Chapitre 18

Un cri de souffrance s'échappa des lèvres de Chat Noir, tandis qu'une fulgurante douleur irradiait soudain le long de sa colonne vertébrale.

De son dos ?

Alors que le vilain lui faisait face ?

Allongé au sol, le jeune héros rouvrit laborieusement les yeux, luttant contre une légère nausée consécutive à la violence du choc et tentant de comprendre par quel miracle il pouvait bien être encore en vie. Le terrible boulet que son ennemi avait projeté sur lui n'aurait dû lui laisser aucune chance, mais la douleur aussi vive qu'une brutale décharge électrique qu'il avait ressenti à peine quelques secondes plus tôt lui prouvait sans le moindre doute qu'il n'avait pas encore quitté le monde des vivants. Tournant légèrement la tête, le héros désorienté aperçut une fine silhouette toute de rouge et noir vêtue.

Ladybug.

La jeune fille était à ses côtés, se redressant d'un mouvement vif sans quitter un seul instant leur adversaire du retard. Et brusquement, Chat Noir réalisa ce qu'il venait de se passer.

Il n'avait pas été percuté par le mortel projectile de glace.

Sa coéquipière était intervenue à la dernière seconde, lui taclant violemment les jambes pour le faire chuter au sol et lui permettant ainsi de ne pas se faire toucher par la terrible attaque de leur adversaire.

Et lui sauvant la vie, très certainement.

Sans perdre un instant de plus, Ladybug arma son yo-yo, puis d'un souple mouvement du poignet, elle lança son arme non pas vers son ennemi, mais vers son partenaire encore étourdi pour le ligoter aussi sûrement que s'il n'avait été qu'une malheureuse pièce de viande. D'une série de bonds rapides, la jeune fille s'échappa ensuite en direction d'une ruelle voisine, entraînant avec elle un Chat Noir bien incapable de dire ce que sa coéquipière avait en tête.





Ladybug pila derrière le premier mur venu, à l'abri du moindre regard. Après s'être assurée d'un rapide coup d'œil que leur adversaire n'était pas à leur poursuite, elle libéra son coéquipier d'un geste vif avant de lui faire face. Les yeux d'ordinaire si limpides de l'héroïne de Paris semblaient à présent se parer de mille nuances, reflétant à la perfection les conflictuelles émotions qui l'agitaient. Le regard de Ladybug était d'un bleu de ciel d'orage, de mer de tempête, de crevasses de glaciers. D'une couleur sombre et mouvante, insaisissable, annonciatrice des plus implacables colères tout comme des plus ardents désespoirs. Un regard si intense que Chat Noir recula machinalement, d'un pas, puis d'un autre, jusqu'à se retrouver adossé à une proche paroi de briques.

Mais manifestement, Ladybug ne comptait pas le laisser s'en tirer aussi facilement.

Elle s'avança vers lui d'un pas vif, réduisant de nouveau la distance qui subsistait encore entre eux deux, jusqu'à n'être plus qu'à une trentaine de centimètres à peine de son partenaire. Incapable de soutenir son regard un instant de plus, Chat Noir détourna machinalement la tête, se perdant soudainement dans la fascinante contemplation d'un lampadaire voisin.

- « Chat Noir ! », commença Ladybug d'une voix rageuse, « Est-ce que tu te rends compte que tu- »

La jeune fille s'interrompit brusquement au beau milieu de sa phrase, avant de laisser échapper un lourd soupir. Chat Noir l'entendit prendre plusieurs profondes inspirations, comme si sa partenaire tentait désespérément de reprendre le contrôle de ses nerfs. Le regard toujours résolument dirigé sur le côté, le héros aurait été bien incapable de dire avec exactitude quelles émotions traversaient actuellement le visage de sa chère coéquipière. Peur ? Colère ? Déception ? Un peu de tout ?

Il n'était pas certain de vouloir le savoir.

- « Est-ce que tu te rends compte que tu as failli te faire tuer ? » reprit Ladybug avec un calme que démentait la vive tension qu'il entendait dans les moindres de ses inflexions. « Chat Noir ? »

Elle s'arrêta de nouveau, laissant planer entre eux un minuscule instant de silence que troublaient seulement les bruits dangereusement proches du vilain qui continuait à arpenter le parc.

