Chapitre 6



Toujours autant bouleversée, Jane caressa le pelage marron du cheval qui appartenait à Walter Lancaster dans l'espoir d'y trouver un certain réconfort. C'était un cauchemar auquel Jane n'était pas préparé. Les larmes perlaient sur ses paupières tandis qu'elle avait posé sa tête sur celle du cheval qui semblait avoir senti sa peine.

Elle n'était pas tant bouleversée par l'apparence impitoyable de cet homme mais par sa cruauté envers elle, brisant ainsi tout ce qu'elle avait pu s'imaginer sur lui.

Où était passé cet homme aux bras protecteur qui l'avait fait sentir en sécurité pour la première fois de sa vie ?

Où était passé cet homme qui l'avait embrassé avec dévotion et urgence tout en infligeant son corps de caresses brûlantes et possessives ?

Jane s'était trompée et c'était probablement le plus douloureux.

- Qu'allons-nous faire mon beau hein ? Murmura-t-elle en caressant l'animal.

- Vous allez commencer par rentrer à l'intérieur du manoir.

Cette voix profonde et tranchante la fit sursauter.

Jane recula dans la paille fraiche alors qu'il imposait sa large carrure devant l'entrée du box, le regard sombre. Dans la lumière blafarde et froide il apparaissait encore plus cruel, tant par ses traits ciselés que les cicatrices plus prononcées qui entaillaient son visage sculpté à la serpe. Malgré tout, Jane ne put arrêter son cœur de battre non pas pour la peur qui lui faisait ressentir mais pour sa beauté à la fois froide et brûlante par son teint hâlé.

- Pour quelle raison ? Trouva-t-elle la force de lui dire.

- Parce que je vous l'ordonne, dit-il aussitôt en s'avançant jusqu'à elle pour l'affliger de sa hauteur menaçante.

Jane leva les yeux vers les siens, qui débordaient de fureur et laissa tomber ses yeux sur sa bouche barré de cette cicatrice.

- Je ne fais rien de mal, protesta-t-elle doucement la bouche sèche.

Sa réponse lui déplu, et ses mâchoires se mirent à ses serrées comme deux pièges.

- N'ai-je pas été assez clair il y a quelques heures ? Je vous ai formellement interdit de pénétrer ici.

- Oui, c'est vrai, mais pour y travailler, répliqua Jane en défiant pour la première fois le père de son enfant avec plus d'assurance.

Il avança d'un pas vif pour l'envelopper de sa sombre silhouette, les lèvres plissées d'un rictus.

Hadjar était à la fois en colère et stupéfait par la bravade malheureuse de la jeune femme. De plus près sa peau diaphane ressemblait à un tissu de soie blanche, et ses yeux d'un bleu profond avait pris des tons froids. Elle combattait avec difficulté son regard sévère et parfois baissait les yeux pour le fuir.

- Il fait froid, dit-il sur un ton abrupt en dévisageant ses pommettes roses. Vous allez attraper froid. Rentrez immédiatement c'est un ordre !

Cette fois-ci elle ne protesta pas et il s'écarta pour qu'elle passe. À son passage une odeur aussi fraiche qu'une rose s'infiltra dans son nez alors qu'il fixait sa silhouette s'effacer de l'écurie. Hadjar la suivit jusqu'à ce qu'elle soit à l'intérieur et claqua la porte d'entrée. Elle ôta son châle écossais qu'elle glissa sur le porte-manteaux et se retourna en tortillant ses mains.

- Que dois-je faire maintenant ? Demanda-t-elle en levant ses yeux apeurés dans les siens.

- Boire quelque chose de chaud et vous installer n'importe où du moment que c'est dans une position assise, répondit Hadjar sur un ton impérieux.

Ses grands yeux prirent une expression désabusée comme s'il venait de mettre fin à des illusions secrètes.

- Je ne suis pas payé pour boire du chocolat chaud, protesta-t-elle les sourcils légèrement froncés.

- Non, vous êtes payé pour obéir à mes ordres, rétorqua sèchement Hadjar avant de disparaître dans un couloir dérobé.

Jane resta immobile, figée dans le hall avant de se précipiter d'un pas rapide vers la cuisine.

Cet homme qu'elle s'était promis de fuir était comme un prédateur chassant sa proie. Elle posa ses mains sur le plan de travail en serrant les dents, la respiration erratique, les yeux perdus dans le vague.

- Jane ? Est-ce que tout va bien ? Demanda Madeleine en posant une main dans son dos.

- Oui, tout va bien, c'est juste que...je suis frustrée d'être interdite de faire mon travail.

