Chapitre 13
Chat Noir déglutit péniblement, la gorge soudainement sèche.
Très, très désagréablement sèche.
Comment avait-il pu commettre une telle erreur ? Il n'y avait aucune chance que Chat Noir connaisse la présence d'une pareille installation. Seuls les membres de la famille Agreste et leurs proches étaient au courant de l'existence de ce système. Marinette elle-même ignorait que son domicile était ainsi capable d'être défendu, telle une forteresse bardée de métal.
- « Oh, et bien, j'ai seulement supposé qu'une maison de cette taille était forcément équipée d'un tel système », se justifia Chat Noir d'une voix où il espérait sincèrement avoir réussi à camoufler toute trace de sa soudaine fébrilité. « Quelle chance que j'ai deviné juste », conclut-il avec un rire nerveux.
Son père lui jeta un regard sceptique, que le jeune héros sentit peser sur lui comme un poids de plomb. Puis, à son grand soulagement, le styliste décida manifestement de ne pas approfondir la question, se détournant de lui pour reporter son attention sur la console qui lui permettait de diriger son système de défense.
Tous se regroupèrent autour de l'écran de surveillance pour observer l'avancée de l'armée de Jackady. Les malheureux contrôlés par le super-vilain se jetaient de tous leurs poids contre la colossale grille qui fermait l'entrée de la propriété, telle une marée humaine se fracassant avec une extraordinaire force contre cette herse métallique. Cet océan d'hommes et de femmes ne refluait que pour s'écraser de plus belle, arrachant de sourds grincements aux gonds qui finirent par céder dans un atroce bruit de métal qui se déchire.
Horrifiés, Ladybug et Chat Noir regardèrent avec impuissance la foule déferler dans la cour.
- « Adrien ! », s'exclama soudain Gabriel Agreste, à la grande surprise de Chat Noir qui sursauta vivement. « Mon fils est en danger ! »
- « Je vais m'assurer que tout va bien », répliqua aussitôt Ladybug, qui, bien que sachant parfaitement que l'héritier de la famille Agreste ne se trouvait pas dans sa chambre, ne s'en inquiétait pas moins pour le pauvre Nino.
Son ami n'avait aucune chance de résister si les êtres contrôlés par Jackady envahissaient la chambre de son partenaire. Nathalie lui tendit rapidement une télécommande qui lui permettrait de franchir sans encombre les portes blindées, puis la jeune fille s'éclipsa hâtivement par une fenêtre. Pendant ce temps, Chat Noir jeta un regard circonspect au légendaire styliste qui continuait à fixer d'un air impassible l'écran de son système de surveillance. Etait-il possible que son strict père s'inquiète sincèrement pour lui ? Ou était-il seulement préoccupé par les répercussions qu'une telle attaque pourrait avoir sur sa carrière ? Des deux options, le jeune homme espérait de tout son cœur que la première soit la plus proche de la réalité.
Alors que les secondes s'écoulaient implacablement, la horde à la solde de Jackady pénétrait de plus en plus profondément dans les entrailles du manoir, au point qu'il parut bientôt évident au jeune héros que s'il ne faisait rien pour essayer d'en neutraliser au moins quelques-uns, ses proches et lui allaient rapidement se faire submerger par le nombre de leurs adversaires.
- « Il faut que j'y aille », lança-t-il à son père et son assistante. « Vous, ne bougez-pas d'ici ! »
- « Je ne laisse personne me dicter ma conduite », rétorqua Gabriel d'un ton sec, relevant orgueilleusement le menton.
- « Je vous demande juste de faire preuve d'un minimum de bon sens ! » répliqua Chat Noir, exaspéré. « Restez en sécurité ici, Ladybug et moi nous occupons du reste ! »
Le jeune homme s'attendait à ce que son père lui réponde vertement, mais à sa grande surprise, il se contenta de hocher la tête avec un petit sourire.
- « Vous avez du caractère », répondit-il. « J'aime ça. Allez-y », conclut-il en congédiant le héros d'un geste de la main.
Le héros se retint de lever les yeux au ciel, puis se faufila par la fenêtre pour tenter de freiner la marée humaine qui déferlait sur le manoir.
