Chapitre 22

Adrien et Marinette décidèrent de se rendre chez le Grand Gardien le jour même.

A la grande déception de Nino et surtout d'Alya, Tikki avait préféré que les deux fidèles amis des héros de Paris ne les accompagnent pas cette fois non plus. Quand la jeune apprentie journaliste avait vigoureusement protesté contre cette nouvelle mise à l'écart, le kwami de Ladybug avait fait remarquer qu'il était tout à fait probable que Maître Fu émette des réserves à discuter des secrets des miraculous avec d'autres personnes que des porteurs de ces bijoux magiques, et qu'il valait probablement mieux que Marinette et Adrien ne le rencontre seuls dans un premier temps. Elle leur avait néanmoins promis d'intercéder en leur faveur et de tout faire pour convaincre le Grand Gardien qu'ils étaient tous deux dignes de confiance.

Leur longue journée de cours était à présent finie, et les jeunes héros faisaient maintenant route vers l'immeuble dans lequel vivait Maître Fu.

- « Je préférerai ne pas lui dire pour mon père », confia Adrien à sa partenaire tandis qu'ils avançaient le long des artères parisiennes.

Serrant légèrement la main de la jeune fille entre ses doigts, il laissa échapper un lourd soupir.

- « Je sais... Je sais que ça sonne vraiment comme un caprice », reprit-il, « mais je voudrai d'abord attendre de voir ce qu'il a à nous dire. »

- « Adrien, je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée », répondit Marinette en lui jetant un regard circonspect. « C'est le Grand Gardien. On devrait lui dire tout ce qu'on sait. »

- « J'espère que tu ne comptes pas encore essayer de tout régler tout seul », s'éleva soudain la voix hautaine de Plagg depuis la poche de la chemise du jeune homme. « J'ai déjà vu ce que ça donnait ces derniers jours, et je n'ai pas envie d'avoir à supporter un nouveau désastre de ce genre. Même si tu devais me donner un camembert entier ! »

- « Alors la situation est vraiment grave », ironisa faiblement Adrien.

Tandis qu'un reniflement scandalisé s'élevait de sa poche, le héros jeta un rapide coup d'œil à sa partenaire.

- « S'il te plaît, ma Lady », reprit-il d'une voix tendue. « On n'est pas obligé de lui dire. Pas tout de suite. Et si jamais il y a le moindre souci, Nino et Alya pourront toujours tout lui raconter à notre place. »

- « Chaton, je ne comprends pas... », répondit doucement Marinette, tout en haussant un sourcil intrigué. « Qu'est-ce que ça changerai de lui dire que ton père est le Papillon ? Tu n'es pas prêt à lui en parler ?»

- « Ce... Ce n'est pas tout à fait ça », lui confia son partenaire dans un souffle, le regard à présent rivé sur le trottoir. « Je... C'est le Grand Gardien. Je sais qu'on doit lui faire confiance et je sais qu'il fera certainement tout son possible pour nous aider. Mais je ne sais pas jusqu'où il est prêt à aller pour nous aider. »

Déglutissant péniblement, Adrien serra de nouveau les doigts de Marinette entre les siens, tout en passant nerveusement sa main libre le long de sa nuque.

- « Mon père est notre... Notre ennemi », poursuivit-il. « Ce qu'il fait est inexcusable et il faut impérativement qu'on l'arrête, je n'ai aucun doute là-dessus. Mais je ne veux pas qu'il lui arrive du mal. Malgré... Malgré tout ce qu'il a fait, je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Alors je ne veux pas confier son identité au Grand Gardien, pas tout de suite. Pas tant que je ne saurais pas exactement ce qu'on va faire. »

Tournant de nouveau ses yeux d'un vert extraordinairement clair vers sa partenaire, Adrien prit une grande inspiration.

- « Pas tant que je n'ai pas la certitude qu'il n'arrivera rien de définitif à mon père », conclu-t-il d'une voix blanche, appuyant volontairement sur l'un des mots pour marquer son inquiétude.

Marinette pâlit brusquement, prenant soudainement toute la mesure des craintes de son coéquipier. Elle savait à quel point Adrien avait peur de son père. Mais jusque-là, elle n'avait pas réalisé qu'il avait également peur pour lui. En dépit de tout le mal que lui infligeait cet homme, son partenaire l'aimait toujours et refusait de le perdre de la même manière que sa mère s'était déjà évanouie de son existence.

