Texte n°447
Prologue
29 janvier 2016, Baker City, Oregon.
Elle se tient debout, sanglée dans son long manteau noir. Seule au milieu de la foule des inconnus. Ils sont venus nombreux pour accompagner leurs amis dans leur dernière demeure au Mount Hope Cemetery. Elle en connait quelques-uns mais très peu. Tous les autres ne sont que des silhouettes sombres et floues. Des fantômes anonymes qui se pressent derrière elle et dans l'allée qui lui fait face. Elle n'imaginait pas que les défunts connaissaient autant de monde.
Le silence est pesant, et seul le vent dans les cyprès ose le troubler. Même les oiseaux ont cessé de pépier, conscients de la gravité de l'instant. Elle attend que le cauchemar se termine et qu'elle puisse se réveiller. Quelques reniflements viennent la sortir du brouillard qui entoure son esprit. Elle relève la tête et elle sait. Elle sait que ce n'est pas un cauchemar. Les cercueils alignés devant elle et les fleurs qui s'entassent tout autour la rappellent à la réalité. Sa famille est présente. Alignée devant ses yeux. Son père, sa mère, ses grands-parents. Ils sont tous là, les uns à côté des autres, leurs corps suppliciés emprisonnés dans un écrin de laiton et de chêne blond. Ils la regardent en souriant mais elle ne peut leur rendre la pareille. Elle ne peut sourire à des feuilles de papier glacé. Elle a donné une photo de chacun au responsable des pompes funèbres qui les a encadrées et disposées sur les cercueils. Moyen visuel d'identifier les corps pour faciliter les inhumations.
Le prêtre commence son discours mais elle ne l'entend pas. Son regard se pose sur la bible qu'il tient dans ses mains et elle ne voit que les têtes de mort qui ornent les bagues en argent qu'il porte aux doigts. Cheveux longs, blouson en cuir, jean et santiags. Le prêtre est à l'image de l'événement : inattendu et incongru. Ses santiags sont d'une teinte fauve, plus sombre aux pliures. Le bout en est râpé, le cuir est éraflé, griffé, abîmé. Tout comme son âme à elle. Elles sont visiblement portées depuis longtemps, usées, fatiguées. Comme elle.
Quand vient le moment de procéder à la mise en terre, elle sent une main la secouer doucement. Dans un état second, elle marche vers l'alignement, pose ses lèvres sur le bois froid pour un ultime baiser. Presque machinalement, elle murmure un dernier « Je t'aime. Adieu. », voit une goutte de pluie salée s'écraser sur la plaque en laiton gravée au nom tant aimé. Elle prend le cadre dans ses mains tremblantes avant de se reculer et de laisser les hommes en tenue noire soulever le catafalque et l'emporter vers le gouffre sombre qui s'ouvre devant la stèle de marbre gris. Elle répète le même rituel une fois, deux fois, autant de fois que nécessaire jusqu'à ce que tous les supports soient vides.
Elle a regardé les fossoyeurs descendre les cercueils dans la tombe, un à un. Sa famille est maintenant réunie. Elle est la seule exclue. Chacun repose sur son étagère attitrée. Le caveau est semblable à une commode bien rangée. Les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Un couple par étage. Et elle, elle a une pile de photos encadrées dans les bras. C'est tout ce qui lui reste de sa famille. C'est tout ce qui reste de son passé, de son enfance.
Elle veut descendre dans le gouffre, mais des mains l'en empêche. On la tire en arrière, on la retourne pour qu'elle ne voit pas les fossoyeurs sceller la dalle. Les fantômes défilent un à un. Ils lui parlent, la serrent dans leurs bras mais elle s'en fout. Elle ne les voit pas, elle ne les entend pas. Ou plutôt elle ne veut pas entendre ces mots surfaits vides de sens, ces phrases fabriquées qui ne veulent rien dire et qui ne servent qu'à respecter les convenances.
On l'entraîne vers les voitures et ses voisins la ramènent chez elle. Dans la maison de ses parents où viennent se réunir leurs plus proches amis. Pendant tout l'après-midi, elle les voit déambuler dans le salon, manger, boire. Elle les entend évoquer les siens, rire aux anecdotes cocasses. Mais elle n'est pas là, elle n'est pas avec eux. Son esprit est au bord de cette route maudite où les taches de sang sur le macadam et sur l'herbe des fossés attestent du passage de ses parents. Enfin ils partent et la laisse. Seule. En tête à tête avec le vide qui l'entoure. Elle est désormais seule au monde.
Une fois tout le monde parti, mûe par une frénésie domestique inhabituelle, elle range et nettoie tout. Puis une fois la nuit tombée, dans le silence oppressant, elle fait le tour de la maison, pièce par pièce. Elle ramasse le pull de son père, dernier cadeau qu'elle lui a offert à Noël. Elle noue le foulard préféré de sa mère autour de son cou et saisit l'album photos sur la table basse du salon. Elle prend son sac à main, ferme la maison familiale et monte dans sa vieille guimbarde achetée avec son premier salaire de professeur de sport. Elle roule sans savoir où elle va, comme sur pilotage automatique.
