Chapitre 16

Adrien se figea, pétrifié par le regard perçant de son père comme un animal serait paralysé par les phares menaçants d'une voiture.

Qu'est-ce qu'il faisait ici ?

Qu'est-ce qu'il faisait ici ?

Nathalie lui avait pourtant affirmé que son père serait absent toute la soirée, occupé par ses obligations sociales qui le retiendrait auprès du maire de Paris.

Alors pourquoi ?

C'est avec une incrédulité désespérée que le jeune homme vit s'approcher son illustre géniteur, qui s'avançait vers lui d'un pas lent mais assuré. Les yeux perçants de Gabriel Agreste se posèrent sur son fils unique, le dévisageant avec attention, puis son regard glissa vers le bras d'Adrien pour s'attarder ensuite désagréablement sur sa main.

Sur sa bague.

Alors qu'ils restaient rivés sur le bijou, les yeux du célèbre styliste se plissèrent presque imperceptiblement, et sa mâchoire se contracta comme sous l'effet d'une sourde colère. Mais en dehors de ces subtiles manifestations, Gabriel Agreste restait d'un calme qui ne faisait que le rendre plus terrifiant encore aux yeux de son fils. C'était comme observer la surface frémissante d'un océan, à savoir que sous cette tranquillité apparente nageaient d'indescriptibles monstres, tapis dans les eaux profondes où la lumière se faisait si lointaine que tout n'était plus que noirceur et danger.

Adrien sentit un horrible frisson lui parcourir l'échine, qui le fit trembler de la tête aux pieds tandis qu'un filet de sueur glacée coulait lentement entre ses omoplates. Instinctivement, il ramena sa main baguée derrière son dos, hors de vue du regard inquisiteur de son père.

- « J-Je croyais que vous aviez un gala de charité prévu ce soir », articula péniblement le jeune homme, ses mots butant laborieusement sur ses lèvres sèches.

- « C'est le cas », répondit le célèbre styliste, l'expression de son visage se faisant indéchiffrable tandis qu'il continuait d'observer avec attention son fils unique.

Gabriel Agreste pinça légèrement les lèvres, avant d'amorcer un geste de la main vers l'adolescent pétrifié de terreur. Adrien recula machinalement d'un pas, observant les doigts de son père avec autant d'effroi que s'il s'agissait de lames d'acier prêtes à déchirer sa chair.

- « Adrien... », commença l'homme, avant de laisser brusquement retomber son bras quand le bruit de talons claquant sur le marbre parvint jusqu'à eux.

Inconsciente de la scène qui venait de se dérouler, Nathalie arrivait, maintenant fermement son agenda électronique serré contre elle tandis qu'elle discutait avec un inaudible interlocuteur à l'aide de son oreillette.

- « Bien entendu, je lui transmettrais votre message. Au revoir, monsieur », conclut-elle, avant de s'approcher d'un pas vif de son sévère employeur. « C'était le maire », reprit-elle à l'attention du styliste. « Des invités commencent à arriver, et il souhaiterai savoir à quelle heure vous comptez venir. »

Gabriel Agreste laissa échapper un léger soupir contrarié, avant de se tourner vers son assistante.

- « Dites-lui que je me mets en route », répliqua-t-il d'un ton sec, « et prévenez mon chauffeur. »

L'homme jeta ensuite un regard à son fils, qui n'osait à présent plus esquisser le moindre mouvement.

- « Adrien », l'interpella-t-il, « Tu devrais être en train de faire tes devoirs à cette heure-ci. Monte dans ta chambre »,

- « O-oui, Père », bredouilla lamentablement le jeune homme avant de s'enfuir en direction des escaliers quand son père le congédia d'un bref geste de la main.

