Chapitre 19


Adrien fixa son père avec une sorte d'horreur incrédule, son cerveau affolé assimilant difficilement ce qu'il venait d'entendre.

Sa bague ?

Le jeune homme sentit ses entrailles se geler d'effroi, comme si la vie le fuyait peu à peu. Ses veines étaient devenues des rivières de glace, sa peau se faisait de la pâleur d'un cadavre, tandis que son esprit pétrifié refusait de continuer à fonctionner. Les doigts livides de l'adolescent se crispèrent machinalement au chambranle de la porte, dans une piètre tentative de trouver un quelconque support alors que ses jambes menaçaient de se dérober à tout instant sous lui.

Alors que le jeune homme n'entendait plus rien d'autre que les battements assourdissants de son cœur, il continuait de dévisager son père, espérant vainement avoir mal compris, cherchant la moindre trace de dénégation sur son visage sévère.

Mais si le célèbre styliste regardait son fils avec une intensité presque terrifiante, son expression restait quant à elle absolument indéchiffrable.

Le cerveau épouvanté d'Adrien se remit brusquement en marche, propulsant à une étourdissante vitesse des milliers de pensées effrayées dans la tête du jeune homme.

Sa bague.

Il avait parfaitement entendu, aucun doute là-dessus.

Son père voulait sa bague.

Son miraculous.

Et avec cette simple question, si anodine en apparence, il plaçait son fils dans une intenable position, lui demandant implicitement de faire un choix si déchirant qu'Adrien avait l'atroce sensation que son cœur partait en lambeau.

Car l'interrogation soulevée par les propos de son père était cruellement simple : à qui allait sa loyauté ?

A son père, le seul membre encore vivant de sa famille, et dont il avait toujours cherché l'amour et l'approbation ?

A Ladybug, son extraordinaire et ô combien précieuse partenaire, dont la présence lui était aussi vitale que l'oxygène qu'il tentait désespérément de respirer à l'instant même ?

Si Adrien venait à abandonner son miraculous à Gabriel Agreste, nul doute que son geste l'aiderait certainement à obtenir enfin la reconnaissance tant espérée du célèbre styliste, mais cette révoltante idée donnait à présent des haut-le-cœur au jeune homme.

S'il agissait ainsi, il trahirait tout ce en quoi il croyait.

Ses convictions.

Sa mission.

Et Ladybug.

Est-ce que l'amour de son père valait un tel prix ? Adrien en doutait fortement.

S'il venait à répondre par l'affirmative à la terrible requête de Gabriel Agreste, non seulement Adrien renierait en une fraction de seconde tout ce pour quoi il s'était si férocement battu jusque-là, mais pire encore, il avait la conviction profonde que cet horrible geste mettrait profondément en danger sa chère partenaire.

Si Chat Noir se rendait, à l'instant même où il déposerait les armes, Ladybug se retrouverait seule.

Sans plus personne pour se dresser entre le Papillon et elle.

Sans allié pour lutter à ses côtés.

Sa Lady était la fille la plus vive, la plus courageuse, la plus forte qu'il n'ait jamais rencontrée, mais s'il la trahissait ainsi, il la condamnerait aussi sûrement qu'en lui plantant directement le plus tranchant des poignards en plein cœur.

Il ne pouvait pas lui faire ça.

Pas à elle.

C'était impossible.

Pas alors qu'elle lui faisait une confiance si absolue qu'elle lui aurait confié sa vie sans hésiter. Pas alors que la moindre des paroles, le moindre des sourires de cette extraordinaire jeune fille illuminait son existence.

Pas alors que la vie sans elle n'aurait plus eu aucun sens.

Englué dans sa détresse, Adrien laissa passer de longues et terribles secondes, n'esquissant aucun geste et ne prononçant pas le moindre mot. L'adolescent secoua machinalement la tête pour tenter de s'éclaircir les idées, mais alors qu'il relevait les yeux, il sentit sa raison vaciller un peu plus encore sous le regard pesant de son père qui attendait manifestement toujours sa réponse.

C'était de la folie.

Un terrible cauchemar, au fond duquel il sombrait aussi sûrement que s'il avait été happé par une mer d'un noir d'encre. Sans lumière, sans espoir, sans rien. Juste la douleur, et son cœur qui se brisait en miettes.

