Chapitre 2 : Le goût de sa chaire


Playlist : Baldurs Gate 3 - I want to live (piano)

____

On ne peut nier l'atmosphère qui règne dans la grotte. Un lieu de fortune pour deux êtres en cavale mais cela fera l'affaire pour cette nuit.

Un feu crépite dans la caverne sombre, réchauffant Astarion et son compagnon. Chacun installé à l'opposer l'un de l'autre, ils se font face, seules les flammes les séparant. Le bruit des bûches qui craquent, le crépitement du feu, et cette goutte qui tombe au loin, aucun n'a ouvert le dialogue depuis leur entrée en ces lieux. Heureusement la chaleur gagne en intensité, les réchauffant par la même occasion. 

Notre jeune aventurier ne serait dire si cette grotte est celle d'Astarion, mais le feu présent en son centre semble avoir plusieurs jours au vue des nombreuses cendres autour. Serait-il lui aussi un homme sans foyer ? Outre toutes ces interrogations qui l'assaillent, il ne peut s'empêcher de jeter quelques regards en sa direction. 

Ce dernier est installé dignement, une jambe replié, tout son corps détendue. Il regarde les flammes danser, ses pensées l'emmenant loin de cet endroit, oubliant presque la présence du blessé. Si il n'y avait pas cette constante odeur de fer, réveillant en lui un instinct de chasseur endormie, cela ferait longtemps qu'il aurait fermé les yeux. L'un comme l'autre se regardent, se jetant des coups d'œils furtifs mais sans aucune discrétion apparente. Qui peut bien être ce jeune homme à l'allure si timide ? C'est bien la première fois qu'Astarion croise la route de cette espèce et pourtant, il en a croisé des créatures au cours de sa longue vie. Il a l'apparence d'un jeune humain mais ce sont ces appendices qui l'intrigue au plus au point. Au lieu d'avoir de traditionnel oreilles humaines, il arbore de duveteuses oreilles félines d'un bleu profond. Dans son dos trône une longue queue, fine, mais au bout touffue, elle aussi d'un bleu sombre. Le reste de son corps, ou du moins, ce qu'il a sous le regard, possède tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Ce n'est peut être qu'un détail, ou le résultat d'un mauvais sort, néanmoins il serait prêt à parier que cet homme cache bien des choses. 

En y réfléchissant plus sérieusement, on ne peut pas dire qu'il est le mieux placé pour faire ce type de reproche. Lui-même cache plus d'un mystère dans sa poche et traîne avec lui d'imposantes bagages émotionnelles trahissant son passé. C'est finalement lui qui décide de briser ce long silence, sentant l'ennuie l'accabler.

- Puisque nous allons rester ici un moment, j'apprécierai tout de même de connaitre le nom de celui qui partagera ma couche. 

Ponctué d'un sourire qui se veut charmeur, Astarion remarque sans mal les rougeurs prendre place sur les joues de son acolyte. Celui-là même qui se hâte de prendre un caillou à ses côtés pour enfin se présenter en bonne et due forme. Fort heureusement, il a apprit à écrire son nom correctement sinon il serait bien embêté à l'heure actuelle. Traçant les courbes avec précision, Astarion jongle du regard entre ses sourcils froncés et les signes faisant apparition sur le sol. Il pourrait presque le trouver adorable. 

Il se penche alors en sa direction, regardant à ses côtés et lit à voix haute.

- Cæru ? Quel adorable nom. Ma foi, il n'est pas si difficile à retenir. Je devrais pouvoir m'en sortir.

Le dénommé Cæru repose sa plume d'appoint et passe sans réfléchir sa main dans ses cheveux bruns, caressant l'une de ses oreilles par automatisme. Un mouvement qu'il fait souvent quand il est gêné. 

Malgré ces quelques paroles échangées, si l'on peut considérer l'écriture comme telle, le silence vient s'installer entre eux. Le félidé se sent malgré lui extrêmement bête. Ne pouvant expliquer sa situation avec des mots, et encore moins avec des gestes, il peine à se faire comprendre et pense à l'avance aux futurs quiproquos qui pourraient s'installer entre eux. Il baisse le regard sur sa jambe blessée, qui arbore un garrot extrêmement bien exécuté par Astarion lui même. Ce n'est pas ce qui lui rendra tout ce sang perdue, et encore moins ce qui atténuera la douleur, mais au moins il a une chance de conserver son pied. 

