Chapitre 39
Lorsqu'il entendit le cliquetis désagréable de la porte de la salle de bains, Hadjar ferma le poing. Sa femme s'était enfermée à l'intérieur avec Naya par crainte que leur fille soit encore attaquée. Cette situation ne pouvait perdurer plus longtemps. Bien qu'il s'était ouvert à elle la veille, dévoilant à Jane qu'il l'aimait, mais à sa façon, les choses commençaient doucement à s'améliorer. Seulement Hadjar n'avait pas l'intention de faillir à son devoir de les protéger à tout prix. Il refusait de baisser la garde de peur qu'un détail même le plus infime lui échappe. Patiemment, il attendit que la porte de la salle de bains s'ouvre alors qu'il essayait en vain de tuer le temps en aiguisant la lame de son poignard.
Il le rangea dans son étui lorsqu'elle émergea de la salle de bains avec le landau.
Ses yeux bleus n'étaient plus gonflés de chagrin mais brillants d'un bonheur caché.
- Tu as faim j'espère ? S'enquit-il en se levant.
- Oui, mais je ne laisse pas Naya ici, elle vient avec nous, lui dit-elle sur un ton ferme.
Hadjar n'avait pas la moindre intention de la contrarier ou même de lui refuser ce que lui-même avait envisagé.
Il se contenta de suivre la jeune femme des yeux en se demandant encore et toujours comment pouvait-elle l'aimer.
Ça lui était difficile de le savoir maintenant car il avait l'impression qu'il ne méritait pas son amour.
Et pourtant, elle l'aimait.
- As-tu des nouvelles ? Demanda-t-elle lorsqu'ils furent attablés.
- Dès aujourd'hui j'en saurai plus. Les analyses vont m'être transmises au plus tôt dans l'après-midi et je vais continuer de faire mes recherches de mon côté.
- Et si c'était ton frère ?
Lui aussi l'avait envisagé, mais refusait d'y croire totalement, car cela voudrait dire que le dernier membre de sa famille en partie décimée mettrait un point final à toutes ces années où il s'était senti mal aimé et la cible privilégiée d'un autre membre de sa famille.
- Il sait qu'il a trop à perdre Jane, mon frère a déjà son pays à dos et ils veulent sa mort.
- Cependant la jalousie ne disparaît jamais totalement, insista la jeune femme en glissant un fruit entre ses lèvres. Tu ne sais pas tout ce qu'il s'est passé entre ton frère et ton oncle. Les vieilles rancœurs sont parfois les plus tenaces.
- Je ne peux me résoudre à envisager cela car ça voudrait dire que mon frère veut tenter de venger mon oncle qui a décimé mon peuple.
Elle baissa les yeux tout en acquiesçant faiblement puis un sourire se glissa sur ses lèvres.
- En tout cas, sache que je t'aime.
Ses mots lui envoyèrent des coups fatals au cœur jusqu'à ressentir un gonflement dans son torse. Elle se mit à rougir devant son silence mais Hadjar était trop touché pour lui traduire ce qu'il ressentait.
- Habibti, murmura-t-il alors en lui décochant un sourire léger en retour. Je ne te mérite définitivement pas.
- Mais je suis tout de même là, chuchota-t-elle bouleversée à son tour et secrètement heureuse de le voir sourire un peu.
Jane venait de lui exprimer son amour afin qu'il n'oublie pas qu'il était aimé.
Jane avait longtemps prié pour revoir ses parents ne serait-ce qu'une seconde parce qu'elle en avait été privé. À l'inverse, Hadjar avait eu une famille mais celle-ci ne l'avait jamais comblé d'amour.
- Je dois te faire partir du palais le temps que je retrouve le coupable.
Cette décision la fit bondir intérieurement.
- Je ne vais nulle part Hadjar.
- Pourtant il le faut, insista-t-il en retrouvant ce ton impérieux qui le caractérisait tant. Je vais être occupé à trouver celui ou celle qui est derrière tout ça et je ne peux pas prendre le risque de faillir à ta sécurité et à celle de notre fille.
- Mais où veux-tu que j'aille ?