Durant de longues minutes, Ladybug et Chat Noir se battirent de toutes leurs forces, tentant désespérément de ralentir l'armée qui fondait sur eux. Individuellement, les deux héros étaient très largement plus forts, plus rapides et plus agiles que chacun de leurs assaillants, mais des derniers tiraient avantage de leur nombre, fondant sur eux vague après vague comme s'ils cherchaient à les noyer sous la masse.
Quand les deux adolescents réussirent enfin à s'extraire de cette foule grouillante, ils se ruèrent en direction du bureau. Le cœur de Chat Noir rata un battement quand il en aperçut les portes enfoncées, et il eut l'impression que ce vital organe se décrochait de sa poitrine lorsqu'il réalisa que son père avait disparu.
Jackady avait atteint son but.
Alors qu'une bouffée de panique menaçait de submerger Chat Noir, Ladybug l'attrapa vivement par le bras, interrompant un instant la progression de cette vague d'angoisse.
- « Le studio ! », lui lança-t-elle d'une voix pressante, le ramenant brutalement à la réalité. « Le vilain voulait l'emmener sur le plateau de l'émission, ils sont sûrement là-bas. »
Chat Noir hocha vivement la tête, et s'aidant respectivement de leur bâton et de leur yo-yo, les deux héros se ruèrent en direction des studios de télévision où tout avait commencé.
C'est à peine une poignée de minutes plus tard que les adolescents franchirent les portes de l'immense pièce où avait eu lieu l'enregistrement de l'émission durant laquelle le malheureux hypnotiseur s'était cruellement fait humilier. Jackady trônait à présent fièrement au centre du plateau, avec à ses côtés le Gorille qui maintenait fermement Gabriel Agreste entre ses énormes bras.
- « Jaques a dit... tu es un papillon », lança le vilain d'une voix joyeuse, tout en envoyant l'une de ses cartes droit dans le torse de son illustre otage.
Le célèbre styliste se mit à battre des bras comme s'il s'agissait d'ailes, laissant échapper de petits bruits ridicules tout en tournoyant autour de la scène. Jackady le suivit des yeux avec un ricanement satisfait, avant de se tourner vers la caméra.
- « Voyez comment le légendaire Gabriel Agreste se plie à ma volonté », s'écria-t-il, une lueur démente brillant dans ses yeux exorbités.
- « Ma Lady... », murmura Chat Noir d'une voix tendue, incapable de détacher son regard horrifié du spectacle qui se déroulait sous ses yeux.
- « Je sais, chaton », répliqua sa coéquipière sur le même ton. « On va le sauver. » Elle s'interrompit un instant, le temps de prendre une profonde inspiration. « Lucky Charm ! », hurla-t-elle.
Une nuée d'étincelles tourbillonna au-dessus de sa tête, avant de s'évanouir pour laisser place à un yo-yo.
Un simple yo-yo.
La jeune fille s'interrogea brièvement sur l'utilité d'un tel objet, dans la mesure où elle possédait déjà une arme remplissant exactement la même fonction, puis, voyant Jackady se tourner vers eux avec un sourire mauvais, elle accrocha rapidement l'objet à sa hanche pour se ruer vers son adversaire.
La victime du Papillon balança une myriade de cartes vers les deux héros, mais Chat Noir s'interposa, maniant son bâton avec tant de maestria qu'il réussit à écarter sans la moindre peine chacun de ces dangereux rectangles de papier. Ladybug tenta de profiter de l'ouverture dans la garde de leur adversaire pour lancer vers lui son yo-yo magique, mais à sa grande surprise, l'homme réagit avec une vitesse stupéfiante.
- « Jacques a dit... ton yo-yo ne sert à rien ! », hurla-t-il en lançant une carte sur le précieux objet.
Dont la corde se rompit aussitôt.
Abasourdie, Ladybug regarda son yo-yo rouler au sol, inutile.
Elle était désarmée.
Profitant de sa confusion, Jackady se tourna de nouveau vers Gabriel Agreste.
- « Jacques a dit... tu es un avion, et il est temps pour toi de prendre ton envol », s'exclama-t-il en lui lançant une nouvelle carte.