- « Chat Noir ? » recommença-t-elle, d'une voix dont elle maitrisait à présent difficilement le tremblement. « S'il te plait, regarde-moi. »

Alors qu'il gardait obstinément sa tête tournée de façon à ne pas voir le visage de Ladybug, Chat Noir sentit soudainement les doigts fins de sa partenaire se poser sur son avant-bras, tandis que la jeune fille avançait d'un nouveau pas en sa direction. Elle était désormais si proche de lui qu'il pouvait sentir le souffle léger de sa respiration caresser le bas de son visage.

- « Adrien... », murmura-t-elle de façon à peine audible.

Le jeune homme baissa instinctivement les yeux vers sa coéquipière, son regard se rivant au sien aussi sûrement que s'il avait été attiré par un aimant. Quoi que Chat Noir ait voulu dire en cet instant, ses mots s'étranglèrent dans sa gorge quand il découvrit l'expression anxieuse de Ladybug. Terriblement, désespérément anxieuse.

L'inquiétude de la jeune fille était telle qu'elle avait drainé toute couleur de son visage. Dans la mesure où ce dernier était en partie dissimulé par un masque rouge à poids noir, l'inhabituelle pâleur de l'héroïne pouvait sans peine passer inaperçue, mais pour la première fois, Chat Noir réalisait à quel point sa partenaire était dévorée d'angoisse.

Sa peau, habituellement d'une blancheur de porcelaine, n'aurait cependant pas dû être aussi livide.

Ses lèvres étaient d'ordinaire d'un rose beaucoup plus soutenu que la couleur blafarde qui les décorait à présent.

Les pupilles de ses yeux bleus étaient dilatées d'inquiétude, tandis qu'ils scrutaient fébrilement les moindres traits de son visage.

Et ses doigts, toujours posés sur son avant-bras, étaient crispés dans une vaine tentative de dissimuler le tremblement nerveux qui les agitait.

Ladybug s'inquiétait.

Non.

Elle avait peur.

Peur pour lui.

Déglutissant péniblement, Chat Noir passa anxieusement la main dans ses cheveux sans savoir que dire à sa Lady pour la rassurer. Mentir, encore ? C'était inutile. Elle savait. Elle savait que quelque chose n'allait pas.

- « Je... », commença-t-il d'une voix si tendue qu'elle sonna à ses oreilles comme si elle appartenait à quelqu'un d'autre. « Je... »

Le jeune homme s'interrompit, renonçant à poursuivre cette phrase qu'il n'arrivait guère à commencer, ne sachant même pas quels étaient les mots qu'il aurait voulu prononcer. Son esprit était vide. Trop de tension, trop de fatigue, trop de peur. Chat Noir n'arrivait plus à réfléchir. Il laissa retomber son bras le long de son corps, avant de hausser maladroitement les épaules à l'attention de sa coéquipière.

La jeune fille ouvrit la bouche à son tour, puis la referma, se résignant manifestement à ne pas obtenir de phrase cohérente de la part de son partenaire.

Pour l'instant.

Car son regard étincela de nouveau, tandis que sa poigne autour du bras de Chat Noir se faisait plus ferme.

- « Je ne sais pas ce qu'il se passe », reprit-elle d'une voix claire. « Et je ne sais pas pourquoi tu ne veux te confier à moi, mais il va falloir qu'on parle. Mais pas maintenant », poursuivit-elle en levant la main, ayant peut-être noté l'affolement soudain qui saisit son coéquipier. « Maintenant, on a un vilain à mettre hors d'état de nuire, et au train où vont les choses, on n'y arrivera jamais. On ne peut pas continuer comme ça. »

La jeune fille s'interrompit un instant, se mordant nerveusement la lèvre inférieure.

