Chapitre 7
Jane passa les portes d'un restaurant à l'ambiance vintage et se présenta avec l'espoir d'être prise comme serveuse. Il s'agissait de son septième entretien et jusqu'ici personne n'avait voulu la prendre. Le prétexte était chaque fois identique mais Jane savait que ces refus avaient un rapport avec sa grossesse. Pourtant, elle devait à tout prix trouver un travail avant ce soir et ne pouvait pas se permettre un autre refus.
Alors quand le patron du restaurant baissa son regard sur son ventre avec hésitation, Jane arbora son plus beau sourire, essayant de jouer avec ses charmes.
- Vous êtes enceinte ma petite, dit-il d'une grosse voix qui laissa échapper une forte odeur de bière.
- Oui mais ça ne m'empêchera pas de travailler aussi dur qu'il le faudra, répondit Jane à la hâte. Je ne suis jamais en retard, je suis efficace, bienveillante et...
- Je suis sûr qu'une serveuse enceinte fera sensation pour mon restaurant, la coupa-t-il en lui esquissant un sourire que Jane n'aurait jamais voulu voir.
Elle s'efforça de lui sourire car cette opportunité serait peut-être la seule qu'elle aurait aujourd'hui.
- Alors vous êtes d'accord pour que je fasse un essai ?
- Pas besoin d'un essai, vous êtes embauchée.
Jane aurait dû éclater de joie, mais son sourire s'effaça lentement tandis qu'elle jetait des regards circulaires derrière le patron. Elle dut se ressaisir, le ventre cependant noué.
- Très bien, quand vais-je commencer ?
- Jamais ! Tonna une voix féroce derrière elle.
Jane n'eut pas le temps de réagir qu'une main d'acier entourait déjà son bras fin. Elle sentit l'odeur de cèdre lui monter au nez et fut plaquée contre un torse massif. Il la traîna hors de l'établissement si vite qu'elle en eut un léger vertige.
- Lâchez-moi ! S'écria-t-elle en posant son avant-bras sur son torse dur pour s'éloigner.
Mais il la tenait dune poigne féroce, l'invitant contre son gré à lever la tête vers son regard cruel. Son sang quitta son visage quand elle croisa les yeux ivres de rage de l'arabe à la beauté froide.
Sous le soleil chaud de cette matinée dégagée les lignes féroces de son visage y apparaissaient sculptées.
- Petite idiote ! Gronda-t-il entre ses dents serrées. Vous espériez tout de même pas que j'accepterai votre démission avec joie.
Il la relâcha sèchement et fit un pas en avant comme s'il voulait se fondre sur sa proie afin de la piéger.
- Bien sûr que oui ! Répondit Jane en rencontrant le mur froid de la petite ruelle. N'est-ce que pas ce que vous vouliez ? En l'espace d'une journée, vous m'avez fait très clairement comprendre que vous étiez hostile à ma présence, maintenant laissez-moi passer !
Il plaqua ses mains sur le mur, l'enveloppant de sa carrure enfermée dans un long manteau noir ouvert.
- Pour vous laissez travailler dans ce restaurant miteux ? Jamais !
- Ma vie ne vous regarde en rien ! Je suis libre de faire ce que je veux et de travailler ou je veux.
- Je ne vous laisserai pas faire, rétorqua-t-il d'une voix imprégnée d'une menace claire. Vous allez retourner au manoir sur-le-champ.
- Pour perdre la moitié d'un salaire qui m'est indispensable ? Jamais !
C'était la pire des luttes pour Jane, la pire des tragédies de devoir affronter cet homme qui continuer de bousculer sa vie sans même en connaître les conséquences.
- Je vous ai dit que votre salaire resterait inchangé en échange de votre obéissance à mes ordres ! Dit-il en peinant à masquer la grandeur de son agacement.
- Je n'ai pas confiance et de toute façon je ne peux pas m'adapter à vos exigences qui me font rentrer tard et en pleine nuit. Je ne peux pas c'est impossible. Je ne peux pas c'est au-dessus de mes forces.
Jane sentit son menton trembler alors qu'elle soutenait obstinément son regard tout en sachant que c'était de plus en plus difficile.
- Vou...vous êtes cruel, lâcha-t-elle avec une note tremblante dans la voix. Vous êtes terrifiant et votre hostilité à mon égard me pousse à prendre cette décision pour la santé de mon bébé.
Elle poussa des petites expirations tremblante en baissant aussitôt les yeux, consciente d'avoir été imprudente mais sincère. Le regard rivé sur son manteau noir, Jane n'osait plus relever les yeux, mais fut obligée de le faire car son silence devenait de plus en plus inquiétant.
