Chapitre 5
Hadjar avait beau s'immerger de travail, son esprit demeurait ailleurs. Tâchant au mieux de garder son sang-froid il parcourut à nouveau les photos sur le bureau quand Charik entra. Hadjar lui lança quelques coups d'œil à la dérobée et plaqua ses mains fermées en poing contre le bois massif du bureau.
Personne n'était satisfait de cette situation et surtout lui. Mais Hadjar n'avait pas l'intention de céder.
L'Angleterre était un pays froid, pluvieux, parfois ensoleillé dans un brouillard épais déformant la nature si paisible de la campagne. Hadjar n'y était pas hostile car il connaissait ce pays pour y avoir étudié pendant quatre ans, à une époque si lointaine maintenant. En revanche, il était allergique à toute forme de civilisation, il méprisait l'aristocratie et la vanité affichée par cette classe social. Il n'était pas là par choix mais par volonté de trouver coûte que coûte ce qu'il cherchait en vain.
Il serra les dents, le regard percé par une sombre colère qui menaçait d'éclater à tout instant.
Charik le savait et c'était la raison de son silence.
- Vous devriez vous détendre un peu votre Majesté, lui conseilla Charik en avança prudemment vers les chaises en face de son bureau.
- Je n'ai pas le temps pour ça Charik, dit-il sèchement en se redressant brusquement.
- Écoutez votre Majesté, je pense que cette décision de rester ici n'est pas une bonne idée. Nous pouvons très bien continuer les recherches depuis le palais.
Hadjar leva son regard dépourvu d'humanité dans le sien, les mâchoires crispées. Malgré tout, Charik soutint son regard, tant habitué à l'affronter.
- Je ne partirai pas d'ici sans avoir retrouvé ce que je cherche est-ce que c'est bien compris ? Articula-t-il froidement.
- Je sais et j'approuve totalement votre décision mais je ne peux pas m'empêcher de me poser une question qui mérite une attention particulière, renchérit Charik en posant sa tasse de thé sur le bureau.
- Laquelle ? S'enquit-il abruptement.
- Et si elle ne veut pas être retrouvée ?
Hadjar plissa les yeux, impassible.
- Il ne s'agit pas de ce qu'elle veut, je n'en ai que faire qu'elle veuille ou non être retrouvée, il faut que je la retrouve.
- Bien entendu, je comprends votre position votre Altesse, déclara Charik en inclinant la tête pour lui témoigner son respect.
Un rictus voilé d'amertume déforma aussitôt ses lèvres.
- Non, je pense qu'il faudrait être ma place pour la connaître réellement, dit-il entre ses dents en se détournant pour ouvrir la fenêtre du balcon.
Le carreau résista de peu quand la fenêtre rebondit contre le mur alors qu'il s'enfonçait déjà sur le balcon. De rage, il se frotta le visage avant faire tomber ses mains sur la balustrade en marbre. Il sonda d'un regard orageux l'étendu de cette vaste forêt sous cette lumière froide de l'hiver. Son sang bouillait si fort qu'il ne ressentait pas le froid.
Il expira bruyamment par le nez, peinant à garder le contrôle sur cette raideur constante de ses muscles.
Sa décision était prise et ce depuis longtemps, précisément depuis le commencement.
Il n'avais pas l'intention d'abandonner ou bien même de reculer. Hadjar en avait perdu le sommeil au point même que ça en devenait une obsession dangereuse. Cette nuit-là, dans cette obscurité accompagnée des flashs incessants des éclairs zébrant le ciel de Londres, Hadjar s'était laissé envahir par le désespoir de pouvoir enfin toucher ce qu'il s'était interdit depuis si longtemps maintenant. Cette femme dont le parfum le hantait encore l'avait laissé goûter à la douceur d'un péché qu'il s'interdisait pourtant.
Lui, le chef suprême d'une armée sans visage, un homme impitoyable que bien tant de personne avait tenté de changer avant de se rendre enfin compte que c'était impossible. Cela faisait partie de lui, et ce depuis l'enfance. Hadjar ne pouvait pas s'en défaire car il s'agissait de sa nature, de ce qu'il était au plus profond de lui. Et ce fût au moment le plus périlleux qu'avait connu son pays que son peuple avait salué cette implacable soif de rage qu'il avait mis à disposition pour sauver son pays.
Il aimait ce qu'il était, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Comme ces cicatrices qu'il portait fièrement et qui possédaient l'atout majeur de faire plier autant ses adversaires que ses alliés. Seulement cette nuit-là, Hadjar avait profité de l'obscurité pour s'offrir la douceur interdite que lui avait inspiré cette inconnue. Protégé par la noirceur, sachant qu'elle ne pouvait pas voir son visage, ni même le reconnaître, réduisant les possibilités qu'elle puisse être totalement effrayée, Hadjar l'avait alors bloquée contre cette cheminée, laissant son odeur apaisante l'enivrer. Bien-sûr il avait pu sentir sa crainte à travers ses respirations haletantes, mais il savait que celles-ci n'auraient jamais été comparables à celles qu'elle aurait eu si n'importe quelle lumière avait laissé émerger les traits de son visage.