- « T-Tout à l'heure », balbutia-t-elle, « J'ai cru... J'ai vraiment cru... »

Sa voix se brisa, et Ladybug se détourna brusquement de Chat Noir. Elle se mordit violement l'intérieur de sa joue pour tenter de conserver son calme, tout en serrant les poings avec tant de force que sans la combinaison protectrice qui recouvrait ses mains, ses ongles se seraient certainement enfoncés jusqu'au sang dans la chair tendre de ses paumes. Battant furieusement de paupière pour faire refluer les larmes d'inquiétude qui menaçaient d'inonder ses yeux, la jeune fille prit une longue et profonde inspiration.

Ce n'était pas le moment de paniquer.

Il fallait qu'elle garde son sang-froid.

A tout prix.

Son partenaire n'était manifestement pas plus en était de se battre que de réfléchir, alors il allait falloir qu'elle pense pour deux. Qu'elle trouve une solution pour que tous deux se sortent indemnes de ce désastreux combat. A ce rythme, Chat Noir allait se faire tuer, et ça, c'était hors de question.

Ladybug refusait catégoriquement d'envisager l'existence d'un monde dans lequel le jeune homme n'existerait plus.

C'était impossible.

S'il disparaissait, elle en mourrait sûrement de douleur à l'instant même.

Il fallait qu'ils trouvent une solution.

Il fallait qu'ils parlent.

- « On ne peut pas continuer comme ça », reprit-elle d'une voix plus ferme, se faisant violence pour desserrer ses poings crispés tandis qu'elle se tournait pour faire de nouveau face à Chat Noir. « Mais pour l'instant, la priorité c'est d'arrêter la victime du Papillon. »

Baissant les yeux vers sa hanche alors qu'elle en détachait son yo-yo, Ladybug manqua le tressaillement presque imperceptible qui saisit Chat Noir à la mention de leur sinistre ennemi. La jeune fille lança son arme dans les airs en invoquant son pouvoir, avant de récupérer un boomerang rouge à poids noirs entre ses mains tendues. Elle effectua quelques pas en direction de l'extrémité de la ruelle, jeta un prudent coup d'œil en direction du parc, puis revint en direction de son coéquipier.

- « Bon, voilà ce que je propose », lui annonça-t-elle en se plaçant face à lui. « Le super-vilain s'est perché au sommet du kiosque qui est au milieu du parc. Je vais faire diversion, et pendant ce temps, tu vas le contourner et utiliser Cataclysme pour détruire le kiosque. Avec un peu de chance, ça nous permettra d'avoir une ouverture pour récupérer sa cuillère à glace. Je suis sûre que l'akuma se trouve dedans. Est-ce que tu penses que tu peux y arriver ? »

Chat Noir hocha distraitement la tête, le regard perdu en direction du parc. Le vilain. L'instrument de son père.

- « Chat Noir », l'interpella soudain Ladybug, posant une fois de plus sa main sur son avant-bras.

Elle s'avança légèrement vers lui, son regard préoccupé cherchant le sien.

- « Est-ce que tu penses sincèrement que tu peux y arriver ? », répéta-t-elle, articulant soigneusement chacun de ses mots comme pour s'assurer que son partenaire prenait la pleine mesure de ce qu'elle était en train de lui dire. « Je... Je préfères que tu restes ici si tu as le moindre doutes », reprit elle en se mordant de nouveau la lèvre inférieure. « Je... Tout à l'heure, ça n'est vraiment pas passé loin. Et tu n'agis pas comme d'habitude. »

La voix de la jeune fille s'était remise à trembler, mais cette fois, elle ne se détourna pas de Chat Noir. Pas maintenant. C'était trop important.

- « Donc je veux que tu me promettes de faire attention. De vraiment faire attention. Et si tu penses que tu n'es pas en état de combattre, je veux que tu restes ici. Ce n'est pas négociable. », poursuivit-elle, son regard brillant d'une résolution farouche. « Tu... J'ai eu peur. J'ai vraiment eu peur, et je ne veux pas te perdre », continua-t-elle alors que sa voix chancelait un peu plus sous l'effet de la vive inquiétude qu'elle ressentait pour son partenaire.