Sans se retourner ne serait-ce qu'une seule fois, l'adolescent se rua dans sa chambre, fermant violement la porte de la pièce avant d'en tourner hâtivement le loquet. La peur et la tension qu'avait engendrée l'apparition inattendue de son père faisait déferler de furieux torrents d'adrénaline dans ses veines, au point que le jeune homme était maintenant presque pris de vertiges. Les pulsations irrégulières de son cœur affolé étaient bien trop fortes et trop rapides, et son souffle bien trop court. Il fallut de longues minutes à Adrien pour retrouver un semblant de calme, mais la vue de son père et la façon insistante dont ce dernier avait regardé sa bague l'avaient tant perturbé qu'il passa tout sa soirée comme dans un état second. Il n'aurait pas su dire par quel miracle il réussit à faire ses devoirs, pas plus qu'il n'aurait été capable de se rappeler ce qu'il avait mangé après que Nathalie l'ait convoqué pour qu'il vienne dîner. Une fois son repas fini, il souhaita hâtivement une bonne soirée à l'assistante de son père, avant de remonter dans sa chambre. Adrien verrouilla de nouveau la porte de la pièce, puis ordonna à Plagg de le transformer avant de finalement s'enfuir par la fenêtre de sa salle de bain.

Le jeune héros s'éloigna à bonds rapides de l'immense manoir de sa famille, errant ensuite durant de longues minutes au sommet des toits de Paris à la recherche d'un endroit sûr où passer la nuit. Hors de question pour Chat Noir de rester chez lui dans de telles circonstances.

C'était trop dangereux.

Bien, bien trop dangereux.

Il serait bien trop vulnérable dans son sommeil, et le jeune homme refusait de courir le moindre risque qu'on lui vole sa bague pendant qu'il serait endormit.

Le héros épuisé remarqua finalement un toit plat enfoncé entre les murs de plusieurs immeubles, dont une large portion était à la fois suffisamment plongée dans l'ombre lui garantir de rester hors de vue s'il s'y installait, et assez éloignée du rebord pour lui offrir un abri sûr. Chat Noir atterri avec souplesse sur l'ardoise avant d'inspecter rapidement les lieux. Puis, estimant l'endroit convenable, il se roula en boule dans un coin, tout s'estimant heureux que les températures des nuits parisiennes soient actuellement suffisamment douces pour lui permettre de passer la nuit à la belle étoile.

Une fois de plus.




Les journées suivantes s'écoulèrent avec une implacable régularité, prenant pour Adrien l'allure d'un lent et infini cauchemar. Obsédé par sa volonté d'esquiver son père et de protéger ses camardes, le jeune homme était tombé dans une terrible routine qui le brisait un peu plus à chaque instant.

Le jour, il fuyait avec un acharnement presque maladif la compagnie de Nino et d'Alya, et celle de Marinette. Surtout celle de Marinette.

La nuit, il s'échappait de son domicile pour trouver refuge sur les toits de Paris, réussissant à peine à fermer les yeux tant son esprit tourmenté lui semblait sur le point d'exploser. Terreur, désespoir et culpabilité se mélangeaient en un amas confus de sombres et violentes émotions qui le torturaient sans répit, largement alimentées par un manque croissant de sommeil dont les conséquences se faisaient de plus en plus dévastatrices.

En dépit de ces terribles circonstances, Adrien tentait de faire illusion, et dans la plupart des cas, il y arrivait désespérément bien. Le jeune homme continuait se montrer chez lui en fin de journée, à aller en cours et à distribuer plaisanteries et faux sourires, essayant tant bien que mal d'ignorer la sourde migraine qui ne le quittait plus et qui martelait violement ses tempes à toute heure du jour ou de la nuit.

Cependant, même s'il parvenait à donner l'impression d'une apparente normalité, Adrien était au bord de l'épuisement, ne se rendant même pas compte qu'il perdait peu à peu pied à se couper ainsi de tous ses proches. Même Plagg ne lui était plus d'aucun réconfort, et quand ce dernier tentait de l'apaiser et de lui prodiguer d'innombrables conseils, le jeune homme se contentait d'acquiescer distraitement avant de retomber dans un silence abattu.




