Chapitre 6 : Compagnon de chambrette


C'est comme si le temps s'était arrêté, car aucun des trois n'osent dire un mot depuis de longues et interminables secondes. Ils sont attablés autour du plan de travail qui sert de table d'appoint, une tasse fumante servie devant eux. Daïria ne semble pas surprise par les événements, prenant simplement soin de la théière fumante tandis que Cæru regarde Astarion du coin de l'œil. Ce dernier est impassible, comme toujours, avec pour seul défaut son rictus peint sur les lèvres. Cela ne l'empêche pas de boire une gorgée de thé au miel, ses yeux rivés sur un félidé rougissant. 

- Vous auriez dû me dire que vous aviez de la compagnie. Elle s'installe en face d'eux, les sourcils froncés mais le sourire bien présent. Je ne suis pas de ceux qui critiquent les fréquentations des autres. Elle prend une gorgée et exprime son ravissement bruyamment. AH ! Elle claque la tasse férocement. En tout cas, plutôt que de faire entrer ce charmant jeune homme en douce, vous auriez pu l'inviter dignement.

- Vous avez bien raison. Astarion profite de la situation, riant sous cape. Cela m'aurait évité d'user de mes capacités de sournoiserie. Cæru tourne sa tête vivement, une légère veine faisant son apparition sur son front. 

- Oh oh, vous êtes un farceur, commence t-elle en se penchant sur la table, j'aime ça. 

- Vous êtes bien aimable. Sourit Astarion, croisant ses jambes élégamment. Je dirais même que votre charme n'est d'égale votre rondeur. 

Daïria rit fortement, plus que comblée et charmée par les pitreries d'un Astarion bien doué de sa langue. Cæru ne dit rien, les regardant se courtiser sous son nez. Il pourrait allègrement les ignorer l'un comme l'autre, mais il ne peut empêcher son regard de divaguer. Les voir se rapprocher, quand bien même est-ce par pur cordialité, ne l'enchante guère.

- Vous semblez bien vous entendre. Dit-il en regardant Astarion droit dans les yeux, un sourcil levé. 

- Voyons, ne vous méprenez pas. Commence l'aubergiste en souriant grandement. Votre homme est simplement d'une grande délicatesse. 

- Mon homme ? S'étrangle Cæru, avalant une gorgée de travers. Astarion lui tapote le dos, toujours habillé de ce sourire narquois. 

- N'est-ce pas là la relation qui vous unie ? Demande Daïria, la tête penchée, en attente d'une réponse. 

Les deux hommes se regardent, les yeux dans les yeux, avec une incompréhension totale. Ce sentiment est nouveau pour le félidé, mais beaucoup trop familier au goût de l'elfe. Il fait claquer sa langue sans s'en rendre compte, détournant le regard pour reprendre sa tasse. Cæru prend ce geste à tord. Peut-être est-il allé trop vite en besogne, mais dans son esprit s'est tout aussi embrumé que dans celui de Astarion. 

- Je dirais que nous sommes... Commence le félidé en regardant son reflet dans la tasse. 

- Compagnons. Termine Astarion en souriant à Daïria. 

Un petit silence se suit où une légère atmosphère d'inconfort s'est installée. La jeune femme se frotte la nuque, ressentant le malaise entre les deux hommes. 

- Il se fait tard. Dit-elle en regardant l'horloge, ne sachant pas quoi dire de plus. 

Elle débarrasse la table et nettoie le plan de travail. Astarion et Cæru ne se regardent plus, n'échangeant même pas un seul regard. Daïria avale bruyamment sa salive. C'est rare pour elle d'avoir une telle froideur dans l'air, elle qui a l'habitude d'apporter sa gaîté partout où elle passe. 

- Cela vous convient si vous faites compagnons de chambrette pour la nuit ? 

Deux têtes se lèvent comme un seul homme, regardant la jeune femme, avant de se regarder eux. Leurs yeux s'accrochent et la gêne prend place entre eux. Le félidé rougit, ses joues prenant feu, tandis qu'Astarion se met à tousser. 

- Je prend cela pour un oui ! Reprend t-elle avec un immense sourire. 

Malgré l'envie de crier non, l'un comme l'autre se lève et suivent le chemin en direction des escaliers. Ils souhaitent bonne nuit à Daïria, quand bien même la leur ne risque pas d'être réparatrice. Astarion n'est pas du genre à dormir énormément la nuit, et Cæru n'a aucune envie de partager son lit ce soir. Cette ambiance qui plane autour d'eux le met plus que mal à l'aise. Le fait qu'il ne parvient pas à mettre des mots clairs sur ce qu'il ressent enfonce un peu plus le clou. 