Ladybug se passa rapidement la main sur le visage alors que ses paupières se mettaient soudainement à battre un peu trop vite, mais elle reprit rapidement contenance. Il y avait des milliers de choses dont elle voulait parler avec Chat Noir. L'atroce frayeur qu'il lui avait faite quelques instants plus tôt. L'ignoble peur qui lui glaçait les entrailles depuis l'instant où elle avait remarqué à quel point il semblait se battre en étant proche du point de rupture. La façon dont son comportement avait brutalement changé ses derniers jours. Son propre cœur, réduit en miettes par la soudaine indifférence d'Adrien. Des questions, d'innombrables questions. Savoir ce qu'il s'était passé, essayer de comprendre.

Mais ce n'était définitivement pas le bon moment.

Pour l'instant, ils devaient combattre.

Et elle ne laisserait pas Chat Noir aller au front si elle pensait qu'il y avait le moindre risque qu'il se blesse grièvement ou pire, même si elle devait pour cela le ligoter une fois de plus avec son yo-yo et l'abandonner dans cette ruelle déserte.

Elle devait être sûre.

Regardant son coéquipier droit dans les yeux, elle répéta une fois de plus sa question.

- « Est-ce que tu penses que tu peux y arriver ? Que tu arriveras à tenir juste le temps d'utiliser ton pouvoir ? »

Chat Noir déglutit péniblement, mais cette fois, hocha la tête avec fermeté tandis que ses yeux restaient rivés à ceux de la jeune fille. Attendre qu'elle face diversion, détruire le kiosque, libérer l'akuma. Ne pas penser à son père.

Il pouvait le faire.

- « Je peux le faire », répondit-il d'une voix ferme et sincère.

Ladybug hésita un instant, puis approuva d'un bref mouvement de tête avant de tourner les talons et de s'élancer en direction du parc.





Dès que le vilain aperçu la jeune héroïne, il la prit immédiatement pour cible, la bombardant méthodiquement de lourds boulets de glace. Le cœur au bord des lèvres à la vue de cet horrible spectacle, Chat Noir se hâta de contourner l'homme fou de rage, priant de toutes ses forces pour arriver avant que quoi que ce soit d'irrémédiable n'arrive à sa Lady.

Il lui avait affirmé qu'elle pouvait compter sur lui pour son plan désespéré, et elle avait décidé de lui faire confiance.

Il ne pouvait pas la laisser tomber.

Alors que Ladybug continuait de distraire leur adversaire, Chat Noir parcouru rapidement les derniers mètres qui le séparaient de sa cible. Une fois arrivé à destination, le jeune homme déclencha aussitôt son pouvoir avant d'abattre sa main gantée sur l'une des poutres qui soutenait le sommet du kiosque. La colonne de bois se para instantanément d'une vilaine couleur rouille avant de se désagréger dans un nuage de poussière brune, entrainant avec elle l'effondrement d'une large portion du toit.

Déséquilibré par la soudaine disparition d'une partie du fragile bâtiment, le vilain chancela légèrement, mais en une fraction de seconde à peine il avait retrouvé son équilibre et s'était perché au sommet de l'une des poutres encore debout. Il visa Ladybug de son bras droit tout en tenant Chat Noir en joue à l'aide de son bras gauche, ses yeux faisant de rapides allers-retours entre les deux héros comme pour les défier d'approcher. Nul doute que si l'un d'entre eux tentait de faire le moindre pas dans sa direction, ce terrible adversaire déclencherait aussitôt l'un de ses mortels tirs.

Mais le vilain n'avait pas noté que Ladybug avait profité de l'intervention de Chat Noir pour lancer le boomerang qu'elle avait jusque-là gardé dissimulé dans son dos.

L'objet décrivit une gracieuse courbe dans les airs, hors de vue de la victime du Papillon, avant de revenir pour s'abattre violement sur sa nuque. Etourdit, l'homme vacilla, semblant pendant un instant être suspendu à deux doigts du vide, puis il chuta lourdement à terre. Ladybug se rua sur lui, puis s'empara de la cuillère à glace d'un mouvement vif avant de la briser en deux pour en libérer l'akuma qui y avait élu domicile.

En l'espace de quelques secondes à peine, la jeune héroïne avait purifié l'akuma et restauré les environs du parc.

