Texte n°407
(Ceci est un texte déjà publié et retravaillé par l'auteur)
Un nouveau grondement fracassa les ténèbres. Aussitôt les tremblements se répercutèrent sur les parois de la pièce, brisant le silence qui y régnait. Cet orage dissuadera les inquisiteurs les plus téméraires songea Orcéus, une aubaine. Le vieil homme épongea la sueur perlant sur son front, exhalant son impatience d'une forte inspiration. Il avait cessé de compter les minutes depuis un bon moment, le temps ayant coutume de s'écouler avec une inlassable lenteur dans ces situations-là. Afin de dompter l'agitation qui s'emparait de lui, il se focalisa sur le bruit de la pluie qui s'abattait contre les fenêtres alentours. Outre son caractère apaisant, ce dernier lui apportait un curieux sentiment de sécurité. Sur la table devant lui, ses yeux discernèrent à la lueur d'une lanterne, une bouteille, puis, un verre. Il le remplit et en fit tournoyer le contenu, s'abîmant dans une rêverie soudaine. Pourquoi était-ce si long ?
Plus tôt dans la journée on lui avait fait parvenir une estafette : « visite ce soir », disait-elle. Le message, aussi concis fut-il, Orcéus l'avait parfaitement compris. Il savait de qui, et surtout de quoi il s'agissait. Dès lors il n'avait eu de pensées que pour ce rendez-vous, endurant ces interminables réunions et autres mondanités que son statut lui imposait. L'attente avait été insoutenable, mais il avait patienté, et, à la tombée du jour, il avait simulé un besoin de repos de sorte qu'il puisse s'exiler de la ville le temps d'une nuit. Il s'était même affranchi de ses deux gardiens, les contraignant à le rejoindre uniquement si les circonstances l'exigeaient. Un risque inconsidéré mais nécessaire, la confidentialité étant pour l'heure maîtresse de cette affaire.
Un éclair pourfendit le ciel. Un. Deux. Trois. Quatre. Le tonnerre attesta par un grondement sourd. Dehors le sifflement du vent qui, seul, défiait l'averse dans ces contrées abandonnées, faisait foi de son intrépidité. Le vieil homme se sentait définitivement à l'abri dans sa cahute de bois.
Une heure, peut-être deux, passèrent avant que l'on ne frappe à sa porte.
BAM, BAM. Deux coups, secs.
Submergé par les évènements le cœur d'Orcéus s'emballa mais le vieil homme demeura impassible. « Entrez » somma-t-il sans l'once d'une hésitation. Une imposante ombre encapuchonnée se faufila aussitôt dans la pièce. Sans attendre, comme si l'ordre contenait implicitement une liste de directive, elle ferma la porte, accrocha sa lanterne et son épée à l'entrée, se dévêtit de sa cape dégouttante qui chut d'un ploc mouillé sur le sol et se saisit d'une chaise à proximité. La lumière qui accaparait désormais un peu plus d'espace dévoila un homme au visage chiffonné et aux cheveux ébouriffés. Ses yeux, noirs et sans pupille, scrutèrent celui qui leur faisait face tandis qu'il essuyait sa barbe emperlée.
-Par la ribaude qui m'a enfanté, finit-il par grommeler, qu'est-ce qui nous a pris de choisir un tel endroit ? Je me suis perdu deux fois en chemin tellement qu'on n'y voit goutte.
D'un geste exempt de commentaire, Orcéus attrapa un autre verre qu'il remplit à ras bord. L'homme accepta le don d'un « Merci » et vida le contenu d'une traite. Il grimaça.
-Les hommes de la garnison m'ont déjà offert meilleure piquette. Dois-je y voir une quelconque forme de reproche ?
-Aucune, tu n'as simplement jamais su savourer les grands crus à leur juste valeur .
L'ombre se gondola et éclusa le reste de la bouteille d'une descente alarmante. C'était bien là l'homme qu'Orcéus connaissait. Il avait de prime abord eu le sentiment de faire face à un inconnu, sans vraiment savoir pourquoi. À dire vrai si, il le savait, mais préféra ignorer cette intuition malsaine.
-La route s'est-elle déroulée sans embuche ? questionna-t-il.
Une moue désapprobatrice fit office de réplique.
-Pas de ça avec moi Orcéus, tu sais que je ne suis pas du genre à louvoyer à propos de ces affaires-là. La mission est un succès, j'ai même grapillé quelques informations au passage si tu veux tout savoir.
Le vieil homme ne put réprimer un soupir de délivrance. Il était enfin soulagé d'un fardeau, et non des moindres.
-Worhine que grâce te soit rendu. Fais-moi part du déroulement des évènements.