Avec un hoquet d'horreur, le jeune homme vit son père étendre les bras de part et d'autre de son corps tout en imitant un bruit de moteur avec ses lèvres, avant de se ruer vers une cage d'escalier voisine. Il s'apprêtait à s'élancer à sa suite, quand Ladybug le retint vivement par le coude.
- « Chat Noir ! », s'écria-t-elle.
- « Il faut que j'aille le sauver », répondit le jeune homme d'une voix suppliante.
- « Si on arrive à battre Jackady, on rompra le sortilège », répliqua sa partenaire, levant vers lui ses immenses yeux bleus où se lisait une vive inquiétude. « Je n'ai plus d'arme, chaton. Je n'y arriverai pas sans ton aide. »
Chat Noir se mordit la lèvre, en proie à un véritable déchirement intérieur. Qui aider en priorité ? Son père ? Sa précieuse coéquipière ? La raison l'emporta rapidement. Ladybug avait raison. Sa partenaire courrait elle aussi un grave danger s'il la laissait seule et désarmée face à leur adversaire, tandis que s'ils arrivaient à se débarrasser de Jackady, son père serait sauvé.
Faisant tournoyer son bâton, il se plaça aux côtés de la jeune fille, son regard d'un vert intense étincelant d'une vive résolution. Les deux héros se ruèrent vers Jackady, contrant ou esquivant miraculeusement chacune des cartes qu'il tentait d'envoyer sur eux pour les contrôler. Par chance, le Gorille semblait incapable de faire preuve de la moindre initiative, et durant ce confus affrontement, il resta debout sur le côté de la scène sans manifester de volonté d'intervenir.
Mais bien que manifestement trop occupé pour songer à intimer de nouveaux ordres au garde du corps, Jackady n'en restait pas moins une réelle menace à lui tout seul. Il réussissait à merveilleusement anticiper les déplacements des deux héros, prenant toujours grand soin de rester hors de portée de leurs coups. Ladybug serra les dents de rage. L'homme savait parfaitement qu'elle était privée de son yo-yo magique, et il s'arrangeait systématiquement pour rester suffisamment éloigné d'elle pour être hors d'atteinte d'attaques au corps à corps.
A moins que...
La jeune fille eut soudain l'impression qu'un lumineux déclic se faisait dans son cerveau.
Elle porta rapidement sa main à sa hanche pour attraper le second yo-yo que son pouvoir avait fait apparaitre quelques instants plus tôt, puis, d'un vif mouvement de poignet, l'envoya droit dans la mâchoire du vilain. Ne s'attendant pas à une attaque à distance, celui-ci prit le coup de plein fouet, et sous les effets combinés du choc et de la surprise, ses doigts laissèrent échapper le paquet de cartes qu'il tenait à la main.
Chat Noir, qui n'avait rien manqué de l'action, ne laissa pas échapper une telle opportunité.
- « Cataclysme ! », hurla le jeune homme en se précipitant sur l'objet, bras tendu.
En une fraction de seconde, tout était fini.
Alors que l'amas de cartes achevait de se désagréger, Ladybug lança son second yo-yo dans les airs afin de réparer les dégâts qui avaient été causés à son arme magique. En une fraction de seconde, cette restauration surnaturelle s'effectua avec un éblouissant succès, permettant ainsi à l'héroïne de pouvoir enfin purifier l'akuma qui s'échappait du paquet en décomposition.
Dès que sa partenaire eut fini son œuvre, Chat Noir tourna précipitamment sur ses talons.
La gorge serrée d'inquiétude et le cœur au bord des lèvres, il se précipita sur le toit, escaladant quatre à quatre les marches avant d'ouvrir à toute volée la porte de la cage d'escalier. Le jeune homme vacilla de façon à peine perceptible en découvrant le spectacle qui s'offrait à ses yeux. Devant lui se tenait un Gabriel Agreste visiblement en parfaite santé, qui observait les toits de la capitale d'un air dubitatif, se demandant manifestement comment il avait fait pour atterrir ici. Le héros de Paris dû faire un effort surhumain pour se retenir de hurler de joie, tandis qu'un indicible soulagement s'emparait de lui.