Impassible, ne laissant rien paraître sur son visage de glace, seuls ses yeux étaient baissés sur elle.
Jane ne put en supporter plus et décida de forcer les choses en essayant de passer sous son bras. Il la laissa faire mais pour mieux la saisir par le poignet.
- Vous comprenez ce que je dis ? Lança-t-elle alors qu'il l'entraînait en direction d'une voiture noire.
Il ouvrit la portière passagère et d'un seul regard sévère lui indiqua de monter.
- Non.
- Oh si...
Quand il s'avança, Jane recula instinctivement, jusqu'à sentir qu'elle glissait d'elle-même sur le siège. Il referma la portière sur laquelle elle empressa de s'acharner alors qu'elle était verrouillée.
La peur fusa en elle quand il se mit au volant et se pencha vers elle pour boucler sa ceinture.
- Je dois rentrer chez moi, tout de suite, murmura-t-elle le cœur battant quand ses doigts effleurèrent son ventre rond.
Il ne répondit pas et démarra en trombe pour sortir de la vieille ruelle étroite. Partagée entre le sentiment qu'il ne pourrait pas lui faire de mal et la crainte de ne pas suffisamment le connaître pour l'affirmer avec certitude, Jane essaya de se concentrer sur le souvenir de ses mains qui avaient si protectrices cette nuit-là pour ne pas flancher et se mettre à hurler.
Elle se mit à l'épier de quelques regards prudents. Impassible, figé dans un marbre dur, il fixait la route d'un regard glacial et pourtant, Jane se laissa porter par une certaine fascination pour son profil...notamment la ligne dure de sa mâchoire couverte de barbe.
- Vous travaillerez jusqu'à dix-sept heures, lança-t-il soudain sur un ton neutre mais où perçait des tons doucereux. Quant à ma parole, soyez sûr que je la tiendrai tant que vous irez dans mon sens.
- Je ne veux pas travailler pour vous, s'entendit-elle dire sur un ton à peine audible.
- Mais je ne vous laisse pas le choix mademoiselle Wild, répliqua le cheikh froidement. Je n'ai pas la moindre envie d'apprendre dans quelques mois que vous avez perdu votre enfant parce que vous, vous êtes épuisée à jouer la serveuse sous le regard de concupiscence de votre patron à l'haleine fétide.
Jane blêmit en se demandant depuis combien de temps avait-il été derrière elle pour lui décrire autant détails sur son entretien.
- Est-ce ma façon de penser qui vous déplait tant ? Reprit-il toujours sur le même ton.
- Votre hostilité est...
- Je suis hostile à voir une femme qui porte la vie continuer de travailler et pourtant j'ai fait un effort pour vous garder selon mes conditions afin de ne pas mettre à la porte une mère célibataire abandonnée.
Ce détail lui comprima le cœur et la mit mal à l'aise.
- Je suis enceinte, pas malade, fit-elle valoir d'une petite voix.
- Peu m'importe votre façon de voir les choses mademoiselle Wild, pour moi c'est différent et ancré dans mes chairs. Mes traditions même si elles vous déplaisent ne vous donnent pas le choix. Si vous étiez sous mes soins vous seriez clouer au lit alors estimez-vous heureuse.
- C'est moyenâgeux...
- Et encore, ce n'est qu'un faible aperçu, renchérit le cheikh ce qui la fit pâlir alors qu'il s'était brusquement arrêté.
Ses yeux perçants se posèrent aussitôt sur les siens et elle eut l'impression de voir un conte barbare y être raconter.
- La vie est précieuse et celle qui la porte aussi, alors l'homme à le devoir de les protéger même si cela impose une implacable obéissance de la femme.
Jane frémit quand il fixa son ventre avec les yeux énigmatiques jusqu'à ce qu'elle décèle la dilatation de ses pupilles comme s'il...
Comme s'il macérait dans une sombre jalousie de ne pas y avoir droit lui aussi.
Une profonde angoisse lui coupa la respiration et ce fut pire quand il arrima son regard dans le sien.
- Rentrez chez vous et je vous attends demain au manoir, déclara-t-il tout simplement. Ne m'obligez pas à venir vous chercher.
Cette menace avait été prononcée d'une voix voilée par une note plus amène mais difficile pour elle de savoir si elle l'était vraiment compte tenu de la nature rocailleuse de sa voix.
Jane se précipita pour quitter la voiture et se retourna vers son immeuble avec difficulté car cela voulait désormais dire qu'il savait où elle habitait.