L'ombre se racla la gorge, comme si son interlocuteur avait été relayé par une assemblée :
-J'ai voyagé. Bigrement voyagé même. Mais aucun endroit ne m'a convaincu. Je ne fais pas confiance aux nitessiens, pas foutu de garder un secret ceux-là. Les autres, ils ont que pouic pour nous le cacher, et je n'allais quand même pas demander à des inconnus.
Il secoua la bouteille, mais constata à son grand désarroi qu'elle était déjà vide.
-Il me restait deux solutions : Le planquer dans un trou ou user de mes contacts. Je te le concède la première m'a fait du pied, puis je me suis rappelé qu'il y avait autant d'humour chez toi que d'alcool dans un lait de chèvre. Alors j'ai retrouvé un ami de longue date. C'est que le bougre a regimbé jusqu'à ce que je sorte la picaille.
-Je me désole de constater que la compagnie des soldats a eu des effets néfastes sur toi, coupa Orcéus, au point de te voir adopter leur idiome. Tu es censé avoir de l'influence sur eux, non l'inverse.
-M'est avis que c'est toi qui t'es maniéré avec le temps, mais c'est un autre sujet.
Le voyant s'acharner sur le goulot à la recherche d'un vin imaginaire, le vieil homme se résigna à lui tendre son verre. Cela ne manqua pas d'arracher un sourire à Whorine, qui reprit de plus belle :
-Dès que cette girouette a vu l'argent, le discours a changé. La somme était rondelette, faudra penser à la renouveler bon an mal an. Au moins à ce prix-là il nous le gardera le temps nécessaire.
Il étancha sa soif, laissant un silence éphémère s'insinuer entre eux. Proche de là, l'averse prenait de l'ampleur.
-Loin de moi l'idée de te reprocher une absence de zèle, fit remarquer Orcéus d'un ton sec, mais quand je t'ai enjoins de trouver un garant, j'avais en tête des personnes de confiances et non le premier étranger avec qui tu as ribotté un soir de garde.
-Il ne jaquettera pas, argua Whorine. Je l'ai déjà mis dans la confidence par le passé, c'est une vraie tombe. Il pourrait caner pour moi.
Glissant sa main dans sa chemise en lin, il en ressorti une carte pliée.
-Tiens, avec ça tu le trouveras facilement. Il m'a juré de ne pas décaniller tant qu'on en aura pas fini avec notre histoire. Evidemment j'ai gardé les détails de l'affaire pour moi !
Orcéus plongea son regard dans les iris fuligineuses de l'individu, insondables. Qu'il le veuille ou non, il allait devoir se satisfaire de cette situation, au moins le temps d'éclaircir les zones d'ombres.
-Soit, admit-il. Maintenant, qu'en est-il de tes renseignements ?
Whorine répondit d'un air solennel :
-Tu te rappelles du ginseo qui a essayé de t'assassiner il y a quelques années ?
-Comment l'oublierai-je ?
-Il s'est fait écarteler hier, sur la place publique de sa terre d'origine. Comme on dit, jamais trop tard pour bien faire.
-Où veux-tu en venir ? questionna Orcéus, son flegme approchant de sa limite.
-Ses affaires ont été vendues aux enchères et j'ai mis la main sur l'une d'elle. Pour presque rien.
Il exhiba une clé en argent suspendue à son cou.
-Ce colifichet ouvre un coffre, ça j'en suis certains. Il ne me reste qu'à déterrer le bon. J'ai ma conscience qui me dit que dedans on trouvera une liste de noms, et ma conscience elle ne me trompe pas.
Muet, le vieil homme se contenta de branler du chef. Si cela s'avérait, les masques allaient enfin tomber et d'aucuns verraient leurs projets réduits à néant.
-Sur ce ne m'en veux pas, poursuivit l'autre, j'ai pas roupillé depuis deux jours. J'ai dit ce que j'avais à dire, on jasera demain.
Whorine se leva, laissant entrevoir sa silhouette imposante : deux fois celle d'un homme normal, en hauteur comme en largeur.
Le voyant réunir sa lanterne et sa cape, Orcéus l'interpella :
-Il me reste une dernière chose à régler avec toi, au sujet d'une certaine missive que tu as faites parvenir, presque simultanée à celle que j'ai reçue.
Le géant, dos tourné, se figea net. Le temps nous est compté, pensa Orcéus.
-Je ne vois pas de quoi tu parles...
- Épargne-moi ta simagrée, je sais tout.
Dehors l'orage doublait d'intensité. Une fulguration blanche envahit la pièce une demi seconde faisant tonner au ciel des menaces calamiteuses.
