REGARD, EXPERTISE, PORTE, FRANCAISE, ESPERER
J'aurais dû lui dire
On me tendit un peignoir. Aussitôt, je le saisis et me pelotonnai dedans. La séance avait été longue. Trop longue. J'avais obtempéré au-delà de mes envies et maintenant je me sentais salie, malsaine.
La machination que j'avais cru maîtriser venait finalement de se refermer sur moi. J'avais agi bien au-delà de ma volonté.
J'aurais dû lui dire.
- Tourne-toi, cambre toi, plus encore... oui, souris, c'est ça... continue regarde moi, ouvre ta chemise, baisse les yeux, ne souris plus, enlève doucement tes vêtements... c'est ça... ouvre la bouche...
Ça faisait déjà deux heures qu'il me matait sous toutes les coutures... Qu'il exigeait de moi toutes les positions, surtout les plus indécentes. Moi j'obéissais à la moindre de ses demandes. Car même si je sentais son regard pesant parfois, là, il était tout à moi.
Pour la première fois, j'avais affaire au professionnel. A l'expert. Je ne pouvais que me soumettre. Moi aussi j'étais là comme une professionnelle. J'étais payée pour ça. Alors que...
Lorsqu'il intimait ses ordres durs, secs, tranchants, violents, les larmes me montaient aux yeux. Et s'il s'en rendait compte, alors il prolongeait la séance. Tel le dompteur, il quémandait une obéissance au doigt et à l'œil. Sans limite.
Il exigeait. Je devais me soumettre.
Je ne le connaissais pas comme ça. L'œil aguerri de l'expertise acquise au fil des trente dernières années.
Quand enfin il lisait dans mes yeux l'abandon, je décryptais l'euphorie dans les siens. Il donnait l'impression de renaître. Son œil photographiait ce qu'il ne pouvait toucher, il jouait avec son appareil comme si c'était ses mains. Et là, il affichait un appétit d'ogre, une faim inassouvissable.
J'avais pensé réussir à le manipuler, me croyant capable de maîtriser ce que je donnais. Mais mes vingt ans ne l'effrayaient pas, bien au contraire. L'attrait insoutenable, tellement nouveau pour lui, le rendait furieux. Un instant, je m'entêtais à donner peu, alors ses ordres devenaient impérieux, dictatoriaux même. Plus je me refusais à lui, et plus il me forçait à lui en donner plus et plus encore.
Je pensais qu'à force de me photographier, il comprendrait qui j'étais. Que mon aura se révèlerait au travers de son objectif. Je voulais qu'il se réveille, qu'il admette, qu'il comprenne que même si ses sentiments avaient évolués, ils étaient toujours là, présents. Différents, mais existants.
Il n'a jamais fait le rapprochement avec moi.
J'aurais dû lui dire.
Lui ne comprenait pas pourquoi cette fille, qu'il mitraillait avec son Canon, l'attirait autant. A trop épier les autres, il s'oubliait lui-même. Pourtant, lui aussi son estomac s'était enveloppé, la peau de ses pectoraux était devenue flasque et même le tatouage de ses biceps avait diminué comme peau de chagrin avec la masse musculaire, et ses cuisses, autrefois si musclées, laissaient maintenant flotter son jean sur des jambes chétives.
Obnubilé par ce qu'il immortalisait sur la pellicule, il oubliait sa réalité.
J'aurais dû lui dire.
Repu après ces séances intenses, il rentrait à la maison non sans avoir trainé longtemps dans les bars et sans doute beaucoup bu. Il fallait faire baisser la pression.
Après notre premier shooting, honteuse, je n'ai rien oser dire. Les séances qui suivirent non plus. Ainsi, les jours passaient et un instant je l'ai cru apaisé alors que sa furie enflait.