Un doux tintement s'échappa soudain de la tablette posée aux côtés de Gabriel Agreste, brisant délicatement le silence tendu qui régnait entre les deux hommes et faisant violemment sursauter l'adolescent à bout de nerfs. L'illustre styliste baissa les yeux vers l'objet et pinça légèrement les lèvres, laissant pour la première fois apparaître l'ombre d'une émotion, si brève et si subtile qu'Adrien aurait tout aussi bien pu l'imaginer.

- « Je vais être en retard », lança-t-il d'une voix dont le parfait contrôle ne laissait en rien transparaître ce qu'il pouvait réellement penser.

Il s'interrompit un instant, fixant de nouveau Adrien d'un regard si intense que le jeune homme avait l'impression que les yeux perçants de son père scrutaient jusqu'au plus profond de son âme.

- « Tu peux y aller », le congédia Gabriel Agreste. « Mais nous n'avons pas fini de parler de cette bague », conclut-il en durcissant sensiblement le ton.

Trop paniqué pour émettre le moindre son, Adrien hocha frénétiquement la tête avant de faire demi-tour et de s'éloigner du bureau de son père d'un pas vif.

Il osait à peine croire qu'il s'était sorti à si bon compte de cette entrevue avec son plus implacable ennemi, mais l'avertissement du plus grand styliste de Paris avait été on ne peut plus clair. L'adolescent venait au mieux d'obtenir un bref moment de répit, et le sujet de son miraculous était loin d'être clos.

Adrien traversa rapidement la gigantesque entrée du manoir, dont les hautes parois vides de toutes couleurs lui paraissaient plus menaçantes que jamais. Du noir, du gris, du marbre blanc. Un gigantesque tombeau prêt à l'accueillir à la moindre faute. L'atmosphère était lourde, pesante, comme si un sombre brouillard suintait peu à peu à l'intérieur des murs pour mieux emprisonner le jeune homme.

Adrien étouffait.

Il fallait qu'il sorte d'ici.

Vite.

C'était une question de survie.

Il se rua à l'extérieur de la propriété familiale, s'éloignant de sa maison d'enfance pour se perdre dans les ruelles voisines. Son sourd mal de crâne martelait implacablement ses tempes, lui faisant tourner la tête au point qu'Adrien se vit rapidement obligé de ralentir le pas. Sa poitrine se levait et s'abaissait à un rythme erratique alors que le jeune homme perdait peu à peu la maîtrise de sa respiration affolée, tandis que ses poumons ainsi martyrisés le brûlaient en signe de protestation. Au bout de quelques longues et douloureuses minutes, la migraine d'Adrien s'était faite si violente que sa vision se troublait presque. Se sentant au bord du malaise, l'adolescent prit machinalement appui contre un mur, tout en passant fébrilement un doigt tremblant le long du col de son t-shirt.

Il lui fallait de l'air.






Alors que le jeune homme respirait laborieusement, yeux fermés pour tenter de retrouver son calme, le son d'une voix familière lui fit brusquement rouvrir les paupières.

- « Adrien ? »

Le héros cru défaillir d'horreur, et il eut soudain l'impression que son cœur allait s'arracher de lui-même de sa poitrine tant il se mit à battre à grand coups alarmés.

Marinette.

A trois rues de chez lui.

A trois rues de son père.

Non.

Elle était trop près. Bien trop près.

Son père risquait de la voir.

Son père risquait de comprendre.

- « Q-Qu'est-ce que tu fais ici ? », lui demanda-t-il d'une voix blanche, tout en se redressant péniblement pour lui faire face.

Sa partenaire s'était rapprochée de lui, et le dévisageait à présent avec une expression où la tristesse et l'incompréhension de disputaient à une vive inquiétude. Si Adrien avait été dans son état normal, il n'aurait certainement pas manqué de noter qu'en plus d'être inhabituellement pâle, la jeune fille avait les yeux légèrement rougis, et qu'elle fermait machinalement les poings comme pour se donner le courage de lui parler.

Marinette sentit quant à elle son cœur se serrer en voyant Adrien amorcer un instinctif geste de recul. Hormis les rares paroles échangées durant le combat qu'ils avaient livré quelques instants plus tôt, les mots que son partenaire venaient de prononcer étaient les premiers qu'il lui adressait depuis des jours, et le jeune homme semblait clairement tout sauf heureux de la voir.

Mais les choses ne pouvaient pas rester ainsi.

C'était trop dangereux.