Aiguisant ainsi un peu plus sa présence dans sa vie privée et celle de son bébé.
Hadjar attendit que la jeune femme pénètre dans le hall de l'immeuble pour reprendre la route et quitter ce quartier précaire.
" Vous êtes cruel "
D'ordinaire habitué à prendre cette description avec un goût de pleine satisfaction, Hadjar devait admettre qu'il s'était senti heurté par la détresse de la belle anglaise tétanisée et qui n'avait pas hésité à lui faire part de ses craintes.
Hadjar serra le volant, conscient que sa cruelle nature forgée depuis l'enfance pouvait parfois le conduire à regretter quelques situations comme celle-ci.
Seulement très vite et même s'il regrettaient la forme de cette situation il n'en regrettait pas le fond.
Et il espérait que l'anglaise ait bien compris qu'il ne la laisserait pas en paix tant qu'elle ne serait pas de retour au manoir.
Hadjar se gara devant l'hôtel Shangri-La the Shard car un autre problème l'attendait. Lorsqu'il traversa le hall luxueux, les regards se mirent à converger dans sa direction et le réceptionniste qui le reconnut aussitôt se précipita pour l'accueillir.
- Merci, je sais où se trouve ce que je cherche, dit-il en levant sa main avec autorité pour le stopper.
Hadjar monta au vingtième étage et chercha la suite qu'il cherchait pour frapper avec humeur contre la porte.
Son frère Malik lui répondit mais pas exactement comme il l'avait espéré.
- Mon frère ! Quel plaisir de m'honorer de ta visite, dit-il en titubant pour le laisser entrer.
- Combien de temps vais-je devoir supporter ça Malik ! Dit-il durement en claquant la porte.
Il empestait l'alcool et l'odeur de cigarette...sinon pire. Ses yeux étaient cernés par l'impudeur de toutes ces nuits que Hadjar avait de plus en plus de mal à cacher au pays.
- Je ne suis plus un enfant Hadjar, je fais ce que je veux, rétorqua-t-il en s'éloignant.
- Tu te comportes pourtant comme un gamin, alors je te traite comme tel, renchérit Hadjar en luttant de toute ses forces pour ne pas lui donner une bonne leçon.
- Désolé si je n'ai pas été éduqué comme toi tu l'as été, dit Malik en traversant le salon.
Hadjar foudroya son jeune frère du regard.
- Quel bel exemple n'est-ce pas ? Lança Hadjar froidement.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire.
- À la vérité, je ne peux rien faire pour toi Malik, articula-t-il en se délaissant de la moindre émotion.
Cet aveu rendit son frère nerveux.
- Tu es en train de suggérer quoi exactement ?
- Le pays est encore secoué par l'effroi et n'a rien oublié de ce que Raoul a commis, commença Hadjar s'avançant vers lui d'un pas menaçant. Ils n'ont pas non plus oublié que tu as été un traître et se demandent si tu ne l'es pas encore.
Hadjar avait encore un goût acide dans la bouche chaque fois qu'il prononçait le prénom de son oncle et parfois il rêvait de revenir en arrière pour lui faire subir davantage de souffrances pour l'entendre hurler encore et encore...jusqu'à l'agonie.
- Je n'ai jamais été un traître j'étais une victime ! S'emporta Malik piquée au vif.
- Comment oses-tu parler de cette façon alors que tu es resté avec lui au palais qu'il a transformé en maison close ! Siffla Hadjar en serrant les poings. Au nom de toutes ces femmes qui ont soufferts entre ses griffes je devrais te couper la langue !
Avec arrogance, son jeune frère prit un air nonchalant pour masquer ses erreurs.
- C'était ma seul façon de ne pas paraître comme un traître à ses yeux.
Hadjar émit un rire amer.
- Et tu en as profité pour t'enivrer de sexe et d'alcool pendant que ton peuple était en train de mourir, cracha-t-il avec un terrible rictus qui le fit reculer.
Hadjar se détourna et s'éloigna par crainte de ne pas se contrôler.
- Et le valeureux guerrier a fini par sauver tout le monde et tuer l'ennemi, dit Malik sur un ton théâtral. Vénéré, le soldat fait la fierté de son pays après avoir accédé au trône et instauré des lois impitoyables pour protéger chaque millimètre de l'île des conquérants.
Hadjar fit volte-face pour affronter son frère hargneux.
- Serait-ce de la jalousie mon frère ? S'enquit-il en plissant les yeux.
Malik partit d'un rire presque forcé tout en se servant un verre de bourbon.
- Je ne veux pas de ta position Hadjar, la mienne me convient.
