Chapitre 36
Épuisée par cet imprudent périple, Jane entra dans la chambre en se massant les hanches. À sa suite, le cheikh referma les portes bien décidé à conduire la suite de cette houleuse conversation.
- Premièrement tu vas me promettre de ne plus faire des choses aussi stupides.
- Je te le répète, je ne voulais pas m'éloigner de la piste, dit-elle en sortant Naya de la poussette pour la poser sur sa poitrine.
Il pointa d'un regard aiguisé cette tactique qu'elle avait déjà utilisée par le passé et s'empressa de lui prendre Naya qu'il se mit à bercer avec une délicatesse qui contrastait fortement avec son allure de guerrier. Il se dirigea vers la chambre pour la déposer dans son lit et repoussa les portes coulissantes sans les refermer complètement.
- Tu disais ? Lança-t-il d'une voix qui trahissait la force de sa patience avec laquelle elle jouait.
- Je voulais prendre l'air, je voulais monter à cheval et quand il s'est mis à galoper, j'étais tellement prise dans l'action que je n'ai pas réalisé.
- Tu aurais dû m'en informer et nous aurions fait cette balade ensemble.
- Ah vraiment ? S'enquit-elle avec un rire sans joie. Tu aurais vraiment accepté de faire une balade avec moi ? En dehors du palais alors que tu deviens fou dès que...
- Ta sécurité restera toujours l'une de mes priorités.
- Et tu ne te demande pas si...
- Je le sais, je n'ai pas besoin de te le demander pour le savoir, la coupa-t-il sèchement. Je sais à quel point j'ai l'air d'un tyran mais tant que je ne suis pas certain...
- C'est en essayant de me protéger de tout que tu finiras pas faire une erreur Hadjar.
Sa réplique ou plutôt son avertissement remplit ses yeux de fureur.
- Alors c'est que tu as beaucoup à apprendre de moi, articula-t-il d'une voix vibrante mais contrôlée. Tes accusations me blesses profondément Jane.
- Et moi je suis blessée de ne pas comprendre et j'en ai assez d'être mise à l'écart.
Une lueur insondable traversa son regard, et Jane crut apercevoir une pointe de regret se former sur ses traits ciselés.
- Saoud m'a fait savoir qu'un danger était tout proche, lâcha-t-il d'une voix grave où la colère avait encore toute sa place.
Jane se précipita de relever son regard dans le sien et le rictus amer qui se formait progressivement sur sa bouche la fit frémir.
- C'est lui à qui je vais rendre visite quand je m'absente.
Silencieuse ou plutôt incapable de trouver les bons mots, Jane baissa les yeux en avalant difficilement sa salive.
- Je suis très attentif à ce qu'il me dit car jusqu'ici il ne s'est jamais trompé. Je redoute que tu sois la cible et tant que je n'aurai pas la tête du coupable en main, je resterai l'impitoyable geôlier sans cœur.
- Mais...tu m'avais dit que la paix était de retour dans ton pays, tu m'as dit que...
- C'est un ennemi proche et qui vient de l'intérieur, la coupa-t-il froidement en quittant la chambre pour la salle de bain.
Jane se passa les mains dans les cheveux, ne sachant plus où se mettre ni où aller. Il était évident qu'il lui voulait profondément pour s'être mise en danger mais par-dessus tout, il avait été une fois de plus forcé de lui dire la vérité.
Il avait à nouveau cédé et semblait détester ça.
Timidement elle écarta la porte de la salle de bain alors qu'il se déshabillait, le visage fermé.
- Pourquoi est-ce si compliqué pour toi de me mettre dans la confidence ? Demanda-t-elle doucement.
- Parce que je t'ai arraché à une vie peu glorieuse pour t'offrir une vie encore moins bien, cracha-t-il en se débarrassant de sa chemise. Je pensais être débarrassé des mes ennemis et c'est quand je tente de me construire une famille que les ennuis réapparaissent. C'est peut-être un signe.
- Un signe ?