Tant pis s'il la rejetait, tant pis s'il lui en voulait.

Tant pis si elle n'était pas certaine de vouloir connaître la réponse à toutes les horribles questions qui la torturaient depuis tant de jours.

Adrien et elle devaient impérativement mettre les choses au clair, et le plus tôt serait le mieux. La bataille qu'ils venaient de livrer avait été un terrible électrochoc pour la jeune fille, et elle refusait de laisser courir la moindre chance qu'ils mettent de nouveau autant leurs vies en danger. Il fallait qu'ils se reprennent, qu'ils puissent au moins être en mesure de combattre sans prendre des risques aussi insensés. La menace qu'ils avaient à affronter était trop importante pour que Chat Noir et Ladybug puissent se permettre de montrer la moindre faiblesse, et l'héroïne de Paris refusait farouchement qu'il arrive quoi que ce soit à son si précieux coéquipier.

Et tant pis s'il devait lui briser le cœur.

Marinette se mordit nerveusement la lèvre inférieure, avant de prendre une grande inspiration.

- « Écoute, il faut qu'on discute », commença-t-elle d'une voix que l'émotion faisait trembler. « Je ne sais pas ce qu'il t'arrive, mais on ne peut pas continuer comme ça. Et comme tu refuses visiblement de me parler au lycée, je me suis dit que j'allais venir te voir chez toi pour –»

- « NON ! » hurla aussitôt Adrien, livide de terreur.

Marinette sursauta violemment, alors qu'Adrien effectuait un rapide pas dans sa direction. Il tendit vivement les mains vers elle, la saisissant ensuite par les épaules avec tant de force que la jeune fille laissa échapper un léger cri de douleur quand les doigts de son compagnon s'enfoncèrent dans la chair que laissait apparaître sa chemise sans manches.

- « Non, non, non ! », répéta Adrien d'une voix paniquée, avant de réaliser brusquement qu'il faisait mal à Marinette.

Il la lâcha d'un coup, aussi vivement que s'il s'était brûlé au contact de sa peau blanche. Le jeune homme chancela légèrement avant de tendre de nouveau les mains vers Marinette, pour saisir cette fois son visage entre ses doigts tremblants. Il inclina la tête de sa coéquipière avec une infinie douceur, s'assurant que son regard restait rivé au sien alors qu'il s'approchait de nouveau d'elle, jusqu'à n'être plus qu'à une dizaine de centimètres à peine.

La plus vive incompréhension se lisait dans les yeux bleus de la jeune fille, qui s'écarquillèrent légèrement devant l'expression de détresse et de volonté farouche qui se disputaient sur le visage d'Adrien.

- « Ne t'approche jamais de chez moi, jamais ! », la supplia-t-il d'une voix intense, où perçait une si implacable terreur que Marinette en eut l'estomac noué. « C'est trop dangereux. Tu ne dois jamais venir par ici. Jamais ! »

Stupéfaite par cette vague de panique qui submergeait son compagnon, Marinette resta un instant sans voix, avant qu'une terrible révélation ne lui glace soudainement les entrailles. L'origine du brutal changement de comportement d'Adrien n'avait rien à voir avec elle. Rien à voir avec Marinette, rien à voir avec Ladybug, ni avec toutes les Chloé et Lila du monde. Il s'était passé quelque chose dans la vie d'Adrien, quelque chose de si grave, de si horrible et de si violent que le jeune homme avait complètement perdu pied, écrasé par une terreur si atroce qu'il avait préféré se cacher et fuir, tel un animal blessé.

- « Adrien ? » commença-elle d'une voix qu'elle aurait voulue calme, mais dont elle ne réussit pas à maîtriser totalement le tremblement.

Elle leva les mains à son tour, les posant délicatement sur celles qu'Adrien maintenait toujours de part et d'autre de son visage. Le jeune homme tressaillit, mais ne recula pas.

Pas encore.

- « Adrien... » souffla-t-elle, son regard toujours rivé au sien. « Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est ce qui est si dangereux ? »

Les deux adolescents étaient à présent si proches que Marinette pu sentir distinctement le violent frisson qui parcouru le corps du jeune homme à l'instant même où sa question franchissait ses lèvres. Adrien fit machinalement un pas en arrière, laissant retomber l'un de ses bras le long de son corps tout en passant nerveusement son autre main sur son visage.