- Tu devrais te reposer Jane.

- Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi ! S'emporta Jane en relevant précipitamment la tête. Je suis enceinte pas malade !

- En effet tu es enceinte, confirma Madeleine sur un ton maternel. Et je pense que tu devrais ralentir un peu. Depuis le début de ta grossesse tu n'as pas arrêté une seconde.

- De peur d'être renvoyée par les Lancaster et aujourd'hui voilà que je suis soumise à une terrible injustice, protesta Jane en montant sur le tabouret contre l'avis de Jacob le cuisinier. Je n'aurai pas mon salaire complet, j'ai un mauvais pressentiment, je dois impérativement couvrir mes arrières.

- Jane mais enfin de quoi tu parles ? S'enquit Madeleine en fronçant des sourcils.

Elle posa les assiettes sur la table, écoutant son instinct de survie qui lui hurlait de prendre garde contre le cheikh. Une expression dévastatrice heurta son visage qu'elle tenta de dissimuler. Chaque fois qu'elle songeait à lui peu importe le contexte, Jane revenait sans cesse à cette nuit d'orage.

- Je parle du fait que j'ai un mauvais pressentiment à propos de cet homme et je crains d'être dupée à la fin du mois. Imagine qu'il m'ait menti.

- Je doute que sa parole puisse être remise en cause Jane, c'est un homme certes cruel mais de parole selon les médias.

- Selon les médias, répéta Jane avec un rire creux. Je suis sauvée de l'apprendre.

- Madeleine a raison, répliqua Jacob en mêlant à son tour à la conversation. Le cheikh est un homme aux coutumes et aux traditions qui ne sont pas comme les nôtres. Prends cette offrande Jane et profite de ne rien faire.

Ainsi personne ne semblait être de son côté, nota-t-elle les larmes aux yeux alors qu'ils la regardaient avec cette pitié qu'elle ne supportait plus.

- Vous ne connaissez pas cet homme, s'entendit-elle murmurer. Vous êtes en train d'être dupé comme...

Comme moi je l'ai été.

Mais elle se tut en fermant les yeux.

- Il ne fera rien de cruel contre une femme enceinte Jane, crois-moi.

- C'est déjà fait, lâcha-t-elle d'un souffle tremblant en quittant la cuisine pour mettre la table.

Elle ne pouvait guère en vouloir à Jacob et Madeleine car ils ignoraient la terrible vérité. Comment leur expliqué qu'elle avait elle aussi pensé avoir affaire à un homme différent avant que le sol s'ouvre sous ses pieds ?

Ils essayaient maladroitement de la rassurer et elle savait très bien les raisons qui les poussaient à la couver.

À l'heure du repas, Jane avait fait le service pour la première fois. Ce n'était pas le rôle qu'elle tenait d'ordinaire et la présence du cheikh l'avait rendu maladroite.

Sa décision était prise, avait-elle songé en observant la nuit tomber alors qu'elle devait rentrer dans le sud de Londres.

Jane n'avait pas l'habitude de terminer à un horaire aussi tardif, et contrairement à Jacob et Madeleine, elle ne séjournait pas au manoir.

Ce changement voulu par le cheikh Al-Nashrar bousculait tant de choses qu'elle comprit que jamais elle ne pourrait continuer ainsi plus longtemps.

Une journée en sa présence et Jane avait l'impression d'étouffer sous le regard du faucon. Elle redoutait sans cesse qu'il la reconnaisse. Elle craignait de ne pas être payé suffisamment et doutait de sa parole. Quant à ses horaires...Jane sentit en angoisse qu'elle avait mis des années à éteindre renaître tandis qu'elle fixait la nuit noire tomber sur ce paysage silencieux.

- Jane tu devrais rester ici pour la nuit, proposa Madeleine après le service terminé.

Le ventre noué, les mains sur l'arrondi précieux, Jane fixa la nuit sans vie et s'y enfonça en déclarant :

- Je ne reviendrait pas.

Elle entendit à peine les faibles protestations qui montaient derrière elle et se précipita vers sa voiture pour s'y engouffrer au plus vite. Les mains tremblantes elle mit le contact et démarra en trombe. La route encore enneigée nécessitait de prendre des précautions mais Jane était au bord du malaise. La nuit obscure et sans lune frappait son esprit de souvenirs atroces qu'elle essaya au mieux de combattre.

- Respire Jane, murmura-t-elle en allumant la radio pour divertir son esprit tourné vers de lugubres pensées.

Elle relâcha légèrement la pédale d'accélération quand elle aperçut quelques flocons tomber sur le pare-brise.