Le Papillon devait disparaître, c'était une évidence.

Mais Gabriel Agreste devait survivre.

Et Adrien refuserait de livrer l'identité de son père au Grand Gardien tant qu'il n'aurait pas d'absolues certitudes concernant ce dernier point.

- « Je comprends », murmura-t-elle d'une voix faible. « Je ne dirais rien. »

- « Merci, ma Lady », répondit son coéquipier avec une sincère reconnaissance.





Les deux lycéens arrivèrent à destination quelques minutes plus tard. S'il fut surpris de leur visite, le Grand Gardien n'en montra rien et les invita aimablement à prendre place dans son salon. Les jeunes héros le suivirent, avant de s'assoir en tailleur sur le large tatami qui reposait au sol.

- « Que puis-je pour vous ? », leur demanda Maître Fu en leur servant arbitrairement une tasse du thé qu'il était manifestement en train de se préparer avant leur venue.

Marinette et Adrien échangèrent un bref regard, puis le jeune homme laissa échapper une légère quinte de toux pour s'éclaircir la voix.

- « N-Nous voulions savoir si vous avez avancé sur la traduction du livre sacré », commença nerveusement Adrien, alors que son cœur battait à grand coups angoissés dans l'expectative de la réponse de leur hôte.

- « Malheureusement non, pas pour l'instant », soupira le vieil homme, anéantissant aussitôt les espoirs des jeunes héros. « C'est un langage très ancien et très complexe, et malheureusement je n'ai pas réussi à le déchiffrer pour l'instant. »

Adrien se mordit machinalement l'intérieur de la joue pour retenir une exclamation de dépit, tout en crispant fébrilement ses doigts sur ses genoux.

- « Est-ce que vous pourriez vous concentrer sur la page du Papillon ? « reprit le jeune homme d'une voix tendue, tandis que sa coéquipière lui jetait un regard inquiet. « Nous avons besoin d'autant d'informations que possible sur lui. Ses forces, ses faiblesses, s'il existe un moyen de neutraliser son miraculous... »

- « Oui, c'est tout à fait possible », répondit Maître Fu, avant d'avaler calmement une gorgée de thé.

- « Et ça pourra être fait rapidement ? » poursuivit brusquement Adrien, sans même laisser à son hôte la possibilité de rajouter une parole supplémentaire.

Ce dernier haussa un sourcil suspicieux, son regard se faisant soudain aussi perçant qu'une dague tandis qu'il jetait un coup d'œil acéré à son jeune invité.

- « Je ne peux rien vous promettre, mais cela risque hélas de me prendre encore du temps », annonça-t-il précautionneusement. « Est-ce qu'il y a un problème ? », demanda-t-il soudain, posant sa tasse de thé à ses côtés pour se pencher ensuite en direction des deux héros.

Adrien se figea brusquement, pétrifié aussi sûrement que s'il avait été métamorphosé en une statue de pierre. Un lent filet de sueur glacée descendit entre ses omoplates, tandis que le jeune homme se fustigeait intérieurement pour ne pas avoir songé à une explication décente à fournir au Grand Gardien.

Avec le recul, il était évident que ce dernier allait se poser des questions sur leur soudaine requête.

Mais, épuisé et à bout de nerfs, Adrien n'avait même pas considéré cette option, et se trouvait à présent à court d'excuses crédibles.

Bien sûr qu'il y avait un problème, mais il ne pouvait rien dire. Pas pour l'instant.

- « Le Papillon a découvert l'identité d'Adrien », intervint brusquement Marinette, tirant le son partenaire de sa torpeur affolée. « Il sait que c'est lui Chat Noir, et il pourrait frapper à tout moment. Nous sommes à court de temps », conclu-t-elle d'une voix où l'angoisse se faisait désormais palpable, avant de se tourner vers son coéquipier.

Ses immenses yeux bleus se rivèrent aux siens, cherchant silencieusement son approbation. Adrien esquissa un pâle sourire, tout en hochant la tête avec reconnaissance. Marinette avait certes révélé la périlleuse position dans laquelle il se trouvait, mais elle n'avait pas trahit l'identité de son père.