En dépit des efforts que déployait Adrien, il n'avait néanmoins guère fallu longtemps à Marinette pour réaliser que quelque chose n'allait pas chez son partenaire. Les excuses d'une punition paternelle lui avaient parues éventuellement crédibles que les deux premiers jours, mais alors que la semaine avançait, il devenait de plus en plus douloureusement évident pour la jeune fille qu'Adrien l'évitait délibérément.

Il arrivait toujours à la dernière minute en cours, que ce soit le matin ou à midi, et disparaissait à la seconde même où la journée se terminait. Quand sonnait l'heure de la récréation, il trouvait toujours une excuse pour s'éclipser jusqu'au retour de leur professeur. Il disparaissait aux toilettes, partait à la recherche d'un livre qu'il avait perdu pour la troisième fois depuis le début de la semaine, avait été mystérieusement convoqué par l'un de leurs enseignants... Les pauses de midi n'étaient guère mieux, le jeune homme prétendant toujours avoir quelque chose à faire en dehors du lycée. Voir un de ses professeurs particuliers, aller à un shooting-express, faire une rapide course... Tous les prétextes semblaient être bons pour se volatiliser durant les heures où Marinette aurait pu avoir l'occasion de lui parler.

Dans la mesure où le téléphone d'Adrien lui avait soi-disant été confisqué par son père, la jeune fille ne pouvait même pas le contacter en-dehors des cours. Elle avait bien essayé de l'appeler à plusieurs reprises, mais en vain, et chacun des messages qu'elle lui laissait restaient sans réponse.

Marinette n'avait aucune idée de ce qui avait pu causer cet éloignement aussi brutal qu'inattendu, et elle se sentait complètement perdue.

Au-delà de la vive incompréhension qu'elle ressentait, elle se retrouvait en proie à tant d'émotions qu'elle n'aurait même plus su dire dans quel état elle se trouvait exactement. Les premiers jours, elle avait ressenti une profonde inquiétude pour Adrien, se demandant avec angoisse si le comportement du jeune homme ne cachait pas quelque chose de bien plus grave qu'il ne souhaitait leur laisser croire, mais au fil de la semaine, l'attitude distante de son partenaire l'avait profondément blessée. Plus elle tentait de lui parler, plus elle cherchait à comprendre, plus Adrien balbutiait de vagues excuses avant de s'enfuir de plus belle.

La jeune héroïne se sentait abandonnée.

Trahie.

En dépit de tous les efforts que déployait Marinette pour découvrir pourquoi Adrien se comportait ainsi avec elle, ce dernier refusait résolument de communiquer avec elle, laissant la jeune fille dans le brouillard le plus total, seule avec sa détresse et ses interrogations.

Qu'est-ce qui avait bien pu se passer ?

Comment leur relation avait-elle pu basculer aussi brutalement, et passer en quelques jours de la confiance la plus totale à une indifférence absolue ?

Est-ce ce quelque chose était arrivé à Adrien ?

Etait-ce elle ?

Avait-il quelque chose à lui reprocher ?

Le fait que leurs vies sentimentales et leur héroïque partenariat soient aussi intimement entremêlés l'un à l'autre compliquait d'autant plus les choses pour la malheureuse jeune fille, qui ne savait pas si le soudain détachement de son coéquipier était en lien avec leurs vies de tous les jours, ou avec leurs activités de Chat Noir et Ladybug.

Les deux peut-être ?

Alya et Nino ne pouvaient hélas lui être d'aucune aide pour comprendre comment Adrien et elle avaient bien pu en arriver à une telle situation, dans la mesure où le jeune homme les évitait avec presque autant d'acharnement qu'il fuyait Marinette.




L'attitude du héros était cependant clairement ciblée à leur petit trio, et Adrien semblait se comporter tout à fait normalement avec le reste de leurs camarades. Les choses étaient d'autant plus difficiles à vivre pour Marinette que le fait qu'Adrien l'évite aussi ostensiblement ne passa guère inaperçu longtemps, et en plus de son angoisse et de sa peine, elle dû rapidement apprendre à composer également avec les regards désolés que lui jetaient la plupart des autres lycéens.