Son père allait bien.
Chat Noir s'appuya un instant contre le chambranle de la porte, sentant que ses jambes flageolantes menaçaient de l'abandonner à tout instant. Ladybug surgit à ses côtés, et comme si elle lisait dans les tumultueuses pensées du jeune homme, elle lui adressa un large sourire de réconfort tout en lui serrant affectueusement l'épaule de ses doigts fins. Ses yeux qui le dévisageaient avec inquiétude s'étaient fait d'un bleu plus profond que celui des ciels de soir d'été, et Chat Noir se sentit soudain envahi par une immense bouffée de gratitude pour sa précieuse coéquipière. Conscient de la présence de son strict père, le jeune homme dû fournir un véritable effort pour s'empêcher de se jeter sur Ladybug pour la serrer de toutes ses forces contre son cœur. Au lieu de ça, il se contenta de lui adresser un sourire débordant de reconnaissance, espérant de tout son coeur qu'elle percevrait le message.
Les deux héros s'avancèrent ensuite vers Gabriel Agreste, qui se retourna vers eux en entendant le bruit de leurs pas.
- « Et bien, on dirait qu'on vient de vous sauver », fanfaronna Chat Noir pour dissimuler son trouble, tout en tendant négligemment la main vers son père. « Surtout, ne nous remerciez pas, nous avons juste fait notre devoir. »
Le styliste le fixa avec un regard indéchiffrable, et le jeune homme se demanda avec une certaine appréhension s'il n'avait pas poussé le bouchon un peu trop loin. Parmi toute une foule d'autres choses, son intraitable père détestait être redevable à qui que ce soit. Tout comme il haïssait faire quoi que ce soit sous la contrainte. Sous sa calme apparence, il devait probablement être en train de bouillir intérieurement de rage.
Puis, à la grande surprise du jeune héros, les lèvres sévères de Gabriel Agreste s'étirèrent de façon à peine perceptible, formant un étonnant semblant de sourire.
Il saisit la main tendue de Chat Noir dans ses longs doigts, la serrant avec ce qui semblait être une certaine reconnaissance. Le jeune homme en était muet de stupeur. Il s'était attendu à voir son père sortir l'une de ces méprisantes tirades dont il s'était fait une spécialité, à leur rétorquer avec arrogance qu'il ne leur était redevable en rien, à ce qu'il s'en aille en les ignorant superbement... à tout sauf cette amicale poignée de main.
Perdu dans ses pensées, Chat Noir mit un instant à réaliser que le regard perçant de son père était fixé sur ses doigts. Il se dégagea rapidement, aussi naturellement que possible, sans pour autant réussir à ignorer le désagréable frisson qui venait de lui parcourir l'échine. Il aurait souhaité que ce ne soit que le fruit de son imagination, mais il était quasiment certain que les yeux inquisiteurs de Gabriel Agreste s'étaient attardés un peu plus qu'ils ne l'auraient dû sur sa bague.
Le jeune homme secoua vivement la tête, essayant de reprendre ses esprits tandis que Ladybug serrait à son tour la main du styliste avant de le raccompagner aimablement vers la cage d'escalier. Le regard qu'avait jeté son père n'avait probablement rien de significatif. Il avait dû être juste curieux de voir un pareil bijou au doigt d'un super-héros. Ou il avait peut-être reconnu l'objet pour l'avoir déjà aperçu dans le livre sacré.
Un bip impérieux de ladite bague le ramena rapidement à la réalité. Il valait mieux pour lui qu'il ne s'attarde pas trop sur ce toit, bien trop exposé aux regards indiscrets pour permettre une tranquille détransformation.
- « On devrait y aller », lui lança Ladybug, semblant partager ses pensées alors que son miraculous se mettait à biper à son tour.