Tout était enfin fini.





Aux pieds des deux adolescents se trouvait à présent un pauvre homme désorienté, qui les regardait tour à tour sans manifestement comprendre ce qu'il faisait là.

- « Q-Qu'est ce qu'il s'est p-passé ? », bredouilla-t-il. « Il y avait cette véritable peste, p-puis, plus rien... »

Chat Noir aida le malheureux à se relever, avant de le remettre entre les mains d'un employé municipal qui venait à sa rescousse. Alors qu'ils s'éloignaient d'un pas hésitant, le héros suivit un instant les deux hommes du regard, tout en sentant lourdement peser les yeux de sa partenaire sur lui. Elle l'observait, c'était certain. Et elle n'allait pas le laisser s'échapper sans exiger de lui une explication. Du coin de l'œil, il crut surprendre un éclair bleu, mais quand il tourna la tête, Ladybug avait fait demi-tour pour faire face à Alya qui arrivait vers eux en courant.

- « Hey, est-ce que ça va ? », leur lança-t-elle d'une voix essoufflée. « J'ai eu tellement peur pour vous ! »

Alors que sa partenaire rassurait leur camarade de classe, Chat Noir profita de la diversion pour s'éclipser.

Il ne sentait pas prêt à parler à sa coéquipière. Pas maintenant.

Chat Noir adressa un bref geste de la main aux deux filles puis bondit en direction des toits avant qu'elles n'aient pu émettre le moindre son de protestation.

Ladybug le suivi un instant du regard, avant de se passer une main lasse sur son visage. Elle n'en pouvait plus. Cette journée avait été riche des plus douloureuses émotions qu'elle n'avait jamais eu à traverser, la laissant à bout de forces et nerfs à fleur de peau. L'indifférence d'Adrien épuisait son cœur blessé. Le comportement de Chat Noir l'effrayait plus qu'elle ne l'aurait jamais cru possible. Il fallait que ce cauchemar cesse.

A ses côtés, Alya semblait tout aussi perdue qu'elle.

- « Mais qu'est-ce qui lui arrive ? », murmura l'apprentie-journaliste, tout en restant suffisamment loin de la jeune héroïne pour que des observateurs extérieurs ne devinent pas que leur conversation était tout sauf professionnelle. « Je ne l'ai jamais vu se battre comme ça, c'était absolument terrifiant. Dans le mauvais sens du terme. »

- « Je ne sais pas », répondit sa meilleure amie à voix basse. « Il... Je ne sais pas. Mais ça ne peut pas durer. Il a failli se faire tuer aujourd'hui. »

- « J'ai vu ça », approuva Alya, pâlissant légèrement à ce terrible souvenir. « Si tu étais arrivée ne serait-ce qu'une seconde- »

La jeune blogueuse s'interrompit brusquement, notant soudainement la dangereuse lividité de sa meilleure amie. Elle amorça un petit geste de la main, comme pour la serrer dans ses bras, avant de se raviser en se rappelant brusquement que Ladybug et la reporter en chef du Ladyblog n'étaient pas censés être suffisamment intimes pour partager de trop ostensibles gestes d'affection. Laissant retomber son bras, Alya jeta un regard chargé autant de sympathie que d'inquiétude à l'héroïne en détresse.

- « Il faut que lui parle », reprit Ladybug après un léger instant de silence. « Je sais parfaitement qu'il refuse que je m'approche de lui, mais on ne peut pas continuer comme ça. C'est trop dangereux. »

Parfaitement consciente de la gravité de la situation, Alya hocha sombrement la tête, mais avant que la blogueuse n'ait eu le temps de rajouter le moindre mot, un cri perçant déchira les airs.

- « LADYBUUUUUUUUUUUUUUUG !!! »

Reconnaissant parfaitement cette voix irritante, la jeune héroïne se raidit brusquement, serrant machinalement les poings tout en se retenant de lever les yeux au ciel.

Chloé.

Merveilleux. La journée n'aurait définitivement pas pu être plus cauchemardesque.

