Chapitre 35
- Votre majesté, est-ce que vous êtes certaine que c'est une bonne idée ?
Jane remonta jusqu'aux genoux les bottes que lui avait prêté Aïcha et se leva avec une farouche détermination.
Il faisait beau, Naya gazouillait dans la poussette, mais seul le cheikh manquait à l'appel.
Depuis la terrible révélation concernant le docteur Chapman, Jane voulait impérativement aller de l'avant et dépasser les peurs qui l'empêchaient d'avancer.
Trois jours venaient de s'écouler depuis qu'elle avait eu la confirmation du cheikh en personne qu'à ses yeux, elle demeurait encore sa captive à part entière.
Seulement Jane en avait assez de rester enfermée dans le palais et voulait à tout prix respirer un peu d'air frais.
Pendant toute sa vie, elle s'était pliée aux peurs que son enfance dramatique lui avait laissé comme un cadeau empoisonné. Pendant vingt-quatre ans d'existence, Jane avait pensé sa vie dans la peur d'être à nouveau la cible du danger.
Aujourd'hui elle réalisait que ça ne servait à rien.
Malgré tout ce qu'elle avait fait, le danger s'était manifesté.
D'abord le cheikh, puis la trahison de celle qu'elle considérait comme son amie et enfin le docteur Chapman.
- J'en suis certaine, affirma Jane en quittant sa torpeur. Je suis déjà montée à cheval. Ce n'est pas compliqué.
- Oh mais je ne remets pas en doute vos compétences mais je m'inquiète surtout de la réaction du roi si jamais il apprenait que vous avez désobéi.
- Mais il n'en saura rien parce que c'est un secret, s'enquit Jane en sortant le cheval au pelage brun foncé de son box.
Aïcha la suivit avec la poussette l'air affolé.
- Ce n'est vraiment pas prudent !
- Et pour une fois dans ma vie je ne veux pas être prudente.
Jane monta sur le cheval qui ne montrait aucun signe de nervosité. Au contraire il semblait heureux lui aussi de sortir un peu.
Jane prit les rênes avec un large sourire alors qu'une discussion houleuse commençait avec l'homme en charge des écuries royales et Aïcha.
- Je peux savoir ce qu'il dit ?
- Qu'il va se faire tuer si vous ne descendez pas immédiatement ! S'écria Aïcha affolée.
- Soyez sans crainte, répliqua Jane en regardant sa fille qui frottait ses petits pieds l'un contre l'autre. Personne ne sera tué, je veux juste faire un petit tour et je reviens. Je ne sors pas du palais.
Aïcha était sur le point de s'évanouir tandis que l'homme essayait de l'empêcher de partir.
Seulement le cheval sentit la tension autour de lui et se cabra légèrement. Jane s'élança alors, gagnant la piste aride à l'arrière du palais. Elle n'entendait plus rien, pas même les voix qui continuaient de protester sa décision. Enfin, elle se sentait totalement libre. Un sourire joyeux aux lèvres elle fit en sorte que le cheval augmente sa vitesse et lorsqu'il se mit au galop, Jane n'eut aucune envie l'arrêter.
Le vent chaud caressait sa peau, elle inspira une bouffée d'air frais alors que quelques mèches de cheveux s'échappaient de son chignon. Seulement son état euphorique retomba lentement quand elle prit enfin conscience que le terrain semblait différent. Des grains de sable se mirent à fouetter son visage et elle dut ralentir le cheval dans sa course folle.
- Doucement mon beau.
Elle parvint à l'arrêter et son souffle se coupa devant ce spectacle à la fois terrifiant et spectaculaire. Perchée sur une dune, des milliers d'autres se dressaient devant ses yeux captifs par l'horizon qui n'avait pas de fin.
C'était magique, mais aussi inquiétant car le silence était presque comme un murmure imparfait. Elle pouvait entendre des tourbillons de sable se former autour d'elle, et la chaleur semblait bien plus écrasante.
- Je crois que...
Jane pivota le cheval vers la gauche puis vers la droite et sentit la panique s'emparer d'elle.
- C'est impossible, murmura-t-elle en cherchant des yeux l'imposant palais du cheikh.
Rien.
Jane avait beau faire tourner le cheval sur lui-même, il n'y avait que des dunes sans limite, comme une ligne infinie semblable aux océans.
