Texte n°409
Chapitre 1
Le ciel était d'orage. Ses lourds nuages cachaient entièrement le soleil, annonciateurs de la flotte qui ne tarderait pas à s'abattre sur la ville. Accroupi sur le toit d'un bâtiment, Arios replia d'instinct ses ailes en sentant un frisson le parcourir. Il fronça les sourcils. C'était étrange, il n'avait pas pour habitude de ressentir le froid ni aucune autre température.
Un bruit de clochette tinta plus loin et il oublia toutes ses préoccupations, tandis qu'un sourire étirait ses lèvres. Invisible à l'œil humain, il s'éleva dans les airs pour se poser sur le trottoir en face du bar-restaurant où il devait se rendre. Ses larges plumes immaculées s'évanouirent dans l'air au même titre que l'arc qu'il portait en travers du dos, ne laissant à la vue qu'une banale chemise anthracite dont les deux premiers boutons ouverts révélaient la présence d'un t-shirt blanc. Dans la poche de son jean noir, il retrouva le morceau de papier que lui avait donné son précepteur avant son départ. Il en relu rapidement le contenu, dédaignant la photo de l'homme qu'il survola à peine du regard et s'engagea sur la route pour rejoindre le Coin de la Rue. Il poussa la porte vitrée et la petite clochette retentit. Une hôtesse, le sourire aux lèvres, se dirigea vers lui d'un pas tranquille.
- C'est votre première fois ?
- Dois-je y voir un quelconque sous entendu ?
La jeune femme sourit de plus belle, révélant deux petites fossettes aux coins de sa bouche, à peine perturbées par les quelques mèches brunes qui s'échappaient de son chignon haut.
- Je ne suis pas certaine que la patronne apprécierait, s'amusa-t-elle. Et si je vous dirigeais vers une table, plutôt ?
D'un geste de la main, Arios lui signifia qu'il suivait le pas. Elle se tourna donc pour trouver une table un peu plus loin, près des vitres qui donnait une vue assez dégagée de l'extérieur. Elle lui tendit le menu, replaça un cheveu derrière son oreille et tourna les talons.
Le restaurant n'était pas bien grand, plutôt quelque chose de familial, dans des couleurs chaudes, donnant une impression de convivialité. Les tables étaient tout de même assez nombreuses et, pour la grande majorité, occupées par des gens dont l'âge variait entre 17 et 30 ans environ, si on exceptait les quelques enfants présents en cette fin d'après-midi. La pièce dont le sol ciré était de bois, se partageait entre trois différentes sections qui s'harmonisaient d'une étrange manière : la pièce centrale composée de tables et de chaises brunes aux nappes blues sombres, une scène de spectacle circulaire - assez petite mais contenant déjà quelques instruments -, ainsi qu'un bar qui attira tout particulièrement son attention. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver ce ou plutôt celui qu'il cherchait.
Sa cible du jour se nommait Maël Quere. Breton, 21 ans et les cheveux d'une profonde couleur cuivre. Impossible à rater, donc. Les coudes sur la table et le menton sur ses doigts joint, il observa le jeune homme évoluer derrière le bar. Il remplissait des verres, en essuyait d'autres, passait d'un côté à l'autre du comptoir pour récupérer tantôt une assiette, tantôt une bouteille qu'il tendait à l'un de ses collègues avant de disparaître en cuisine pour revenir quelques secondes plus tard, les mains chargées de plats. Son visage était concentré, lâchant à peine une esquisse de sourire de temps en temps, sans qu'aucun n'atteigne jamais ses yeux.
Ses yeux qui rencontrèrent les siens l'espace d'un instant. Une éternité, semblait-il. Ils étaient d'une nuance étrange, non pas par leur couleur mais par l'indicible intensité qu'ils véhiculaient. Gris comme le ciel couvert. Gris comme l'orage qui couve puis éclate. Gris comme une tempête qui détruit tout sur son passage. Et puis ce frisson, de nouveau. Maël détourna le regard et se replongea dans ses occupations. Arios resta figé, quelques secondes, les sourcils froncés. Que venait-il de se passer, au juste ?
- Excusez moi ?
Il releva le regard vers la serveuse qui tentait d'attirer son attention. Il se recomposa une expression joviale, balayant son trouble d'un geste mental.
- Vous avez fait votre choix ?
- Oh, eh bien, commença-t-il en jetant un rapide coup d'œil à la carte, je ne saurais me décider seul. Qu'est-ce que vous me proposez ?
