Chapitre 37
Résignée, Jane quitta la salle de bain le cœur lourd, le ventre torturé de douleurs insupportables. Des émotions contradictoires se bousculaient en elle sans qu'elle puisse les arrêter. Certes soulagée que sa fille n'ait rien, Jane ne pouvait ignorer cet instinct redoutable qui menaçait sans cesse ce soulagement.
Les doigts entrelacés, indiquant un signe de nervosité elle se dirigea vers le salon en espérant y trouver Hadjar. Puis un bruit provenant de la chambre de Naya attira son attention.
Les sourcils froncés, elle s'arrêta dans l'encadrement des portes coulissantes en observant le cheikh qui était penché au-dessus du berceau.
Naya ne s'y trouvait pourtant pas, allongée dans le landau, endormie.
- Que se passe-t-il ?
Il se redressa, mais ne lui accorda aucun regard.
Ses larges épaules se soulevèrent brutalement.
- Hadjar ? Insista-t-elle en progressant lentement vers lui.
- Tu avais raison, lâcha-t-il d'une voix glaciale, sans jamais la regarder. Ton instinct ne t'a pas trompé. Il s'est passé quelque chose.
Jane n'éprouva aucun soulagement de le savoir, mais comprenait maintenant les raisons qui le poussaient à fuir son regard.
- Quelqu'un lui a fait du mal, ajouta-t-il sur un ton acerbe. On lui a piqué le doigt, il y a des traces de sang dans le lit et il y en avait aussi sur son pyjama. Infimes certes, mais suffisantes pour tenter de trouver le coupable.
- Qui pourrait s'en prendre à Naya ? Aïcha est la seule qui est autorisée à pénétrer ici.
- Et j'attends avec impatience qu'elle me donne une explication solide car sinon...
Il suspendit la suite, mais il n'était pas difficile de savoir ce qu'il s'apprêtait à dire.
Jane déglutit, les jambes clouées au sol. Un sol qui se dérobait sous ses pieds. Il quitta brusquement la chambre en emportant avec lui une mallette noire.
Une heure plus tard, ils étaient réunis dans la salle du conseil.
- S'il y a bien une chose que je serais incapable de faire c'est de blesser Naya, déclara Aïcha d'une voix sereine. Pas après ce que vous avez fait pour moi.
Hadjar se passa deux mains rageuses sur le visage. Aïcha n'avait pas besoin de rajouter quoique ce soit pour se défendre et il ressentit un profond remord d'avoir envisagé qu'elle pouvait être derrière ça.
Pas après cette guerre qui lui avait arraché son enfant.
- Certains sujets du palais savent que je suis en charge de veiller sur Naya. Je vais vous dresser une liste immédiatement.
- Qui pourrait être à ce point affreux en s'attaquant à un bébé, ça n'a pas de sens, ajouta Charik en les regardant tour à tour.
Jane se laissa tomber sur l'une des chaises présentes autour de la grande table de réunion.
- Tout est de ma faute, murmura-t-elle au risque de subir la foudre du cheikh.
- Arrête !
Sa voix désincarnée de douceur la fit sursauter mais Jane refusait de céder à cette exigence.
- Chaque ennui qu'il y a pu avoir jusqu'ici est venu à cause de moi, insista-t-elle en se tournant vers Charik et Aïcha. N'ai-je pas raison ? Le docteur Chapman voulait mon bébé et elle n'a pas été arrêté tout de suite. Elle a très bien pu monter un plan...
- Non, coupa Charik sur un ton aussi ferme que son roi.
Jane tressaillit sur sa chaise, choquée par la fermeté affichée sur le visage de cet homme qui d'ordinaire ne perdait jamais ses nerfs.
- Non, répéta Jane en battant des cils.