Elle réprima l'angoisse qui l'empêchait de réfléchir et décida de prendre à droite.
- Tu ne voulais pas être prudente et voilà le résultat ! Se maugréa-t-elle à elle-même en passant sa langue sur ses lèvres sèches.
En dépit qu'elle était parfaitement consciente de son imprudence, Jane était persuadée qu'elle finirait par être retrouvée.
Forte de cette certitude, elle continua d'avancer vers cette ligne sans fin et terrifiante puis soudain elle se força à ralentir. Dans le tréfonds paysage aride, au loin, elle crut apercevoir un point sombre d'agrandir seconde après seconde.
Un tourbillon de sable virevoltait autour de la masse sombre comme la naissance d'une tornade.
La respiration saccadée, elle prit peur, voyant clairement qu'il s'agissait d'un homme qui s'élançait sur son cheval noir droit sur elle. De loin, tout vêtu de noir, sa tête était couverte, le visage complètement masqué.
- Non !
Jane élança à son tour son cheval au galop pour fuir avant qu'il ne la rattrape. Le cœur battant violemment dans ses tempes elle dut endurer le sable qui giflait son visage terrifié à chaque mètre parcouru alors que l'inconnu derrière elle continuait de se rapprocher trop rapidement.
Elle fit alors de sorte que son cheval accélère, la peur au ventre, priant pour que quelqu'un vienne à son secours.
Hélas, elle trouva la force de tourner la tête une dernière fois et vit l'inconnu sur son étalon qui n'était plus qu'à quelques mètres d'elle.
Sa respiration se rompit quand elle fut presque arrachée du cheval, saisie par la taille. Puis tout se passa à une telle vitesse qu'elle n'eut pas le temps de crier. Elle se retrouva à terre, écrasée par le poids de l'inconnu qui lui tenait les poignets.
- Je suis flatté de sentir sous mes doigts les battements fous de ton cœur semblables à ceux que tu as quand je te fais l'amour.
Jane cessa de se débattre pour dévisager les yeux du mystérieux cavalier.
Cette voix de gorge ruisselante de colère, ses yeux noirs et perçants...presque sauvages.
- C'est toi ! Parvint-t-elle à dire dans un souffle tremblant.
Il libéra l'un de ses poignets et elle en profita pour écarter le tissu épais et noir qui masquait son visage.
- Petite idiote ! Gronda-t-il en saisissant ses épaules pour la soulever afin de la mettre debout.
Les jambes tremblantes, elle perdit l'équilibre, le cœur toujours emballé de battements douloureux.
- J'étais ivre de peur ! S'écria-t-elle en frappant son torse dur.
- Et moi dont ! Rugit-il en arrachant son keffieh afin qu'elle puisse voir l'ampleur de sa colère. Imagine une seconde dans quel état je me suis retrouvé quand Aïcha m'a appris que tu avais quitté le palais.
Sa colère était justifiée, elle le savait mais elle était aussi trop honteuse pour l'avouer.
- Je voulais seulement...
- Assez ! Fit-il claquer en s'éloignant pour siffler le cheval qu'elle avait emprunté pour prendre ses rennes.
- Imagine une seconde si je n'avais pas été là ? Reprit-il toujours sur le même ton tranchant. Ce désert est dangereux et il t'aurait tué !
- Je ne me suis pas rendu compte que j'avais quitté la piste ! Je regrette amèrement d'avoir été si...idiote
- Et tu vas amèrement regrette la suite, gronda-t-il entre ses dents alors qu'il se rapprochait d'elle d'un pas menaçant.
Les cheveux désordonnées, les joues rosies, du sable partout sur son pantalon noir, la jeune femme ressemblait à une guerrière émergeant des dunes.
Pourtant, malgré la tentation dangereuse qu'elle représentait, Hadjar n'en démordait pas. Profondément enragé à l'idée pénible qu'il aurait pu la perdre, il brûlait de lui donner une bonne leçon.
- Si tu étais un peu plus présent auprès de moi je n'aurais peut-être pas...
- N'essaye pas de me rendre fautif de tes agissements imprudents Jane !
Farouche, le menton levé, elle leva le menton pour l'affronter alors que ses yeux démontraient tout le contraire.