La porte se referme dans son dos, Astarion n'osant pas faire un pas de plus dans cette chambre déjà bien occupé. Le félidé regarde l'elfe un court instant du coin de l'œil mais ne lui accorde aucune parole. Il ne fait que s'asseoir sur le bord du lit, côté fenêtre. 

- Si tu le souhaites, je peux très bien dormir par terre. Commence l'elfe en avançant dans la pièce, les bras croisés.

- Ne dit pas de bêtise. Répond Cæru en fronçant les sourcils. Ce serait inconfortable et je risque de m'en vouloir.

- J'ai connu pire qu'un sol en bois. Enchaîne Astarion en pouffant, son regard rivé sur la ville endormie. 

- Il y a plus inconfortable qu'un sol ? Demande le plus jeune en penchant la tête, se demandant ce que regarde Astarion si intensément.

- Beaucoup plus. Dit-il de bout des lèvres. 

À ce moment là, le plus âgés n'a pas exactement les yeux posés sur la ville, mais plutôt sur des souvenirs sombres et glacés d'une vie qu'il tente encore aujourd'hui d'oublier. 

- Cela te convient si je prend le côté fenêtre ? Demande Cæru alors qu'il est déjà installé. 

Astarion sort de ses pensées, le regardant se glisser sous les draps tandis qu'il a retiré ses souliers. 

- Ce n'est pas comme si j'avais vraiment le choix, n'est-ce pas ? Astarion contourne le lit, qui heureusement pour eux est assez large, et s'allonge sur la couverture après s'être délesté de ses chaussures. 

- Tu risques d'avoir froid. Dit simplement le félidé en baillant grossièrement. Il est plus que fatigué par ces derniers jours plein d'émotion. 

- Je te l'ai déjà dit, j'ai connu pire. Il tourne son visage, regardant celui de Cæru qui s'apaise de seconde en seconde. Il n'y a aucune once de survie chez lui. Il se méfie mais au final s'endort sans rechigner près d'un inconnu qui l'a reluqué allègrement. Astarion sourit, d'un sourire tendre qu'il arbore rarement. 

Il lève sa main, caressant la joue du félidé du bout des doigts. Sa peau est douce mais surtout très chaude. Il arrête de l'embêter quand il le voit faire la moue dans son sommeil. Il finit par se tourner sur le flan, sans détacher son regard de ses réactions. Il est tout aussi expressif du faciès dans son sommeil. Il doit sans doute rêver au vue de cette moue qui ne quitte plus son visage. C'est aussi moche qu'adorable, pense l'elfe. 

Il s'installe plus confortablement, ne se souvenant plus de la dernière fois qu'il ait eu droit à un lit avec une couverture et un oreiller. Il ferait mieux d'en profiter car il ne sait pas ce que lui réserve demain. Cæru et lui s'en sont tirés à l'aide d'une pirouette mais cela ne risque pas de durer longtemps. Rester dans cette ville a des avantages, mais cela comporte un risque qu'il n'ai pas prêt à prendre. Il n'a plus la force de se battre, quand bien même sait-il encore manier la dague, il n'a plus le cœur à faire couler le sang. Si ses besoins étaient autre, il aurait très bien pu se tourner vers une vie bien meilleure, loin des baffons et des cachettes. 

Reportant ses yeux carmins sur le félidé, il soupire d'aise. Cela fait longtemps qu'il l'avait pas autant conversé avec quelqu'un et, bien qu'il ne le dira jamais, il aime beaucoup ce jeu du chat et de la souris. Bien évidemment, ce n'est pas lui qui joue le rôle de l'appât, cela va de soit. À dire vrai, le revoir lui a fait légèrement plaisir, même si ils auraient pu le faire dans d'autre circonstance. Ne lui en déplaise, il est un homme de chaire et d'envie. Cæru lui plait, c'est certain. Impossible pour lui de se l'avouer, et de l'avouer à quiconque, il possède une fierté haut placé. Pourtant, si il réagit de manière aussi agacé c'est simplement parce qu'il sent son cœur de glace se fissuré et cela ne lui plait guère. Il pourrait s'enfuir dans la nuit, comme il sait toujours si bien faire, mais il n'en a pas l'envie. Être à ses côtés le temps d'une nuit, encore une seule, le comble d'un sentiment qui le réconforte, et malgré son air impassible, son cœur bondit. 