- C'est impossible qu'il puisse s'agir d'elle car il est presque impossible d'accéder à notre pays comme on pourrait accéder à n'importe quel autre pays. Chaque nouvel arrivant est contrôlé avec minutie, jusqu'à ses contacts, ses relations ou non avec n'importe quelle affiliation. Si le docteur Chapman avait essayé de faire passer un complice par bateau ou par avion nous l'aurions su immédiatement.
- Et puis il est impossible de pénétrer dans le palais, ajouta Aïcha en allant jusqu'au cheikh pour lui tendre la liste.
Jane observa cet échange silencieux et lu dans le regard de son mari des excuses silencieuses.
Des excuses que Aïcha accepta en inclinant la tête avec un léger sourire.
- De plus je ne vois pas l'intérêt de venir jusqu'à sa chambre pour lui piquer le doigt.
- J'ai fait le nécessaire pour vérifier si on lui avait injecté quelque chose de nocif, dit Hadjar en jetant quelques regards à la dérobé en direction de sa femme.
Son attitude le rendait bien plus nerveux qu'il l'aurait pensé. Le fait qu'elle veuille à tout prix être la coupable la rendait suspicieuse et il se demandait quelles réelles motivations elle cachait derrière cet acharnement à se rendre fautive.
- Nous allons rester vigilant et je veux une surveillance accrue à chaque seconde de chaque minute jusqu'à ce que j'ai trouvé qui se cache derrière ça.
Aïcha fut la première à partir, puis ce fut au tour de Charik.
Une fois seul avec elle, Hadjar referma la porte et ne se retourna pas tout de suite.
- Pour quelle raison cherches-tu à te rendre coupable ?
- Parce que j'ai l'impression que c'est le cas.
- N'est-ce pas plutôt une excuse pour partir ? S'enquit-il en se retournant pour observer sa réaction.
Elle cilla, la bouche éprise de tressaillements.
- Je te demande pardon ?
- C'est une simple question qui mérite une réponse, dit-il en haussant les épaules.
- Cette question est surtout stupide, répliqua la jeune femme en étouffant un rire.
Le cheikh lui apparaissait comme suspicieux à son égard, comme s'il ne parvenait pas à la croire totalement. Et ce fut le plus blessant.
- Comment tu peux...
- Parce que j'ai déjà envisager ce scénario des centaines de fois. Toi essayant de t'accabler en me disant que la meilleure solution pour...
- Tu as tellement peur que je parte Hadjar que tu vas finir par rendre cette crainte réelle, car tes accusations me blessent profondément, dit-elle en se levant pour l'affronter.
Un muscle de sa mâchoire se mit à tressaillir.
- À quoi tu penses exactement ? Tu penses que je cherche des excuses pour prendre ma fille et quitter ce palais en pensant que ma fuite va tout résoudre ou pire que je partirai sans ma fille en te suggérant que...
Jane s'interrompit et élança sa main vers lui mais il lui agrippa le poignet avant que sa paume atteigne sa joue.
- Tu l'as vraiment pensé ? Dit-elle dans un souffle douloureux tandis que son cœur souffrait qu'il ait pu y songer.
Il relâcha son poignet sans cesser de la dévisager.
- Je le mérite, frappe-moi, dit-il entre ses dents.
Les yeux larmoyants, Jane préféra s'enfuir et il la laissa faire.
En réalité il n'y avait aucune confiance de sa part. Il voulait sa confiance mais en retour il n'avait aucune confiance en elle.
La douleur était si violente que Jane voulut s'enfuir le plus loin possible de cet homme au cœur de pierre.
Hadjar resta immobile, les yeux rivés sur la jeune femme qui disparut dans l'escalier et le regret se mit aussitôt à l'envahir. Il s'en voulait amèrement et son visage se creusa en une expression indescriptible.
En l'accusant d'avoir potentiellement songé de partir sans Naya pour le fuir lui, il venait de briser ce qu'ils essayaient de construire ensemble depuis des mois.
- Notre majesté, si je peux me permettre vous allez la perdre si vous continuer ainsi.
