvelle fois ses lunettes et s'affala sur sa chaise en soupirant d'exaspération. C'était toujours la même chose...

"- Emy tu sais que ces séances ne servent à rien si tu n'es pas honnête avec moi."

Face à son intense regard accusateur, la concernée inclina entièrement la tête en mordillant sa lèvre inférieure.

Elle était consciente qu'elle ne devait pas mentir, mais pourquoi créer un scandale pour quelque chose qui n'affectait qu'elle ? Après tout si elle était la seule à souffrir cela voulait sûrement dire que ce n'était pas si important que ça.

Elle ne voulait pas importuner sa psychologue pour des broutilles. Elle ne voulait pas être une gêne pour elle...

La jeune psychologue posa ses coudes sur son bureau et entremêla ses doigts dans un mouvement rapide. Ça lui faisait de la peine de voir son élève ainsi. Même si elle ne le montrait pas, elle s'était vraiment attachée à cette gamine. Et elle voulait tout faire pour l'aider à aller mieux. Mais pour ça il fallait que la petite Collins s'ouvre à elle.

"- C'est quelqu'un qui t'a fait ça, pas vrai ? Murmura-t-elle de façon à ne pas trop brusquer la brunette."

Seul le silence de la demoiselle lui répondit, ce qui accentua ses craintes. Elle n'avait jamais vu Emy comme ça. Aussi translucide...

La psychologue avait remarqué que sa patiente ne s'ouvrait pas totalement et gardait des choses en elle. Cela faisait plus d'un an qu'elle la suivait et elle avait appris à la connaître au fil du temps.

C'était comme si elle avait peur de lui parler et qu'elle se retenait pour ne pas révéler trop d'éléments sur elle-même. Et bien là, il semblait que la jeune femme avait démasqué l'un de ses multiples secrets.

Elle s'avança doucement vers la jeune fille et déposa délicatement ses mains sur ses épaules.

"- Tu peux tout me dire, tu le sais ça ?"

Emy hocha lentement la tête sous les yeux attentifs de son interlocutrice.

La question ne se posait même pas. C'était l'une des seules personnes à s'être vraiment préoccuper de son état. Elle avait en elle une confiance infinie... mais était-ce une raison pour tout lui dire ?

"- Alors dis-moi, c'est quelqu'un qui t'a fait ça ? Essaya à nouveau la jeune femme."

Cette fois-ci, Emy lui répondit en acquiescant silencieusement.

À quoi bon se voiler la face ? Pratiquement tout le monde était au courant pour elle, alors une personne de plus ne changerait rien. Et puis elle ne voulait pas mentir à Madame Lewis, elle ne méritait pas ça.

En voyant que l'atmosphère changeait du tout au tout, la brune se força à sourire pour détendre la situation mais son geste inquiéta encore plus la psychologue.

"- Ce sont des choses qui arrivent, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat..."

Elle pensait chaque mot qu'elle avait prononcé.

Il y a des personnes qui souffrent beaucoup plus qu'elle. C'est mal de se plaindre alors qu'il y a des problèmes beaucoup plus importants. Elle ne peux pas, c'est comme ça.

Ce serait égoïste...

Subitement, ses mains tremblantes furent emprisonnées dans celle de Madame
Lewis.

Elle avait délaissé son visage sérieux pour observer son élève avec compassion. Elle pouvait bien mettre ses principes de côté pour aujourd'hui.

"- Ne dis pas ça. C'est grave ce qui t'arrive, tu ne peux pas en parler comme si c'était anodin."

"Quel genre de monstre a bien pu faire du mal à une jeune fille comme elle, c'est inconcevable..." se demandait-t-elle tristement, en voyant le regard vide de la brune.

"- Écoute-moi Emy, je n'en parlerai à personne si c'est ton choix mais sache que ce qui t'arrive n'est en aucun cas de ta faute. Tu es sous ma tutelle depuis plus d'un an et j'ai le luxe de pouvoir prétendre te connaître. Il n'y a aucune raison valable pour justifier ce qu'ils te font. Tu n'as pas à t'en vouloir ou à culpabiliser. Tu es très forte même si tu ne le pense peut-être pas. Beaucoup de personnes auraient déjà laisser tomber et fondue en larmes, mais toi tu te bats continuellement. Malgré toute ta souffrance, tu te relèves à chaque fois et ça c'est très courageux, je peux te l'assurer."

La jeune femme essuya délicatement les joues humides de son élève avant de prendre son visage en coupe. Le mur qui les séparait, venait de se briser. On pouvait lire toute la peine et la détresse sur les traits de la lycéenne.

"- Tu n'as rien à envier aux autres, Emy. Tu es très bien comme tu es. Ce sont juste les autres qui n'arrivent pas à le voir."