- « Je crois qu'on n'a pas besoin de chercher pourquoi ce pauvre glacier a été akumatisé », souffla Alya avec dédain tandis que Ladybug plaquait le plus artificiels des sourires sur son visage.

Même si Chloé ignorait que Marinette se cachait derrière le masque de l'héroïne, la jeune fille refusait de montrer à sa blonde rivale à quel point elle était dévastée. Au-delà d'un légitime orgueil, il en allait de sa sécurité et de celle de son partenaire. Les deux héros ne pouvaient pas se permettre que des rumeurs sur un éventuel état de faiblesse ne se mettent à courir dans tout Paris, au risque que le Papillon ne réalise à quel point ils étaient actuellement vulnérables et qu'il ne se mette à les frapper avec plus de hargne qu'il ne le faisait déjà.

Officiellement, elle allait bien, Chat Noir allait bien, et hors de question de laisser croire le contraire à quiconque.

- « Ladybug ! », s'époumona Chloé en arrivant auprès de l'héroïne, avant de passer familièrement un bras par-dessus son épaule pour prendre une rapide photo où Ladybug se hâta de prendre son expression la plus agacée possible. « Je suis tellement contente de te voir ! »

La voix de la blonde fille du maire atteignait à présent des notes si stridentes que ses cordes vocales devaient certainement être en train de générer des ultra-sons à l'instant même.

- « Oh, oui », intervint soudain Alya avec une ironie palpable. « Nous aussi, on est tellement ravies. »

- « Excuse-moi, je parlais à mon amie Ladybug, pas à toi », répliqua dédaigneusement Chloé tout en tentant de la congédier d'un méprisant geste de la main. « Nous avons une discussion entre personnes de haute qualité, et les gens du commun n'y ont pas leur place. »

Alya leva un sourcil sceptique, avant de croiser les bras en geste de défi.

- « Au moins, je n'ai pas fait akumatiser ce pauvre glacier », rétorqua la jeune blogueuse avec hargne. « Je ne suis pas certaine que tu puisses en dire autant. »

- « Excuse-moi, mais je n'ai rien fait de mal ! », s'exclama aussitôt Chloé, posant dramatiquement la main sur son cœur pour offrir l'image même de la dignité offensée. « Ce n'est pas ma faute si le service dans ce parc est déplorable. Peut-être que ça ne te pose pas de problèmes, mais j'ai de plus hauts standards. »

- « Et du coup, toi et tes standards ne feraient pas mieux d'aller voir ailleurs ? » lui lança vivement Alya, manifestement exaspérée par les piques hostiles de la fille du maire.

Exaspération par ailleurs largement partagée par l'héroïne de Paris, pour qui la journée avait été déjà suffisamment difficile sans avoir à supporter l'insupportable présence de sa blonde camarade de classe.

- « Et toi, tu ne devrais pas être en train d'être en train de consoler ta soi-disant meilleure amie plutôt que de venir ennuyer Ladybug ? » rétorqua Chloé d'un ton acide, avant que son visage ne se torde d'un sourire mauvais. « La pauvre Marinette », poursuivit-elle d'un ton faussement compatissant, « ça doit être tellement dur de se faire plaquer... »

Ladybug tressaillit presque imperceptiblement, se mordant l'intérieur de la joue jusqu'au sang pour se retenir de ne pas laisser échapper une violente remarque.

Du calme. Du calme.

Elle devait impérativement garder son sang-froid.

Elle était Ladybug, pas Marinette, et l'héroïne de Paris n'avait pas à s'impliquer dans des querelles de lycéennes. Elle avait déjà fait une fois cette erreur, et les désastreuses conséquences de son altercation avec Lila avaient été une cuisante leçon pour la jeune fille.

Ladybug n'avait pas à réagir à la place de Marinette. Jamais.

L'adolescente aurait pu être condamnée à supporter les attaques haineuses de Chloé sans pouvoir répondre quoi que ce soit, mais heureusement pour la jeune fille, Alya - meilleure amie parmi les meilleures amies - était là pour la défendre à sa place.