-Depuis quand es-tu au courant ? murmura Whorine d'une voix grave
-Depuis quand ne le suis-je pas ? Ce n'était que de simples suspicions, au début du moins. Puis j'ai fait preuve de discernement et ai percé ton insidieux dessein. Ma foi, je ne peux qu'en saluer l'ingéniosité.
Whorine fit immédiatement volte-face, épée au poing, mais à peine s'avança-t-il en direction de son opposant que l'on tambourina à la porte.
-Votre grandeur, c'est moi, Dwor, émit une voix.
Le géant eut un rire gras.
-Si tu penses pouvoir m'arrêter avec tes deux mouflets...
-Je suis tout autant surpris que toi, l'interrompit Orcéus. Fais silence, nous règlerons nos différents plus tard.
Sans laisser le temps à la répartie, il fit entrer le nouvel arrivant. Un jeune homme hors d'haleine se présenta sur le seuil. Dans sa main, un sac en toile boueux. Il inclina la tête, agitant sa crinière jaune trempée et balbutia :
-J...j'en appelle à votre clémence pour avoir perturbé cet entretien...
Dwor dévisagea successivement les deux protagonistes, une lueur curieuse dans son regard terrifié.
-Parle, ordonna le vieil homme, qu'est-ce qui t'a poussé à me désobéir ?
-J'étais de retour en ville, q...quand j'ai aperçu un véhicule à proximité des murs. Vide, à l'exception de...ceci » Hésitant, il s'approcha et déversa d'une main tremblante le contenu du sac sur la table. À sa vue, Whorine proféra plus d'invectives que le vieil homme n'en avait jamais entendu tandis que lui-même refoula un haut-le-cœur. Un sentiment de colère l'envahit. De regret, également. Il avait longtemps envisagé cette finalité, mais n'avait pourtant rien fait pour l'en empêcher. Il connaissait le coupable cela ne faisait aucun doute. Un problème de plus pensa-t-il sans quitter du regard la tête ensanglantée posée là. La mâchoire de celle-ci, ouverte, dévoilait une bouche aux dents et à la langue arrachées. De ses orbites béantes s'échappaient des asticots. Sur son front était gravé un mot, un seul. Léonin. Le second jeune homme qui escortait Orcéus depuis près de cinq années était désormais méconnaissable.
Soudain, un bruit métallique se fit entendre. Le vieil homme tourna la tête, l'œil attiré par l'acier nu, et vit Whorine croisant le fer avec son gardien.
-T'es sacrément rapide mon gars ! cracha le géant.
Dwor repoussa son adversaire
-Expliquez-vous ! s'insurgea-t-il.
Sa seule réponse fut un second assaut qu'il para de justesse.
-Je ne souhaite pas me battre contre vous, cessez immédiatement.
Il essuya une troisième attaque. Cette fois le heurt le fit vaciller, chuter sur la table qui s'affaissa sous son poids. En ni une ni deux Whorine s'élança pour asséner le coup de grâce, mais le jeune homme lui faucha aussitôt les jambes. S'en suivit une rixe au sol d'où fusaient coups et grognements. Le géant voulut étreindre son ennemi, mais celui-ci se déroba et se précipita sur son épée tombée plus loin. Il s'autorisa un instant pour reprendre son souffle, se retourna et ...trop tard ! Une ombre miroitante lui fendit l'oreille dans une gerbe écarlate, lui arrachant un cri de douleur.
Depuis l'extérieur des craquements célestes venaient ponctuer la joute. Dans un coin de la pièce, Orcéus assistait à la scène, impuissant.
Dwor essuya sa tempe ruisselante et reprit sa garde. Whorine chargea de plus belle. Le jeune homme esquiva, contre-attaqua et tailla le flanc gauche de l'assaillant qui gémit à son tour. Les combattants multiplièrent leurs attaques dans un entrechoquement de lames itératif. Peu à peu l'épuisement saisit les deux adversaires dont les offensives perdaient en intensité. Le jeune homme, ahanant et décidé à clore cet affrontement au plus vite, se laissa gagner par la précipitation. Dans un ultime élan qu'on n'aurait su définir de brave ou de désespéré, il feinta l'estoc. Grave erreur se navra Orcéus. La punition ne se fit pas attendre. L'air siffla, tranchée fut la chair. Dwor hurla et tomba à genoux , horrifié devant sa main qui gisait à terre la seconde d'après.
-C'est un beau combat que tu m'as offert là gamin, lâcha Whorine triomphant, je peux m'estimer heureux que quelqu'un m'ait facilité la tâche.