Ses yeux verts évitaient consciencieusement le regard inquiet de Marinette, qui se saisit instinctivement de la main libre du jeune homme, la gardant fermement serrée entre ses doigts. Elle n'aurait pas su dire pourquoi elle s'était ainsi agrippée à Adrien.

Pour l'empêcher de s'enfuir ?

Pour l'empêcher de s'effondrer ?

Elle ne savait pas. Mais jamais elle ne l'avait vu dans un tel état de détresse, et jamais elle n'avait eu aussi peur pour lui. A présent qu'elle pouvait enfin approcher Adrien, elle sentait ses entrailles se nouer d'angoisse en découvrant à quel point son visage était marqué par une inhumaine tension, qui semblait le ronger de l'intérieur. Ses traits creusés, le pli nerveux de sa bouche, son regard fébrile étaient comme autant de coups de poignard dans le cœur angoissé de la jeune fille.

- « Adrien ? », répéta-t-elle, sa gorge se nouant sous l'effet de l'émotion.

Le silence et le palpable désespoir du jeune homme la terrifiaient.

Devant son absence de réponse, Marinette tendit lentement sa main libre vers le visage d'Adrien, saisissant son menton entre ses doigts avec autant de délicatesse que si elle avait tenté de recueillir un oiseau blessé. Avec mille précautions, elle imprima une légère pression sur le bas de sa mâchoire, le suppliant sans mots dire de tourner enfin la tête vers elle.

- « Adrien ? », reprit-elle une fois de plus, cherchant laborieusement ses mots tout en tentant désespérément de garder le contrôle de sa voix. « Je... L'autre jour, après notre combat contre Volpina, tu m'as dis que tu me faisais confiance. Entièrement confiance. »

Marinette s'interrompit une fraction de seconde, le temps de prendre une lourde inspiration.

- « S'il te plait... », poursuivit-elle, « Parle-moi. J-Je... Je ne veux pas te laisser seul. Je veux être à tes côtés. Laisse-moi t'aider, s'il te plait. Adrien... »

Le jeune homme se mordit nerveusement les lèvres, avant de tourner enfin son regard tourmenté vers sa partenaire.

Il la dévisagea durant de longues secondes, pesant le pour et le contre, ignorant encore de quel côté faire pencher la balance de son terrible dilemme. D'une part, il refusait farouchement de confier à sa coéquipière le lourd secret qui le torturait tant, ne souhaitant à aucun prix la mettre plus en danger qu'elle ne l'était déjà. De l'autre, sa conscience lui hurlait que sa fuite en avant n'avait que trop duré, et que s'il y avait une personne au monde sur laquelle il pouvait se reposer sans le moindre doute, c'était bien Marinette.

Il avait besoin d'aide, c'était évident.

Il avait besoin d'elle.

Déglutissant péniblement, l'adolescent hocha machinalement la tête. Sa décision était prise.

Adrien resta un instant silencieux, tentant désespérément de rassembler ses pensées. Il n'avait que quelques mots à dire, cinq ou six tout au plus, mais les prononcer semblait devoir lui demander un effort surhumain, et son corps entier se rebellait en signe de protestation.

Son cœur battait avec tant de force dans sa poitrine que ses lourdes pulsations résonnaient jusque dans ses tempes, martelant consciencieusement son crâne au rythme des lancinants élans de douleur de sa migraine. Sa gorge était à présent sèche, râpeuse, refusant de laisser passer la moindre parole, telle une ultime barrière placée pour retenir ces mots qu'il n'avait que trop longtemps gardé pour lui.

Mais il fallait qu'il parle.

- « Mon père... », laissa-t-il finalement échapper d'une voix tremblante, hésitante, comme s'il avouait le plus lourd des crimes. « Mon père... C-C'est... C'est lui le Papillon. »

Ses paroles se brisèrent sur un bruit semblable à un sanglot, tandis que Marinette le fixait, pétrifiée d'horreur.

Le Papillon ?

Gabriel Agreste ?

- « Q-quoi ? Le... Le Papillon ? M-Mais... », balbutia-t-elle, son cerveau peinant à assimiler une aussi absurde nouvelle. « Non, ce n'est pas possible. »

Les doigts de l'adolescente se serrèrent machinalement autour de ceux d'Adrien, tandis que l'héroïne encore sous le choc cherchait désespérément ses mots.