Même si les prochaines heures risquent d'être longue, Astarion compte bien passer quelques unes à le regarder, et quelques autres à somnoler. 

____

Le soleil n'est pas encore au rendez-vous, et pourtant Cæru se réveille doucement. Passer une nuit de sommeil dans une chambre avec un lit, c'est bien plus revigorant qu'une caverne. Tandis qu'il ouvre péniblement les yeux, Astarion est à ses côtés. L'elfe dort paisiblement, et malgré le peu de luminosité, le félidé parvient à discerner son visage. Le plus jeune sourit, tout content de se réveiller avant lui. Cela semblait chose impossible, et pourtant il y est parvenu. Il doit être encore plus fatigué qu'à leur première rencontre pour dormir aussi profondément. Si il passe ses journées dans les forêts, sur le qui-vive continuellement, cela ne doit pas être de tout repos. Cæru compatit, même si il ne connait rien de lui, il comprend ce sentiment de devoir toujours faire attention aux autres. 

Il se tourne un peu, pour pouvoir mieux le regarder. Après tout, il peut se le permettre. Il n'est pas né de la dernière pluie et sait parfaitement que l'elfe l'a déjà fait au moins une fois, ce n'est donc rien de grave si il l'imite. C'est tout de même curieux à quel point Cæru a l'impression d'avoir un tout autre visage devant lui. C'est comme si Astarion portait un masque le jour, qui lui permet de dissimuler sa vraie nature. Ses traits sont détendus, son visage est reposé, et il semble bien plus expressif endormie que réveillé, c'est déconcertant. 

Emporté par sa curiosité toujours aussi maladive, le félidé dépose sans réfléchir sa main sur la tempe de l'elfe. Il parait surpris tant il est chaud au toucher. Il sourit tendrement en caressant sa peau au niveau de sa mâchoire, qu'il dessine de la pulpe de ses doigts. Il ne sait absolument pas ce qu'il est en train de faire. Il est absorbé par ce moment et par cet homme qui occupe ses pensées depuis leur rencontre. 

- Cela te plait ? Marmonne Astarion, les yeux fermés.

Cæru, pris au dépourvu, réagit lentement et recule en se sentant honteux. Malheureusement pour lui sa main est attrapé en plein vol par le plus âgé. Il ouvre doucement les yeux, battant des cils plusieurs fois, et pivote sa tête vers le félidé. 

- C'est de bonne guerre. Il porte la main à ses lèvres et embrasse les phalanges, encore groggy par le sommeil. 

- Je n'aurais pas dû... C'était déplacé. Dit-il du bout des lèvres en regardant sa main, toujours tenue par Astarion, se faire déposer sur le torse de ce dernier qui, heureusement pour eux deux, porte toujours sa chemise blanche. De la paume Cæru sent cette chaleur qui l'envahie tout entier. Il rougit encore.

- On ne peut pas dire que j'ai mieux fait. Marmonne encore l'elfe en se frottant les yeux, la main dans les cheveux. Ses boucles sont quelques peu défaites, mais voir ses cheveux retomber sur son front, couvrant presque son regard de fauve, met Cæru dans tous ses états. 

- Tu es parvenu à dormir ? Demande t-il pour changer de sujet, espérant se refroidir un peu. 

- Dormir est un bien grand mot. J'ai sommeillé quelques heures. 

- Heureusement, le lit est grand. Commence t-il en regardant vers le bas, ses pieds n'atteignant pas le cadre du lit. 

- Un lit étroit n'est pas mal non plus. Murmure Astarion en plaçant son bras sous sa tête. 

- Tu es friand de proximité. Remarque Cæru en fronçant les sourcils. 

- Dit celui qui me touche dans mon sommeil. Astarion gardera pour lui ce moment où il a lui même succombé, mieux vaut ne pas attiser le feu de bon matin.

- Moi au moins je ne regarde pas les autres prendre leur bain. Contre-attaque le félidé, fier de lui.

- Une balle partout ! Sourit l'elfe. Nous sommes à égalités... Pour l'instant.

Malgré le sommeil encore présent dans leurs muscles ils s'éveillent tout doucement. Ils s'échangent un sourire et sans trop savoir pourquoi ils se mettent à rire. Peut-être un rire d'inconfort mais cela leur fait du bien à tous les deux. Ils se détendent un peu plus, se permettant même de rapprocher de leurs corps. La queue de Cæru vient se faufiler sous les draps, se déposant sur la cuisse droite d'Astarion qui ne pipe mot, le regardant simplement un sourcil levé qui traduit "Tu veux donc jouer?". Cæru sourit légèrement, et continue de plonger son regard dans le sien. Il se répète inlassablement à quel point il trouve son regard profond et envoûtant. Ses yeux sont d'une grande beauté. 