- Et tu as le droit de t'en réjouir après les terribles accusations que j'ai portées contre toi, dit-il en se tournant comme une bête blessée.
- Je ne peux vous en vouloir, répondit Aïcha avec émotion. Pas après ce que vous avez fait pour moi. Cependant si je devais jouer un rôle là tout de suite ça serait celui de Hada.
Il ferma les yeux, abattu, rictus aux lèvres.
- Elle vous dirait très certainement que votre peur dévorante d'être abandonné par la seule personne que vous aimez est en train de vous porter défaveur et préjudice.
- Je viens de l'accuser de trouver un prétexte pour me fuir en suggérant qu'elle serait prête à tout, même d'abandonner sa fille. Je suis un monstre et si elle part, je le mérite.
- Vous l'aimez et c'est un sentiment que vous ne connaissez pas ou plus, argumenta Aïcha en se plaçant à ses côtés. Vous ne savez pas comment gérer ces sentiments qui vous submergent. Vous êtes complètement dépassé et vous passez plus de temps à imaginer qu'elle puisse partir qu'à voir à quel point elle vous aime.
- Non, dit-il d'une voix grave et basse, elle ne m'aime pas.
Il exhala un soupir tremblant d'une rage enfouie en fixant le reflet de ses balafres.
- Comment peut-on aimer un monstre, ajouta-t-il avec dégoût.
- Pourtant elle vous aime mais votre obstination à faire d'elle votre prisonnière plutôt que votre femme vous empêche de voir ce qu'il y a sous vos yeux.
Hadjar quitta des yeux son reflet qu'il trouva repoussant tant son visage était déformé par la peine pour baisser le regard sur Aïcha.
- Quoi ?
- Une femme amoureuse qui ne cherche pas à s'enfuir mais qui cherche à comprendre l'homme qu'elle aime. En général les hommes ne sont pas facile à comprendre mais avec vous c'est encore pire.
- Comment peux-tu être aussi certaine de ce que tu avances Aïcha ? Lui dit-il en se détournant. Comment peut-elle aimer un homme comme moi après tout ce que j'ai fait.
- Et pourtant tout le monde l'a remarqué au palais. Tout le monde sauf vous, précisa Aïcha avec un léger sourire.
Un sourire qui s'effaça lentement...aussi lentement que ses pas qui progressaient vers lui.
- Arrêtez de la repousser.
- Ce n'est pas ce que je fais ! Au contraire, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour la protéger.
- Ce n'est pas ce qu'elle attend de vous, répliqua Aïcha en secouant de la tête. Du moins elle attend plus que ça.
Hadjar déglutit avec la désagréable sensation que sa gorge se serrait. Et lorsqu'elle quitta la pièce sombre, Hadjar se retrouva seul avec ses démons.
Pour lui, savoir que Jane pouvait l'aimer après tout ce qu'elle avait pu endurer lui était impossible, bien qu'une partie de lui l'espérait secrètement. Il venait de la blesser profondément et les sages conseils de Aïcha ne seront sans doute pas suffisants pour réparer sa terrible erreur.
Il se laissa tomber dans le fauteuil principal et ferma les yeux, terriblement conscient que Aïcha avait raison.
L'aspect de leur relation était basé sur une succession de vastes erreurs de sa part et peut-être irréparables.
À l'exception de Hada, personne ne l'avait jamais aimé comme lui l'espérait au tréfonds de son âme si sombre, alors il s'était fait à l'idée qu'elle ne l'aimerait pas en retour et que ce mariage allait se poursuivre avec l'espoir insensé de pouvoir contrôler Jane pour qu'elle ne lui échappe jamais.
Seulement si Aïcha disait vrai et que Jane avait bel et bien des sentiments pour lui, alors le qualifier de monstre sans empathie ne serait plus suffisant ni assez fort pour le décrire.
Hadjar avait peur d'aimer et en repoussant Jane il venait peut-être de la perdre à jamais...
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