Hadjar se détourna pour masquer son visage dévoré par la colère. Il savait que c'est celle-ci qui le faisait parler et qu'à tout instant, il pouvait dire une chose regrettable.
- Le signe que je n'ai pas le droit au bonheur.
- Les ennuis ont un rapport avec moi, c'est moi qui est la source de tes ennuis. Le docteur Chapman pour commencer. En réalité c'est peut-être moi qui n'aurait pas dû...
- Je vais vraiment finir par te couper la langue ! Gronda-t-il en se retournant violemment.
- Pourtant c'est la triste vérité.
- Une vérité erronée ! Riposta Hadjar en s'approchant pour la dominer de toute sa hauteur.
- Avant de me rencontrer...
- ....j'étais un homme reclus contre un mur qui observait les éclairs zébrant le ciel tout en comptant le nombre de morts que la guerre a laissé derrière elle !
Il vit son délicat menton trembler légèrement et il s'efforça de s'adoucir.
- Jusqu'à ce que tu entres dans cette suite dans laquelle je t'ai suivi comme un chasseur, troublé par l'hésitation dans chacun de tes pas, troublé par ton odeur si opposé à la dureté.
Elle exhala un petit soupir tremblant en peinant à soutenir son regard.
- Tu n'es responsable de rien, tu es au contraire celle qui m'a permis de connaître la douceur, de pouvoir penser à autre chose que la violence qui fait partie de moi. Si c'était à refaire, je ne changerai rien. Rien du tout.
Il contracta ses mâchoires, le poing fermé le long de sa hanche.
- Tout ce que je désires c'est de la communication et j'ai...
- Ce mariage est imparfait et je sais que je dois faire des efforts, seulement ne me demande pas de changer, j'en suis incapable.
- Ce n'est pas ce que je demande.
Hadjar savait pertinemment que c'était lui le problème et non Jane.
- J'ai passé une grande partie de ma vie comme un loup solitaire, aujourd'hui tu fais partie de ma vie avec Naya, cela implique de grande responsabilité et je...
Il fut coupé par les pleurs de leur fille.
Des pleurs inhabituels.
Ils se précipitèrent dans sa chambre alors que Naya pleurait de plus en plus fort. Jane la souleva dans ses bras pour la bercer, le cœur déchiré de voir son doux visage si triste et terrifié.
- Elle est malade, s'enquit-il en touchant son front.
- C'est peut-être le soleil, tu as raison je suis idiote et imprudente, lança Jane angoissée et l'air coupable.
- Je vais appeler le médecin.
- Je suis désolée mon ange, maman est stupide, murmura-t-elle en essayant de la calmer.
Ce fut seulement au bout de quinze longues minutes qu'elle cessa enfin de pleurer.
- Ce bébé est en bonne santé, il n'y a absolument rien d'alarmant, déclara le médecin du cheikh en souriant à Naya qui s'était enfin calmée.
De son point de vue, Jane n'était pas de cet avis et avait toujours le pressentiment qu'il s'était passé quelque chose.
À sa droite, Hadjar demeurait silencieux et pensif, fixant sa fille avec les yeux d'un père protecteur.
- Naya ne pleure pratiquement jamais, même quand elle a faim, dit Jane en glissant son doigt dans sa petite main. Ce n'est pas normal docteur.
- Il arrive que les bébés aient une manière bien à eux de faire comprendre leurs besoins. Certains bébés peuvent être très doux au départ puis changent progressivement avec l'âge. Naya a deux mois et son éveil va s'accroître. Je vous assure qu'il n'y a rien.
Cette explication tenait la route mais Jane ne put s'empêcher d'avoir un doute.
- Je vais vous raccompagner, annonça le cheikh après qu'elle l'ait remercié.
Seule avec Naya, elle la prit dans ses bras alors qu'elle était encore sale et pleine de sables sur le visage. Pendant une fraction de seconde elle eut honte de s'être présentée devant le médecin dans un tel état, mais très vite son inquiétude lui fit oublier ce détail.
- Il s'est passé quelque chose Hadjar, lui dit-elle quand il revint vers elle.