Les héros de Paris s'élancèrent de toit en toit, jusqu'à trouver une tranquille petite ruelle où ils pourraient se détransformer en toute quiétude. Ils s'exécutèrent rapidement, puis se hâtèrent de nourrir de cookies ou de fromage leurs kwamis affamés. Les deux adolescents avaient impérativement besoin que Plagg et Tikki soient de nouveau en mesure de les transformer le plus vite possible, pour leur permettre de regagner discrètement leurs chambres respectives d'où ils n'auraient jamais dû disparaitre. Chaque minute qui s'écoulait représentait pour eux un danger supplémentaire que leurs incartades n'aient été découvertes, et la tension était palpable. Marinette ne tenait absolument pas à ce que ses parents croient qu'elle puisse volontairement trahir leur confiance alors qu'ils lui avaient fermement ordonné de ne pas bouger de chez elle, tandis qu'Adrien ne voulait quant à lui pas courir le risque d'être sévèrement puni pour s'être éclipsé de sa chambre en pleine attaque d'un super-vilain. Il n'osait même pas imaginer les sanctions qu'était capable de lui imposer son inflexible père s'il se rendait compte que son fils avait désobéi à un de ses ordres dans une aussi dangereuse situation.
Pendant que Tikki et Plagg reprenaient tranquillement des forces, Marinette se pencha vers Adrien.
- « Est-ce que ça va ? » s'inquiéta-t-elle, préoccupée par son silence, qui s'éternisait depuis qu'ils avaient quitté le sommet des studios de télévisons.
- « Moi ? », s'exclama Adrien, sursautant vivement. « Oui, je... Je voulais te dire merci, en fait. Pour aujourd'hui », précisa-t-il en voyant sa coéquipière lever un sourcil intrigué. « Je sais que mon père... Enfin, mon père et moi sommes loin d'avoir ce qu'on pourrait qualifier de relation normale, ni même de bonne relation mais... Mais je tiens vraiment à lui », poursuivit-il en battant furieusement des paupières pour tenter de contenir les larmes qui lui montaient aux yeux.
Des larmes de soulagement, de peur, de joie, de frustration... D'un trop-plein d'émotions qui ne demandait qu'à déborder.
- « Depuis que ma mère est... Depuis qu'elle... Enfin bref, c'est la seule famille qu'il me reste, tu comprends ? », reprit le jeune homme après un pénible raclement de gorge, retrouvant peu à peu son calme. « Alors, je... merci. Merci. Sans toi, je n'aurais sûrement pas été capable de le sauver. »
Marinette le fixa un instant sans prononcer la moindre parole, à la fois parce qu'elle avait soudain la gorge si serrée qu'elle n'était plus sûre de pouvoir faire confiance à sa voix, et parce qu'elle ne savait pas quoi répondre à son cher partenaire. Voir à quel point Adrien tenait à son père et voir à quel point il était si peu récompensé pour cet amour démesuré lui brisait littéralement le cœur, la laissant tremblante, le souffle court et les larmes aux yeux.
Elle détestait voir Adrien ainsi.
Et dans ces instants, elle détestait Gabriel Agreste pour tourmenter autant son fils, que ce soit volontaire ou non. Il n'y aucune excuse à tant d'indifférence.
Elle tendit les bras vers le jeune homme, le serrant si brusquement contre elle qu'Adrien en eut le souffle coupé.
- « Woaaa, ma Lady, tu tiens tant que ça à ce que je meure étouffé ? », s'exclama-t-il avec un léger rire.
- « Idiot de Chat », répliqua-t-elle, le pressant de toutes ses forces contre son cœur.
- « Ton idiot de Chat », compléta le jeune homme avec un malicieux sourire qu'elle pouvait sentir contre la peau de sa nuque.
Adrien se sentait soudain beaucoup plus léger, comme si un lourd poids avait enfin été ôté de ses épaules. Son père allait bien. Marinette était avec lui. Ce pénible après-midi se terminait bien mieux qu'il n'aurait osé l'espérer ne serait-ce qu'une heure plus tôt.
- « Je pensais que depuis le temps, il n'y avait plus besoin de le préciser », grommela la jeune fille.
- « On ne le précise jamais assez, ma Lady », rétorqua Adrien avec un merveilleux éclat de rire, reculant juste assez pour pouvoir déposer un baiser sur le front de sa partenaire. « Ma Lady », répéta-t-il avec délice.
- « Mon chaton », répliqua-t-elle en riant.
- « C'est beaucoup mieux », répondit le jeune homme en se penchant vers son adorable partenaire pour capturer ses douces lèvres avec les siennes.
