Chapitre 40
Comme un livre ouvert, Malik était déjà en train de se trahir alors qu'il avançait entre les tables pour rejoindre celle qu'il avait choisie.
Hadjar avait choisi un endroit neutre très fréquenté afin de réduire les chances de son frère qui de toute évidence avait un plan en tête.
- Bonjour mon frère, lança-t-il en tirant la chaise pour s'asseoir.
Derrière ce flegme affiché, son jeune frère paraissait nerveux et tendu. Hadjar lança quelques coups d'œil aux clients attablés afin de déterminer si l'un d'eux était son complice.
- Tu veux manger des crêpes ? Proposa-t-il en ouvrant la carte des menus pour la survoler.
- Je veux des réponses à mes questions Malik et si tu veux me rencontrer c'est que tu désires soit tenter de me piéger, soit me demander quelque chose.
Malik abaissa la carte lentement sans pour autant le regarder dans les yeux.
- Es-tu oui ou non derrière l'attaque sur ma fille ? Reprit Hadjar en peinant à maîtriser sa voix brûlante de rage.
- N'exagère pas mon frère ce n'était pas réellement une attaque mais...
Hadjar serra les poings en s'apprêtant à se lever pour le tuer mais Malik s'empressa de lever les mains pour l'arrêter.
- Avant de vouloir m'arracher le cœur laisse-moi au moins une chance de t'expliquer, s'empressa-t-il de dire sur un ton nerveux.
Hadjar le fixa avec un regard si noir qu'il se racla la gorge en ne sachant plus quoi faire de lui-même.
- Tu es sûr que tu ne veux pas goûter les crêpes ? Elles ont l'air appétissantes.
- Malik ! Siffla-t-il les dents serrées.
- D'accord ! Très bien ! Je voulais savoir si c'était vraiment ta fille !
- Ma fille ? Répéta-t-il les sourcils froncés tandis que ses traits plongés dans l'ivresse d'une rage méconnue se détendaient peu à peu.
Mal à l'aise, il frotta la joue puis se passa la main dans ses cheveux.
- Quand j'ai vu Jane et que j'ai appris pour ton mariage j'étais fou de jalousie. Je pensais que c'était un coup de bluff de ta part.
Le cheikh le dévisagea en secouant la tête, stupéfait par l'imagination tordue de son frère.
- Quoi ? S'exclama Malik en secouant les épaules. Tu es froid, sans cœur, impitoyable, tu n'as jamais été porté sur les femmes excuse-moi d'avoir eu un doute. Enfin bref. Je voulais une preuve que ta...fille était bien ta fille.
L'air à peine désolé, Malik reprit :
- Je pensais que c'était des figurants payés pour m'éloigner un peu plus de notre lignée.
- Tu sais Malik, il n'y a aucune honte à demander l'aide d'un professionnel, répliqua Hadjar sans l'ombre d'une trace d'humour.
- Très drôle !
Le plus remarquable dans cette explication c'est que son frère semblait vouloir entamer une démarche vers la paix.
Ainsi Souad était dans le vrai mais certains éléments ne semblaient pas coller.
Le pays n'avait plus confiance en Malik ce qui faisait de lui un prince en exil. En revanche Hadjar avait toujours eu une faible étincelle d'espoir que ses péchés lui servent de leçon et qu'il parte à la quête de sa rédemption.
- Il y a certains éléments qui ne collent pas Malik car tu n'étais pas au palais, donc il y a quelqu'un d'autre qui l'a fait à ta place. Tout comme tu savais pour notre voyage.
- C'est Amina, avoua-t-il mais cette fois-ci sur un ton chargé de regrets. Je me suis servi d'elle et je m'en veux un peu. Je savais qu'elle avait un faible pour moi depuis longtemps alors je l'ai convaincu de m'aider. Je t'en prie ne fais rien contre elle, je suis le seul coupable et elle s'en veut assez comme ça. D'ailleurs c'est elle qui m'a convaincu de venir ici pour te dire la vérité.
- Félicitations mon frère, murmura Hadjar en colère mais serein de comprendre enfin.