- Le médecin a dit que c'était une fausse alerte, tout va bien Jane.
- Non, insista-t-elle en secouant vivement la tête. Je connais mon bébé, je suis sa mère et elle n'avait jamais pleuré ainsi. Elle ne pleure pratiquement jamais.
Les sourcils froncés, il s'avança vers le lit pour s'asseoir sur le rebord.
- Jane, commença-t-il en passant sa main dans ses cheveux en désordre. Le médecin a examiné Naya de la tête aux pieds à ma demande et il n'a rien trouvé d'inhabituel. Je pense que c'est le contrecoup de tout ce qui s'est passé aujourd'hui et le fait que tu penses que c'est de ta faute.
Elle ferma les yeux, sensible à cette caresse dans ses cheveux qui était remarquablement tendre. Hélas, chaque fois qu'elle baissait le regard sur sa fille, son instinct maternel lui hurlait de prendre garde.
- Hadjar je t'en prie il faut que tu me fasses confiance, murmura-t-elle d'une voix enrouée d'inquiétude. J'ai un mauvais pressentiment, je t'assure que ce n'est pas normal. Quand elle a pleuré c'était comme si...
Elle s'interrompit, le cœur pincé d'une douleur insupportable.
- Comme si quoi Jane ?
- Comme si on lui avait fait du mal, parvint-elle à dire en relevant les yeux vers lui.
Il se rembrunit, la mine très sombre et semblait enfin l'écouter.
Cependant il ne dit rien et fit tomber son regard sur Naya.
- Très bien habibti, je vais enquêter et faire en sorte de lever les doutes, d'accord ?
- Oui, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.
- Donne-moi Naya, elle va rester avec moi, tu as besoin de prendre un bain chaud.
Jane hésita, ne voulant plus laisser Naya toute seule. Ce fut sa confiance envers le cheikh qui la poussa à lâcher prise.
Hadjar suivit des yeux sa femme jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la salle de bain et nota qu'elle n'était plus la farouche guerrière qui quelques heures plus tôt s'était rebellée. Elle était éprouvée par le regret mais aussi dévorée d'inquiétude et persuadée que les larmes de Naya n'étaient pas anodines.
Hadjar avait toujours écouté son instinct et il ne pouvait pas reprocher à sa femme d'écouter le sien. Seulement, il refusait de penser qu'il puisse s'agir d'autres choses que des pleurs naturels d'un bébé.
Pourquoi ?
Parce que si jamais Jane avait raison, Hadjar savait qu'il deviendrait encore plus ténèbres qu'il l'était déjà.
Il savait que son humanité pouvait disparaître si jamais s'il découvrait que sa fille était elle aussi en danger.
Il posa un baiser sur son front alors qu'elle dormait et décida de l'examiner à son tour.
Il la manipula avec une extrême précaution, il vérifia son pouls régulier, sa température corporelle, étudia ses petites respirations ainsi que son ventre.
Rien.
Elle semblait en bonne santé.
Hadjar la rhabilla tout en gardant l'oreille tendue vers la salle de bain où il pouvait entendre l'eau couler. Jane était sans doute perturbée de l'avoir laissé à Aïcha et son imprudence qui aurait pu lui coûter résonnait en elle comme un choc difficile à faire passer.
Hadjar plaça sa fille dans le creux de son bras et embrassa sa petite main.
Et alors qu'il était persuadé que le remords de sa femme était la seule explication raisonnable, Hadjar perçut entre les tons hâlés de sa grande mains et la clarté rosée de ces doigts minuscules un détail qui déjà lui fit serrer les mâchoires.
Sur le pouce de Naya, on distinguait un petit point de sang.
Comme un coup d'aiguille.
Hadjar se leva lentement alors que sa respiration s'accéléra brutalement et dangereusement. Ses pupilles se dilatèrent et la noirceur commença à émerger...inarêtable...
L'instinct maternel de Jane ne s'était pas trompé et pour le bien de tous, Hadjar aurait préféré que ce soit le cas...
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