Il avait alors capturé ses lèvres jusqu'à les dévorer de baisers rudes et sensuels. Cette nuit-là il avait possédé cette femme comme aucune autre avant elle. Il l'avait prise avec passion destructrice, savourant chaque parcelle de cette douceur dont il n'avait pas le droit. Il pouvait encore entendre ses cris qu'il avait étouffé de sa bouche tout en cherchant à éteindre son appétit insatiable.
Hadjar serra les dents en fermant les yeux alors qu'il se souvenait encore de la chaleur de son intimité se renfermer autour de son sexe, et de lui en train de la submerger de coups de reins tout en prenant soin de son corps qui lui avait paru si fragile sous le sien.
Pour toutes ces raisons et bien d'autres, Hadjar avait fait le choix de la garder auprès de lui jusqu'à ce que la lumière du jour dévoile l'identité de cette femme, résigné à dévoiler son visage au risque qu'elle puisse lui offrir en retour une expression apeurée.
Seulement au petit matin, en ouvrant brutalement les yeux, Hadjar avait trouvé une place vide à ses côtés. Une colère était alors montée, indescriptible. Il s'était habillé à la hâte pour fouiller la suite Royale dans l'espoir de la trouver, mais sans résultat. Elle était partie, laissant derrière elle l'odeur de son parfum comme seul souvenir.
Une indéchiffrable colère l'avait saisi jusqu'à tendre sa gorge, mêlée à une indicible frustration. Il était retourné dans la chambre, la respiration sifflante pour y découvrir la boîte d'allumettes échouée sur le tapis blanc, ainsi que l'allumette qu'il l'avait forcé à jeter.
Le côté du lit où il avait pensé la découvrir à l'aube était impeccablement fait, les draps tirés et bordés avec minutie comme pour effacer sa présence.
Comme si cette nuit n'avait jamais eu lieu.
Hadjar aurait dû s'en satisfaire de ne pas devoir s'expliquer comme jadis autrefois quand il devait chasser ses maîtresses du lit persuadée qu'il y aurait un lendemain.
Mais cette fois-ci c'était différent.
Il ne l'avait pas chassé, il avait au contraire fait en sorte qu'elle reste dans ce lit pour prolonger cette parenthèse, mais surtout pour découvrir qui avait été capable de lui offrir bien plus qu'une simple nuit.
Dans accès de colère il avait arraché d'une poigne de fer les draps parfaitement tirés et il se souvenait encore de ses yeux noirs qui s'étaient immédiatement déportés sur ce détail qui avait donné à cette nuit d'orage un tournant brutal et irréparable.
Cette tâche, de couleur écarlate dans ce fond immaculé lui avait coupé la respiration tandis que son sang s'était figé de glace. Il avait alors arraché le drap housse, les yeux injectés de sang, foudroyé par un sentiment de culpabilité.
Hadjar avait alors enfermé le drap dans son poing tremblant en se rappelant cette pensée qu'il avait eu pendant qu'il l'embrassait. Cette douceur qu'il avait ressenti tant sur ses lèvres quand dans sa voix allait bien plus loin que ça.
L'inconnue était vierge.
Et cette tâche de sang signifiait qu'il lui avait ôté sa pureté, son innocence.
Une douleur sourde l'avait paralysé, tout autour de lui s'était obscurci. Des centaine de questions avait envahi son esprit. Avait-elle eu mal ? Comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte ? Lui, l'homme ancré dans le spectre des lois religieuses et traditionnelles et qui lui-même désapprouvait une telle faute intolérable.
Hadjar s'était alors précipité hors de la suite Royal pour garantir l'arrêt total de l'hôtel. Pour protéger sa vie privée il avait prétexté un vol dans la suite, mettant sous quarantaine la totalité du personnels afin de la retrouver.
Mais comme tout acte intolérable, il y avait une punition et la sienne était à la hauteur de sa faute.
Cette nuit d'orage lui avait ôté toutes possibilités de la retrouver. La panne d'électricité avait coupé les caméras de surveillance, mais pas seulement...
La foudre s'était abattue sur les systèmes électriques, effaçant toutes les bandes d'enregistrement qui auraient pu lui donner une piste.
Mais Hadjar n'était pas le genre d'homme à lâcher prise aussi vite. Alors il avait décidé de rester dans l'hôtel dans l'espoir qu'elle revienne à lui. Il avait décidé de poursuivre l'établissement pour manquement au règlement intérieur car le directeur avait été dans l'incapacité de lui donner toutes les informations indispensables sur les membres de son personnel. Ses ordres n'avaient pas été tenus en compte et les traces du passage de l'inconnue avait été effacée par le passage des femmes de ménage.
La menace pesait sur cet hôtel prestigieux comme la seule arme qu'il disposait pour retrouver l'innocente.
Pour échapper au procès, l'hôtel n'avait qu'une seule et unique porte de sortie.
Retrouver ce que lui-même était incapable de retrouver.
Hadjar soupira à nouveau en jetant un sale regard sur le paysage pourvu de neige qui entourait le domaine qu'il avait choisi pour demeurer proche de Londres et superviser de son côté des recherches plus approfondies avec son équipe privée.