- « Tu racontes n'importe quoi ! » répliqua immédiatement la blogueuse, tout en affichant son expression la plus dédaigneuse pour montrer à quel point cette scandaleuse accusation lui semblait ridicule. « Marinette ne s'est absolument pas faite plaquer, et je pense être bien mieux placée que toi pour savoir ce qu'il se passe entre Adrien et elle. »

Chloé laissa échapper un petit reniflement condescendant, accompagné d'un petit sourire triomphal qui donna à Ladybug une violente envie d'abattre son poing sur la figure de sa blonde camarade, ou de lui hurler dessus de toutes ses forces. Tout pour effacer cette expression supérieure de visage de Chloé.

- « Mais bien sûr... », reprit cette dernière, sans réaliser que ses paroles mettaient au supplice l'héroïne qu'elle admirait tant. « Absolument tout le monde a remarqué qu'Adrien et Marinette ne se parlent plus depuis au moins une semaine. Il y a de la rupture dans l'air, c'est évident », poursuivit-elle avec un petit rire mesquin. « Et laisse-moi te dire que comme par hasard, mon Adrichou s'est justement beaucoup rapproché de moi ces derniers jours. Je pense qu'il a enfin réalisé que quelqu'un de ma qualité lui conviendrait beaucoup mieux. »

Alors qu'Alya, rouge de colère, s'apprêtait à répondre vertement à Chloé, le miraculous de Ladybug se mit soudainement à biper. La jeune héroïne sursauta vivement, puis, profitant de cette parfaite excuse pour fuir cette conversation qui menaçait de la priver de ses dernières bribes de sang-froid, elle salua ses deux camarades de classe avant de s'éclipser vers les toits de Paris.





Durant la confrontation qui opposait Alya et Ladybug à l'odieuse fille du maire, Chat Noir se déplaçait laborieusement au sommet des toits de Paris. A bout de forces et le souffle court, le jeune héros progressait mètre par mètre sur les glissantes surfaces d'ardoise, tandis que le moindre saut lui demandait un tel effort qu'il craignait à tout instant de tomber d'épuisement.

Il n'en pouvait plus.

Ce combat avait été l'évènement de trop, dilapidant le peu de réserves qu'il lui restait encore après ces interminables jours de lente torture qu'il venait de passer.

Il avait les jambes lourdes, et la tête plus lourde encore.

Fait autrement plus grave, le paysage commençait à tourner dangereusement autour de lui, et au vu de la hauteur à laquelle le jeune homme se trouvait, nul doute que la moindre chute aurait des conséquences dévastatrices. S'appuyant contre une cheminée le temps de retrouver ses esprits, Chat Noir serra rageusement les dents.

Il fallait qu'il se reprenne.

Alors que les environs continuaient de tanguer, le jeune homme cru apercevoir une lueur bleue entre ses paupières mi-closes.

Ladybug ?

Chat Noir secoua la tête, avant de laisser échapper un gémissement de douleur quand ce simple geste raviva la sourde migraine qui pulsait sous son crâne. Rouvrant péniblement les yeux, il fixa le point où il avait cru apercevoir le regard perçant de sa partenaire.

Mais rien.

La fatigue et la culpabilité le rendaient paranoïaque, lui faisant manifestement imaginer les yeux extraordinairement bleus de Ladybug là où ils n'étaient visiblement pas. Chat Noir se redressa tout en prenant une profonde inspiration. Il s'était longtemps voilé la face, mais apercevoir des choses imaginaires étaient tout sauf un signe de bonne santé, et bien que cela lui en coûte de l'admettre, le jeune homme réalisait à présent qu'il avait très largement atteint ses limites. C'était même certainement déjà le cas depuis bien trop longtemps.

Poussant un lourd soupir, Chat Noir avança d'un pas, puis d'un autre, avant de s'élancer de nouveau pour atterrir lourdement sur un toit voisin. Petit à petit, il réussit à progresser en direction de son manoir, et regagna enfin sa chambre après s'être péniblement faufilé par une fenêtre qu'il avait laissée entrouverte.

Il se détransforma aussitôt, puis, à bout de forces, il se dirigea à pas lourds vers son lit avant de se laisser tomber bras en croix sur son matelas. Le regard rivé au plafond, Adrien tentait à présent de retrouver un semblant calme, pendant que Plagg reprenait des forces à grand renfort de gigantesques parts de camembert.