- Le problème c'est que tes scandales à répétition attirent de plus en plus l'intérêt du conseil. Ils sont irrités par ton comportement et tu n'es pas sans savoir que la plupart du conseil a été composé par des anciens prisonniers de Raoul, commença-t-il d'une voix sombre et dénuée de compassion. Tes agissements ont des conséquences Malik et je ne peux pas continuer à étouffer ton comportement indigne d'un prince.
Malik haussa des épaules négligemment.
- Je n'ai pas l'intention de changer de vie Hadjar, et tu ne laisseras pas faire le conseil.
- Tu es bien sûr de toi.
- Je suis ton frère.
- Un frère qui n'a pas hésité à trahir son propre sang.
L'atmosphère se glaça aussitôt et son frère lui jeta un regard mauvais avant d'esquisser un sourire en coin.
- On ne peut pas dire que nous, nous aimons mon frère.
- En effet oui, affirma froidement Hadjar en inclinant la tête pour mettre plus de poids à cette confirmation.
- Faudrait-il déjà que tu saches aimer, répliqua Malik en traversant le salon pour s'installer dans le canapé. Depuis l'enfance tu n'as jamais été très porté sur ce genre de sentiments.
- J'ai mes raisons, s'enquit Hadjar l'air impassible. Hélas cela n'a rien avoir avec ce que j'aurai pu éprouver pour toi si tu n'avais pas été si lâche et égoïste.
- Notre oncle contrôlait les terres du pays, je n'avais pas le choix, dit-il sur la défensive.
- Tu avais le choix de me suivre et te battre pour ton pays.
Rictus aux lèvres, Hadjar réalisa que l'acharnement qu'il vouait pour ne pas rompre les liens avec son frère n'était qu'un moyen de ne pas se sentir plus monstrueux qu'il l'était déjà. Malik ne méritait pourtant pas tout le mal qu'il se donnait pour qu'il ne soit pas accusé de traîtrise.
- Ce que m'a proposé Raoul était cependant...plus confortable et tu aurais peut-être dû abdiquer mon frère, crois-moi tu aurais aimé.
Un sourire libidineux monta aux lèvres du jeune frère.
- Tu aurais aimé et ça t'aurai peut-être fait du bien. D'ailleurs en parlant de ça...
Hadjar se retourna et vit une brune à moitié nue, qui immédiatement se mit à ralentir le pas. Son apparence faisait peine à voir. Son mascara avait coulé, cernant ses yeux vitreux.
Il la toisa avec mépris, tandis qu'elle le dévorait des yeux l'air effrayé et séduite.
- Voici Carle, vingt-neuf ans, je l'ai rencontré hier soir.
Malik se plaça derrière la femme encore sous l'effet de l'alcool, avec un large sourire.
- Tu en as envie mon frère ? Je sais à quel point ton rôle de souverain ne te laisse pas beaucoup de temps pour prendre un peu de bon temps.
Hadjar arbora un sourire cruel avant de reprendre son aspect empli de froideur. Son frère de vingt-sept ans dont les pupilles étaient gonflées par les derniers effets de la drogue commença à se jouer de la femme qui souriait comme une idiote, les lèvres pincées. Il glissa sa main sur son épaule pour la débarrasser de son peignoir.
Marqué de marbre, Hadjar éprouva du dégoût et de l'indifférence. Mais pas seulement...
Pendant une fraction de seconde qui lui parut une éternité il fut hanté par ce corps qu'il essayait en vain de dessiner dans son esprit. Le corps de cette femme qu'il traquait sans relâche et qui était devenu une obsession. Il écarta ses doigts jusqu'à s'en faire mal aux paumes de mains qui brûlaient au souvenir de cette peau aussi douce qu'une étole se soie.
Bien sûr, Hadjar protégeait ce secret comme s'il s'agissait de son propre pays et tout comme le reste du monde, Malik n'avait aucun accès à la moindre parcelle de sa vie privée.
Lentement, il referma ses mains en poings qu'il enfonça dans les poches de son manteau en s'approchant d'un pas lent, le regard impassible et se mit à hauteur de Malik qu'il dépassait de dix centimètres.
- Aucune femme n'est digne de mon rang et surtout pas elle.
L'escorte perdit son sourire séduisant et se tourna vers Malik pour lui jeter un regard outré dans l'espoir qu'il intervienne. Hélas, son frère piqué au vif se tut.
- Si jamais tu fragilises à nouveau ton image auprès du conseil qui est sous mon commandement, je te tue Malik, déclara-t-il tout en traversant le long couloir pour quitter la chambre.
Laissant derrière lui un parfum menaçant.
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