Les larmes n'arrêtaient pas de couler, et les mains de Madame Lewis était à présent aussi mouillé que le visage d'Emy. Cette dernière avait les yeux si rouge qu'on aurait dit que ces veines avait explosé. Elle avait du mal à respirer tellement ses sanglots étaient fort. Elle n'arrivait tout simplement pas à gérer ce qu'elle ressentait à cet instant précis.

Depuis quand ne l'avait-on pas rassuré et parlé de cette façon ? Elle n'en savait rien, mais en ce moment elle avait la ferme impression qu'on lui avait enlevé un énorme poids sur sa poitrine. Qu'on avait reboucher un trou béant à l'intérieur de sa personne. Qu'on avait soigner une de ses nombreuses blessures à l'aide de simple mot.

Elle se sentait comprise.

Ce sentiment qu'elle voulait t'en ressentir avait enfin trouvé le chemin jusqu'à son cœur.

D'un tour de main, elle enlaça la jeune femme en face d'elle en laissant ses larmes couler le long de son dos.

Mais elle n'était pas triste au contraire, elle était heureuse.

Finalement elle n'était peut-être pas si seule qu'elle le pensait.

~~~~~

Pendant ce temps là, à la pause méridienne, un groupe de jeunes garçons était réuni autour d'une table, au beau milieu du self.

Ces derniers discutaient de tout et de rien, en riant à gorge déployée sous le regard agacé des autres élèves. On pouvait entendre leur voix résonner à l'autre bout du self, mais ils s'en fichaient totalement. N'étant pas tous dans la même classe, ils profitaient de la pause déjeuner pour passer du temps entre amis. Alors ils s'en foutaient royalement que cela puisse déranger leurs camarades.

De plus, ils savaient qu'aucun inconscient n'oserait venir les déranger pendant leur repas. Personne ne le faisait. C'est comme ça, les gens évitent toujours de s'attaquer aux gros poissons de l'aquarium, et ces cinq là en était la preuve même...

Aïden Miller
Logan Anderson
Shawn García
Manson Harris

Et bien évidemment ce très cher Kyle Foster.

Ces cinq garçons aussi différents les uns des autres, ont réussi en l'espace d'une seule année, à gagner le cœur d'une grande majorité des élèves de ce lycée. Que ce soit par leur physique ou par leur personnalité ils étaient loin de passer inaperçu auprès de leurs camarades.

Leurs noms s'étaient répandu telle une traînée de poudre sous l'emprise du vent et cette vague ne cessait de s'intensifier. Ils étaient tous issus de départements différents ce qui n'avait fait que diversifier leur popularité. Aïden étudiait en Santé, Manson en Informatique, Logan en Droit, Shawn en Gestion et Kyle en Management.

Malgré la distance et les différentes horaires qui les séparaient, ils trouvaient toujours un moyen de se voir même si ce n'était que pour très peu de temps. Leur étonnante amitié remontait à plusieurs années de cela, mais ce n'est pas pour autant que la flamme qui animait leur jeune esprit à l'époque s'était éteinte. Bien au contraire, elle n'avait fait que s'intensifier.

Quelque chose de surprenant semblait les lier, comme un puissant fil d'argent et d'acier. Parfois ils venaient même à se demander si leur rencontre n'avait pas été prémédité, si tout n'avait pas été planifié par une personne venu d'ailleurs.

Aucun d'entre eux n'osait se l'avouer mais au fond, ils savaient que si leurs chemins ne s'étaient pas croisé, ils auraient tous probablement sombrer. Ils se sont mutuellement tirés hors de l'eau qui les avait engloutis comme un monstre en crise de famine. En y repensant bien, ils étaient même prêt à dire que ce n'est que lorsqu'ils sont devenus amis qu'ils ont vraiment commencé à vivre. Ce simple lien écaillé s'est alors transformé en une chaîne renforcée.

À leurs yeux, ce n'était pas qu'une simple amitié, c'était beaucoup plus que ça. Une chose que seul eux pouvaient comprendre. Ils avaient beau être très différent et se chamailler à longueur de temps..

Cette drôle de bande de bras cassés avait fini par devenir une vraie famille. Et même si ils tentaient de le nier, il n'y avait qu'à les regarder pour le constater. Leur regard et leur sourire parlaient d'eux même. Mais bon, comme tout garçon digne de ce nom, ils se contentaient de jouer aux mecs insensibles et de mettre ça sur le dos de la fierté, surtout Kyle si je puis dire. Parce que oui, ce ne serait pas drôle sinon.