- Tes yeux sont magnifiques. Ses pensées trahissent ses lèvres, et Cæru joint les paroles aux gestes, déposant sa main sur sa joue pour la caresser. Astarion est surpris par ce compliment. Quand bien même il en a tant reçu au cours de sa vie, c'est bien la première fois qu'on lui adresse avec tant de sincérité dans le regard. 

- Tu le penses vraiment ? Ne peut-il s'empêcher de rétorquer, comme si c'était impossible à ses yeux. Jamais il n'a eu la chance de revoir son reflet, encore moins d'admirer ses pupilles. 

- Astarion, je le pense vraiment. Tu es aussi bel homme que tes mots sont charmeurs. 

Ils s'échangent un sourire plus doux, plus tendre, et peut-être même une pensée commune. Astarion est touché, aussi profondément que son cœur le lui permette. Cæru semble aussi doué avec les mots qu'il l'est lui même avec les compliments, et cela n'annonce rien de bon pour son système cardiaque. À cet allure son cœur risque de battre à nouveau. Et tandis que leurs corps se rapprochent encore plus, jusqu'à briser leur bulle d'intimité, le soleil se lève doucement à travers les maisonnettes, perçant le brouillard du matin. Cæru sent alors la chaleur des rayons sur son dos, et c'est là que le drame prend place. 

Tandis qu'il sent le souffle d'Astarion sur ses lèvres il voit la lumière s'abattre sur la peau de l'elfe mais ce qu'il voit lui glace le sang. Sa joue brille quelques secondes avant de devenir grise pour ensuite s'évaporer dans la paume de sa main. Tout se passe en une fraction de seconde mais c'est assez pour que le félin voit sa peau prendre feu et laisser entrevoir la mâchoire de l'elfe. Ce dernier hurle sans se retenir tant la douleur sur son corps est vicieuse et puissante. Tel un brasier qui l'enflamme tout entier il recule, se prenant les pieds dans le draps et trébuche. Les rayons n'ont guère l'envie de le lâcher et continuent leur vil attaque, le rongeant tout entier. Astarion parvient à trouver un coin d'ombre dans la pièce, contre la porte d'entrée, seul endroit où le soleil ne l'atteint pas, pour l'instant. Il se tient la joue et sent ses dents, ainsi que ses muscles à vif. Il est défiguré pour un temps, et tant qu'il ne se nourrit pas son visage gardera celui de la mort. Cela faisait des décennies qu'il ne s'était pas fait avoir aussi aisément. 

L'elfe, sous le choc, est sonné par la douleur, plié en deux contre le bois. Il regarde brièvement Cæru qui n'en mène pas large. Toujours sur le lit il regarde sa main, celle-là même qui touchait Astarion quelques seconde auparavant. Il reste encore un peu de poussière qui tombe de sa paume pour venir s'échouer sur les draps. Leurs yeux s'accrochent de nouveau mais l'atmosphère a radicalement changée. L'un est effrayé alors que l'autre est blessé. 

- Tu es... Commence le félidé en regardant Astarion qui baisse les yeux. Ce même homme qui respirait l'assurance et la confiance quelques jours auparavant est devenu un être détruit. Son masque est littéralement tombé et Cæru ne sait absolument pas comment réagir. Son esprit lui hurle de fuir tandis que son cœur lui ordonne de réconforter l'elfe. 

- Vous êtes réveillé ? C'est le petit-déjeuner ! 

À ce moment précis Cæru voit le regard de l'elfe changer et comprend qu'il doit agir. Daïria est juste derrière la porte, Astarion n'a aucune issue possible pour fuir ou se cacher, et l'esprit du félidé est vidé de toute idée possible. 

Va t-il choisir d'aider le vampire ou de le dénoncer au village ? 


____


Vous savez pourquoi j'ai mis du temps à le sortir ce chapitre ? Parce que j'étais partagé sur la façon dont notre cher félidé devait apprendre la nature d'Astarion ! Je ne savais pas si je devais la jouer romantique ou dramatique, alors j'ai décidé d'allier les deux ! C'est un peu radical comme façon mais au moins les pièces du puzzle sont posés. Il ne reste plus qu'à connaitre la décision parce qu'après tout, on ne sait pas où peut partir cette histoire...

Promis, la suite sera plus douce et moelleuse, comme promis ! À voir où je vais les emmener et quelle sera leur quête à chacun ~

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