Pour le plus grand désespoir de la jeune fille, le visible problème relationnel que traversait le couple qu'elle formait avec Adrien avait aussi fait deux heureuses. Si Lila avait un temps évité d'approcher le jeune homme, elle avait manifestement décidé de passer outre de la cuisante humiliation que lui avait infligée Ladybug et commençait de nouveau à s'intéresser à son blond camarade de classe. Chloé semblait également vivement décidé à ne pas laisser passer l'opportunité qu'offrait un Adrien dont tous se demandait s'il n'allait pas rapidement se retrouver de nouveau célibataire, et les deux jeune filles ne laissaient pas passer la moindre occasion de tourner autour l'héritier de la famille Agreste.

En temps normal, Adrien aurait sans nul doute noté à quel point son attitude blessait Marinette, tout comme il aurait naturellement évité de trop s'approcher des deux filles qui avaient très clairement tenté de compromettre sa relation avec sa précieuse partenaire. Malheureusement, la tension à laquelle était soumis le jeune héros depuis plusieurs jours additionnée à dévastateur un manque de sommeil privait Adrien des dernières bribes de lucidité qu'il aurait pu lui rester. Le jeune homme était si intimement persuadé que sa coéquipière se trouverait gravement en danger une fois qu'elle aurait compris qui se cachait derrière le masque de Papillon que le fait de lui dissimuler son terrible secret était devenu pour lui une véritable obsession. Convaincu qu'il serait incapable de cacher quoi que ce soit bien longtemps à Marinette, il la fuyait de toutes ses forces, ne réalisant même pas les conséquences ravageuses que son attitude avait sur la jeune fille.

Adrien était tant dévoré à la fois par la crainte que lui inspirait son père et la volonté farouche de protéger sa partenaire qu'il occultait tout le reste.

Pour garder Marinette en sécurité, il fallait qu'il évite de l'approcher. De lui parler.

Fuir. Loin. Longtemps.

La protéger.

Et pour cela, Adrien sautait sur le moindre prétexte qui lui permettrait de ne pas rester à proximité de la jeune fille, quitte à lui mentir.

Quitte à affirmer qu'il avait des cours supplémentaires en milieu de journée alors qu'il aurait plus que tout souhaiter passer sa pause de midi à ses côtés, comme à l'époque bénie où son père n'avait pas encore noté la présence de son miraculous.

Quitte à ignorer systématiquement tous ses appels alors qu'il ne voulait entendre rien d'autre que le son apaisant de sa voix.

Quitte à se tromper à lui-même en se convainquant qu'il maitrisait encore la situation.

Quitte à accepter de suivre Lila ou Chloé en salle de permanence pour les aider sur un exercice de physique ou d'une autre matière quelconque, sans réaliser que le cœur de Marinette se brisait en mille morceaux à chaque fois qu'elle le voyait s'éloigner avec l'une ou l'autre de ces jeunes filles.




- « Je ne comprends pas ce qu'il se passe », gémit Marinette, après qu'Adrien se soit une fois de plus éclipsé sous le premier prétexte venu durant la pause de midi.

La jeune fille était assise à l'une des tables de la cour du lycée, tête enfouie dans ses bras croisés, face à Nino et Alya qui semblaient tout aussi désemparées qu'elle. Les deux adolescents n'avaient pas besoin de demander à Marinette de quoi elle parlait, sachant pertinemment quel était le sujet de ses préoccupations.

Adrien.

Cela faisait à présent presque une dizaine de jours que l'étrange manège du jeune homme avait commencé, et aucun d'entre eux n'avait la moindre idée de ce qui pouvait motiver leur ami à agir ainsi.

Alya tendit la main par-dessus la table pour serrer affectueusement le bras de sa meilleure amie, avant de jeter un coup d'œil désolé à Nino.