Un soir, je le sentis plus crispé que d'habitude. La séance du jour avait exacerbé ses désirs. Je proposais un massage qu'il accepta. Enfin, je profitais de ses élans. Pourtant, je savais que la main qu'il posait sur mon corps ne touchait pas mon corps, mais celui de cette jeune femme que j'étais sous l'œil froid de son appareil. Lorsque haletant, arc-bouté sur moi, il perdait conscience l'espace de quelques secondes, je savais que c'était à elle qu'il faisait l'amour.
Ce jour là, j'aurais dû lui dire...
A aucun moment je n'avais pensé qu'il ferait un transfert.
Il resta longtemps les paupières fermées. Mais quand il rouvrit les yeux, c'était comme s'il avait été habité par quelqu'un d'autre. Son regard vira menaçant. L'espace d'un instant, la terre cessa sa course autour du soleil. Ses yeux injectés de sang allaient et venaient dans tous les sens, incontrôlables. Alors ses mains dégagèrent mes cheveux, puis s'enroulèrent autour de mon cou comme un gros boa.
Il serra, serra, serra longtemps. Jusqu'à ce que ses doigts deviennent douloureux.
Son visage fou parut soudain flou. Puis paisible. La tranquillité s'installa en moi comme après une tempête. Le calme. Puis la nuit. Sereine, reposante, libre.
Ce petit manège avait duré pendant deux longs mois. Cette situation, même si elle n'était pas la plus saine, avait eu l'avantage de me rendre mon époux.
J'aurais dû lui dire.
Je me souviens, je venais de gagner au tirage de la Française des Jeux. Ce jour là, tellement heureuse de pouvoir aller dépenser mon petit pactole dans les boutiques, je n'ai pas fait attention et j'ai ouvert le battant condamné, celui que le gardien de l'immeuble se refusait à ouvrir, pour une raison inconnue.
Dans la rue, les gens me dévisageaient tellement que j'avais l'impression qu'on pouvait lire sur mon front « gagnante de la super loterie ».
L'essayage de cette jolie robe dans cette boutique de créateur répondit à mes questions. J'avais rajeuni. J'étais revenue comme à vingt ans.
Ne me demandez pas comment c'était possible. Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que je paraissais avoir vingt ans tout juste. C'était mon joli minois qui attirait l'œil des passants, il n'y avait rien d'inscrit sur mon front...
De retour à la maison, j'échafaudais déjà des théories pour raconter le soir même à mon mari ce qui s'était passé. Mais une fois dans notre appartement, lorsque j'ai voulu enfiler mes achats pour lui faire une surprise, quelle ne fut pas ma déception. Le miroir de la salle de bain me renvoyait à nouveau ce reflet de femme flétrie, fatiguée et boursoufflée, à la taille épaisse et au visage distendu.
Je passai une soirée entre inquiétude et questionnements, et ne dis rien à Georges.
Le lendemain matin, dès qu'il quitta l'appartement, je filais derrière lui. Reproduisant les mêmes gestes que la veille. C'est la devanture d'une agence immobilière qui me confirma que le charme agissait à nouveau, alors que mon image se reflétait dans la vitrine, et que la fille, à l'intérieur, se moquait à me voir tournoyer sur moi-même dans la rue.
Mes vingt ans sautaient aux yeux.
Le soir venu, alors que Georges m'ignora encore une fois, sauf pour débarrasser son assiette, c'est là que j'ai eu l'idée. L'idée de devenir son modèle le jour, sa muse, son égérie inaccessible.
C'était facile et ne prenait que quelques secondes. A chaque fois que je franchissais cette porte que le gardien interdisait, une nouvelle vie s'offrait à moi. Une revanche sur le temps. Je redevenais celle que j'avais été il y a trente ans, avant les enfants, les tracas, la maison. Avant que je devienne cette femme ordinaire, invisible. Celle qui passe inaperçue, celle dont on a tellement utilisé les services, qu'on ne sait plus bien pourquoi on la garde. On sait juste qu'avec, c'est mieux que sans.