Le jeune homme croisa ensuite les regards pensifs de Plagg et Tikki, dont les expressions à la fois inquiètes et réprobatrices lui indiquaient sans le moindre doute qu'ils ne partageaient manifestement pas sa volonté de retenir une aussi cruciale information. Néanmoins, ils avaient visiblement décidé de respecter son choix et gardèrent eux aussi le silence. Après tout, les paroles soigneusement choisies de Marinette ne dévoilaient certes pas toute la vérité sur la terrible situation qui était la sienne, mais elles ne représentaient pas un mensonge pour autant.

- « Plus vite nous aurons des informations sur le Papillon, plus vite nous pourrons le battre », poursuivit Marinette d'une voix pressante. « Et mieux nous pourrons nous défendre. Adrien est en danger. »

Le Grand Gardien se leva avec une agilité surprenante pour quelqu'un d'un si grand âge, avant de se rapprocher rapidement des deux héros. Une vive inquiétude se lisait à présent sur son visage, tandis que ses yeux d'un autre âge restaient rivés sur Adrien.

- « Ce n'est pas bon », laissa-t-il échapper, tandis que Wayzz voletait lui aussi autour du jeune homme. « Le Papillon est un ennemi puissant, et s'il sait qui tu es, il pourra s'en prendre aussi bien à toi qu'à tes proches. »

- « Oui », approuva Adrien d'une voix blanche. « Et c'est pour ça qu'on a besoin d'autant d'informations que possible. »

- « Je ne peux pas te laisser sans protection », poursuivit Maître Fu en gardant son regard perçant fixé sur le jeune homme. « Je devrais t'accompagner partout où tu vas pour assurer-»

- « Non ! » s'écria Adrien, paniqué à la brusque pensée de voir le Grand Gardien approcher si près de son père.

Quelles que soient ses légitimes inquiétudes concernant l'avenir de son illustre géniteur, le jeune homme refusait de mettre Maître Fu en danger en le laissant s'approcher aussi près de lui. Dissimuler l'identité du Papillon au Grand Gardien était une autre. Lui faire courir sciemment des risques en le plaçant à son insu à proximité de son pire ennemi en était une autre.

- « V-Vraiment, c'est gentil, mais ce n'est pas la peine », poursuivit-il hâtivement alors que son hôte le dévisageait avec un visible scepticisme. « J'ai pris mes précautions, je vous assure que pour l'instant je ne crains rien. Marinette ne me quitte pas de la journée, et je me cache la nuit. Le Papillon ne peut rien contre moi. »

- « D'autant que si vous êtes en train de surveiller Adrien, vous ne pourrez pas avancer sur la traduction du livre sacré », renchérit aussitôt Marinette.

Adrien ignorait si elle partageait ses pensées alarmées concernant la présence du Grand Gardien si près du lieu de résidence du Papillon, mais sa coéquipière semblait avoir décidé de le soutenir quoi qu'il en coûte et appuyait chacune de ses paroles avec détermination. Le héros de Paris sentit son cœur se gonfler d'amour et de reconnaissance pour cette extraordinaire jeune fille dont il avait la chance de partager l'existence. Jamais dans ses rêves les plus fous il n'aurait espéré avoir une partenaire aussi loyale, aussi courageuse, aussi fantastiquement parfaite.

Et pourtant, la fille de ses rêves était bien là, à ses côtés, se redressant involontairement tandis qu'elle tendait fièrement le menton en avant.

- « Je protègerai Adrien », lança-t-elle d'une voix aussi claire que ses yeux limpides, son regard d'un bleu ensorcelant étincelant d'une volonté farouche.

Son ton ne laissait pas la place à la moindre discussion, pas plus qu'au moindre doute.

Elle était fermement déterminée à protéger Adrien.

Le jeune homme sentit son cœur rater un battement sous l'effet de l'émotion, tandis qu'une réconfortante et douce chaleur se diffusait progressivement dans sa poitrine.

Quand ils étaient encore deux collégiens ignorants de leurs identités respectives, il se souvenait distinctement avoir fanfaronné auprès de Marinette, quand il avait collaboré avec elle pour neutraliser le Dessinateur. Il s'était alors vanté d'être un preux chevalier, au service de dame. Mais sa tendre Princesse s'avérait être aujourd'hui le véritable chevalier de leur duo, prête à le défendre avec une inébranlable volonté et un éblouissant courage.