- « Et toi », lui demanda-t-elle pour ce qui était probablement la centième fois depuis une semaine, « Adrien ne t'as rien dit ? »

- « Il ne me parle plus à moi non plus », répliqua amèrement le jeune homme, tout en écartant les bras en un geste d'impuissance. « J'ai essayé, mais il refuse de m'écouter ou de me dire quoi que ce soit. »

Marinette se redressa légèrement, évitant soigneusement de croiser les regards inquiets que ses deux amis posaient à présent sur elle. Comme tous les couples, Adrien et elle avaient eu leurs hauts et leurs bas, mais jamais leur relation n'avait été aussi douloureuse pour la jeune fille qu'elle ne l'était à présent. En comparaison, même les périodes où Marinette avait été maladivement jalouse de Lila ou encore celle où Chloé s'était acharnée sur la jeune héroïne semblaient avoir été faciles à vivre.

A l'époque, au moins, Adrien lui parlait encore.

Plus comme maintenant.

Passant lentement ses mains sur son visage pour tenter de garder un semblant de contenance, Marinette laissa échapper un lourd soupir.

Adrien lui manquait.

Son absence lui pesait un peu plus chaque jour, l'oppressant tel un étau qui lui aurait insidieusement comprimé la poitrine et qui se serait serré un peu plus à chaque nouvelle défection de son partenaire. C'était comme si le jeune homme avait été l'oxygène qui lui avait permis de respirer jusque-là, et à présent qu'il la fuyait, Marinette se sentait suffoquer, presque jusqu'à l'étouffement.

Le pire était pour elle de ne pas savoir ce qu'il se passait exactement, et la jeune fille était persuadée que cette ignorance allait finir par la rendre folle.

Quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, elle ne cessait de réfléchir à toutes les hypothèses qu'elle pouvait envisager pour expliquer le brutal changement de comportement d'Adrien, tout en sachant qu'elle ne saurait probablement jamais ce qu'il en était exactement tant que le jeune homme refuserait de discuter avec elle. Cette éprouvante situation vidait peu à peu Marinette de toute son énergie, au point qu'elle aurait ardemment souhaité pouvoir éteindre son cerveau ne serait-ce qu'un instant, pour obtenir de minuscules moments de répit avant de se torturer de nouveau avec ses questions sans réponses.

- « Je ne sais pas quoi faire », murmura-t-elle soudain, d'une voix que l'émotion faisait à présent trembler. « Il ne veut pas me voir. Il ne veut pas me parler. A part peut-être me transformer en Ladybug pour le ligoter et le forcer à m'écouter, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour que les choses changent », conclut-elle en laissant échapper un petit rire qui ressemblait étrangement à un sanglot.

- « Plagg saurait peut-être ce qui lui arrive », lui fit remarquer Alya d'un ton qui se voulait apaisant. « Tu lui as demandé ? »

- « Comment est-ce que j'aurais pu ? », s'exclama Marinette, levant les mains au ciel dans un mouvement de désespoir. « Manifestement, Adrien refuse de rester dans un rayon de moins de trois mètre autour de moi, à moins d'y être contraint et forcé. Ça fait plus d'une semaine que je n'ai pas réussi à lui parler une seule fois. »

La jeune fille déglutit péniblement, hésitant à poursuivre. Elle se sentait fiévreuse, sa tête lui tournant tant qu'elle en était presque étourdie. En toute lucidité, ses nerfs étaient probablement bien trop à fleur de peau pour ce qu'elle s'apprêtait à dire, mais elle en avait trop lourd sur le cœur pour ne pas demander le soutien de ses amis.

- « C-C'est juste... Peut-être... Peut-être qu'il est en train de me quitter... », laissa-t-elle échapper d'une voix étranglée, tandis que les larmes de détresse qu'elle avait jusque-là désespérément tenté de retenir venaient noyer ses immenses yeux bleus.

