Chapitre 2

NamJun rentra chez lui en regardant ses pieds. Beaucoup de choses lui traversaient l'esprit. D'abord, il ne comprenait pas ce que les gens reprochaient à HyeJin. Rien chez elle ne pouvait inciter les autres à lui en vouloir. Comme à lui, en fait. Les élèves du lycée le zieutaient sans arrêt, peu d'entre eux osaient lui adresser la parole. NamJun s'en fichait. Du moins, ça ne l'attristait pas : ça l'énervait. Parfois, quand il se réveillait dans la nuit, il se surprenait d'avoir rêvé faire comme ces jeunes déséquilibrés aux États-Unis. Il entrait dans son école, comme d'habitude, et sortait un énorme fusil d'assaut de nulle part, pour ouvrir le feu sur la foule, juste pour que tout le monde ait enfin une bonne raison de le haïr, de le juger, de s'éloigner de lui. Mais non, il était bien trop au-dessus de ça. Il devait rester le jeune homme brillant et calme qu'il était, au moins pour sa mère. Il valait bien mieux que ça.

Il claqua doucement la porte d'entrée, retira immédiatement ses chaussures. Une odeur de légumes en sauce s'élevait déjà, et flottait dans la maison. Le lycéen laissa son sac près des souliers et s'avança dans le salon. La cuisine ouverte dégageait des odeurs encore plus fortes.

- Salut m'man, fit-il en s'approchant d'elle pour laisser un baiser sur sa joue.

Celle-ci s'arrêta de touiller dans sa marmite et se tourna vers lui, souriante malgré les valises qu'elle avait sous les yeux. NamJun fut désolé de la voir ainsi, accueillant son fils en étant de bonne humeur, après avoir passé douze heures à travailler pour des clients désagréables.

- Tu as passé une bonne journée ? lui demanda-t-elle en le serrant doucement contre lui.

- Oui, ça a été.

- Et c'est tout ?

Le jeune homme resta un moment silencieux.

- Il y a une fille dans la classe de Jimin. Elle se fait harceler parce que les gens la trouvent grosse. Je l'ai croisé en revenant, elle se faisait taper dessus par un groupe de quatre filles.

- Seigneur...

- Je l'ai aidé. Rien qu'avec la réputation qu'on m'a collé sur le dos, elles lui ont fichu la paix tout de suite.

Sa mère ne répondit rien, et il espéra qu'elle n'ait pas relevé l'histoire de la réputation. Il n'avait pas envie d'en parler.

- Je lui ai donné mon numéro et notre adresse, ajouta-t-il, au cas où elle aurait de nouveau des problèmes.

- Tu as bien fait, lui répondit-elle en souriant.

NamJun lui rendit son sourire, bien que sur son visage, ça ressemblait plus à une grimace.

- Mais qu'est-ce que tu entends par "ta réputation" ?

Il leva les yeux en soupirant. Impossible de lui mentir. Sa mère avait toujours puni le mensonge plus que leurs autres bêtises, alors son frère et lui avaient tout bonnement cessé de lui cacher la vérité.

- Ils pensent que c'est moi qui ai mis Tae dans l'état où il est.

Le jeune homme savait qu'il aurait mieux valu qu'il se taise. Sa mère passait son temps libre au chevet de son frère. Chaque jour que Dieu faisait, elle rentrait lessivée, avec moins d'espoir à chaque fois. Cette fois-ci, la femme forte qui travaillait sans arrêt pour que personne ne manque de rien, s'abandonna dans les bras de son fils, et fondit en larmes.

- Pourquoi, Seigneur ?!

NamJun serra un peu plus les bras autours de ses épaules et déposa un baiser sur ses cheveux.

- Parce que la vie est une pute, maman.

Le lendemain matin, Jimin attendait de nouveau NamJun devant son casier. Moqueur, il avait déjà sorti la fameuse feuille où il recensait les soupirs. Mais, quand il vit le visage épuisé de son ami, il comprit que s'il y avait bien un jour où il allait devoir se calmer sur les blagues, c'était bien celui-ci.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il.

Le plus grand ne dit rien et se contenta d'ouvrir son casier pour y déposer quelques livres.

- Rien du tout, finit-il par lâcher.

- Rien du tout ?! Tu te fous de ma gueule ? T'as la tête d'un mauvais lendemain de soirée. C'est pas ton genre de te mettre dans cet état.

- Qui sait ? J'aurais de bonnes raisons.

- Nam'... t'es plutôt le genre qui vient caillasser ma fenêtre à 3 h du matin jusqu'à ce que je te laisse entrer.

NamJun soupira. Son ami se retint d'inscrire un nouveau bâton sur sa feuille de compte.

- J'ai passé la nuit à retourner la scène dans ma tête. À me demander si ça aurait pu se passer autrement. Parce que je vois ma mère qui en peut plus d'aller le voir tous les jours pour constater que rien n'a changé, et moi j'en peux plus d'essayer de la réconforter alors que moi-même, j'ai déjà plus aucun espoir. Et aussi, j'en ai marre qu'on m'accuse de ça.