Gardienne de son corps, de son cœur et de son âme.

Adrien tendit machinalement la main vers celle de la jeune fille, entrelaçant délicatement ses doigts avec les siens. Il lui jeta un amoureux regard, où se lisaient toute l'affection, l'admiration et la gratitude qu'il avait pour elle, avant de finalement reporter son attention vers Maître Fu.

Ce dernier, inquiet de la situation dans laquelle se trouvait à présent le héros de Paris, discuta encore de longues minutes avec son jeune invité pour s'assurer qu'il ne s'exposait pas à d'inconsidérés risques, allant même jusqu'à lui faire promettre de venir se réfugier chez lui si le besoin s'en faisait ressentir. Mais bien que cela lui en coûte visiblement, le Grand Gardien admettait également que Ladybug était bien plus apte que lui à veiller à la sécurité d'Adrien, et la conversation fini par bifurquer de nouveau sur les capacités de leur ennemi.

- « Est-ce que... Est-ce que je pourrais prendre en photo les pages du livre qui concernent le Papillon ? » lança timidement Adrien, sous les regards stupéfaits de sa partenaire et de son hôte. « Juste celles du Papillon ! Pas une de plus », reprit-il précipitamment, alors que le Grand Gardien fronçait les sourcils d'un air réprobateur. « Je connais quelqu'un qui pourrait peut-être réussir à les traduire. »

- « Les informations que contient ce livre peuvent être très dangereuses », rétorqua Maître Fu, manifestement loin d'être d'accord avec une pareille demande. « Elles ne sont pas à donner à l'importe qui. »

- « Mais le temps presse », rétorqua Adrien d'une voix suppliante. « On doit arrêter le Papillon au plus vite, et je suis certain que ce livre peut nous être d'une grande aide. S'il vous plait, juste les pages qui le concernent... Je vous donne ma parole que je ne les communiquerai à personne d'autre. »

Tous deux débattirent encore quelques instants, chacun avançant de légitimes arguments pour justifier son point de vue. Finalement, au grand soulagement du jeune héros, Maître Fu fini par donner son accord à Adrien à la stricte condition que Marinette et lui s'assurent personnellement que les renseignements que contenaient ces précieuses pages ne tombent pas entre de mauvaises mains.

L'adolescent approuva vigoureusement, puis se hâta de prendre ses photos avant que son vénérable hôte ne change d'avis. Marinette et lui s'éclipsèrent ensuite, non sans promettre à un Grand Gardien toujours aussi inquiet à leur sujet de le contacter régulièrement pour lui confirmer qu'ils allaient bien tous les deux. En retour, Maître Fu leur assura qu'il les informerait immédiatement de la moindre avancée dans ses recherches, tout comme il ne manquerait pas de les prévenir s'il avait la moindre nouvelle idée pour venir en aide à Adrien.





Les deux adolescents marchaient à présent main dans ma main dans les rues de Paris, effectuant le chemin inverse de celui qui les avaient menés chez le Grand Gardien un peu plus tôt dans la journée.

- « Des photos ? », lança brusquement Marinette, tournant vers son partenaire un regard interrogateur.

- « Ah, oui », répondit Adrien en se grattant nerveusement la nuque. « Je suis désolé de ne pas t'en avoir parlé avant, ça a été une idée de dernière minute d'Alya. Elle s'est dit qu'on pouvait peut-être redemander son aide à Mr. Kubdel, après tout il a déjà accepté de nous donner un coup de main une fois... »

- « Et on n'est jamais retourné le voir ! » réalisa soudainement Marinette en rougissant de gêne. « On lui a demandé d'effectuer des recherches pour nous et avec cette histoire avec ton père, j'ai complètement oublié... Oh, qu'est-ce que je suis bête...», gémit-elle en se tapant machinalement le front du poing.