En dépit des nombreuses conversations qu'elle avait déjà eu avec ses amis sur l'étrange comportement du jeune homme, c'était la première fois qu'elle osait formuler à voix haute cette pensée qui la torturait depuis maintenant plusieurs jours. Malgré tous les efforts qu'avait déployé Marinette, elle n'arrivait pas se débarrasser de cette idée empoisonnée depuis que cette dernière avait vicieusement fait incursion dans les méandres de son cerveau. Après tout, peut-être s'était-elle trompée en imaginant que tout allait bien entre Adrien et elle. Peut-être son partenaire songeait-il à se séparer d'elle depuis un certain temps déjà, et qu'il ne savait pas comment aborder le sujet avec elle.

Des larmes d'impuissance roulaient maintenant sur ses joues, coulant sans discontinuer jusqu'à la pointe de son menton où elles s'agglutinaient pour ensuite chuter lourdement sur ses genoux. Alya se leva d'un bond de son banc, abandonnant Nino pour venir s'asseoir prestement aux côtés de Marinette. Elle passa hâtivement un bras protecteur autour des épaules de la jeune fille en pleurs, comme si elle craignait à tout instant de voir sa meilleure amie s'effondrer en mille morceaux si personne ne venait la maintenir en une pièce.

- « Ne dis pas de bêtises », la sermonna-t-elle en passant doucement une main dans son dos. « Adrien est fou amoureux de toi, tout le monde le sais ! »

Alors que Nino approuvait ces dernières paroles à l'aide de vigoureux mouvements de tête, Marinette passa rageusement ses mains sur ses joues, tentant maladroitement de contenir le flot de larmes qui déferlait à présent sur sa peau pâle.

- « Mais alors p-pourquoi ? », hoqueta-t-elle péniblement. « P-Pourquoi est-ce qu'il r-refuse de me parler ? Il ne me dit plus rien, c'est même à peine s'il m-me dit bonjour. J-Je ne comprends pas. Je ne comprends plus rien. »

- « Je ne sais pas », murmura Alya en se mordant nerveusement les lèvres, serrant si fort Marinette dans ses bras que ses boucles rousses se retrouvaient à leurs tours baignées des larmes de la jeune héroïne. « Je ne sais pas ce qu'il lui arrive, mais je suis certaine qu'il t'aime. Je n'ai vraiment aucun doute là-dessus. »

- « I-Il n'y a qu'avec moi qu'il est comme ça », rétorqua Marinette avec désespoir. « Enfin, a-avec vous aussi, mais je suppose que c'est à cause de moi. Il s'est même rapproché de Lila ! S-Si ça se trouve, il veut sortir avec elle et il ne sait pas comment me le dire... »

- « Ne dit pas de bêtises ! », l'interrompit vivement sa meilleure amie. « Tu sais aussi bien que moi qu'Adrien ne supporte pas Lila et que la seule raison pour laquelle il lui parle c'est parce qu'il est trop gentil pour dire non quand quelqu'un lui demande de l'aide ! »

- « Oui », renchérit Nino avec tout autant d'ardeur. « Je ne sais pas ce qu'il se passe avec Adrien, mais je suis certain que ça n'a rien avoir avec Lila. Marinette », reprit-il en se penchant vers la jeune fille, l'obligeant à le regarder droit dans les yeux. « Adrien est mon meilleur ami. Je ne prétends pas être aussi proche de lui que toi, mais s'il y a une chose dont je suis sûr, c'est qu'à ses yeux, tu es un des personnes les plus importantes au monde. Peut-être même LA plus importante. Et tu le connais aussi bien que moi pour savoir qu'il ne te blesserait jamais volontairement. Il se passe autre chose. »

La jeune fille hocha machinalement la tête, essuyant ensuite la peau humide de ses joues, avant de se moucher vigoureusement dans le mouchoir que lui tendait Nino. Un moment de silence s'installa brièvement entre les trois amis, seulement troublé par les légers reniflements de Marinette.