- « Mais... C'est à cause du livre ? » reprit la jeune fille, abasourdie. « Il y a sûrement une explication logique, même toi tu étais d'accord... »

Elle s'interrompit quand Adrien secoua tristement la tête, l'air si accablé que Marinette sentit son cœur se briser en mille morceaux dans sa poitrine, explosant comme en une myriade d'éclats de verre. La jeune fille amorça un léger geste pour prendre son partenaire dans ses bras, mais ce dernier esquissa un petit mouvement de refus, atténué par un faible sourire.

S'il la serrait contre lui maintenant, il n'était pas sûr de ne pas s'effondrer immédiatement. De ne pas se mettre à hurler toute sa détresse, tout son désespoir, jusqu'à n'être plus qu'une loque qui n'aurait d'humain que l'apparence.

Il fallait qu'il tienne. Encore un peu.

- « Ce n'est pas le livre. Enfin, pas que le livre », expliqua-t-il d'une voix tremblante. « Il sait... Il sait pour moi. »

Les yeux de Marinette se dilatèrent d'effroi, tandis que toutes les paroles qu'elle aurait pu prononcer s'étranglaient dans sa gorge.

Gabriel Agreste savait ?

« Il a tout compris », poursuivit implacablement son coéquipier, serrant machinalement son poing bagué. « Il sait pour mon miraculous. Il sait que je suis Chat Noir. »

Adrien s'interrompit un instant, puis ses épaules s'agitèrent soudain de soubresauts incontrôlable alors qu'un fou-rire nerveux le gagnait face à l'atrocité de la situation.

- « I-il m'a m-même demandé de lui d-donner ma bague », hoqueta-t-il fébrilement.

Ignorant la légère exclamation de terreur et de surprise mêlées qui s'échappait des lèvres de Marinette, le jeune homme ferma les yeux, essayant de prendre de profondes inspirations pour tenter de retrouver son calme.

Quand il y parvint enfin, il rouvrit lentement les paupières pour croiser aussitôt le regard terrifié de Marinette. Les yeux de sa partenaire, aux pupilles dilatées par l'horreur, ressortaient avec une intensité presque insoutenable au milieu de visage désormais d'une pâleur de craie.

Serrant avec force ses doigts entre les siens, Adrien se pencha légèrement vers elle.

- « Le Papillon », répéta-t-il avec conviction. « C'est pour ça que tu ne dois jamais t'approcher de chez moi. De lui », lui ordonna-t-il d'un ton pressant. « Tu seras en danger s'il découvre que tu es Ladybug. »

La jeune fille sursauta violemment. Alors qu'elle était manifestement toujours bouleversée par la terrible révélation qu'Adrien venait de lui faire, Marinette se mit à dévisager le jeune homme avec intensité, ses yeux parcourant fébrilement le visage tendu de son partenaire.

- « Mais... Et toi ? « , protesta-t-elle d'une voix que l'angoisse avait fait monter d'une octave. « Il sais que tu es Chat Noir. Tu es en danger! »

L'une de ses mains était restée agrippée de toutes ses forces à celle d'Adrien, tandis qu'elle avait machinalement pausé l'autre sur l'avant-bras du jeune homme, comme pour s'empêcher de vaciller devant l'ampleur du désastre face auquel ils se trouvaient.

- « Je me débrouille », éluda Adrien avec un rictus nerveux. « J'évite de me retrouver chez moi en même temps que lui. J'arrive à connaître son emploi du temps grâce à Nathalie, je sais à quelle heure rentrer pour ne pas le voir. Je reste juste le temps de faire une apparition pour le dîner, histoire qu'elle ne se doute de rien, et- »

Le jeune homme s'interrompit brusquement, se mordant vivement l'intérieur de la joue. Marinette fronça soudain les sourcils. Adrien en avait trop dit, ou pas assez.

« Et » quoi ?

Son partenaire avait ostensiblement détourné le regard, se perdant apparemment dans la fascinante contemplation d'une fissure sur un mur voisin et confirmant les soupçons de la jeune fille. Il lui dissimulait encore quelque chose. 

- « Et ? », releva-t-elle, le scrutant avec insistance.

Alors qu'Adrien restait muet, elle exerça une légère pression sur ses doigts. Le cerveau de l'héroïne fonctionnait à toute vitesse, cherchant, analysant les dernières paroles que venaient de prononcer le jeune homme pour tenter de trouver ce qu'il avait omis de lui dire.

Il était en danger chez lui.