- « Je n'y ai plus pensé moi non plus », laissa échapper son coéquipier. « Du coup, je me dis que ça serait le bon moment pour retourner le voir », poursuivit-il en esquissant un pâle sourire. « Il aura peut-être eu le temps de trouver quelque chose, et je t'avoue que j'aime bien l'idée d'Alya. Le livre sacré est écrit dans une langue très ancienne. Il ne pourra peut-être pas la déchiffrer, mais il aura sûrement des informations qui pourront aider Maître Fu à avancer. »

- « Oui, ce n'est pas idiot... » murmura pensivement sa partenaire. « De toute façon, on n'a pas vraiment le choix », reprit-elle en braquant un regard perçant sur le jeune homme. « Plus le temps passe, plus tu es en danger. Si Mr. Kubdel peut nous aider à avancer, je suis partante ! »

Adrien hocha machinalement la tête, avant de consulter rapidement son téléphone. Au vu de l'heure, il était peu probable que le père d'Alix soit encore à son bureau, et les deux héros décidèrent d'un commun accord d'attendre le lendemain pour aller le voir. Sur les conseils de Marinette, ils rentabilisèrent ce délai supplémentaire en faisant un détour par une boutique encore ouverte, afin de faire l'acquisition d'un téléphone portable supplémentaire. Ils pourraient donner le numéro de ce nouvel appareil à Mr. Kubdel, qui aurait ainsi la possibilité de contacter Adrien sans que ce dernier ne soit transformé et sans que ce téléphone fraîchement acheté ne trahisse l'identité du jeune homme. Les chances que les coordonnées d'Adrien Agreste soient connues du conservateur du Louvre étaient minces, mais il aurait suffi qu'Alix rentre le numéro de son camarade de classe dans le portable de son père pour que son secret vole en éclat, et les deux adolescents ne tenaient définitivement pas à prendre ce risque.





La journée du lendemain parut d'une infinie longueur au malheureux Adrien. Comme convenu avec ses amis, il s'était introduit chez Nino la nuit précédente afin de pouvoir y dormir en sécurité, mais ces quelques heures avaient hélas loin d'être réparatrices le jeune héros.

Adrien avait eu beaucoup de mal à trouver le sommeil, son cerveau en ébullition refusant de le laisser tomber dans les bienveillants bras de Morphée. Trop tendu et angoissé pour dormir, le jeune homme n'avait cessé de réfléchir à son atroce situation. Le contenu du livre sacré représentait son ultime espoir de neutraliser les terribles pouvoirs de son père sans avoir à se dresser directement contre lui, mais les échecs de Maître Fu à déchiffrer l'ouvrage avaient été une cruelle désillusion pour Adrien. Ecrasé par cette vive déception et effrayé à l'idée que cette piste ne soit rien d'autre qu'une sombre impasse, l'adolescent était resté éveillé des heures durant, analysant la moindre idée, décortiquant la moindre pensée aussi douloureusement et méticuleusement qu'il ne l'aurait fait avec le plus tranchant des scalpels.

Quand Adrien était finalement tombé de fatigue, s'endormant au son de la respiration régulière de Nino, son repos avait été troublé par d'effrayants cauchemars qui lui confirmaient cruellement qu'il lui serait difficile de retrouver un semblant de sérénité tant que cette terrible histoire ne serait pas derrière lui.





Les cours étaient à présent finis, et les deux héros de Paris se dirigeaient précautionneusement vers le célèbre musée du Louvre. Bien que Chat Noir tente de faire bonne figure, la sourde migraine qui était désormais sa fidèle compagne ne l'avait pas quitté depuis des heures, tandis que le manque de sommeil instillait en lui une dangereuse paranoïa. Il avait eu l'impression d'être suivi toute la journée, mais chaque fois qu'il s'était rué aux endroits où il avait cru entrevoir une sombre silhouette, il n'avait croisé que du vide.

Fort de sa douloureuse expérience, le jeune héros avait renoncé à garder ses craintes pour lui et s'en était rapidement ouvert à son inquiète coéquipière. Il lui avait fait part son impression d'être suivi, tout en lui confiant avoir déjà eu de pareilles sensations ces derniers jours et lui avouant qu'il ignorait sincèrement s'il fallait les mettre sur le compte de son état d'extrême fatigue ou s'il s'agissait bien là d'une réelle menace.

Refusant de prendre le moindre risque, Ladybug lui avait ordonné de la prévenir à chaque fois qu'il ressentirait de nouveau cette sensation d'un regard inquisiteur pesant sur lui. A chaque fois, elle s'était elle aussi précipité dans les directions indiquées par son partenaire, mais sans plus de succès. Cette insidieuse impression que ressentait le jeune homme semblait être bel et bien le fruit de la fatigue de Chat Noir, mais par précaution, les deux héros prirent néanmoins mille chemins détournés pour rejoindre le Louvre.