- Je suis désolé, la jalousie nous fait faire des choses assez stupides.
- Combien veux-tu ? Car je te connais Malik, il n'y a rien sans rien avec toi.
- Cent millions de dollars afin de recommencer une nouvelle vie ailleurs.
Hadjar soupira, l'air désespéré.
- Tu m'as déjà fait le coup Malik.
- Je te jure que cette fois-ci c'est la bonne.
Hélas il connaissait trop bien son frère pour savoir que c'était faux.
- Tu auras cet argent, mais si tu me déçois...
L'avertissement était limpide et même si Malik l'acquiesçait, il savait que ce n'était qu'un moyen de se débarrasser au plus vite des contraintes imposées en échange de cet argent.
- Dire que depuis des jours je crois que ma famille est en danger, fulmina Hadjar encore sous le coup de la colère. J'ai failli perdre Jane à cause de toi.
Malik grimaça.
- Justement à propos de ça, je pense que Jane est quelque peu en danger.
Hadjar releva les yeux si vite que son frère blêmit l'air sérieux.
- Quoi ?
- J'aurai dû t'en faire part plus tôt mais tu me connais, en plus de ma jalousie contre toi je fais trop la fête et...
- Malik parle !
- Une fille, qui était à l'une de mes fêtes, même à plusieurs de mes soirées m'a posé des questions sur moi et ma famille. J'ai parlé de toi et que j'étais le frère d'un roi puis à mesure du temps elle me posait des questions plus centrées sur Jane. Des questions dont je n'avais pas toutes les réponses...mais j'ai dû glisser quelques informations sur Jane sans le vouloir et elle m'a paru très insistante.
- Qui ? Qui c'était ? Est-ce que tu lui as parlé récemment ?
- Elle était dans mon lit ce matin, mais tu me connais, elle ne m'intéresse pas. Je ne connais même pas son prénom ou du moins je m'en souviens pas. Un truc qui finit avec un A et elle est très...
Hadjar se leva d'un bon, ne laissant pas son frère finir sa phrase et quitta le restaurant si vite qu'il bouscula un serveur et n'entendit qu'un lourd fracas derrière lui accompagnés d'exclamations consternées.
Jane resserra sa prise sur le porte-bébé dans lequel Naya reposait, lovée tout contre elle. C'était la première fois qu'elle s'aventurait dans sur le sentier du domaine entouré par cette vaste forêt. Elle s'avança jusqu'à l'orée du bois, et s'arrêta brusquement.
Le silence était trop pesant, faisant ressortir des souvenirs qui n'étaient pas totalement effacés.
Il était trop tôt, elle ne se sentait pas prête et préféra rebrousser chemin.
- Assez pour aujourd'hui mon ange...
Elle se retourna et à ce moment précis, rien n'aurait pu lui faire penser qu'elle la reverrait.
Tabitha, en chair et en os se trouvait à quelques mètres d'elle et son visage n'avait pas changé depuis la dernière fois. Pourtant, Jane avait prié pour qu'elle s'en sorte. Ses yeux cernés restaient cependant toujours diaboliques.
Le brouillard assez épais qui flottait sur l'étendue du domaine créait une atmosphère étouffante.
- Tabitha, ça fait longtemps ? Comment vas-tu ?
- Pas aussi bien que toi apparemment, dit-elle en la toisant avec mépris. Quel beau bébé que tu as là.
Jane s'avança pour s'éloigner du bois, gardant un sourire amical sur son visage.
- En effet, c'est un beau bébé.
- Tout ça aurait dû être à moi !
L'accusation rageuse fit reculer Jane et comprit que Tabitha n'était pas venu en paix. Ses pupilles dilatées montraient clairement qu'elle n'était pas dans son état normal.
- Non, tu te trompes Tabitha.
- Tu m'as volé ce qui aurait dû me revenir de droit ! Dit-elle entre ses dents.
- Je n'ai jamais demandé à te remplacer ! Et peu importe ce que tu penses Tabitha, ce qu'il s'est passé à l'hôtel ne serait jamais arrivé si tu avais été à ma place.