Enfin bref, ils étaient comme des frères et depuis belle lurette. Hélas, cela n'a pas empêché l'apparition de lourd secret entre leur lien fraternel. Des vérités inavouables qu'ils terraient chacun de leur côté. Une part de leurs sentiments, de leur passé, ou de certains de leurs actes dont ils ne sont pas fiers. Ils avaient tous quelque chose à se reprocher ou une souffrance qui les torturaient de l'intérieur.

Avec le temps ils avaient quelque peu réussi à se reconstruire, mais Kyle quant à lui n'arrivait pas à s'extraire de cette source de malheur qui le tourmentait jour et nuit. Il était comme emprisonné par ses douleurs du passé au point où il ne pouvait plus s'en défaire. Sa vie restait une grande page d'ombre pour ses amis malgré le bon nombre d'années qui les unissaient. Ils avaient inlassablement tenté d'en apprendre plus sur l'ancienne existence de Kyle mais ce dernier restait ferme sur ce sujet.

« Si j'essaie tant bien que mal de l'oublier, c'est pour ne plus avoir à le raconter à qui que ce soit. »

C'était sa vision des choses.

Et puis, à quoi bon étaler sa vie aux autres lorsque tu n'es pas sûre qu'ils te suivront jusqu'à la fin ? Ça ne serait que leur offrir sur un plateau d'argent l'opportunité de rajouter une énième déception à cette immense palmarès.

Après tout c'est comme ça, lorsque l'on s'ouvre trop à quelqu'un on devient immédiatement vulnérable. Que ce soit pour soi-même ou pour les autres. Ce sentiment d'impuissance n'était pas inconnu aux yeux de Kyle, et il se refusait catégoriquement de le ressentir auprès de quiconque sur cette planète.

Il voulait se préserver, mais il voulait surtout préserver les autres de lui-même. Car suite à tout ce qui lui est arrivé il ne se sentait plus capable de ressentir quoi que ce soit.

Il était aussi vide et froid qu'une pierre tombale au milieu d'un cimetière. Certains trouvait cela attirant, mais d'autres se sentaient oppressé par sa présence.

Il est impossible de savoir ce qu'il pense ou ce qu'il ressent derrière cette mine indéchiffrable.
En apparence on dirait peut-être qu'il s'en fiche de tout et que rien n'a d'importance pour lui, mais c'est loin d'être le cas. Il a peut-être réussi à se débarrasser d'une grande partie des sentiments qui l'accablaient, mais hélas toute cette haine qui le consumait depuis sa tendre enfance ne semblait vouloir partir.

Au fil du temps elle est devenu plus forte et plus intense jusqu'à être omniprésente. Peu importe la situation dans laquelle il se trouvait, cette dernière s'amusait à le submerger au point de l'empêcher de respirer.

De nombreux éléments aussi douloureux les uns des autres avaient engendré cette part de colère au fond de lui. Ils s'étaient assemblé comme les pièces manquantes d'un puzzle afin de le mettre au plus bas. Que ce soit des événements douloureux, des personnes malintentionné ou encore des actes irréfléchi. Tout lui revenait sans cesse et tournait en boucle dans sa tête comme un film jouer à l'infini. Mais à force de l'utiliser, le disque finit par s'abîmer et c'est précisément ce qui était en train de lui arriver.

Cette lourde accumulation a fait qu'il ne pouvait plus rien contenir car son cerveau arrivait à un point de saturation. Et comme il ne savait pas comment extérioriser toute cette haine, il passait son mal-être sur les autres...

Sur elle.

Cette fille qui n'avait rien demandé.
Cette fille qui ne lui avait rien fait.
Cette pauvre fille qu'il ne pouvait s'empêcher de torturer.

Le monstre aux yeux blanc...

La petite Emy Collins.

Tous les jours depuis plus d'un an, cette dernière subissait cruellement la colère du jeune garçon. Il n'avait aucune limite et se défoulait sur elle comme un boxeur sur un sac de frappe. Elle était devenu son souffre-douleur, celle sur qui il déversait tout son malheur. Cela s'est transformé en un cycle haineux où il était le personnage principal, le bourreau. Elle prenait injustement pour elle les souffrances qu'il n'arrivait pas à évacuer. C'était sa routine...

"Ce n'est pas de sa faute" lui répétait inlassablement sa conscience.

Kyle savait pertinemment que c'était horrible et inhumain de lui infliger ça. Absolument personne ne méritait de subir un tel traitement. Mais il avait l'impression de ne plus avoir le contrôle de lui-même lorsqu'elle était à ses côtés. Il n'arrivait point à s'adoucir lorsqu'il s'agissait d'elle. Le seul fait de croiser son regard de lis, suffisait à raviver son animosité...

Ces yeux qui l'avaient tant traumatisé et hanté durant de nombreuses années. Elle n'avait pas le droit de les porter fièrement avec le sourire. Pas après tout ce qui lui était arrivé. Pas après tout ce qui s'était passé.