Le soleil était ainsi déjà bas dans les cieux de Paris quand Ladybug et Chat Noir firent irruption dans le bureau de Mr. Kubdel, qui bondit violemment de surprise en les voyant atterrir par sa fenêtre. Quelques excuses de la part des deux jeunes gens plus tard, le conservateur du musée les invitait à prendre place sur des chaises qui trônaient contre l'un des murs de la pièce.

- « C'est un honneur et un plaisir de vous revoir », leur annonça chaleureusement le père d'Alix, tout en fouillant dans l'un des tiroirs de son bureau pour en sortir un mince dossier. « J'ai commencé mes recherches sur les héros » poursuivit-il en étalant plusieurs feuilles devant lui, « Mais malheureusement pour l'instant je dois vous avouer que je n'ai pas trouvé grand-chose, du moins rien qui soit réellement significatif. Il y a bien l'histoire de cet homme-lion d'Afrique centrale, et encore, je ne suis honnêtement pas certain que-»

- « En fait, nous venions pour autre chose », le coupa abruptement Chat Noir.

Le héros rougit légèrement alors que son interlocuteur le fixait soudain d'un regard pénétrant. Mr. Kubdel n'avait manifestement pas l'habitude d'être interrompu dans ses discours, et il haussa un sourcil intrigué à l'attention du jeune homme.

- « Nous aurions un autre service à vous demander », reprit Chat Noir en se passant nerveusement la main sur la nuque, avant de sortir les quelques feuilles qu'il avait imprimé à partir des photos prises chez Maître Fu. « Est-ce que vous seriez en mesure de traduire ce qu'il y a écrit ici ? Ou de nous donner n'importe quelle indication qui pourrait aider à la traduction ? C'est important. Très important », conclut-il alors que le conservateur s'emparait des documents que lui tendait son interlocuteur.

Ce dernier resta muet un moment, ajustant machinalement ses lunettes sur son visage tandis qu'il parcourait les lignes de texte de ses yeux clairs. Alors que le silence se mettait à s'éterniser, Ladybug et Chat Noir échangèrent un regard perplexe.

- « Monsieur... », commença Ladybug d'une voix hésitante.

- « Asie centrale », lança soudainement le conservateur. « Il s'agit très probablement de la forme écrite d'un ancien dialecte d'Asie centrale », précisa-t-il alors que les deux héros le dévisageaient avec une visible stupéfaction. « Je ne saurais pas vous dire exactement à quel peuple, région ou période il appartenait, mais comme vous pouvez le voir, la forme des lettres est assez caractéristique. »

Incapables de confirmer ou d'infirmer quoi que ce soit à partir de ce mystérieux alphabet, Ladybug et Chat Noir hochèrent mécaniquement la tête, tandis que le visage du père d'Alix s'éclairait d'enthousiasme.

- « Et donc, vous pensez pouvoir le traduire ? » demanda Chat Noir d'une voix chargée d'espoir.

- « Je l'ignore », répondit Mr. Kubdel. « Mais », reprit-il en levant la main pour prévenir des paroles de déception qui s'apprêtaient à franchir les lèvres du héros, « Vous avez de la chance. Il se trouve que la linguistique et l'Asie centrale étaient deux sujets de prédilection de quelqu'un que je connais bien. »

- « Donc il pourrait nous aider ? », intervint vivement Ladybug, tandis que Chat Noir se redressait à ses côtés.

- « Hélas, cette personne est partie il y a déjà de nombreuses années », répondit Mr. Kubdel d'une voix douce, tout en secouant tristement la tête. « Mais », reprit-il avec plus d'entrain, « là où vous avez de la chance, c'est qu'une large partie de ses notes sont encore ici. En m'en aidant, j'ignore si je serai capable de vous donner une traduction, mais je pourrais tout du moins vous indiquer plus précisément à quelle époque et région géographique correspond cette écriture. Cela vous sera certainement d'une grande aide. »

- « Oui ! », s'écria aussitôt Chat Noir. « Vraiment, ça nous aiderai beaucoup ! Est-ce que vous pensez que vous pourrez savoir ça vite ? »

Le conservateur du Louvre fronça un instant les sourcils, son regard se perdant dans le vague tandis qu'il semblait réfléchir à la question.