Il regarde par delà l'ouverture de la grotte. Il ne peut voir au loin car elle est gracieusement cachée par des cèdres centenaires et des rochers imposants. Il s'imagine sans mal la couleur du ciel étoilé. Il est aussi pensif que l'est Astarion, ne pouvant s'ôter ce sentiment du cœur. Il se sent fébrile depuis tout à l'heure et cela n'est pas seulement dû à sa blessure. On lui a souvent tanné quand il était plus jeune que ses lèvres se délieront un jour, lui offrant parole. Il n'était pas le seul à avoir la langue lié, comme un sort qu'il faut briser tôt ou tard. Les anciens se gardaient le secret farouchement et jamais ils n'auraient révélés la solution. On lui disait toujours : un jour tu comprendras, un jour tu trouveras ce sentiment et tu ne voudras plus jamais le lâcher. De quel sentiment parlaient-ils ? Était-ce ce qu'il ressentait en ce moment ? Ou alors est-ce dû à sa perte de sang abondante ? Encore une fois tant de questions qu'il ne peut poser et encore moins obtenir de réponse. Il est le seul de son âge à avoir encore les lèvres closes. Il peut ouvrir la bouche mais aucun son ne sort. C'est si frustrant. 

Sentant sa jambe s'engourdir il opte pour une nouvelle position, cherchant la posture adéquat pour enlever ce mal être et cette douleur soudaine. Le bruit attire le regard d'Astarion qui est couché, un bras sous la tête. Il regarde Cæru, les sourcils froncés. Sans grand intérêt pour lui, ou du moins pour l'instant, il laisse traîner ses yeux sur son corps et ses deux rubis s'attardent sur la blessure. Ce n'est clairement pas joli à regarder. Avec le garrot de fortune qu'il a ficelé plus tôt il ne peut voir l'état de la plaie, mais à l'odeur il sait que le sang commence peu à peu à faire son travail, même si il lui faudra du temps pour se rétablir. Va-t-il rester avec lui jusqu'à ce qu'il aille mieux ? Grand Dieu, non ! Dans son esprit tout est déjà tracé, chaque scénario étant réfléchis à l'avance. Il l'aide pour cette nuit et ce sera sûrement sa seule bonne action pour les prochaines décennies à venir. 

- Nous ferions mieux de dormir. Apparemment la nuit porte conseil. Cæru hoche la tête, s'installant contre la paroi glacée. Seul la position assise lui convient. Il ne sait pas si cette nausée se calmera mais dormir lui fera sans doute plus de bien. 

C'est sans un mot de plus qu'ils s'endorment, ou du moins qu'ils ferment les yeux, espérant trouver un sommeil réparateur. 

____

Astarion avait perdu l'habitude de dormir aux côtés de quelqu'un, ou du moins, près d'un corps vivant. Cela n'est pas si désagréable que dans ses souvenirs, même si il fut réveillé au bout de quelques heures à peine. Le feu n'était plus qu'une lueur essayant de se maintenir à travers une brise glaciale et il voyait cette forme contre les murs de la caverne. Il s'est donc, machinalement, approché pour voir l'état de Cæru. 

Posant une main sur son front il se retient une remarque acerbe tant sa chaire est brûlante, faisant picoter la peau de ses doigts. Le félidé sue à grosse goutte, son front dégoulinant de sueur. Tout son corps semble pris d'une fièvre accablante. Il respire la bouche à demi-ouverte laissant apparaître de jolie dent bien aiguisées. Astarion prend son pouls pour connaitre son rythme cardiaque. Son cœur bat à une allure folle, tambourinant tel un saltimbanque dans sa poitrine. Il est démunie face à ces symptômes qui ne présage rien de bon. 

Profitant de l'état du blessé il se permet de défaire le garrot pour en découvrir la plaie : elle n'est pas belle du tout. Là où les dents se sont enfoncés la couleur a virée au violet et le sang est devenu pourpre. L'odeur qui s'en dégage est presque nauséabonde, à tel point qu'Astarion en aurait l'appétit coupé. Il n'a que pour seul remède sa dague un peu plus loin, ce qui pourrait au moins lui sauver une partie de sa jambe. Il pourrait très bien retourner dormir, faire comme si de rien était et découvrir son corps inerte quelques jours plus tard mais, car étonnamment il y a un mais, cette idée, dans son fort intérieur, ne l'enchante guère. Il laisse le tissue sur le côté, replaçant quelques mèches de ses cheveux, songeur. 