A l'agence, Georges m'avait acceptée au premier regard. Je l'avais étonné, attiré. Sans doute je lui rappelais quelque chose de son passé à lui aussi. Je savais qu'il ne pourrait pas résister et mon stratagème fonctionna parfaitement. Eberlué par mon corps qui venait de claquer la porte à l'adolescence, il jubilait de sa conquête et nos séances devenaient quotidiennes.
J'aurais du lui dire.
Au fil des shootings, j'aimais moi aussi devenir cette autre personne, aimée, adulée, respectée. Je pouvais lire dans ses yeux l'envie. Sentiment qui avait déserté ses pupilles depuis bien longtemps. L'envie. Celle qui au fil du temps s'était fait la malle dans l'eau de vaisselle. Il vivait à côté de moi sans me voir.
J'ai cru, sans doute un peu vite, que cette solution, certes pas la meilleure, ni la plus honnête, nous convenait finalement à tous les deux. Nous faisant renaître ensemble. Mais hélas dans des directions opposées.
Que c'était-il passé ce jour-là ?
Avait-il comprit que cette fille qu'il photographiait pour tous les magazines à la mode n'était autre que sa femme. Que par un miracle inespéré je pouvais chaque jour renaître dans un corps trente ans plus jeune, et que c'est à lui que j'offrais ce cadeau inestimable.
Il lui aurait suffi d'accepter que la beauté intérieure puisse pâtir des aléas du physique.
J'aurai du lui dire.
Commentaires :
NadegeChipdel
Bonjour et merci de nous avoir soumis ton texte. Alors, de façon globale, j'ai trouvé ton texte intéressant. De mon point de vue, il y a des idées intéressantes, mais le souci, c'est qu'elle sont noyées dans un flou artistique qui a tendance à perdre le lecteur. Je m'explique. * Du point de vue écriture, je n'ai pas relevé de fautes d'orthographe, d'accord et de conjugaison, ce qui est clairement un excellent point. En revanche, il y a des choses à revoir au niveau vocabulaire : il y a par endroits trop de répétitions, à commencer par ce "J'aurais dû lui dire". Et puis, il y a des maladresses du type "inassouvissable". J'entends l'idée d'impossibilité, mais le français est suffisamment riche pour trouver un synonyme plus joli. * Au niveau de la construction de ton texte, j'ai été gêné par le fait de ne savoir à quel type de texte me raccrocher en te lisant : les premiers paragraphes font penser à une nouvelle BDSM, puis lorsqu'elle parle des différences physiques de Georges on se demande si ce n'est pas une fille qui a retrouvé son père (ambiance thriller psychologique), puis, il y a cette histoire d'ellipse temporelle (on vire dans le paranormal). Pour moi, il faut que tu choisisses dans quel registre installé ton texte. Et il y aussi des problèmes dans la gestion de la ligne du temps qui opacifie un peu la compréhension globale de ton histoire. Du coup, la chute nous laisse sur notre faim, c'est dommage. En somme, il y a de bonnes choses dans ton texte, mais il faut que tu clarifies le type de texte que tu écris et que tu revoies la ligne du temps afin de rendre le propos plus clair. Bon courage pour la suite, Nadège.
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One_Last_Dance_
Bonjour, merci pour ton texte. C'est une nouvelle plutôt sympa, mais il manque la révélation finale : "J'aurais dû lui dire"... quoi ? On ne comprend pas très bien. Le suspense créé par ce rythme pourrait être accentué si tu soignais un peu la structure de ton texte : deux paragraphes, un J'aurais dû... quelque chose comme ça. La temporalité est bizarre, on se perd, ce n'est pas très clair. Décris un peu plus cette porte temporelle, comme ça se passe à la fin de la journée, comme elle marche, etc. Aussi, approfondis plus les sentiments de tes personnages, leurs passés : ce n'est pas parce que c'est une nouvelle que tu dois tout survoler. En somme : une nouvelle à retravailler, pour la rendre plus claire et plus intéressante.