- « Je l'ignore », répondit-il finalement. « Il va nécessairement me falloir un peu de temps, il ne s'agit ni de mes propres recherches ni de mes propres notes. Vous avez besoin de ces informations rapidement ? »

- « Oui », répliqua Chat Noir d'une voix tendue, tandis que Ladybug hochait vigoureusement la tête. « Très, très rapidement. S'il vous plait. C'est vraiment urgent. »

Au grand soulagement des deux héros, Mr. Kubdel sembla prendre toute la mesure de la détresse qui habitait le jeune homme. Il promit aux deux adolescents de faire de ces recherches une priorité absolue, leur affirmant qu'il irait même jusqu'à poser des journées de congé pour travailler sur ces documents si cela s'avérait nécessaire. Chat Noir et Ladybug le remercièrent chaleureusement, puis lui confièrent le numéro auquel il pourrait joindre le héros de Paris pour le prévenir de la moindre avancée significative avant de finalement s'éclipser par la fenêtre par laquelle ils étaient arrivés.





Depuis la découverte de la véritable identité du Papillon, les nerfs d'Adrien avaient atteint un niveau de tension presque inimaginable, mais le jeune homme fut néanmoins surpris de l'état de stress qui fut le sien dans les jours qui suivirent ses visites à Maître Fu et à Mr. Kubdel.

Alors que les deux hommes ne donnaient guère de nouvelles, l'angoisse et l'attente ne faisaient que torturer davantage le héros de Paris, le plaçant à un degré de nervosité jusque-là inédit. Un soir, alors qu'Adrien faisait les cents pas dans sa chambre en attendant le dîner après lequel il pourrait enfin s'éclipser chez Nino, une sonnerie de téléphone le fit brusquement sursauter.

Le bruit mélodieux qui s'élevait dans la pièce ne provenait pas son téléphone habituel.

Non, il venait de celui dont il avait donné le numéro au père d'Alix.

Le cœur battant à tout rompre, se saisit de l'appareil de ses doigts tremblants, avant de décrocher si fébrilement qu'il faillit raccrocher du même geste. La gorge soudainement sèche, il déglutit péniblement avant d'ouvrir la bouche.

- « Oui ? » lança nerveusement Adrien.

- « Chat Noir ? » répondit aussitôt son interlocuteur. « Ici Mr. Kubdel, le conservateur du Louvre. »

Le jeune homme fronça légèrement les sourcils. La communication était mauvaise, hachée, et il peinait à entendre correctement la personne qui l'appelait à l'instant même.

- « Pardon ? » demanda-t-il en collant l'appareil contre son oreille, tout en se déplaçant dans la pièce dans un vain espoir de mieux entendre.

- « Mr. Kubdel », répéta l'homme d'une voix anormalement tendue, presque difficilement reconnaissable. « E-Ecoutez... Il faut... Il faut que vous veniez », articula-t-il fébrilement. « Je... C'est incroyable. »

Alors que l'homme marquait une lourde pause, Adrien resserra mécaniquement sa prise sur son appareil, avant de se reprendre et de laisser échapper un lourd soupir, tentant de détendre ses muscles contractés.

- « Vous avez pu déchiffrer le texte ? » l'interrogea-t-il, ses mots tremblant légèrement sous le coup de l'émotion.

- « Ou-Oui », résonna la voix de l'homme. « C'est.... C'est... Ecoutez, je préfère ne pas en discuter ici », reprit-il avec un palpable affolement. « C-Ce n'est pas un livre. C'est un artefact. Et... Et vous n'avez pas idée... Il faut que vous veniez. Vite. »

- « D'accord ! », répliqua précipitamment Adrien. « On vient à votre bureau tout de suite ! »

- « NON ! », l'interrompit brusquement le père d'Alix. « P-Pas... Pas mon bureau. On me surveille. Je suis sûr qu'on me surveille. C'est trop dangereux. »

Le conservateur s'interrompit de nouveau, avant de reprendre.