- Et pourtant tu l'es ! J'en ai plus qu'assez d'être enfermée dans cette tour d'ivoire. Je veux pouvoir profiter des jardins et faire de l'équitation, aider, me trouver une passion n'importe laquelle !
- Et tu auras tout ce que tu désires seulement quand je l'aurai décidé, articula-t-il en approchant son orageux visage près du sien en se penchant afin d'être à sa hauteur.
- Cette explication est irrecevable, rétorqua la jeune femme en tournant les talons.
- Où comptes-tu aller comme ça ? S'enquit vivement Hadjar en la rattrapant par le bras.
- Je rentre ! À pieds !
- Comme tu voudras habibti, dit-il en la relâchant. Cette petite crise de colère ne te mènera à rien.
Dire qu'il faisait tout pour la protéger.
Encore.
Ces voyages ne lui plaisaient pas du tout et il donnerait tout pour passer ces longues heures avec elle plutôt que loin du palais.
À nouveau il passait pour le méchant et à nouveau il s'en fichait.
La colère retomba peu à peu et il remit son keffieh qui lui permit aussitôt d'esquisser un sourire amusé alors qu'elle marchait dans la mauvaise direction.
Il grimpa sur son étalon, et attrapa les rennes de Sahaba le cheval qu'elle avait emprunté pour qu'il le suive. À distance, il la suivit, la gorge noué d'une émotion aussi brûlante que la roche d'un volcan. Surprit par sa ténacité dont elle faisait preuve à lui résister, il secoua de la tête en réprimant un sourire quand elle descendit rageusement et maladroitement la dune.
Jane sentit son souffle se réduire alors qu'elle continuait de marcher sans savoir où précisément. Il n'y avait rien à l'horizon et elle pouvait entendre les sabots des chevaux derrière elle.
Cela ne faisait aucun doute, il la suivait dans son périple grotesque mais qu'elle refusait d'arrêter sous peine de le voir gagner.
- Tu as soif ? Demanda-t-il d'une voix feutrée qui ne lui ressemblait guère.
- Non merci, dit-elle sèchement en essayant d'avaler sa salive alors que sa gorge était littéralement asséchée.
- Tu sais ma douce femme que le chemin est encore très long et que tu ne survivra pas sans t'hydrater ?
Il se jouait d'elle !
- Surtout que tu vas dans la mauvaise direction, ajouta-t-il.
Jane ferma les poings, déjà épuisée par la lourdeur de ses pieds qui s'enfonçaient dans le sable.
Elle tourna à droite, en marmonnant et il se racla la gorge sans doute pour l'avertir qu'il se trompait encore.
- Ça suffit Jane, l'entendit-elle lui dire cette fois-ci plus doucement.
Puis deux mains attrapèrent sa taille et elle fut hissée sur la selle devant lui.
Pourtant elle refusait de renoncer au combat mais dès lors qu'elle vit ses yeux opaques entourés de ce tissu épais et qui aiguisait les bribes de ses balafres dissimulées, Jane sentit les palpations de son cœur s'affoler.
- Tu aurais pu te blesser, tu aurais pu être...pense à Naya ! Gronda-t-il d'une voix plus amène.
- J'ai accepté d'être ta femme alors que tu as décidé tout seul de ce mariage, j'ai accepté d'être enlevée sans te montrer aucune résistance et j'ai en retour des absences répétées de ta part et...tu...il y a une autre femme c'est ça ?
Il fit claquer sa langue en retour, et ses yeux déjà sombres devinrent totalement obscurs.
- Je vais finir par te couper la langue.
Jane voulut descendre du cheval mais en vain.
- Il n'y a pas d'autres femmes ! C'est une insulte de savoir que tu as pu y songer, siffla-t-il en versant de l'eau sur sa tête. Il faut se presser maintenant.
Il posa un tissu sur sa tête pour la protéger et la força à boire.
- Nous reprendrons cette conversation une fois que tu seras à l'abri, maintenant assez. Tu as dit suffisamment d'inepties pour aujourd'hui.
Le barbare aux inflexions implacables refusait toute réplique de sa part et Jane n'en eu pas la force.
Prenant tout de même conscience que son imprudence aurait pu lui valoir de gros ennuis.
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