Texte n°559
Prologue :
Il pleut sur Bordeaux.
Quand j'étais enfant, j'aimais bien la pluie. Je passais des heures, les yeux levés vers le ciel, à la regarder tomber sur moi. Je sentais ses mains glacées sur mon corps, son souffle amical près de mon oreille, et son odeur flotter sous mes narines. J'aimais contempler mon reflet brouillé par les ronds d'eau que les gouttes dessinaient en tombant dans les flaques. Le bitume était tellement plus joyeux ainsi. Lorsqu'il pleuvait, je me sentais vivre.
Souvent, lorsqu'on grandit on change : c'est dans l'ordre des choses. Vivre c'est évoluer. Mais évoluer a un prix. Evoluer, c'est comprendre, se remettre en question, ne rien conserver comme acquis. Evoluer c'est tomber et se relever, c'est se bâtir, non pas une forteresse sans fenêtre, mais une maison solide pour la tempête qui se laisse pourtant pénétrer par les rayons du soleil extérieur.
Il arrive que dans cette longue et ininterrompus transformation qu'est la vie, des choses qui vous bouleversent adviennent. Un ami qui vous trompe. Une confiance déçue. Une naïveté trop brusquement brisée.
Ainsi aujourd'hui je n'aime plus la pluie. Cette amie m'est devenue étrangère.
Il pleut sur Bordeaux.
Les mines et les manteaux sombres se mêlent en bas, devant le parvis de l'Eglise. On chuchote. Pourquoi se sentent-ils tous obligés de chuchoter ? Ce n'est pas cela qui va te réveiller, maman.
Je regarde, appuyée contre l'une des colonnes qui soutiennent l'édifice, les parapluies tristes déployer uns à uns leurs ailes corbeaux. Les vieux et les moins vieux se serrent les uns contre les autres, comme à la recherche d'un peu de chaleur, d'un peu d'humanité.
L'être humain n'est jamais à l'aise devant la mort.
Je remarque du coin de l'œil mon père, ton mari, celui que tu pleurais tard dans la nuit, quand tu pensais qu'on ne pouvait pas t'entendre. Il un peu en retrait, l'œil fixé sur ses chaussures cent-pour cent cuir. La pluie, cette fourbe, vas les abimer.
Simon, lui, est à sa droite, debout, courbé comme un roseau que le vent aurait trop plié. Vois-tu ce qu'est devenu ton fils chéri ?
Je t'en prie, n'ajoute pas que c'est de ma faute.
Je me le dis déjà trop souvent.
Aucun de nous trois ne parlent. Ce n'est pas que tu nous manque, ce n'est pas que le trou prend trop de place. Tu sais bien que nous avons l'habitude des absents.
Ton cercueil vient d'être descendu de l'église par deux de ces messieurs en costar, qui ont fait de la mort leur travail. Ils ont collé sur leur visage une tristesse bien étudié. Est-ce qu'on leur apprend comment faire semblant de compatir à cette mascarade qu'ils ont observés trop de fois ?
Je laisse mon regard glisser sur la boite. Ta boite. Ta nouvelle demeure. Tu dois t'y sentir à l'étroit, toi qui avais des goûts de luxes. Mais tu ne peux plus rien dire. Tu ne peux plus râler, crier comme tu savais si bien le faire.
Je suis sûre que si la mort ne t'avait pas cloué le bec, tu aurais trouvé un reproche à m'adresser. Pour mon manteau peut-être ? Le rouge te gêne-t-il ?
Au moins je n'ai pas l'air d'un oiseau de mauvais augure, moi.
D'un pas lent, je descends une à une les marches du parvis de l'église. La pluie mouille mes cheveux bruns. Les même que les tient.
J'espère que c'est la seule chose que j'ai hérité de toi.
Je m'approche de papa, de Simon. Tes deux amours. Tes deux hommes.
Est-ce pour cela que tu m'en as tant voulu ? Est-ce parce qu'ils t'ont quitté trop vite, toi et ta tyrannie, me laissant seule, entre tes crocs et tes larmes ?
Le cercueil a été déposé à leurs pied. Quel charment tableau que la famille Poissard, enfin réunie pour la première fois depuis quatorze ans.
Papa a pris son fils par l'épaule. Celui-ci ne réagit pas. Je laisse mon regard suivre la courbe de son visage abimé par la fatigue, dont les cernes dessinent des valises sous ses yeux rougis par la drogue.
Je cherche, en vain, des traces même infimes du garçon qu'il était il y a quatorze ans à peine. De cet ange tant adulé par toi, en qui tu fondais tous tes espoirs.
Je sais que ça t'a fait mal de le voir changer ainsi. Je sais que tu as souffert.
Moi aussi.
Mais tu sais que nous aurions dû, que nous devrions accepter que Simon se soit laissé tomber, et qu'il ne se soit pas relevé.
Et moi ? Me suis-je relevée ?
T'es tu même rendu compte de ma chute ?
La main de papa se glisse dans la mienne. Ce contact me surprend. Depuis combien de temps n'ai-je pas reçu ce genre de signe d'affection ?