Quand elle arrête la voiture, elle est devant la grille du cimetière. Comme attirée, poussée par une force inconnue, elle escalade le mur et va rejoindre sa famille. Elle écarte les fleurs qui recouvrent la stèle et s'allonge dessus. L'air de la nuit est glacé, tout comme son cœur, mais elle reste là dans le froid et l'obscurité. Elle ne veut pas les laisser seuls, elle ne veut pas rester seule alors elle leur parle, elle leur reproche de l'avoir abandonnée, elle leur demande pardon. Mais seul le silence lui répond. Alors elle lâche prise. Elle hurle sa haine, sa rage. Elle crie contre l'injustice de la vie. Elle pleure pendant des heures. Elle gémit, enfermée dans sa souffrance et sa culpabilité puis elle s'endort, épuisée. Seule au milieu des fleurs sur le marbre glacé.
Quand elle quitte le cimetière au petit matin, elle tourne le dos à sa vieille voiture et marche jusqu'à la gare routière la plus proche. Elle prend le premier autocar qui passe, sans réfléchir, sans demander sa destination. Elle s'assoit sur la banquette du fond, là où personne ne viendra la déranger et elle attend. Elle attend que le temps passe. Elle attend de ressentir quelque chose. Le bus avale les miles. Les arrêts se succèdent mais il ne se passe rien, son corps est comme anesthésié. Elle ne peut plus pleurer, elle ne peut plus crier. Elle ne peut pas hurler sa souffrance car elle ne sait plus ce qu'est la douleur. Elle ne ressent plus rien. Elle n'est qu'une enveloppe vide, sans cœur et sans âme.
Des heures plus tard, elle descend de l'autocar sans savoir où elle est. Elle erre pendant un long moment dans la ville, indifférente au froid, indifférente à la pluie qui tombe. Une phrase du Dalaï Lama traverse fugacement son esprit. La citation préférée de sa mère : « Donne à ceux que tu aimes des ailes pour voler, des racines pour revenir et des raisons de rester. » Elle n'a plus de famille, plus de racines, plus de raisons de revenir ni de rester à Baker City. Elle n'a pas d'enfant, pas de petit ami pour la retenir. Mais comment voler alors que le destin lui a coupé les ailes ? Alors qu'un camion a brisé sa vie sur une petite route en bordure de la route 7, la Sumpter Stage Highway ?
Comme en réponse à ses questions, ses yeux déchiffrent une pancarte devant un bureau de recrutement de l'armée : « Entrez dans l'armée, vous y trouverez une famille. » Le slogan fait battre son cœur. Son palpitant reprend vie. Irrésistiblement attirée par cette promesse, elle franchit la porte du bureau à la recherche de nouvelles racines.
Commentaires :
Aillys
Hello ! C'est vrai que c'est un très bon texte, j'ajoute deux, trois trucs aux autres commentaires « Tout comme son âme à elle. », « Comme elle. » Répétition « Tel que son âme » « Elle roule sans savoir où elle va, comme sur pilotage automatique. » en et pas sur, et dire « pilote automatique » est plus courant que « pilotage automatique », c'est également plus fluide. De plus, le « comme » alourdit ta phrase, on comprend la comparaison sans surtout qu'un vrai pilotage automatique (sans conducteur) a besoin d'une destination et l'enlever te permet d'éviter la répétition avec « elle est devant la grille du cimetière. Comme attirée ». Ce qui donne : « Elle roule sans savoir où elle va, en pilote automatique. » « Alors qu'un camion a brisé sa vie sur une petite route en bordure de la route 7, la Sumpter Stage Highway ? » Pourquoi mettre un point d'interrogation ? Comme on te l'a déjà fait remarqué, beaucoup de répétition de « elle » que tu peux remplacer par des paraphrases : « la jeune fille », « l'orpheline »... Je rejoins aussi le manque de cliffanger, cette dernière phrase de chapitre qui donne envie de lire la suite. Donner un indice sur ce qui va se passer ensuite est une bonne idée du genre « Elle ne le savait pas mais c'est ici qu'elle ferait la rencontre de sa vie » Bon c'est cliché mais ça te donne l'idée Voilà, bonne continuation
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Pandikoe
Bonjour ! merci pour ton texte très bien écrit, à vrai dire je n'ai pas grand chose à dire. Ton texte est bien rythmé, des phrases courtes et d'autres longues. Le seul défaut selon moi est que sans le nom du personnage, on s'attache beaucoup moins à l'héroine. Je pense également tu pourrais rajouter deux ou trois détails sur son apparence physique à travers une action. Cela permettrait de s'identifier plus à la jeune femme et mieux ressentir les émotions qui traversent le texte. J'espère que mon commentaire t'aura aidé, bonne journée.