Il évitait autant que possible de rester dans ces lieux où il risquait à tout instant de croiser son père.

Il maintenait les apparences en se montrant le temps du dîner.

En restant juste le temps du dîner.

- « Adrien ? », insista-t-elle, le fixant avec autant d'intensité que si elle tentait de décortiquer les secrets de son âme. « Et quand il rentre le soir, comment est-ce que tu fais ? Tu restes toute la nuit éveillé ? Tu te barricades dans ta chambre ? »

Adrien tressaillit de façon presque imperceptible. Comme lorsqu'il se trouvait à poser pour l'une des innombrables séances photos pour lesquelles on le sollicitait régulièrement, il se concentra sur les muscles de son visage, étirant laborieusement ses lèvres, millimètre par millimètre, dans un sourire certes faible mais qu'il espérait rassurant.

- « Oh, comme dit, je me débrouille », rétorqua-t-il d'un ton moins léger que ce qu'il aurait voulu. « J'essaye de faire en sorte que mon miraculous ne soit pas en danger. »

- « Adrien... », répéta Marinette, son regard céruléen se plongeant dans le sien avec tant de force qu'Adrien se sentit vaciller.

Il ne pouvait pas lui cacher.

- « J-Je... Je pars, le soir. Je m'en vais de chez moi », avoua-t-il d'une voix si basse que c'est à peine si sa coéquipière réussit à l'entendre.

Marinette resta un instant interdite, puis ses yeux s'écarquillèrent d'horreur lorsqu'elle comprit ce que sous-entendait son précieux partenaire.

- « T- Tu... Tu veux dire que tu passes la nuit dehors ? » hoqueta-t-elle. « Toutes les nuits dehors, depuis dix jours ? »

- « Oh, tu sais, ce n'est pas aussi difficile que ce qu'il parait », répliqua Adrien en affichant une fausse bravade qu'il était loin de ressentir. « Il fait plutôt bon en ce moment, et j'ai trouvé un bout de toit plutôt sûr, et très confortable. Sincèrement, je n'ai pas à me plaindre, je- »

Le héros s'interrompit brusquement, réalisant tout à coup que Marinette était à présent au bord des larmes. Il déglutit péniblement, bouleversé de la voir ainsi, mais n'osant pas prononcer le moindre mot ni esquisser le moindre geste dans sa direction.

Il était trop – beaucoup, beaucoup trop – proche du point de rupture.

Le jeune homme était dans un tel état de terreur, détresse et épuisement mêlés qu'il ne tenait plus que grâce à ses nerfs, tendus presque jusqu'à en rompre, jusqu'à en hurler de douleur. Si un seul d'entre eux le lâchait, Adrien ne doutait pas un instant qu'il s'écroulerait instantanément de désespoir, tel un fragile édifice de cartes emporté par la plus terrifiante des tempêtes.

Et ce n'était ni le moment, ni l'endroit.

Constatant que le soleil commençait à décliner à l'horizon, le jeune homme jeta un bref coup d'œil son téléphone et sentit son estomac se tordre d'appréhension.

- « L'heure du dîner approche, ma Lady », laissa-t-il échapper dans un souffle. « Je vais devoir y aller. »

Marinette se passa rapidement la main sur le visage pour tenter de retrouver un semblant de contenance, puis leva vers lui un regard déterminé.

- « Tu vas venir chez moi ce soir », lui annonça-t-elle brusquement.

Alors qu'Adrien balbutiaient quelques malheureuses protestations, elle le coupa d'un geste.

- « Hors de question que tu passes une nuit de plus sur les toits de Paris », reprit-elle d'un ton sans réplique. « Tu viens chez moi, point. Et ne discute pas », poursuivit-elle alors qu'Adrien ouvrait la bouche pour tenter de lui assurer qu'il pouvait très bien s'en sortir. « Si tu n'es pas là avant minuit, je pars à ta recherche. S'il le faut, je viendrais même ici », conclut-elle farouchement, relevant le menton en un geste de défi.

Adrien leva l'une de ses mains en signe de reddition, tout en secouant légèrement la tête.

- « C'est d'accord », accepta-t-il dans un souffle. « Je viendrai tout à l'heure. »





La soirée fut l'une des plus longues que Marinette n'ait jamais vécue.

Une fois passé le brutal choc que lui avait causé la terrible révélation que lui avait faite Adrien au sujet de son père, une tempête de violentes émotions s'était abattues sur la jeune fille, la secouant avec tant de force que Marinette se sentait à présent vidée de la moindre bribe d'énergie et d'optimisme.