La route était tellement dépourvu de circulation qu'elle était face à un trou béant de noirceur où seuls les phares lui permettaient de ne pas lui déclencher une attaque de panique.

Quarante minutes plus tard elle entra dans l'animation de Londres et de toutes ces lumières qui la poussèrent enfin à reprendre son souffle.

Elle se gara devant l'immeuble, coupa le contact et posa son front contre le volant, essayant de calmer l'afflux de panique qui l'empêchait de bouger. Quelques minutes plus tard et en dépit de ses forces amoindries par le stress, Jane entra dans son appartement dans lequel elle s'enferma avant de se laisser aller contre le mur jusqu'à toucher le sol.

Elle reste là, prostrée, les mains sur son ventre à essayer de combattre l'émergence de ces souvenirs qu'elle avait mis tant d'années à enterrer.

La décision qu'elle venait de prendre ne serait pas sans conséquences mais il le fallait. Jane n'avait pas la force de combattre ce qu'elle venait d'affronter et encore moins côtoyer le père de son enfant chaque jour en portant sur ses épaules ce lourd secret et devoir subir les foudres de cet homme sans âme.

C'était trop pénible et cela détruisait l'image qu'elle s'était imaginée de lui, la poussant à se rendre davantage coupable de lui avoir donné plus qu'une nuit sans lendemain.

Alors elle se coucha, le ventre creux, persuadée de pouvoir s'en sortir car elle n'avait pas le choix.

La vie de son bébé en dépendait.

Au matin, après une nuit tout aussi compliquée que les autres, Hadjar perçait d'un regard amer Amelia Lancaster qui de de son rire aigu, essayait en vain de vanter les mérites de sa fille unique. Une tactique qu'il connaissait que trop bien et qui avait pour unique but qu'il porte un intérêt particulier à Sarah Lancaster. Les cheveux blond vénitiens coupés au carrés, l'anglaise de trente ans avait pour réputation de traquer les hommes mariés et avait même été responsable d'un divorce. Elle ne semblait pas s'en inquiéter, pensant fermement être en droit de faire tout ce qui lui plaisait sans être soucieuse des conséquences. Grande, élancée, la démarche légère et prétentieuse Sarah Lancaster résumait à elle seule le visage de ces femmes qu'il avait passé toute sa vie à côtoyer. Un goût amer déforma aussitôt sa bouche dure et Charik s'en aperçut.

- Votre majesté, vous voulez peut-être vous retirer dans votre bureau.

- Si vite ! Protesta Sarah en reposant sa tasse de thé sur la table garnie. Sa Majesté est-elle si pressée ? Nous venons à peine de finir de prendre le petit-déjeuner.

Hadjar fixa la femme habillée d'un tailleur serré avec hauteur et celle-ci perdit l'éclat figé de son sourire.

- J'ai des choses à faire, dit-il sèchement en levant sa tasse de café pour la finir.

Un silence assourdissant s'ensuivit où seul le tic tac de l'horloge donnait une vie à ce moment figé de froideur.

- Jacob avez-vous vu Jane ? J'ai des vêtements à recoudre et je ne l'ai pas vu ce matin, lança Amelia en faisant part de son impatience.

Hadjar quitta le journal des yeux face au silence du cuisinier qui jetait des coups d'œil nerveux en direction de la gouvernante.

- Eh bien Jacob, vous avez perdu votre langue ? S'enquit Amelia avec un rire moqueur.

- Non madame, répondit-il en baissant les yeux.

- Dans ce cas répondez enfin ! S'étonna Amelia.

Hadjar reposa sèchement sa tasse de café en fixant l'expression tendue de l'homme qui hésitait à répondre.

- Elle a démissionnée madame, lâcha-t-il enfin.

- Démissionnée ! Croassa-t-elle.

Hadjar ne put masquer sa colère qui dévorait ses yeux déjà imbibées d'encre noire fièrement hérités de son père.

- A-t-elle donné un motif valable ? Demanda Hadjar sur un ton exigeant une réponse sur-le-champ.

- Non, elle est simplement partie pour ne plus jamais revenir, répondit Jacob en peinant à masquer qu'il en savait plus mais qu'il avait choisi de se taire.

Il se leva avec humeur et quitta le salon d'un pas menaçant alors qu'il savait pertinemment que la raison de ce départ avait un rapport avec lui et seulement lui.

Et au lieu de se satisfaire de cette démission, Hadjar en fut plus qu'en colère et contrarié.

À tel point qu'il était déterminé à la ramener jusqu'à son manoir.

Qu'elle le veuille ou non...

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