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Depuis six jours nous sommes réfugiés avec mon père et ma mère, plongés dans le noir le plus complet sous une résidence. J'ai quinze ans, j'ai chaud et j'écris dans ma tête ce qui m'arrive pour pouvoir le raconter plus tard à mes amis, quand je serai sortie. Je vais commencer par la description du lieu où nous sommes depuis plus de cent quarante heures. J'ai mémorisé la place des objets et des volumes lors des visites de Mme V, mais surtout à force de me cogner dans toutes les choses qui traînent.

La cave doit mesurer au maximum quatre mètres de long sur deux de large. On y descend par une trappe grâce à une échelle métallique, avant d'atteindre une demi-douzaine de marches, en bois. Au bas de l'escalier il y a un espace au sol, un des rares qui nous reste ici depuis notre arrivée.

Le plafond heureusement assez haut, permet aux émanations et à la chaleur de monter, comme ça on sent moins les mauvaises odeurs.

En face de l'escalier les réserves d'eau, un gros bidon en métal sert pour la toilette et les besoins hygiéniques. Dessus deux grosses bonbonnes en verre, dont une aujourd'hui vide, avec lesquelles nous buvons ou nous préparons les soupes. L'eau n'a pas très bon goût mais nous devons nous en contenter. On viendra la changer avant qu'elle croupisse, ou s'assèche totalement, j'espère.

A gauche du bidon une grosse cantine, la malle appartient à Mme V. m'a dit ma mère. Interdiction de l'ouvrir. Dessus nous avons posé un seau de cendres, dessous Papa a creusé un trou profondément dans le sol. Quand nous voulons aller faire nos besoins mon père déplace cette caisse de métal, libérant la cavité. Une fois fini nous versons un bol de cendres dessus et mon père remet la cantine en place après avoir placé une planche trouvée hier en farfouillant dans la pénombre.

A gauche de l'escalier et à cinquante centimètres de la malle de Mme V. se trouvent deux autres cantines l'une à côté de l'autre, mes parents dorment là.

A côté de l'échelle, en descendant contre le mur, du sol au plafond, un casier à bouteilles, elles se sont avérées être toutes vides. On m'a installée sur nos deux valises, l'endroit plus souple que les cantines offre davantage de confort. Voilà, on a fini le tour de nos huit mètres carrés.

On est venu dans cet abri grâce à maman, elle connaît bien Mme V. une de ses admiratrices les plus ferventes. Maman chante à l'opéra depuis des années. Elle est très célèbre. Depuis un an elle m'emmène souvent à ses spectacles. J'aimerais bien devenir danseuse, moi. Ici ma mère ne chante pas. Je suis sûre que sa passion lui manque. Le soir, ou parfois dans la journée elle fredonne un air. Ses mélodies me rappellent les berceuses chantées avant de m'endormir bébé, ou plus récemment celles pour mon petit frère.

Papa a emprunté une voiture et nous avons quitté notre grand appartement. Avec tonton, dans la nuit ils ont descendu nos affaires ici, j'ai porté une valise et depuis nous ne sommes plus sortis de la cave. J'aurais aimé emporter des livres ou de quoi écrire mais de toute façon avec l'absence de jour mon matériel ne m'aurait été d'aucune utilité.

La cave se situe sous la cuisine de Mme V. Sa maison a l'air vraiment très grande. La seule bouche d'aération, un regard, semble obstruée, aucun rayon ne filtre. J'aurais bien aimé voir la clarté de temps en temps ou qu'on fasse un feu, mais mes parents l'interdisent.

Du coup, je m'ennuie beaucoup. En plus nous ne devons pas faire trop de bruit. Papa et Maman parlent un peu, ils se demandent ce que nous allons pouvoir devenir après et combien de temps tout cela va durer. Je voulais jouer un peu de musique en tapant sur les caisses et les bouteilles mais maman ne souhaite pas déranger Mme V. et veut que nous restions discrets.

Nous sommes venus ici pour nous mettre à l'abri. On recherche Papa pour des histoires politiques, un coup de révolution je crois ou une extermination, je n'ai pas bien compris.

Je me raconte cette histoire dans ma tête parce que je n'ai rien pour écrire. Et je me la répète sans cesse pour ne pas l'oublier, c'est un peu un château que je construis en ajoutant des cartes au fil des jours qui passent. L'exercice ressemble au jeu auquel nous jouons avec mes parents ces derniers jours. Chacun tour à tour nous devons reprendre l'histoire depuis le début en ajoutant chacun un mot ou une phrase. Mon histoire, mon jeu, je répète mes mots chaque jour, je passe un moment.


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