La fille sembla enchantée qu'il lui demandât son avis, et se mit donc à disserter sur les différents plats qu'ils proposaient. Arios n'écouta que d'une oreille distraite avant de lui souffler de lui faire la surprise, ce à quoi la serveuse répondit par un sourire plus large encore avant de disparaître de nouveau.
Un tintement à l'entrée attira son attention. Il sourit. Voilà le deuxième chanceux. Maxime Le Gall, 22 ans, étudiant en psychologie à l'université du coin. Coureur de pantalon invétéré, il avait la réputation de changer de partenaire aussi vite que de chemise, et, pour quelqu'un aussi porté sur l'apparence, ce n'était pas peu dire. Il prit rapidement la direction du bar et tira un tabouret, juste en face de Maël. Arios commença à trépigner sur sa chaise. Il adorait, son boulot !
Certes, Ionas allait encore râler, Antéros lui courrait sûrement après pour lui arracher les plumes, à peine retenu par son frère, mais, en toute honnêteté, qu'y avait-il de plus jouissif dans la vie que jouer avec les émotions des mortels ? Ils étaient si fragiles, si pathétiques dans leurs incroyables élans sentimentaux, que la moindre de leur larme avait un goût sucré dont il appréciait se délecter. Alors il tendit l'oreille, se servit de son ouïe particulière et observa Maxime jouer de ses charmes tandis que Maël lui répondait par des « hum » et autres « ah », le regard froid et les sourcils ne se défroissant pas un instant. Il pourrait rappeler son arc, décocher l'une de ses nombreuses flèches sur les deux hommes. Il savait comment tout se passerait : ils tomberaient amoureux l'un de l'autre, cela durerait une semaine ou deux et leurs ambitions et caractères trop différents reviendraient à la charge pour briser chacune de leurs étreintes, chacune de leurs promesses, ne laissant derrière eux que deux cœurs meurtris, des larmes et des cris. Et il savourerait son œuvre, encore une fois. Mais il n'en fit rien, il avait le temps, après tout.
Alors il attendit que la jolie serveuse refasse son apparition, lui tende son repas avec un coup d'œil intéressé et reparte, le laissant profiter de son déjeuné. La nourriture humaine n'était pas exactement la même que celle qui lui était servie depuis son plus jeune âge, mais il savait en apprécier les saveurs et les nuances. C'était comme les sentiments. Comme l'amour dont il avait fait le serment de répandre les douceurs et les douleurs sur terre. Il attendit donc que le serveur termine son service, sachant que l'autre ne s'en irait pas avant. Il n'avait pas besoin d'étudier ce dernier pour savoir quel genre d'homme c'était, il en avait vu tellement, des comme lui. Ils n'étaient pas les plus amusants, mais c'était sans conteste ceux qui proposaient les amours les plus éphémères et douloureux.
Quand Maël quitta son poste, Maxime suivit, tout comme Arios qui prit le chemin de la grande porte pour rejoindre l'arrière du bâtiment. Il les trouva en pleine prise de tête, fit apparaître son arc et banda doucement le bois précieux, son œil analysant la future trajectoire de la flèche. S'il relâchait, la pointe effleurerait les deux hommes à l'épaule avant de s'évaporer dans l'air. Ils ne sentiraient rien de la piqûre, mais les effets ne prendraient pas longtemps à agir. Il aurait pu doser autrement les pouvoirs de son arc et l'intensité qu'il y mit, mais décida que cela irait très bien comme tel. Si jamais un humain venait à le surprendre dans cette position, il ne verrait rien d'autre qu'un homme debout, observant deux autres un peu plus loin, le prenant sûrement pour un immonde voyeur. L'idée l'amusa. Ce ne serait pas la première fois que cela arrive.
Il écarta ses pensées parasites et se reconcentra sur ses cibles. Mais à l'instant où ses doigts s'apprêtaient à relâcher la tension, deux perles grises croisèrent son regard. Et l'instant paru long, étrange, intense. Son bras droit lui fit mal de garder la position. Mais il devait tirer cette flèche. C'était sa mission, son devoir, alors pourquoi n'y arrivait-il pas ? Qu'est-ce qui, dans ce regard, dans cette insistance curieuse l'empêchait de le faire ? Il relâcha la pression. Doucement. Ses bras s'abaissèrent et la flèche pointa le sol. Il recula, son dos rencontrant le mur.
Qu'est-ce qui venait de se passer ? Son cœur cognait fort et des images d'orages tournaient dans sa tête. Il ferma les yeux un instant, le temps de se détendre. Lorsqu'il les rouvrit, deux grandes ailes apparurent, étendant leurs plumes sur près de deux mètres de chaque côté. Le ciel était gris. Lourd. Il allait pleuvoir.