Jimin ne sut quoi répondre. Son ami ne s'en était peut-être pas rendu compte, mais des grosses larmes striaient ses joues, et les lycéens qui passaient par là le jugeaient du regard. Il lui adressa une grimace compatissante, ne sachant trop comment réagir. Les larmes séchèrent rapidement, et au moment où les deux jeunes hommes allaient se séparer pour rejoindre leur classe, NamJun croisa le regard de HyeJin, cachant les bleus mal maquillés derrière sa tignasse de cheveux noirs. Elle le regarda à peine, et trottina à la suite de Jimin, se forçant à ne pas prêter attention aux moqueries et aux regards accusateurs des autres élèves.

HyeJin s'enferma dans un silence de mort. Elle rentra chez elle sans dire un mot. Ses parents n'eurent pas droit à un "bonsoir", mais ne semblèrent pas s'en formaliser. Elle passa le temps jusqu'au repas enfermée dans sa chambre, à faire vaguement ses devoirs. Contrairement à tous les autres, HyeJin ne voulait pas être la meilleure. Elle ne voulait pas non plus avoir un travail haut placé et bien payé qui lui nécessiterait de se tuer à la tâche dix heures par jour. Elle voulait juste dessiner. Faire ses tableaux, les vendre dans une galerie. Mais ses parents lui avaient confisqué tout son matériel un an plus tôt, quand elle était entrée au lycée. Elle n'avait jamais pu se procurer de nouveaux pinceaux, de nouvelles gouaches, de nouvelles toiles. Elle ne faisait que rêver des poils qui glissaient sur le grain dur de la toile vierge.

Ses parents se contentèrent de lui demander si elle avait bien travaillé la journée. Sa mère la réprimanda pour les bleus qu'elle avait sur le visage, et quand HyeJin tenta de lui expliquer d'où ils provenaient, elle lui fit signe de se taire. HyeJin termina donc son assiette en silence, et l'approcha à nouveau du wok qui trônait au milieu de la table pour se resservir. Sa mère la fusilla du regard, et posa le couvercle pour couvrir le plat avant qu'elle ait pu glisser la grande cuillère dedans.

- Non, tu ne reprends pas, dit-elle sèchement.

- Mais

- Tu es déjà assez grosse comme ça, HyeJin.

La jeune fille ne répondit rien. Les règles dans sa famille lui imposaient de devoir rester à table silencieusement, jusqu'à ce que ses deux parents aient terminé de manger. Ce soir-là, les deux étaient motivés à discuter de tout et de rien, sans vraiment manger. HyeJin s'efforça de supporter leur ennuyeuse conversation sans relever les remarques sur ses résultats scolaires, ou pire, sur son physique. L'œil au beurre noir qui trônait sur son visage revint plusieurs fois, et elle serra les dents. Le vase se remplissait doucement mais sûrement. Elle n'en pouvait plus de ne pas avoir un seul endroit sur Terre où elle pourrait être en paix avec son adolescence et son corps.

Cette fois-ci, elle n'allait pas rester là à endurer tout ça. L'image de ce garçon qui tenait Lisa par les cheveux, menaçant ses quatre bourreaux sans sourciller une seule fois, lui revint en mémoire. Elle le revit lui demander son téléphone d'une façon si autoritaire qu'elle avait cru qu'il était venu la sortir de là pour mieux la racketter par la suite. Au lieu de ça, elle avait un petit mémo avec son numéro de téléphone et son adresse. Tout compte fait, ça allait lui servir. Elle ne pensait pas en avoir besoin un jour, mais finalement, si. Elle posa ses baguettes sur son assiette, se leva, et sans un regard pour son père qui s'indignait qu'elle soit si irrespectueuse, alla poser le tout au-dessus du lave-vaisselle et monta à l'étage faire un sac avec quelques affaires.

Ses parents vociféraient des choses à moitié incompréhensible que HyeJin ne tenta pas de comprendre. Elle claqua la porte d'entrée après avoir enfilé son manteau et ses chaussures, et partit en direction de l'adresse, qu'elle savait sur le chemin du lycée. La pluie se mit à tomber à grosse gouttes, et bientôt, la jeune femme se retrouva trempée des pieds à la tête. Elle eut du mal à lire correctement son GPS à mesure que la pluie mouillait et brouillait l'image de son écran.

NamJun était plongé dans un manga, grignotant des petites chips de temps à autre, quand des coups secs se firent entendre à la porte d'entrée. D'abord peu sûr que c'était bien de ça qu'il s'agissait, il regarda son réveil digital sans bouger plus. Il était pratiquement 21 h, et personne ne prenait la peine de déranger la famille Kim à cette heure-ci. Pas depuis que TaeHyeong avait été admis en urgence à l'hôpital, et NamJun dévisagé partout où il avait l'audace de mettre les pieds.

Les coups reprirent de plus belle à peine une minute plus tard, et le jeune homme, inquiet qu'ils réveillent sa mère, endormie depuis plus d'une heure (il l'espérait), se décida à poser son livre à l'envers et à descendre les marches pour aller voir. Si la personne insistait tant, ce devait être important, et il souhaita de tout cœur que ce soit un médecin ou quelqu'un qui vienne lui apporter une bonne nouvelle concernant son petit frère.

Quelle ne fut pas sa surprise quand il trouva une jeune fille avec un œil au beurre noir, les cheveux aussi trempé que ses vêtements, le regarder avec des yeux mi-amusés, mi-épuisés.

- Désolée, je ne connais pas ton nom... 

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