- « Quand vous faites face au bâtiment où se trouve mon bureau, depuis l'extérieur », reprit-il, « Il y a une aile en travaux sur la gauche. I-Il y a des échafaudages devant la palissade, vous ne pouvez pas la rater. J-Je vais aller m'y cacher. Au deuxième étage. Je vous attendrai là-bas. Faites vite ! »

- « J'arrive tout de suite ! » lança fébrilement Adrien, mais seul un lourd bip lui répondait à présent.

Le père d'Alix avait raccroché.

Sans perdre une seconde, Adrien se rua sur son véritable téléphone pour prévenir Marinette. Tandis qu'il pianotait nerveusement des doigts sur son bureau, il entendit la sonnerie retentir une fois dans le combiné de son appareil.

Deux fois.

Trois fois.

Et le répondeur.

Etouffant un gémissement de désespoir, le jeune homme raccrocha vivement avant de tenter de la rappeler une seconde fois.

Malheureusement pour lui, sa partenaire ne répondit pas plus cette fois-ci que la précédente. Au vu de l'heure, elle devait probablement être dans son salon, en train de dîner avec ses parents. Adrien lui laissa un rapide message lui résumant les derniers évènements, avant de se tourner vers l'une des fenêtres de sa chambre.

Que faire ?

Foncer chez Marinette afin de la prévenir de vive voix ? Se ruer vers le Louvre pour rejoindre Mr. Kubdel ?

Le jeune homme hésita durant quelques secondes. La première option était clairement la plus sage, mais l'angoisse était plus vive.

- « Plagg ! Transforme-moi ! », hurla-t-il d'une voix que l'incommensurable tension qui fondait sur lui rendait plus aigüe, avant de bondir en direction du musée.





Il ne fallut que quelques minutes au jeune homme pour franchir la distance qui le séparait du Louvre. Jamais Chat Noir n'avait été aussi rapide, sollicitant jusqu'au moindres ressources de son corps pour accroître sa vitesse déjà surhumaine. Ses muscles n'étaient plus que de douloureuses masses qui le lançaient aussi sûrement qu'une plaie à vif, tandis que ses poumons affolé le brûlaient à chacune de ses inspirations.

Le jeune héros repéra immédiatement l'aile en travaux du bâtiment dont le conservateur avait fait mention quelques temps auparavant, et avisa une fenêtre entrouverte par laquelle il se faufila souplement.

A l'intérieur, tout était d'un noir d'encre.

Ce sombre détail ne posait cependant pas le moindre problème à Chat Noir, qui était plus reconnaissant que jamais à Plagg de le doter d'une vision nocturne.

- « Mr. Kubdel ? » chuchota l'adolescent d'une voix tendue, tout en s'avançant d'un pas prudent dans la pièce.

Seul un silence pesant lui répondit.

Les yeux d'un vert surnaturel de Chat Noir scannèrent rapidement les lieux. Il se trouvait dans une vaste salle, au plafond extraordinairement haut et bordée de gigantesques colonnes dont la vue arracha un frisson d'appréhension au héros.

Ces massifs piliers étaient suffisamment imposants pour dissimuler de sombres menaces.

Et l'instinct du héros lui hurlait qu'il n'était pas seul dans cette pièce.

Qui que soit la personne qui se trouvait ici avec lui, Chat Noir doutait qu'elle soit animée d'intentions amicales.

Alors que cette pensée se formait dans son cerveau, une autre révélation le frappa avec autant de violence qu'un brutal coup de poing dans le visage.

Un piège.

Il était tombé dans un piège.

- « Ah, Chat Noir » résonna soudain une voix sévère, métallique, qui confirma les craintes du jeune héros tout en lui arrachant un frisson de terreur. « Je savais que ce cher Mr. Kubdel serait utile pour vous appâter. Dommage, dommage, j'espérais que Ladybug se joindrait elle aussi à la fête » poursuivit la voix en durcissant le ton. « Elle a de charmantes boucles d'oreilles auxquelles je porte un vif intérêt. Mais peu importe, je suppose qu'elle sera bientôt là elle aussi. »

Les pupilles dilatées d'horreur, Chat Noir tourna la tête vers une sombre silhouette à moitié dissimulée par un pilier.

La silhouette de celui qui le tourmentait depuis déjà tant de temps.

Le Papillon.





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TADAAM, combat final en approche ! J'espère que ce chapitre vous a plu, et maintenant le Papillon entre officiellement en scène :)

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