Pour lui sa décision était catégorique et il défiait quiconque de la contester.
Il ne reviendrait pas à Halkhara tant qu'il ne l'aurait pas retrouvé. Tant qu'il ne se serait pas assuré lui-même qu'elle allait bien. Tant qu'il n'aurait pas un visage à mettre sur cette femme qui lui avait donné au-delà de ce qu'il s'était imaginé...
Il se maudissait de s'être endormi, il se maudissait de ne pas avoir suffisamment posé ses yeux aiguisés sur la lumière de ces éclairs projetée sur elle.
Il se maudissait pour ne pas avoir éclairé la chambre de ces lanternes.
Son désir de vouloir cette douceur qui s'opposait à sa nature cruelle en essayant de la lui cacher l'avait piégé.
Parce qu'à la première seconde proche de cette femme il avait eu le pressentiment ultime qu'elle n'aurait pas réagi de la même manière que ces femmes à la beauté agressive et aux lueurs perfides qui leur donnait suffisamment d'assurance pour l'affronter sans ciller...du moins au premier regard.
Immédiatement, son retard tomba sur la cour du manoir et sur cette jeune femme qui quelques heures plus tôt avait été confronté à sa cruauté.
Elle avait pris peur, morte d'effroi, ne laissant aucun doute sur cette profonde sincérité qui habitait son regard et c'est ce qu'il avait voulu éviter cette nuit-là. Éviter de devoir affronter la peur qu'il faisait jaillir dans les yeux de n'importe qui mais qui pour la plupart étaient facilement visible. S'offrir une parenthèses où il n'aurait pas été vu comme un monstre.
La jeune employée lui avait cependant fait front pour défendre sa position.
Une position qui lui était inacceptable mais qu'il avait choisi d'ignorer pour lui faire grâce de ce travail essentiel à sa survie.
Les sourcils froncés, il la fixa depuis le balcon, secrètement saisi par sa jeune beauté qui empreignait ses traits délicats. Aucun homme même le plus sain n'aurait l'audace de prétendre ne pas l'avoir dévoré des yeux ne serait-ce qu'une seconde, captivé par la magnificence de la jeune femme.
De là où il se tenait, avec son regard aiguisé il pouvait voir ses yeux d'un bleu profond prendre des nuances glaciers. Deux yeux infiniment captivant derrière de long cils noirs qui contrastaient avec le diaphane de son visage.
Ses cheveux ondulaient dans une cascade interminable et leur couleur faisait penser aux nuances d'un épi de blé avant la moisson sous un soleil éclatant. Il avait imprimé chaque détail sur son visage, notamment cette bouche pulpeuse, dessinée avec précision, mais ce qui l'avait captivé derrière son masque de froideur fut cette couleur écarlate et profonde qui les peignait.
Sur ses traits délicats, ses pommettes étaient teintées de belles nuances rosées. Hadjar creusa ses doigts sur le marbre ancien de la balustrade en baissant son regard sur son ventre rond. Sa taille était fine et paraissait très frêle. Les mâchoires serrées il remonta son regard sur l'expression de son visage et savait qu'il était responsable de l'inquiétude qui marquait ses traits fins.
Hadjar désapprouvait avec ardeur l'idée de voir cette jeune femme enceinte travailler, et la seule chose qui l'avait poussé à la garder était de la savoir seule, abandonnée par le père de cet enfant à naître.
- Nous allons tout faire pour la retrouver votre Altesse.
La voix sage de Charik le força à détourner le regard. Hadjar se redressa lentement en prenant une grande respiration.
- J'y compte bien, dit-il avec fermeté. Je dois la retrouver, il le faut.
- Cessez de vous punir, lâcha Charik en plantant son regard dans le sien.
Hadjar le dévisagea avec froideur, ne laissant rien paraître sur son visage.
- J'ai arraché à cette femme sa pureté Charik, c'est intolérable et tu le sais.
- Mais elle vous l'a donné, fit valoir son bras droit sur un ton posé. Elle avait le choix, et elle a choisi de vous donner...
- Peu m'importe si elle l'a choisi ou non, dit-il sur un ton coupant. Mon comportement n'a pas été des plus exemplaires et tu sais à quel point je suis attaché à mes principes et mes valeurs. Si pour d'autre il s'agirait d'une nuit banale partagée avec une inconnue, pour moi ça ne l'est pas.
Il lâcha un juron en arabe en déportant son regard sur la jeune Jane Wild qui s'enfonçait dans le froid vers les écuries, un endroit qui lui avait pourtant interdit.
- Je suis moi-même attaché aux principes et à la culture de notre pays votre Majesté, je partage votre colère, et j'essaye au mieux de trouver un moyen d'apaiser les tensions qui vous animent.
- Je sais Charik, murmura Hadjar sur un ton plus adouci. Seulement tu ne peux rien faire pour moi. Rien ne pourra m'apaiser.
Il pivota vers le fenêtres ouvertes et la passa en rajoutant sur un ton sombre et bas :
- Jamais...
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