Cet affrontement avait été terriblement long et éprouvant pour le jeune homme, et le moindre de ses muscles était au supplice. Son corps ne lui semblait plus être qu'une immense plaie ouverte, pulsant de douleur tandis que l'adrénaline qui lui avait jusque-là permit de tenir encore approximativement debout se diluait progressivement pour disparaitre de ses veines.

Et au-delà de l'épuisement physique, le jeune homme se sentait mentalement au bord de la rupture.

Il avait failli mourir, des mains d'un vilain manipulé par son propre père.

Et en dépit de tous ses mensonges, de tous les efforts qu'il avait jusque-là déployés Ladybug avait sans nul doute compris qu'il lui cachait un lourd secret.

Le cœur d'Adrien se serra à la pensée de sa coéquipière. Il avait été inconscient. Dans sa volonté de garder farouchement sa partenaire à l'écart, il s'était affaibli plus que de raison et avait trop présumé de ses forces en tant que Chat Noir, au point de mettre gravement Ladybug en danger. A présent qu'il considérait les choses d'une autre perspective, il réalisait avec une écrasante culpabilité combien la jeune fille avait dû redoubler d'effort pour le garder en vie lors du désastreux combat qu'ils venaient de livrer.

Tout comme il s'était rendu compte d'à quel point elle s'inquiétait pour lui.

Elle ne lui laisserait certainement aucun répit tant qu'elle ne saurait pas exactement ce qui le tourmentait.

Elle allait chercher.

Trouver.

Comprendre.

Et dès qu'elle réaliserait que le Papillon n'était nul autre que Gabriel Agreste, elle serait plus gravement en danger qu'elle ne l'avait jamais été.





Un petit bruit sec tira brusquement Adrien de ses sinistres pensés. Quelqu'un cognait doucement contre la porte de sa chambre. Le jeune homme se redressa péniblement, tandis que Plagg se hâtait de trouver refuge dans la poche de sa chemise.

- « Adrien ? » s'éleva la voix familière de Nathalie, qui pénétra d'un pas vif sans la chambre après que le héros l'ait invitée à entrer. « Votre père souhaite vous voir. »

Le jeune homme eut brusquement l'impression que son cœur cessait de battre, tandis que son sang refluait de son visage à une telle vitesse qu'il se sentit prit d'un soudain vertige.

Son père ?

- « M-Maintenant ? », balbutia Adrien, hébété.

- « Oui, maintenant », confirma Nathalie avec une certaine impatience. « Venez. »

Le jeune homme se leva machinalement, trop paniqué pour réfléchir correctement. Son père. Le Papillon. Son père.

L'instinct d'Adrien lui hurlait de s'enfuir. De se transformer immédiatement, au mépris de sa fatigue et du secret de sa double identité. De partir vite et loin d'ici.

Luttant de toutes ses forces contre cet ordre impérieux que lui criait sa conscience, le jeune homme suivit l'assistante de son père comme un condamné suit son bourreau à l'échafaud. Il s'arrêta à l'entrée de la porte du bureau du célèbre styliste, s'agrippant désespérément au chambranle de la porte tant ses jambes menaçaient à tout instant de se dérober sous lui. Son père se trouvait face à lui, à quelques mètres à peine.

Un violent frisson parcouru la colonne vertébrale de l'adolescent. C'était une erreur. Une grave erreur. Il n'aurait jamais dû venir ici.

Faire demi-tour.

Il devait impérativement faire demi-tour.

Il n'était peut-être pas encore trop tard.

- « Adrien », l'interpella soudain son père, d'une voix si dangereusement calme que le jeune homme sentit son estomac se tordre violement.

L'adolescent leva les yeux vers Gabriel Agreste, qui le dévisageait avec intensité.

Puis qui porta son regard vers son miraculous.

- « Adrien », reprit le célèbre styliste, articulant soigneusement chacun de ses mots. « Si je te demandais de me donner ta bague, est-ce que tu le ferais ? »

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