Touchée, je regarde ces cinq longs doigts sur ma peau blanche. Ils sont grands, fermes, sécurisants, et tiennent les miens, plus petits, plus frêles, avec délicatesse, comme de peur de les briser.
Au poignet de papa, brille une montre. Certainement pas un de tes cadeaux, maman. Je suis sûre qu'il ne les a pas gardés. Ce doit être un présent de sa nouvelle femme. Ou de ses nouveaux enfants. Un objet de sa nouvelle vie qui dure depuis quatorze ans.
Cette vie qu'il a décidé de construire sans nous. Sans toi surtout.
Et ça, tu ne l'as pas supporté. Pas vrai ?
Je suis sûre que ce n'étais pas ainsi que tu imaginais nos retrouvailles.
Quel magnifique assemblage nous formons, n'est-ce pas ? Un remarié, un toxicomane-alcolo, une jeune fille qui s'est perdue sur la route, et une morte sur le point d'être enterrée. Nous sommes comme un patchwork au couleurs disharmonieuses. Ça me donne presque envie de pleurer.
La foule se met en branle. Papa entraine Simon. Je suis derrière. Je viens en troisième dans ce macabre cortège, et je n'ai qu'une envie, que tout cela se termine.
Les graviers crissent sous nos pas et résonnent dans les tréfonds de mon être. Tout est lugubre, obscur. Triste ?
Nous nous approchons de l'endroit. Le prêtre, dans sa grande robe sombre, sombre comme tout ce qui est dans ce cimetière, sombre même comme le ciel caméléon, prononce des prières que je n'entends pas, que je ne veux pas entendre.
Tous mes sens semblent éteints, seul demeure ma vue. Mes yeux fixent sans pouvoir s'en détacher, ce cercueil, toi, qui disparait peu à peu dans le trou. Dans la tombe.
Personne ne dit plus rien. Il règne un silence de mort.
Maman.
Malgré moi, mue par je ne sais quelle curiosité morbide, je m'avance pour jeter un dernier coup d'œil à la boite.
C'est marrant. On passe notre vie dans des bulles, et on finit dans des boites.
Maintenant, et tu le sais, la tradition veux que nous jetions des poignées de terre. Quelle horreur. Je me demande bien qui a eu l'idée du tel invention. Mais je sais que toi tu adore ça, les traditions à la con.
C'est d'abord papa qui fait le premier pas. Il jette la poignée comme il t'a surement jeté, il y a quatorze ans. Il la jette sur toi, sur ton souvenir. C'est fait. C'est fini.
Puis vient Simon. Lui, il s'exécute, mécaniquement. La drogue, l'alcool, lui ont ravis ses sentiments. Mais n'étais-ce pas là le but recherché ?
Et puis c'est mon tour. As-tu déjà ressenti cela ? Cette impression que le temps s'étire, s'étiole, encore, toujours. Que l'instant se mêle à l'éternité. Je vois ma main qui s'ouvre, et les grains de terre en tomber. J'entends le bruit qu'ils font en s'écrasant contre le cercueil.
J'ai mal au ventre.
Maman, nous vois-tu de là où tu es ? Sais-tu ce que chacun de nous ressent ?
L'as-tu jamais compris ?
Maman, m'aimais-tu ?
J'ai arrêté d'essayer de répondre à mes questions. Je les laisse maintenant affluer, comme l'eau qui alimenterai un lac. Mais il n'y a plus de soleil pour qu'elle s'évapore.
J'aimerai dire que tu ne me manqueras pas. J'aimerai te haïr pour ce que tu m'as fait subir. Mais je t'aime – je n'y puis rien, d'un amour enfouis tout au fond de mon être, tel que devais l'être le tient, caché sous tes reproches et tes regards méprisants.
Tu as souffert. On ne sait pas tous souffrir. Certains le font mieux que d'autres.
Tu coulais, il te fallait remonter à la surface. Ta tristesse te rendait trop lourde, ta colère était un boulet à ton pied. Il y a des moments où l'on est obligé de se vider.
Il y a des moment où l'on se laisse submerger.
Il y a des moments où l'on ne sait plus comment le faire.
Je ne t'en veux plus, tu sais.
J'ai compris.
Mais malgré tout cela, j'ai décidé de rester debout maman. Je ne suis pas encore au fond du trous, et j'ai la tête à l'air libre. Et si l'eau monte chaque jour un peu plus, sache que je sais nager. Et j'attends. Peut-être que la vie aura pitié de moi, et voudra bien m'apporter de ce soleil qui fera descendre l'eau. En attendant, je gèle. Mais je m'accroche. Et je ne tomberai pas.