Jane lut dans ses yeux qu'elle savait tout.
- C'est un peu présomptueux de ta part de dire ça, qu'est-il arrivé à la gentille Jane ? Tu penses que tu es supérieure à moi parce que tu t'es fais engrosser par un homme fortuné.
- Non, murmura Jane profondément touchée par la haine qu'elle lut dans son regard. Je pensais seulement que tu étais mon amie mais maintenant je comprends mieux...
Tabitha eut un rire sans joie en se pinçant l'arrête du nez.
- Je suis sincèrement désolée que les choses se soient déroulées ainsi, je ne voulais pas ça, crois-moi.
- Moi aussi je suis désolée, renchérit-elle en sortant une arme qu'elle pointa sur elle.
Jane haleta en reculant, ayant le réflexe de poser ses mains sur le porte-bébé.
- Qu'est-ce que tu fais ? Dit-t-elle dans un souffle tremblant.
Aucune pitié ne traversa le regard de Tabitha mais plutôt une sourde envie de se venger.
- Je finis simplement le travail que mon père n'a pas pu finir, lâcha-t-elle avec un rire machiavélique.
Le sang quitta son visage, le sol se déroba sous ses pieds. Sa vision commença lentement à devenir floue.
- Tu as sincèrement crû que mes parents étaient ces deux riches insupportables ? Se moqua-t-elle en riant froidement. Non non, ce n'est pas l'histoire originale Jane.
- Tu es la fille de Westford, souffla-t-elle en la dévisageant avec le refus d'y croire.
- Surprise !
Les jambes tremblantes, Jane se recula en direction de l'orée du bois qui lui faisait tant peur. Son instinct maternel renforçait sa détermination à sortir de cette situation au plus vite. Peu importe si elle devait y laisser sa vie.
- Tu ne veux pas savoir Jane ? Siffla-t-elle dans un murmure menaçant.
- Il n'y a rien à savoir, répondit Jane amèrement.
- Au contraire ! Tu as besoin de savoir ! S'écria-t-elle avec rage. N'es-tu pas curieuse de savoir comment mon père a rencontré ma mère ? Ils communiquaient par lettres dans les années 90 et ils ont fini par tomber amoureux. Elle savait tout et elle l'aimait quand même.
Elle marqua une pause, les yeux dans le vague.
- Puis elle est morte quelques années plus tard, reprit-elle en se frottant la tempe avec le canon de l'arme. Et j'ai été placé parce qu'il ne pouvait pas me garder il était trop occupé tu comprends.
Le rire fou de Tabitha réveilla Naya qui commença à s'agiter dans le porte-bébé. Jane devait gagner du temps.
- Hewitt, ton nom de...
- Parce que ces deux abrutis de riche voulaient désespérément un enfant alors ils m'ont adopté mais ils se sont vite rendu compte de l'erreur qu'ils avaient commise.
Il pointa l'arme dans sa direction.
- Alors ils m'ont renvoyé au foyer d'accueil et devine qui venait tout juste d'arriver là-bas ? La pauvre petite Jane.
- Tu savais depuis le début qui j'étais ? S'enquit Jane la bouche tordue de dégoût.
- Non, je l'ai su il y a quelques mois, quand mon père m'a contacté par courrier, si ça, ce n'est pas le destin alors c'est quoi ? La fille inconnue du plus grand criminel prends soins sans le savoir de celle qui était sa dernière victime.
Tabitha prit un air faussement désolé, se moquant à visage découvert de la mort de ses parents.
- Tu es malade ! Cracha Jane les larmes aux yeux. Des larmes proches de la rage.
- Quand je suis allée le voir au parloir j'étais si heureuse de le retrouver que nous avons bavardé encore et encore jusqu'à ce que je lui montre une photos de mon séjour au foyer avec mes autres camarades et devine quoi ?
Elle pencha la tête sur le côté, savourant chaque seconde de sa tirade.
- Il ta immédiatement reconnu et c'est a ce moment-là qu'il m'a dit qui tu étais. Imagine le choc que ça m'a fait d'apprendre que depuis tout ce temps j'étais amie avec celle qui a envoyé mon père en prison.