Un instant, Marinette songea à lui faire remarquer qu'en tenant ainsi sa bouche occupée, il ne risquait pas de s'entendre murmurer d'amoureux « mon chaton » avant un certain temps, mais elle se ravisa rapidement. D'autant plus rapidement que la langue du jeune homme se frayait à présent un chemin entre ses dents, invitant lascivement la sienne à une passionnante danse.
Taquiner Adrien était certes un passe-temps très intéressant, mais l'embrasser était définitivement une bien plus addictive activité.
Les minutes s'égrenèrent à une vitesse stupéfiante, et rapidement, Tikki et Plagg furent de nouveau d'aplomb. Les deux adolescents se retransformèrent promptement, puis Chat Noir se pencha pour déposer un léger baiser sur les lèvres de Ladybug.
- « Bon, on se revoit en cours », lui glissa-t-il avec un tendre sourire.
- « Oui », approuva-t-elle joyeusement. « A demain ! »
Quelques instants plus tard, Adrien était de retour dans sa gigantesque chambre. Perdu dans ses pensées, le jeune homme se tenait debout face à son immense baie vitrée, tandis que Plagg se rassasiait de nouveau d'une impressionnante pile de camemberts.
En dépit des réconfortants moments qu'il venait de partager avec Marinette, Adrien se sentait toujours proie à un mélange confus d'émotions. Chacune semblait vouloir prendre tour à tour le pas sur la suivante, le laissant finalement épuisé et incapable de réfléchir. Trop de pensées tourbillonnaient dans sa tête, comme portées par un vent de tempête, tournoyant, s'entrechoquant, au point que le jeune homme n'arrivait pas à faire le tri.
Il était indubitablement heureux que son père soit sain et sauf. Heureux et soulagé.
La terreur glacée qui l'avait saisi quand Gabriel Agreste était tombé sous la coupe de Jackady avait été atroce, le rongeant jusqu'au plus profond de ses os, et il commençait à peine à réaliser que cet affreux cauchemar était enfin derrière lui.
Mais à sa grande honte, il éprouvait aussi presque une sorte de soulagement quant au fait qu'ait eu lieu une attaque clairement dirigée contre le célèbre styliste. Cela lui permettait presque d'atténuer la petite voix empoisonnée qui n'avait cessé de lui susurrer depuis des jours que le livre sacré n'était peut-être le seul objet lié aux miraculous sur lequel son père avait mis la main. Le jeune homme tentait désespérément de se convaincre que si Gabriel Agreste avait été le Papillon, il ne se serait certainement jamais volontairement placé dans une aussi périlleuse situation...
Un bruit de porte qui s'ouvre fit brusquement sursauter Adrien, l'arrachant à ses houleuses pensées.
Tandis que Plagg se hâtait de se dissimuler dans l'une des multiples cachettes qu'offrait la colossale pièce, le jeune homme pivota sur ses talons pour faire face au nouvel arrivant, avant de manquer de laisser échapper un hoquet de surprise.
Devant lui se tenait son père.
Bouche bée, Adrien le regarda s'approcher lentement de lui. Ce n'était clairement pas dans ses habitudes de venir ainsi dans sa chambre. D'ordinaire, quand Gabriel Agreste avait quoi que ce soit à dire à son fils, il le convoquait froidement dans son bureau comme s'il s'agissait de l'un de ses nombreux employés, avant de le congédier avec tout autant de détachement une fois ses inflexibles remarques terminées.
Jamais il ne venait le voir.
Le jeune homme déglutit péniblement, ne sachant absolument pas à quoi s'attendre, mais redoutant indéniablement le pire. Son père allait très probablement le sermonner pour l'attitude inconséquente qu'il avait eue plus tôt dans la journée. Non seulement Adrien s'était précipité dans les rues de Paris en sachant pertinemment qu'un vilain y rôdait à la recherche d'innocentes victimes qui lui permettraient de gonfler les rangs de son armée, mais il s'était aussi permis de tenter de tenir tête à son père après être arrivé sain et sauf dans le manoir familial, et ce sous les yeux de l'héroïne de Paris.