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Lallyhammer
coucou suite à ta demande, me revoilà : alors je me suis re penchée sur la fin de ton texte. Pour moi, (et après c'est ton texte et ton choix), je confirme que la dernière phrase n'amène pas suffisamment de questions et ne donne que moyennement envie de savoir ce qui va se passer. « elle franchit la porte du bureau à la recherche de nouvelles racines » Le texte présenté nous dit : elle a perdu toute sa famille, maintenant seule, elle quitte l'endroit où elle vivait heureuse et le hasard la conduit à l'armée. L'histoire pourrait s'arrêter là. Donc si je sais pas quoi faire ok je lis la suite, sinon, je ferme le livre. Moi ce que j'attendrais c'est quelque chose qui me pique au vif, même si j'ai pas le temps, il faut que je tourne la page pour savoir ce qui va se passer. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ? C'est pourquoi je te dis qu'il manque un élément aggravant, inquiétant, qui grattouillerait la curiosité de tes lecteurs. Cet élément, c'est à toi de le trouver peut être dans ce qui se passe après dans ton histoire, tu peux peut être amener un indice de ce qui se passe plus tard. J'ai aussi retrouvé pas mal de elle, elle, elle à la fin : « elle n'a plus de famille, plus de racine, plus de raisons de revenir, ni de rester à Baker Ville. Elle n'a pas d'enfant, pas de petit ami pour la retenir » Ex pour supprimer les « elle » sur l'ex ci-dessus : Orpheline, plus rien ne la retient à Baker..., même pas un petit ami... (ceci est un exemple, je ne dis pas que c'est la meilleure solution ) Ensuite la jeune fille a l'air plutôt jeune (d'où le « petit ami ») je n'irai pas sur le fait qu'elle puisse avoir un môme, ça cadre pas, car rien n'a laissé entendre qu'elle avait eu une enfance/adolescence qui pourrait faire qu'elle a eu un enfant très jeune, bien au contraire. Elle a juste plus rien qui la retient. J'espère t'avoir aidée. A dispo
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Lallyhammer
Bonjour Chose promise... Me revoilà. Je maintiens, beaucoup trop de elle, elle elle.... Elle se tient, elle en connait, elle n'imaginait, elle relève, elle sait, elle ne peut, elle a donné, Les pompes funèbres, ... je crois pas qu'ils s'occupent de l'encadrement des photos ! et le nm du défunt est écrit sur le cercueil... Je ne suis pas fan de la phrase : le sang atteste du passage de ses parents. J'en comprends qu'ils sont mort sur la route, mais à mon avis le mot « passage » n'est pas adapté. Enfin dernière chose, ce serait peut être bien qu'au dernier § on sache enfin au moins son nom ??? Ok elle s'engage dans l'armée, mais je rajouterais quelque information qui nous donnerait une furieuse envie de poursuivre la lecture. Tout cela ne change rien à ce que j'ai dit il y a quelques temps, ce texte est bien mais quelques améliorations sont à mon avis à réfléchir.
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Lallyhammer
bonjour et merci pour ce texte Très joli texte, triste mais bien rédigé, prenant, on en aurait presque la larme à l'oeil. C'est donc que ça fonctionne parfaitement. J'ai tout lu d'un trait, tellement je me demandais ce qui pouvait attaquer derrière cette intro. Je n'ai pas été déçue, je pense que la suite va être prometteur. J'ai cependant relevé beaucoup de elle elle elle elle en début de phrase lorsque tu parles de ses ressentis. Une seule chose pour moi ne l'a pas trop fait c'est "comme sur pilotage automatique" : je vois bien ce que tu veux dire, mais ça déroge par rapport au niveau du reste du texte. Tout est bien rythmé et là, je trouve cette phrase moins bien faite et vu le niveau du reste, je suis sûre que tu peux la tourner mieux. J'ai bien aimé la comparaison entre les tiag et ses sentiments, c'était osé et réussi. Bref, bon texte. Je reviendrai le lire un peu plus tard pour être sûre que ta façon de raconter ne m'a pas fait rater quelque chose. Bonne continuation.
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Ices2iceS
Bonjour. Alors désolé mais je n'ai rien a dire. Ce texte est magnifique. Il prend aux tripes, saisissant comme j'ai rarement lu. J'ai eu les larmes aux yeux. Les descriptions sont saisissantes, troublantes, les adjectifs en trois temps sont juste magnifiques. Bref , où se trouve cette histoire ?
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Ices2iceS
Bordel.
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Letmesharemyworld
J'AIMEEEEEEEUH ❤️❤️❤️ Euh... bonjour sinon^^ Au cas où ce n'était pas clair, j'adore ce texte 😍 ça se démarque au niveau du début, de l'intrigue, de l'écriture, du personnage bref, je suis fan. Je n'aurais qu'une remarque à faire : 7ème paragraphe, avant-dernière ligne : enfin ils partent et la laisseNT. C'est la seule faute que j'ai vue. Si tu as déjà publié ce récit, je t'en conjure, envoie-moi un MP 🙏🏻😍
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