Il pointa la tête en décomposition qui avait roulé sur le plancher pendant le duel, puis, sans attendre, enfonça son épée dans la poitrine du perdant. Le jeune homme succomba dans un râle d'agonie, privé de dernière parole et des raisons qui l'avaient conduites à cet aboutissement macabre.
-Il manquait de pratique, dit Whorine après un long silence. Son entrainement était défaillant ce n'est pas faute de te l'avoir répété.
Tapis dans l'ombre, Orcéus lui accorda ce point. Ses deux Méridiens avaient été vaincus la même nuit, sa vie ne pouvait perdurer entre les mains d'incompétents.
-Dwor t'estimait beaucoup, avoua-t-il, et tu l'as trahi. Comme bien d'autres.
-Je ne le détestais pas non plus ce p'tit gars, mais je fais primer mes intérêts.
Le géant se dirigea d'un pas meurtrier vers Orcéus qui se dégagea de son asile ténébreux .
-Tu veux ajouter quelque chose ?
-Qu'aurais-je à confier de plus ? demanda à mi-voix le vieil homme. Ce qui me désole, vois-tu, c'est que je n'avais guère prévu de voir mon travail doubler cette nuit.
Whorine se masqua d'abord d'incompréhension, puis écarquilla les yeux lorsqu'il sentit un filet s'écouler de son nez. Le temps de réaliser et, déjà, une toux convulsive s'emparait de lui.
-Qu'est-ce que tu m'as fait ? suffoqua-t-il.
-Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
Le géant s'effondra.
-Je ne m'apitoierais pas sur ton sort, cependant saches que ce dénouement aurait pu être tout autre. Si seulement tu avais choisi le bon camp.
À ses pieds, Whorine bavait, crachait, vomissait un mélange de bile et de sang.
-Tu te méprends ... réussit-il seulement à répondre.
Son corps se contorsionna sous la douleur, se débattant contre une emprise invisible. Après de longues minutes d'une lutte acharnée avec lui-même, il s'immobilisa, abandonné de toute trace de vie. Une mort plus rapide qu'il ne l'aurait mérité.
L'averse perdit en intensité. Taciturne, Orcéus joignit ses mains pour en évacuer tout tremblement, désormais seul face à ses vieux démons. Ensuite, il arracha la clé encore sur le torse de Whorine et se fraya un chemin dans le sinistre désordre de la pièce, enjambant les cadavres. C'est là qu'il heurta la bouteille de vin encore intacte malgré tous ces bouleversements. Orcéus scruta sa physionomie dans son reflet. L'espace d'un instant, il y vit le regard accusateur de l'homme à qui il venait d'ôter la vie.
-L'avenir nous dira qui de nous deux s'est mépris, mon frère.
Commentaires :
-SilverWing-
Les nitessiens ne sont pas foutu's' Je trouve pas grand chose à redire pour l'instant donc je m'attaque aux petites fautes ^^
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-SilverWing-
"Liste de directive" = plusieurs directiveS ; )
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Lilimnt
Je pense que tu pourrais faire deux paragraphes :) "Un nouveau..." et "Afin de"
--> Lilimnt
Ah d'accord !^^
--> Adam-Meyers
Salut! C'est deja le cas sauf que la mise en page wattpad est galère pour faire des paragraphes, sachant que je mets aussi les alinéas
--> Lilimnt
Pour aérer et faciliter la lecture ^^
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-SilverWing-
"À la clarté des rayons de lune", c'est fort joli dit comme ça mais en général pendant un orage la lune est cachée par les nuages ! ;) mais du coup tu peux très bien le remplacer par ''à la clarté des nombreux éclairs" ou encore "illuminé par les éclairs"
--> -SilverWing-
Ah oui pardon, autant pour moi ^^
--> Adam-Meyers
Merci à toi !
--> Adam-Meyers
Oui je l'ai changé dans la nouvelle version! Regarde l'histoire vient d'être actualisé
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Lilimnt
#candidate Alors ce texte est très bien écrit. Tu as su mettre les mots sur les actions, utiliser à la fois un vocabulaire enrichi et allier tous les sens possibles des personnages. La scène de la bataille est particulièrement réussie, et la description du vieil homme au début est très réaliste. Bravo pour cela ! Le mystère est présent, on a les clés de l'intrigue, donc c'est un sans faute pour moi. J'ai juste constaté quelques petites fautes d'orthographe (peu importantes) : "Je t'ai enjoint*" "Personnes de confiance*" "Ressortit*" "J'en suis certain*" "Missive que tu as faite*" Bonne continuation :)
--> Adam-Meyers
Merci beaucoup pour ta critique détaillée !
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