- Tu iras avec les bédouins, ils te protégeront même au prix de leur propre vie et j'ai une entière confiance en eux.
Il semblait avoir pris sa décision et refusait de reculer.
Jane quant elle n'était pas du tout de cet avis et craignait que leur séparation fasse plus de mal que de bien.
- Hadjar je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dit-elle en jetant un œil sur Naya qui gigotait dans le landau. Naya est trop jeune pour aller dans le désert.
- Ma tente est suffisamment confortable et adaptée. Nous irons en voiture ne t'en fait pas pour ça.
- Et si à l'inverse nous partions tous les trois ? Proposa-t-elle en espérant qu'il cède.
- Comment ça ? Demanda-t-il d'une voix méfiante.
- Partons tous les trois, dans mon pays.
- Jane...
- J'aimerai vraiment revoir Londres, insista-t-elle en soutenant son regard. Si quelqu'un en a vraiment après nous, quoi de mieux qu'un voyage à Londres pour donner l'illusion que tu as baissé la garde ?
Soudain il fut étonnement attentif à cette idée et se renfonça dans le creux de la chaise.
Il la quitta des yeux, plongé dans une profonde réflexion qu'elle décida de ne pas interrompre.
- C'est une idée en effet, finit-il par dire.
- Je ne veux pas que nous soyons séparés, dit-elle en posant son regard sur Naya.
- Le problème c'est que Naya a été attaqué de l'intérieur.
- Justement, c'est le meilleur moyen de savoir qui est derrière tout ça. Si nous informons le lieu de notre voyage la personne qui a attaqué Naya va forcément le dire à son complice.
- Je ne veux pas vous mettre en danger.
- Et moi je veux en finir avec ça Hadjar et je sais que tu n'auras pas de repos tant que tu n'auras pas trouvé qui est le coupable. Je ne veux pas aller dans le désert toute seule avec Naya. Je vais m'inquiéter pour toi et tu feras de même pour moi.
Jane marqua une pause, les yeux étincelants d'espoir.
- Et puis j'aimerai me rendre sur la tombe de mes parents.
Bizarrement, il se referma et son regard se voila de mystère.
Voyant ses espoirs s'effondrer, Jane s'apprêtait à lui fournir d'autres arguments mais il leva sa main avec autorité.
- Très bien, dit-il d'une voix cependant contraire à sa réponse. Nous allons partir à Londres et nous irons au manoir.
Jane retint un sourire victorieux et se leva pour faire le tour de la table.
- Merci, murmura-t-elle en posant sa main sur son épaule.
- J'espère seulement que je ne vais pas le regretter.
Malgré l'inquiétude du cheikh, Jane avait le pressentiment que c'était la meilleure façon d'en finir.
Des regrets ?
Jusqu'ici Hadjar n'en avait aucun, surtout quand il vit le visage de son épouse s'illuminer pendant ses retrouvailles avec Jacob et Madeleine.
Sa fille dont les yeux étaient maintenant grand ouvert avait pris les couleurs assez froides de Londres et de cette campagne isolée.
Tout au long de la durée du vol, il avait établi un plan qui consistait à coincer son frère qui séjournait encore ici. Il voulait la vérité et il espérait voir dans les yeux de Malik encore un peu d'humanité.
Jane avait raison, il fallait en finir avant qu'il soit rongé de l'intérieur.
- Vous avez fait un bon voyage au moins ? Demanda gaiement Madeleine en prenant l'un des bagages.
- Excellent, merci Madeleine, répondit-il en aidant Jane à se débarrasser de son manteau.
- Les Lancaster ne sont pas là ? Demanda-t-elle les sourcils froncés.
- Non, je les ai congédié il y a longtemps maintenant, répondit Hadjar sur un ton posé. Ils séjournaient ici selon les termes de mon accord, et ils ne l'ont pas respecté. Désormais ils vivent dans une banlieue très réputée.
- Mais alors...
- Jacob et Madeleine restent ici pour entretenir le manoir.
La jeune femme esquissa un léger sourire que lui seul comprit puis sortit Naya de son siège pour la présenter aux deux personnes qui comptaient pour elle.