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Laurendeau
Salut ! J'ai bien aimé cette nouvelle, mais comme Juliettelem, je regrette beaucoup que la structure du récit ne soit pas plus ferme. En effet, la répétition du "J'aurais dû lui dire" crée un effet d'attente : qu'est-ce qu'elle aurait dû lui dire ??? mais comme la temporalité n'est pas bien marquée, on arrive pas à comprendre comment s'enchaînent les événements, combien de temps s'écoule etc. ce qui fait qu'à un moment donné en fait, on ne voit plus d'unité sous-jacente à cette phrase lancinante... Je ne sais pas si c'est très clair :S Sans unité implicite, la chute de la fin n'en n'est pas une... En réalité, l'anaphore devrait permettre au lecteur d'accumuler des indices sur l'interprétation du texte et la chute pourrait être créée en allant totalement à l'encontre des indices que le lecteur aurait pu construire (c'est un peu le principe des romans policier, où le lecteur n'est pas sensé pouvoir deviner le meurtrier avant la fin). On insinue des choses tout au long du récit et on brise la logique à la fin : ce qui nous donne une chute. Ici, la structure n'étant pas extrêmement claire et les indices trop flous pour être compris, on arrive à la fin du texte sans trouver de rapport entre la chute et les propos évoqués plus haut. J'espère que ces remarques seront utiles à l'auteur... Après, il n'y a pas à douter qu'une fois ces problèmes résolus, cette nouvelle sera super ! :)
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Juliettelem
Bonjour, Relevés en cours de lecture : " A l'expert. Je ne pouvais que me soumettre.... " Il exigeait. Je devais me soumettre. " Ce passage laisse supposer des choses, pourquoi pas... mais redondance dans le contexte. -- " inassouvissable " très moche : insatiable, abyssale... des mots qui offrent le même ressenti sans être imbuvables à la lecture. " Un instant, je m'entêtais à donner peu, alors ses ordres devenaient impérieux, dictatoriaux même " attention problème de temps "un instant" donne l'idée d'immédiateté, dans ce cas passé simple je m'entêtai.. ses ordres devinrent (passé simple car c'est la réaction à l'action qui précède. Sinon au lieu de "un instant" modifier par "Quand" et là le temps est correct. Trop de "il" qui se succède, trouver des variantes pour oxygéner ce texte. " qu'il comprenne que même si ses sentiments avaient évolués, ils étaient toujours là, présents. Différents, mais existants. " trop de "ent" qui tue la musicalité. pourquoi pas "enfouis" qui donnent bien l'idée d'une chose encore là mais invisible. Lourdeurs différent/existant. surtout avec le "rapprochement" à suivre. Cette répétition de "j'aurai dû lui dire" les répétitions sont trop rapprochées en deux par deux pour les quatre premières, cela devient redondant. Trouver une autre manière de l'exprimer. "pourquoi ai-je gardé le silence" "Quelle erreur de ne pas m'être dévoilée" etc... on insiste sur le fait et pourtant il est exprimé de façon créative. Accentuer les : A c'est à dire À (alt183) Gros boa... maladroit : énorme, puissant... Un texte propre, quelques formulations à retoucher lourdes ou trop communes. Pour ce qui est de la nouvelle par elle-même : Un texte qui manque de structure et de cohérence, dont la chute (toujours nécessaire sur une nouvelle) n'est pas présente. À place cette morale "il aurait suffi..." et la énième répétition de "j'aurais dû donc pas de réelle chute pour une nouvelle est rédhibitoire. suite en 2
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Juliettelem
2 - suite : Ensuite le scenario n'est pas structuré, trop flou, on peut garder du mystère pour arriver à la chute mais là, des tas de détails qui noient la trame viennent se greffer : le shooting qui ressemble à une scène sado maso, la machination évoquée bien trop tôt dans le texte, la raison (la fameuse porte) qui elle vient très tard, la pseudo scène où il l'étrangle ? mais qui n'est pas clair du tout. Le texte perd en efficacité parce que la chronologie, telle qu'elle est présentée n'est pas bonne. Texte à reprendre. Bon courage.
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