- Il a violé des enfants ! Il a tué ces petites filles ! S'écria Jane. Comment tu peux être aussi insensible à ça. Ton père était un monstre !
Sa réplique fit vaciller l'expression diabolique de Tabitha mais à aucun moment elle semblait vouloir se détourner de son objectif.
- Enfin bref, tu t'imagines qu'après ça il m'a évidemment demandé de l'aide et j'ai accepté. Bien sûr j'ai aimé user de ta gentillesse pour mes propres intérêts personnels mais je suivais le plan. D'après toi Jane qui est à l'origine de cette brusque demande de procès ?
Le procès ?
Jane fouilla dans sa mémoire mais eut peine à établir un lien avec ses dires.
- Au début ça semblait tellement facile puis tout c'est compliqué quand tu t'es fait mettre enceinte. Robert est devenu fou de rage.
Elle se mit à nouveau à rire, tenant fébrilement l'arme dans sa main.
- D'après toi, qui a suggérée à ta psychologue de te prendre ton bébé ? C'est moi Jane et elle était si désireuse d'en avoir que ça n'a pas été difficile de la convaincre. Mais il a fallu que cet homme débarque dans ta vie et ruine nos plans !
- Alors le saccage de mon appartement était voulu ?
- Je voulais te faire peur et ça a plutôt bien marché, dit-elle fièrement avant que son visage change à nouveau. Mais aussi parce que mon père était mort !
Naya se mit à pleurer perturbant Tabitha et ce fut à cet instant qu'elle comprit qu'à tout moment elle pouvait déraper.
- Quelqu'un l'a tué et je suis certaine que tu es derrière ça, bon sang qu'elle se taise ! Gronda-t-elle en agitant l'arme.
Et alors qu'elle pensait que c'était la fin, Jane vit une masse sombre émerger des bois.
- Pose ça tout de suite ! Ordonna-t-il sur un ton froid mais calme.
Il se plaça devant elle de façon à la protéger, pointant son arme de poing sur Tabitha.
- Comme c'est romantique...le chevalier...
- La ferme ! Siffla-t-il entre ses dents.
Le cœur battant à la chamade, Jane lut dans le regard de Tabitha de l'irritation d'être dominée.
- Je ne ressens rien, je n'ai aucune compassion pour toi alors il me sera facile de te tuer sans éprouver la moindre parcelle de regret, reprit Hadjar en fixant son pistolet rivé sur lui.
- Cette petite garce mérite de mourir et je suis certaine que tu seras très réjoui de pouvoir t'en débarrasser. Un homme comme toi mérite mieux qu'une pauvre petite fille apeurée hum ?
Hadjar eut un rire mauvais.
- La seule petite fille apeurée que j'ai eu le plaisir de voir agoniser c'est ton père.
Jane retint son souffle, fixant le visage de Tabitha perdre cette réjouissance affichée.
Hadjar fit craquer sa nuque, laissant entrevoir sur ses traits ciselés d'une une satisfaction pleine.
- Tu aurais du le voir quand j'ai pris mon temps pour...
D'un œil aiguisé il surveilla son geste de la main et quand il sentit qu'elle était prête à riposter avec son arme, Hadjar tira avant qu'elle le fasse.
Elle tomba à terre mais il ne s'arrêta pas là et s'avança pour lui coller une balle dans la jambe.
Il la désarma alors que les sirènes retentissaient déjà au loin. Il se plia sur les genoux, cherchant ses yeux vitreux alors qu'elle poussait des cris d'agonies mêlés aux pleurs répétés de sa fille.
- La prochaine fois, je vise la tête, articula-t-il férocement.
Il se releva et se tourna vers Jane, qui était tombée à genoux sur la terre humide, les yeux fermés, la respiration saccadée et qui essayait de se délivrer.
Il se précipita vers elle pour l'aider à se relever, mais surtout pour embrasser son visage froid et humide tout en remerciant le ciel de l'avoir conduit à elle à temps...
Encore.
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