Et c'est en retrait qu'il réalisa sa faute la plus terrible. Jane était heureuse comme jamais auparavant. Elle respirait le bonheur et la liberté. En la privant de ceci, Hadjar avait compliqué leur mariage inutilement.
Elle n'était plus une prisonnière mais sa femme et c'est tout ce qu'elle demandait depuis le commencement.
Avec un sourire qui s'effaça très vite, il tourna les talons pour monter à son bureau qui était chargé de souvenirs. C'est ici précisément qu'il avait fait sa rencontre sans réaliser un instant qu'il s'agissait de cette femme qu'il tentait en vain de retrouver.
Il se plaça derrière le bureau en fixant ce fauteuil vide en face du sien.
- Tu te souviens de ce que tu as pensé de moi la première fois ?
Hadjar braqua ses yeux sur la jeune femme au pas de la porte, la tête posée contre le bois de l'encadrement.
- Tu veux vraiment le savoir ? Dit-il en s'installant lentement dans le fauteuil.
- Oui.
Elle s'approcha les mains derrière le dos, son teint de porcelaine aussi blafarde que le ciel voilé.
- J'ai pensé que tu étais terriblement belle, mais aussi imprudente et un peu maladroite. Je n'avais qu'un désir, posé un contrôle total sur toi sans savoir précisément la raison qui me poussait à réagir ainsi.
Il inspira profondément puis ajouta :
- Maintenant je le sais.
Elle prit place dans ce fameux fauteuil les joues pleines de rougeurs délicieuses.
- Moi j'étais terrifiée et fascinée.
- Tu l'es toujours ?
- Fascinée ? Oui. Terrifiée je ne pense pas l'être encore.
- Tu es heureuse d'être ici, lui fit-il remarquer en se frottant doucement la barbe.
- Oui, je suis heureuse de revoir Jacob et Madeleine, j'espère qu'on pourra le faire davantage dans le futur.
Elle se pinça les lèvres avec hésitation puis ajouta :
- J'espère également que notre retour au palais sera le début d'un renouveau dont j'ai besoin.
- Tu es ma reine ne l'oublie pas, dit-il d'une voix rauque. Je compte bien te libérer de ce statut qui aurait pu me faire tout perdre. Je me rends compte que j'avais tort de penser ainsi. Il est temps que je me modernise un peu.
Elle se mit à rire en se levant pour le rejoindre et il encercla sa taille pour qu'elle s'installe sur ses genoux.
- Cependant n'espère pas que je change complètement, et dès notre retour sur mes terres nous irons avec les bédouins, tu as besoin de visiter le pays pour t'accoutumer à nos traditions.
- J'ai hâte et je...
- Votre Altesse ? Veuillez m'excuser mais votre frère vient de téléphoner.
Jane se leva aussitôt pour qu'il en fasse de même, mais il prit soin de lui prendre la main comme un geste qu'il voulait rassurant.
- Qu'a-t-il dit ?
- Il souhaite vous voir dans un café, un endroit neutre pour discuter, expliqua Charik l'air soucieux. Vous pensez que c'est un piège ?
- Peu importe si c'en est un, je n'hésiterai pas à agir s'il ne m'en donne pas le choix.
Il se tourna vers Jane.
- Tu avais raison, quelqu'un au palais est en communication avec mon frère.
- Dois-je donner l'ordre de faire filtrer toutes les communications téléphoniques ? S'enquit Charik. Tenez, les résultats sont arrivées.
Hadjar avisa l'enveloppe avec un regard orageux mais ne l'ouvrit pas.
- Hadjar ?
- Personne n'ouvre cette enveloppe, je veux que la vérité vienne de lui. Je sais exactement ce que je dois faire pour obtenir des réponses.
Il posa un baiser sur son front et plongea son regard dans le sien.
- Je vais essayer de faire vite, en attendant tu es en sécurité ici.
- Ne fais rien qui puisse...
Le cheikh posa son pouce sur ses lèvres afin de taire ses inquiétudes puis s'effaça lentement de la pièce, déterminé à mettre fin à cette guerre fraternelle qui menaçait son espoir d'être enfin heureux.
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