Il fini tout de même par se lever, du moins, il essaie. Peut-être n'avait-il pas été assez discret car à peine s'est-il retourné qu'une poigne de fer le maintient en place. Il tourne doucement la tête et se rend compte que Cæru est toujours endormie, plongé dans une transe violente qui fait réagir ses membres. L'elfe pâle baisse le regard sur cette main, fine, imberbe de toute marque, et la prend délicatement entre ses doigts. 

- Cæru ? 

Enfermé dans un cauchemar qu'il ne contrôle pas, résultat d'une douleur lancinante dans son corps, Cæru entend au loin son prénom. Comme un doux murmure que ses oreilles peuvent percevoir, comme une litanie répété à tout va. Il ne voit que noirceur, dans l'incapacité totale d'ouvrir les yeux ou de choisir dans quelle direction son corps se dirige. Il est spectateur de son propre rêve. Un rêve qui ne possède ni son, ni odeur, ni couleur, si ce n'est son prénom qu'il entend, de plus en plus loin, répété encore et toujours. 

Astarion ne serait dire si il est chanceux ou si il possède de bon réflexes. Cæru s'est littéralement jeté sur lui, crocs en avant, dans un but qu'il ne reconnait que trop bien. Plaçant stratégiquement son bras contre sa gorge et ses mouvements étant encore fébrile dû à son sommeil, il contrôle sans mal la bête qu'il a devant lui. Les paupières scellées mais la bouche grande ouverte, il combat un fantôme à la puissance insoupçonnée. 

- Cæru ! Hurle-t-il en sa direction, comme dans l'espoir de faire réagir le félidé. 

Personne ne serait dire si c'est la voix d'Astarion mais doucement le corps au dessus de l'elfe se fait moins vivace, moins violent. Sortant d'un cauchemar aussi vrai que nature, Cæru met quelques secondes à comprendre ce qu'il passe. Astarion le relâche, comprenant lui aussi que le danger n'est plus. Il regarde donc sous lui, ses yeux jonglant entre ses griffes et le regard perdu de son compagnon de fortune. 

Il se dégage aussi vite que son état le lui permet, traînant piteusement son corps en arrière. Sa respiration est hachée, comme si il avait couru, et ses pupilles, dilatées au maximum, démontre qu'il est encore sous le choc. Vient-il d'essayer de tuer Astarion ? 

- Tu voulais... Me mordre ? Demande Astarion, aussi perdu que lui. 

Cæru fronce les sourcils, essayant tant bien que mal de mettre de l'ordre dans ses idées. À la simple pensée de planter ses canines dans la chaire de l'elfe sa mâchoire toute entière le démange, le forçant à placer ses mains sur sa bouche. Que lui arrive t-il ? Jamais, Ô grand jamais, il n'avait fait preuve de violence par le passé. Si une simple blessure le faisait devenir ainsi, qu'est ce que son corps pouvait-il encore lui réserver ? 

- Tu es... Astarion réfléchit, toujours couché sur le sol, mais se ravise à formuler sa phrase. Impossible. Dit-il pour lui même. Je serais au courant. Il fronce les sourcils, regardant Cæru intensément. Tu as besoin de sang ? 

Le plus jeune fronce lui aussi le regard, mais ses mains toujours plaquées sur sa bouche prouve le contraire. Depuis quand avait-il besoin de sang ? Devant l'air sérieux d'Astarion il comprend qu'il lui doit des explications, mais surtout, des réponses. Lui-même ne saurait dire ce qui lui arrive. Serait-ce dû à cette blessure ? 

- Je ne suis pas le genre d'homme à faire dans la... Charité. Il déboutonne le haut de sa chemise à volant, dégageant ainsi le tissu pour en dévoiler son buste et donner meilleur accès à sa nuque. On va dire que ce sera ma bonne action pour les temps à venir mais, sache que j'ai très mauvais goût. 

Il s'approche de Cæru, se plaçant en face de lui, les genoux à terre, les mains sur les cuisses. Le félidé secoue continuellement la tête, se sentant incapable d'une telle chose. 

- C'est un mauvais moment à passer pour toi comme pour moi, mais je préférerai tout de même que cela se passe quand je suis éveillé. Je n'ai pas très envie de t'avoir accroché à ma jugulaire à mon réveil. 

Malgré la situation Cæru esquisse un sourire comprenant qu'Astarion souhaite détendre l'atmosphère. Néanmoins, ils se connaissent à peine et ne comprend pas la sympathie avec laquelle l'elfe noir traite un parfait inconnu. 