L'intransigeant Gabriel Agreste n'allait certainement jamais laisser passer une telle insolence.
Adrien se raidit légèrement lorsque son père s'arrêta devant lui, attendant avec résignation la rude remontrance qui allait certainement suivre.
Puis, sans le moindre signe avant-coureur qui aurait permis à Adrien de mieux appréhender ce qui allait se produire, le légendaire styliste se pencha en avant pour saisir son fils dans ses bras.
Dire que le jeune homme était stupéfait par l'insolite geste de Gabriel Agreste était une bien piètre description de la violence des sentiments qui s'abattirent en un instant sur l'adolescent. Il était ébahit, abasourdi. Paralysé de stupeur. Son esprit s'était soudainement vidé, à l'exception d'une voix effarée qui lui hurlait qu'il n'arrivait même plus à se rappeler de la dernière fois où cet homme l'avait ainsi serré contre lui. Ce n'était pas possible. De telles étreintes paternelles n'arrivaient que dans ses rêves les plus fous, ceux où sa mère était encore en vie et où son père lui confiait avec fierté à quel point il tenait lui aussi à lui. Ce n'était pas réel.
Pourtant, il sentait bien la chaleur des bras de son père autour de ses épaules.
Il entendait bien son souffle régulier s'échapper de lui tandis qu'il le serrait contre son torse.
Fermant les yeux comme s'il craignait de briser ce fragile instant, Adrien leva à son tour ses mains pour les passer autour de son père.
Il osait à peine y croire.
Son père le serrait dans ses bras. Son père s'était inquiété pour lui. Son père tenait à lui.
C'était inespéré.
Merveilleux.
Sans dire un mot, Gabriel se redressa, mettant fin à cette miraculeuse étreinte. Il fixa un instant le visage de son fils, un léger sourire flottant sur ses lèvres d'ordinaire si peu enclines à manifester la moindre émotion. Puis, instinctivement, ses yeux se portèrent sur la main qu'Adrien laissait encore reposer sur son bras.
Et tout bascula.
Adrien sentit soudain les muscles du styliste se raidir sous ses doigts.
- « Je n'avais jamais remarqué que tu portais une bague... » laissa lentement échapper ce dernier.
Surpris par la rudesse de son ton, Adrien leva les yeux vers son père, et sentit aussitôt ses entrailles se glacer d'effroi. Le visage de Gabriel Agreste s'était brusquement fermé, tandis que son regard fixé sur son miraculous s'était fait aussi dur que de l'acier.
L'homme tendit précautionneusement ses longs doigts vers la main baguée d'Adrien pour la porter à ses yeux. L'adolescent le laissa machinalement faire, aussi incapable de réagir que s'il avait été une innocente proie paralysée par les pupilles menaçantes d'un implacable prédateur. Il n'arrivait même plus à respirer, et seule la violente brûlure envahissant ses poumons le força enfin à reprendre une salvatrice goulée d'air, qui descendit en râpant sa gorge sèche comme si celle-ci avait été tapissée de milliers d'aiguilles.
Le regard glaçant de son père était toujours rivé à sa bague, avec ce qui ressemblait à présent presque à de la haine. Inconsciemment, les doigts de l'homme s'étaient resserrés autour de sa main, comme d'hostiles serres prêtes à s'emparer à tout instant sur son précieux miraculous.
Cette constatation fit à Adrien l'effet d'un brusque électrochoc, et le jeune homme retira vivement ses doigts de la poigne de son père avant de reculer instinctivement d'un pas.
L'atmosphère était si chargée en hostilité qu'il semblait presque à l'adolescent que l'air crépitait autour de lui. Son père esquissa un geste en sa direction, avant de finalement laisser retomber son bras le long de son corps. Les yeux plus froids que jamais, Gabriel Agreste jeta un regard mauvais à la bague de son fils, puis tourna sur ses talons pour sortir de la chambre d'un pas vif.
Terrifié, Adrien le regarda refermer la porte derrière lui.
Son esprit paniqué lui hurlait de fuir, de fuir le plus vite et le plus loin possible.
Il sait, réalisa-t-il avec désespoir.
Il sait tout.
Et il est dangereux.
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