- « Q-quoi qu'il se passe réellement, il refuse de m'en parler », reprit-elle d'une voix rauque. « Il ne veut pas de mon aide, ou il ne me fait pas confiance. Je suis complètement perdue...», conclut-elle en battant furieusement des paupières pour tenter de contenir un nouveau débordement de larmes, tandis que Nino et Alya échangeaient un regard affligé.

Marinette se mordit violement l'intérieur de la joue, tentant de se concentrer sur la peine lancinante qui se diffusait dans ce morceau de chair tendre pour retrouver son calme. Elle avait la sensation que son cœur était prêt à exploser de douleur, à voler en une myriade d'éclats sous le coup des rudes chocs que lui infligeait l'attitude d'Adrien.

Il y avait une explication, c'était certain.

Mais le silence de son coéquipier blessait Marinette plus qu'elle ne l'aurait jamais cru possible.

Elle avait la déchirante impression d'être en train de perdre Adrien.

Son précieux partenaire.

Son grand amour.

Son meilleur ami.

Son indéfectible soutien.

Ce garçon représentait beaucoup trop pour elle pour qu'il puisse disparaitre ainsi de sa vie.

Le choc était d'autant plus rude qu'encore à peine une dizaine de jours plus tôt, elle n'aurait pas douté une seule seconde qu'Adrien et elle partageaient une relation où régnait la confiance la plus absolue, et que rien ne pourrait faire qu'ils s'éloigneraient volontairement l'un de l'autre.




Le son strident de la sonnerie résonna soudain dans la cour, indiquant à l'ensemble des lycéens qu'il était temps pour eux de regagner leur salle de classe. Nino parti devant alors qu'Alya s'attardait encore un instant auprès de Marinette. La jeune apprentie journaliste ne s'éloigna que quand sa meilleure lui affirma qu'elle tiendrait le coup et qu'elle avait seulement besoin de passer rapidement aux toilettes afin de s'assurer de présenter une figure acceptable avant de revenir en cours.

Prenant de profondes inspirations pour essayer de retrouver son calme, Marinette parcouru les couloirs du lycée d'un pas vif, avant de finalement pousser la porte des toilettes de ses mains encore tremblantes. Alors qu'elle se passait un filet d'eau glacée sur le visage pour tenter d'atténuer les rougeurs qui marbraient encore ses joues, Marinette continuait de réfléchir avec intensité.

Adrien.

Son cœur se serrait à la simple pensée du jeune homme, mais leur relation était bien trop complexe pour qu'elle puisse se contenter de juste attendre qu'il daigne un jour se tourner de nouveau vers elle. Quel que soit le problème qu'Adrien avait avec elle, les deux jeunes gens ne pouvaient décemment pas se permettre de repousser indéfiniment une inévitable conversation qui expliquerait pourquoi et comment ils en étaient arrivés là. Cela aurait été possible s'ils n'avaient été que de simples lycéens, sans autre enjeu que leurs vies sentimentales et sociales.

Mais ils étaient aussi Ladybug et Chat Noir.

Les héros et protecteurs de Paris.

Ils avaient une mission, et l'attitude d'Adrien risquait de les mettre tous deux en danger.

Poussant un lourd soupir, Marinette se pencha vers le miroir, passant doucement ses doigts encore humides sur le dessus de ses pommettes. Ses joues étaient peut-être légèrement plus empourprées qu'elles n'auraient dû l'être et ses yeux étaient encore un peu rougis par sa crise de larmes, mais si personne n'y regardait de trop près, cela passerait inaperçu. La jeune fille serra rageusement les poings, puis se dirigea rapidement vers sa salle de classe.

Il fallait impérativement qu'elle parle à Adrien, et le plus tôt serait le mieux.

Cette situation n'avait que trop duré.




Malheureusement pour les fermes résolutions de Marinette, la jeune fille n'eut guère d'occasions d'approcher son partenaire durant le reste de la journée. Inconscient de l'état de profonde détresse dans lequel il plongeait sa coéquipière, Adrien continuait de disparaitre dès que Marinette ne faisait ne serait-ce qu'esquisser un mouvement vers lui, persuadé que c'était la meilleure chose à faire pour elle.