Ce n'était peut-être pas elle la méchante de l'histoire, mais elle y était directement lié. Alors aussi déplorable cela était-il, il se vengerait sur elle. C'était honteux, débile et futile mais il avait besoin d'un coupable. D'une personne à blâmer. Et vu que le véritable pêcheur était hors de sa portée, il s'attaquait à un de ses semblables. Du moins c'était ce qu'il pensait.

Quelqu'un devait payer et elle était parfaite pour ce rôle.

Il allait alléger ses souffrances à sa manière même si pour cela une personne devait souffrir...

Et Emy était cette personne.

« - Kyle ? »

À l'entente de son nom, Kyle sortit aussitôt de sa rêverie pour lever les yeux en direction de ses camarades. Ils avaient cessé toute conversation et le fixaient comme des vautours face a leurs proies. En les regardant, il comprit qu'il avait sûrement dû rester plongé dans ses pensées pendant pas mal de temps.

« - Euh oui, qu'est-ce qu'il y a ?

- Ben ça fait un moment qu'on t'appelle et que tu réponds pas. Le réprimanda Shawn avec un regard accusateur.

- Ah ben désolé, j'avais la tête dans les nuages. Répondit le jeune Foster en s'étirant sur sa chaise. »

Ses amis lui lancèrent un ultime regard interrogateur avant de revenir in extremis à la conversation qu'ils abordaient précédemment.

Bien que ces derniers ne sachent pas tout de lui, Kyle était comme un frère à leurs yeux et ils le connaissaient suffisamment pour être en mesure de décrypter ce qu'il ressentait. Par conséquent ils savaient que ça ne servait à rien d'insister auprès de lui, dans tous les cas il garderait la bouche fermée et ils étaient habitués à cela. Ils n'en restaient pas moins curieux, loin de là, mais ils préféraient attendre que ce soit lui qui vienne à eux plutôt que de lui mettre un couteau sous la gorge.

La fin de la pause méridienne fut ainsi annoncé au bout de quelques minutes, par le bruit récurrent de la sonnerie. Au fur et à mesure, les élèves allèrent déposer leurs plateaux repas avant de se diriger vers leur département respectifs pour le début des cours de l'après-midi. En voyant la vitesse à laquelle le réfectoire se vidait, les cinq garçons se décidèrent à suivre le mouvement et se dépêchèrent alors de prendre au même titre le chemin de la sortie.

Une fois à l'extérieur, ils furent accueillis par une chaleur écrasante digne du soleil lorsque l'horloge sonne midi. Ils échangèrent quelques brèves salutations et furent contraint de se séparer pour regagner leur salle de classe, suite à une seconde sonnerie signalant aux retardataires de presser le pas. De nombreux étudiants étaient déjà agglutinés devant leurs salles et attendaient patiemment l'arrivée imminente de leur enseignant.

Comme à son habitude, Kyle rejoignit lentement sa classe en traînant du pied et lorsque le professeur s'écarta de l'embrasure de la porte, il alla directement s'asseoir au fond de la salle sans un seul regard pour ses camarades. Il apposa son casque audio sur ses oreilles et s'allongea sur sa table, bien décidé à terminer sa nuit qui, de son humble avis, avait été d'une trop courte durée.

Tandis qu'il était sur le point de se laisser bercer par la musique, ses yeux rencontrèrent malencontreusement ceux de la jeune fille assise à son opposé, à l'autre extrémité de la salle. Elle...

Son grand regard aux allures blanchâtres se planta dans les iris basanés de l'adolescent. Ils se dévisagèrent tous deux pendant quelques instants avant de faire brusquement pivoter leur tête dans des directions antipodes.

Il détestait son regard et elle craignait le sien.

Sans plus de cérémonie, le brun retourna à ses tentatives désespérée de trouver le sommeil pendant que la brunette concentrait son attention sur le cours qui se déroulait devant ses pupilles éreintées.

La voir lui donnait envie de vomir.
Le voir lui donnait envie de s'enfuir.

Un dégoût et une aversion commune pour des raisons diamétralement disjointes.
Des souffrances contradictoires mais le même besoin d'émancipation.
L'un est blessé à l'intérieur et l'autre est marqué de l'extérieur.

Un univers entier était creusé entre eux montrant inévitablement les différences qu'ils détestaient chez l'autre, mais en dépit des aspects, un modique détail tout aussi insignifiant que vital les apparentait.

Une envie partagée.

Un besoin capital.

Un souhait de longue date.

« Vivre sans redouter la journée du lendemain...»













À suivre...

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