Je te le promets,
Maman
Commentaires :
SBellanger
Bonjour, Ce texte est touchant, tu parviens à émouvoir le lecteur mais il y a des "idées toutes faites", des poncifs qui gênent la lecture "certains souffrent mieux que d'autres" par exemple. Il faudrait expliquer un peu au lecteur ce que tu veux dire par là (que le narrateur sait souffrir? Que sa mère ne savait pas? Ou savait trop bien?) peut être un petit exemple/souvenir serait-il utile pour comprendre. Certaines phrases restent obscures comme "C'est marrant, on passe... dans des boîtes". Dans un prologue, je pense qu'il vaut mieux que le lecteur comprenne tout, il a besoin d'entrer dans l'histoire, pas de se demander ce que veut dire le narrateur (mais c'est mon point de vue). On perçoit, dans ce prologue une histoire triste, intense, une tragédie qui mène à cet enterrement. Il va falloir que l'histoire que tu racontes ensuite soit à la hauteur au niveau évènement sinon ce serait un peu bizarre. En tout cas, on sent que l'émotion est là, bravo.
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Juliettelem
Bonjour, Démarrer par une introspection sur la mise en scène d'un enterrement, ça n'est pas nouveau, mais c'est assez bien réalisé. L'écriture est propre, avec des coquilles cependant. Le danger... il faut éliminer les clichés parce qu'il y en a : des pensées toutes faites qu'on aura déjà vu ailleurs et qui empêche de s'immerger. Il faut faire encore plus intimiste et éviter les poncifs et les tournures de phrases trop impersonnelles (on, il y a) : le lecteur est dans la tête du personnage narrateur, il ne faut pas l'en faire sortir, il doit s'identifier à chacune des pensées et ce monologue doit le prendre aux tripes. Donc il faudrait encore monter en intensité dans l'expression, là elle manque encore d'une véritable efficacité qui fera monter l'émotion, l'impact... Le danger est si la suite est trop bateau, qu'elle ne tienne pas la promesse d'un prologue travaillé Au fond du trous : trou au singulier. Je n'y puis rien : trop vieillot comme expression lui préférer, je n'y peux rien. Un début prometteur mais à améliorer.
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TicusLeFaune
Bonjour auteur ou autrice du texte 559, comme l'ont dit mes collègues il s'agit d'un texte avec une bonne consistance, qui égraine des informations avec parcimonie, juste comme il faut. Le texte nous prend aux tripes, il est fort, il est beau, il est puissant. Je ne vais pas me risquer a proposer des pistes d'amélioration car c'est un équilibre qui peut se perdre rien qu'en changeant un mot. Par contre, comme l'a dit detico fait attention à tes terminiaisons. Bonne journée, Ticus
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NadegeChipdel
Bonjour, et merci de nous avoir soumis ton texte. Mon commentaire sur ton travail va être court, c'est vraiment un joli prologue, bien écrit, avec une belle justesse dans l'expression des émotions et des émotions. Tu donnes envie de tourner la page, de découvrir comment ton héroïne va survivre une fois de plus après cette tragédie. En terme d'écriture, je n'ai pas relevé d'erreurs différentes de celles de @Detico. Bravo pour ce très bon texte et bon courage pour la suite, Nadège
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Detico
Bonjour, Merci de nous soumettre ton texte. Avant de commencer, je rappelle que ce commentaire est subjectif : il ne représente que mon avis. Libre à toi de suivre ou non mes conseils 😉 Un prologue assez long et intéressant. Le deuil est touchant, on arrive à se mettre à la place de la narratrice. Le fait qu'elle aime encore sa mère, malgré tout ce qu'elle lui a fait (et non qu'elle la haïsse), est réaliste. Et à mes yeux, c'est ce qui donne une part d'originalité à ton texte. Tu laisses libre au lecteur d'imaginer le décès de cette mère (Suicide, comme le suggère la phrase « Et ça, tu ne l'as pas supporté, pas vrai ? » ? Mort naturelle ?), et la vie d'avant, ce pourquoi cette famille s'est déchirée. Dans ce prologue, ton intrigue tient la route : je n'ai pas relevé d'incohérences. Tu maîtrises très bien la forme, ton écriture est agréable et fluide. Par endroits, de rares maladresses (quelques phrases un peu longues), mais elles ne dérangent pas la lecture. Au contraire, on retrouve pas mal de fautes d'orthographe probablement dues à des inattentions. Elles gâchent un peu ton texte. Attention aux terminaisons de la deuxième (« que tu nous *manques », « tu *adores ça ») et de la troisième personne du singulier (« cette fourbe, *va », « aucun de nous trois ne *parle », « ce *n'était pas ainsi », « la tradition veut », « Mais *n'était-ce pas le but », « tel que *devait l'être le tien »...), ainsi qu'aux accords, de pluriel (« Il y a des *moments ») comme des adjectifs (« *ininterrompue transformation », « un amour *enfoui »...). L'emploi de la deuxième personne du singulier ou encore des métaphores/comparaisons, disséminées tout au long du texte, rajoute de l'épaisseur à ton texte et une nouvelle touche d'originalité. Cela aide à rendre intéressants les passages où la narratrice s'adresse à sa mère ^^ En somme, un très bon texte qui nécessite cependant une petite relecture pour chasser les quelques fautes :) Bonne continuation, Detico
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