Elle qui était d'ordinaire la joie de vivre incarnée se trouvait maintenant profondément abattue, et même Tikki peinait à l'aider à retrouver le moral.

Le Papillon n'était nul autre que Gabriel Agreste.

Depuis la découverte du livre sacré, cette hypothèse avait naturellement été envisagée, mais Marinette avait toujours désespérément souhaité qu'il existe une autre explication pour justifier la présence du précieux ouvrage entre les mains du célèbre styliste.

Le choc n'en était que plus rude.

Le cœur de la jeune fille se brisait pour son cher, si cher Adrien, dont elle ne pouvait imaginer le désespoir qu'il devait ressentir en ces terribles instants. Si elle avait dû découvrir que son propre père était l'implacable ennemi qui s'en prenait depuis tant de temps à elle et à celui qu'elle aimait, Marinette serait certainement devenue folle de chagrin.

A l'horreur de la situation s'ajoutait une implacable culpabilité, qui croissait, croissait encore, comprimant la poitrine de l'héroïne et l'empêchant peu à peu de respirer. Son souffle se faisait lourd, et les larmes n'étaient jamais guère loin.

- « Comment est-ce que je n'ai pu me rendre compte de rien ? », gémit Marinette à l'attention de son kwami, qui ne lâchait pas un instant la jeune fille depuis qu'elles avaient regagné sa chambre. « Je... Je savais qu'il se passait quelque chose, mais je ne me doutais pas que la situation était aussi grave. »

- « Tu n'avais aucun moyen de le deviner », la consola Tikki en se frottant doucement contre sa joue pour tenter de la réconforter. « Adrien refusait de te parler. Comment aurais-tu pu savoir ce qu'il se passait vraiment ? »

Marinette laissa échapper un léger reniflement, essuyant machinalement ses yeux dont débordaient de nouveau de cristallines larmes.

- « I-Il faut trouver une s-solution », hoqueta-t-elle péniblement. « Le Papillon est le père d'Adrien. Son père. Je n'arrive pas à imaginer à quel point il doit souffrir en ce moment. Q-Qu'est ce qu'on va bien pouvoir faire ? »

- « Dormir », répliqua doucement Tikki.

Alors que la jeune fille éplorée levait un regard interrogateur vers sa minuscule amie, cette dernière voleta délicatement devant son visage pour se placer face à elle.

- « Tu es encore sous le choc, et Adrien est au bord de l'épuisement », expliqua-t-elle calmement. « Vous devez dormir. Je parlerai avec Plagg, et on pourra réfléchir à une solution tous ensemble, peut-être aussi avec Nino, Alya et Maître Fu. Mais pour l'instant, vous devez reprendre des forces. C'est la priorité. »

Marinette hocha machinalement la tête, tout en se mordant nerveusement la lèvre inférieure.

Il y avait certainement une solution.

Il devait y avoir une solution.






Les heures, les minutes et même les secondes s'écoulèrent avec une interminable lenteur, tandis que Marinette poursuivait ses intenses discutions avec Tikki. Le petit kwami rouge faisait tout pour tenter de calmer les angoisses de la jeune fille, dont l'anxiété s'atténuait parfois, pour repartir ensuite vers de nouveaux sommets, effectuant tour à tour de véritables séances de montagnes russes qui laissaient l'héroïne au bord de l'épuisement.

Marinette surveillait l'heure avec une régularité maladive, tandis que croissait en elle l'atroce peur que quelque chose ne soit arrivé à Adrien.

Et si, en dépit du luxe de précautions dont il semblait s'entourer, le jeune homme avait finalement croisé son père ?

Et si ce dernier avait décidé de frapper à l'instant même ?

Allongée sur son lit, Marinette commençait à présent à envisager très sérieusement l'idée de se transformer pour effectuer une petite visite au manoir Agreste. La nuit était tombée depuis déjà longtemps – bien trop longtemps - , et seule la lueur tamisée de sa lampe de chevet éclairait encore sa chambre.

N'y tenant plus, la jeune fille se redressa, mais avant qu'elle n'ait pu descendre de son matelas, elle fut interrompue par le doux bruit de quelqu'un tapant légèrement sur la trappe qui menait vers sa terrasse.

Chat Noir était là.

Enfin là. 

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