Une brève impulsion sur le sol et il prit son envol. Il serait toujours temps de la tirer plus tard, cette flèche.
Commentaires :
Aillys
Coucou ! Pour commencer, l'histoire semble originale. Je n'ai trouvé aucun passage ennuyeux ou inutile, tout s'enchaîne correctement. Tes descriptions sont alimentées de Show don't tell et pas trop lourdes. Juste, dans ton 1er dialogue, quand Arios dit « Dois-je y voir un quelconque sous entendu ? » je ne sais pas s'il le dit simplement, s'il la taquine ou autre. Il manque une description. Je vais continuer avec le personnage principal. Arios, donc Cupidon, est sadique envers les humains : il se délecte déjà de la souffrance engendré par la future rupture alors que Maxime et Maël ne sont pas encore amoureux. Il veux s'amuser avec les sentiments des Hommes. Ce qui est plutôt original pour Cupidon. Mais dans ce cas, pourquoi n'utiliser qu'une flèche et faire en sorte que les deux tombent amoureux en même temps ? Ne serai-ce pas plus amusant pour lui de commencer par un amour non réciproque et de voir celui qui est amoureux galérer pour séduire l'autre, désespérer de n'avoir aucun signe en retour et de le voir séduire d'autre personne ou lui raconter ses séductions ? Surtout que Maxime est un « coureur de pantalon » et pourrait facilement faire souffrir Maël. Et seulement ensuite tirer une deuxième flèche pour que les deux soient en couple et attendre patiemment la douloureuse rupture. J'ai remarqué un fil conducteur avec le ciel orageux : dans le 1er paragraphe puis avec le gris des yeux de Maël et enfin dans l'avant dernier paragraphe. Je pense que tu n'as pas mis ça pour rien et j'espère que tu vas l'exploiter car il y a bien des moyens pour le faire. Je trouve ta dernière phrase bien tournée, assez ironique dans un sens car on se demande s'il va réussir à la tirer un jour cette flèche. Et sinon un détail : « Il adorait, son boulot ! » pas besoin de virgules juste « Il adorait son boulot ! » Donc voilà, un bon début d'histoire avec de bonnes idées qui, je pense, ne demande qu'à être exploitées.
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TatouageVoyageur
Bonjour ! Voilà mon avis sur ce chapitre. L'intrigue me semble assez originale. Le rythme de ce chapitre est léger, mais on bute sur des phrases assez longues qui se perdent en fluidité. C'est le cas de ces phrases : << Ses larges plumes immaculées s'évanouirent dans l'air au même titre que l'arc qu'il portait en travers du dos, ne laissant à la vue qu'une banale chemise anthracite dont les deux premiers boutons ouverts révélaient la présence d'un t-shirt blanc. >> << Les tables étaient tout de même assez nombreuses et, pour la grande majorité, occupées par des gens dont l'âge variait entre 17 et 30 ans environ, si on exceptait les quelques enfants présents en cette fin d'après-midi. >> Dans le premier paragraphe, il est préférable de placer un point (.) entre " dos " et " ne ". Dans le deuxième paragraphe entre " environ " et " si ". Cela raccourcir les phrases et ajoute une touche de fluidité. L'orthographe est respectée, je n'ai pas relevé de fautes (ou très peu), il n'y a pas beaucoup de répétitions ce qui est très bien. Les descriptions sont présentes, ni trop lourdes, ni peu existence, à mon goût. Je n'ai rien d'autre à ajouter concernant ce chapitre. Bonne continuation !
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NadegeChipdel
Bonsoir ! Je passe pour un avis sur ce chouette chapitre. Que dire.... * dans son ensemble, l'idée de départ est extrêmement sympa ! J'ai adoré l'idée que notre. Cupidon s'en "prenne" à deux hommes, ça change, et ça fait du bien. * les traits d'humour sont légers et donne du peps au rythme de l'histoire. Je ne me suis pas ennuyée une seconde ! J'ai eu quelques inquiétudes au départ, mais les évènements s'enchaînent ensuite avec cohérence. * en terme d'orthographe et de syntaxe, je n'ai rien relevé. Ah si, une coquille sur déjeuneR. Du coup, je rentre un peu dans le détail : * "suivait le pas". L'expression n'est pas tout à fait correcte. On dit plus "marquer le pas". * "replaça un cheveu". Elle est sensible cette serveuse, c'est peu un cheveu. On parle plus de repasser une mèche. * ensuite, il y a des participes présents qui peuvent être supprimés pour alléger le texte. J'ai aussi trouvé que certaines virgules étaient mal placées. En tout cas, bravo ! Ce texte est de mon point de vue une belle découverte.
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