Pire encore, le jeune homme était dans un tel état d'épuisement qu'il n'était clairement plus en position de réfléchir. Les nuits presque blanches qu'il enchainait depuis maintenant une dizaine de jours faisaient désormais des ravages dévastateurs, l'empêchant de se concentrer sur quoi que ce soit et le rendant incapable de noter des faits qui d'ordinaire ne lui auraient même pas échappé durant une fraction de seconde. Lui qui pouvait d'habitude lire en Marinette comme dans un livre ouvert n'arrivait pas à réaliser que quelque chose n'allait pas chez la jeune fille, alors que les indices auraient été nombreux pour l'Adrien attentif qu'il avait encore été il y a peu de temps.

Le pâle sourire de Marinette, quand elle était revenue en cours après la pause de midi.

La peau légèrement gonflée sous ses yeux, trace encore visible de sa récente crise de larmes.

Ses traits crispés par la tristesse et l'inquiétude.

Ses yeux d'un bleu habituellement si lumineux, aujourd'hui voilés par un sourd désespoir.

Et les rumeurs.

Anonymes, insidieuses, empoisonnées, qui s'abattaient à présent sur sa partenaire et lui sans même que le jeune homme n'en ait conscience.

Car les instants de détresse de Marinette n'avait hélas pas échappés à tout le monde, et le bruit d'une rupture entre Adrien et elle s'était répandue comme une trainée de poudre durant l'après-midi, largement relayé par Lila et Chloé. Si les deux jeunes filles prenaient grand soin de ne pas mentionner ce fait devant leur blond camarade, elles n'hésitaient pas à rapporter vicieusement cette information à Marinette et à toutes les personnes possibles, tout en se vantant chacune d'être une nouvelle petite amie potentielle pour le célèbre mannequin.

Inconscient de cette situation, Adrien se sauva dès la fin des cours pour regagner son domicile. Ivre de fatigue, c'est à peine s'il salua Nathalie avant de monter s'enfermer à double tour dans sa chambre. Il déposa machinalement son sac sur son canapé, puis se dirigea vers son bureau, se lassant tomber sur sa chaise avant d'enfouir son visage entre ses bras croisés. Sa tête lui semblait aussi lourde que si elle était faite de plomb, tandis que la migraine qui était devenue sa fidèle compagne se rappelait de plus belle à son souvenir, diffusant une douleur lancinante jusque dans les moindres recoins de son crâne.

Adrien passa rageusement les mains dans ses boucles blondes, avant de laisser échapper un gémissement de désespoir.

Il fallait qu'il tienne.

Encore un peu.

Juste le temps de trouver comment s'en sortir, sans avoir à impliquer Marinette.

Juste un peu.

Sa seule et maigre consolation était que depuis que son père avait compris qu'il était Chat Noir, pas une seule nouvelle attaque n'avait eu lieu. Cela n'avait rien d'inhabituel, dans la mesure où il pouvait même parfois se passer un mois entier sans que n'apparaisse le moindre vilain, mais la dernière étincelle d'optimisme résidant encore dans le corps épuisé du jeune homme lui faisait espérer ardemment que ces instants de calme soient directement liés à la découverte de son identité.

Peut-être son père allait-il suspendre ses attaques dans le but de ne pas risquer la santé et la vie de son fils unique.

Peut-être tenait-il suffisamment à lui pour interrompre la terrible croisade qu'il avait jusque-là impitoyablement mené contre les héros de Paris.

Peut-être un dialogue serait-il même possible, afin de mettre fin à cette délirante situation.

Adrien se rattachait de toutes ses forces à cet espoir fou.

Espoir qui vola en éclat à peine quelques instants plus tard, balayé par un grondement sourd qui déchira tout à coup les cieux de Paris.

Un nouveau vilain venait de faire son apparition.

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