- Ne me regarde pas avec ces yeux là. Après tout, c'est en partie ma faute, hum ? C'est moi qui t'ai amené ici. 

Ils se regardent pour la énième fois droit dans les yeux, rouge contre bleu. Astarion lui fait un signe de tête pour lui faire comprendre que tout ira bien et étrangement, Cæru lui fait naïvement confiance. Après tout, il ne semble pas être de mauvaise foi. 

Retirant ses mains, Astarion voit quatre crocs aiguisés dépasser de ses lèvres. Plus imposants et voyants que les siens, et tout aussi meurtriers. Il avale sa salive fortement, ne se souvenant plus de la dernière fois où des canines se sont enfoncées dans sa chaire. C'est trop lointain pour s'en souvenir clairement mais c'est surtout trop désagréable. Il ne le fait pas de bon cœur et à y réfléchir, il ne sait pas vraiment pourquoi il fait ça. Ils ne se doivent rien, ils ne se connaissent pas, mais Astarion a ce sentiment au fond de lui, cette chaleur qui lui rappelle bien des choses et aussi loin qu'il s'en souvienne, ça c'était quelque chose d'agréable. Peut-être va-t-il répéter les erreurs du passé mais pour avoir pleinement confiance, il faut parfois passer par des étapes comme celle-ci. 

Posant ses mains sur les épaules du plus vieux, Cæru remarque qu'il a fermé les yeux et c'est mieux ainsi. Il ne se sentait pas capable de faire cela avec deux pupilles le scrutant de haut en bas. Il s'approche comme il peut, sa douleur passant au second plan. En cet instant, aussi fou que cela puisse paraître, seul ce corps en face de lui l'importe. Il ne s'est jamais intéressé aux autres, encore moins à ce liquide qui parcours leur corps : rouge, rapide, vital. Et pourtant il se retrouve là, blessé, aux côtés d'un inconnu qui lui offre sa nuque pour étancher un besoin, et non une soif, qu'il ne pensait pas avoir. Cela lui a pris d'un coup, d'un seul, à peine fut il sorti de sa transe. Il ne sait pas vraiment comment s'y prendre et laisse faire son instinct. C'est le nez plongé dans sa nuque qu'il décide enfin à planter ses crocs. 

Ce serait mentir que de dire que la morsure de Cæru n'est pas douloureuse. Contrairement à ce que pensait Astarion, ce n'est pas seulement les canines qu'il enfonce, mais sa bouche toute entière perfore sa peau. C'est comme une brûlure passagère qui reste et qui vous démange inlassablement. La douleur il connait, et ce n'est pas cette morsure qui le fera pâlir. 

Il pose sa main dans les cheveux du félidé, comme pour l'inciter à continuer. Ce dernier n'est pas en reste, complètement pris de frénésie par cette ambroisie qu'il savoure bien malgré lui. En effet, le sang d'Astarion n'est pas délectable mais il est rouge, tiède et surtout, cela lui fait un bien fou de s'en abreuver. Comme pour sceller un pacte, comme si ce moment était gravé dans la roche, à l'abris des regards, tous deux semblent savourer ce moment interdis, chacun selon leurs raisons. 

Le liquide afflue dans sa bouche, le forçant à boire de grande gorgée. Il ne sait absolument pas comment s'y prendre, et se laisse diriger par le moment. Il reste tout de même lucide, en pleine possession de ses moyens et heureusement pour eux deux. Il sait qu'il doit s'arrêter à temps pour permettre à Astarion de s'en remettre et surtout pour lui permettre également de se remettre de ses émotions. Mais il a tout de même, dans un coin de son esprit, un petit brouillon qui, à tout moment, peut reprendre le dessus sur la raison. 

Il se demande, au moment où il prend une dernière gorgée, depuis combien de temps Astarion lui caresse la tête. Depuis combien de temps est-il contre lui, lui perforant la chaire, les griffes enfoncées dans ses épaules. Le temps devient subjectif quand ses paupières s'alourdissent et que la fatigue, à son plus grand étonnement, le prend à revers. Ce trop plein d'émotion aura eu raison de lui et une fois de plus il sombre le premier, livrant son corps à son compagnon. 

___

Un chapitre assez fou et surtout très surprenant, n'est-ce pas ? On se demande qui est quoi et surtout, pourquoi ? J'espère en tout cas que ce second chapitre vous aura plu et que vous appréciez cet univers que je crée et découvre avec vous !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top